Périandre

Périandre, tragédie en 5 actes, en vers, de Luce de Lancival, 27 frimaire an 7 [17 décembre 1798].

Théâtre Français de l'Odéon.

Titre :

Périandre

Genre

trgédie

Nombre d'actes :

5

Vers ou prose ,

en vers

Musique :

non

Date de création :

27 frimaire an VII (17 décembre 1798)

Théâtre :

Théâtre Français, salle de l’Odéon

Auteur(s) des paroles :

Luce de Lancival

Almanach des Muses 1800

Périandre a usurpé le trône de Corinthe. Son règne, d'abord cruel, finit par être assez doux. Mais il a fait périr Malissa, son épouse, qu'il avait crue infidelle, et il veut abdiquer, non pour rendre la liberté à Corinthe, mais pour faire tomber la couronne sur la tête de son fils. Polyphron est ce fils ; Périandre l'a relégué à Corcyre, parce qu'il ne lui pardonnait point le meurtre de sa mère Malissa ; il espère le ramener à lui en le couronnant, et lorsqu'il s'attend à le revoir, il apprend que les Corcyréens insurgés l'ont assassiné, et lui apportent sa tête, que sa propre vie est menacée, et que les Corinthiens conspirent contre lui avec les Corcyréens. Il reprend alors sa fureur, combat les assassins de son fils, réprime les séditieux, et, vainqueur, abdique la couronne en s'arrachant la vie.

Peu d'intérêt, mais un grand art dans la conduite de l'ouvrage, de belles scènes, et de très-beaux vers.

Courrier des spectacles, n° 665 du 28 frimaire an 7 [18 décembre 1798], p. 2-3 :

[Le compte rendu commence par un long récit des aventures de Périandre, tyran de Corinthe, qui résume, non pas un ouvrage historique, mais un épisode d’un roman anglais, les Voyages de Cyrus, de Ramsay (traduction française publiée en 1753). La source est d’ailleurs indiquée par l’auteur de la pièce lui-même. Le critique paraît croire à l’historicité de ce récit. Il passe ensuite au résumé de l’intrigue de la tragédie, qui commence après la mort de Mélissa, la femme de Périandre, celle de Proclès « immolé sur son tombeau », et la fuite de Polyphron, le fils de Périandre. L’histoire qu’elle raconte est particulièrement touffue, et s’achève par le suicide de Périandre, qui s’empoisonne avant de quitter le pouvoir. Elle comporte bien entendu une intrigue sentimentale entre l’ami ou confident de Périandre et une jeune fille qui n’accepte de l’épouser que si la liberté est rétablie. La pièce a eu un maigre succès, en raison de l’absence d’intérêt (elle n’inspire ni pitié, ni terreur). Et si elle a un mérite, c’est de « présenter des sentimens d’un pur républicanisme, exprimés dans de beaux vers très applaudis ». Mais « le style est rarement digne du cothurne ». L’auteur a été nommé, c'est Luce de Lancival. Si sa pièce a peu réussi, c’est qu’elle avait un sujet bien difficile.]

Théâtre Français de l’Odéon.

Un siècle s’étoit écoulé depuis que Corinthe, anciennement gouvernée par des rois, avoit établi à leur place des magistrats annuels, sous la domination de Pritanos, lorsque Cypsele, père de Periandre, usurpa le suprême pouvoir et se fit reconnoître roi. Un règne de trente ans satisfit son ambition ; il étoit sur le point de rendre la liberté aux Corinthiens, lorsque la mort vint le surprendre. Il exigea de son fils le serment de rentrer dans la classe de simple citoyen ; mais ce serment fut bientôt oublié, et après avoir affermi sa domination, Periandre ne songea qu’à l’étendre. Il se rendit bientôt maître de Corcyre ; mais pendant son absence de nouveaux troubles éclatèrent. Mélisse, son épouse, implora l'appui de Proclès, roi d’Epidaure. Celui-ci en profita pour s'emparer du royaume de son allié, et portant ses vues jusqu’à lui enlever sa propre femme, les refus qu'il éprouva le déterminèrent à faire enfermer Melisse et Lycophron, son fils. Periandre, instruit de l’usurpation de Periclès [sic], crut, sur de faux rapports, que Melisse favorisait sa passion. Le desir de venger sa double injure lui fit armer une flotte, qui fit naufrage. De retour à Corcyre, il y apprit bientôt que son épouse devoit s'y rendre pour l’assassiner. Ce faux bruit étoit répandu par Proclès, furieux d’avoir vu échapper ses prisonniers, dont leur gardien avoit favorisé la fuite. L’infortuné Periandre, trop facile à tout croire, va au-devant de son épouse, et au moment où elle croit l’embrasser, il lui plonge un poignard dans le sein. Depuis ce moment, Lycophon ne voulut plus voir son père. Celui-ci, reconnaissant sa fatale erreur, se frappe du même poignard qui avoit terminé les jours de son épouse. Rappellé à la vie, la vengeance fut le seul espoir qui pût la lui faire soutenir. Il arme contre Proclès, le défait et l’immole sur le tombeau de Melisse. Il se résout ensuite à abdiquer la royauté en faveur de son fils. Il l’envoie chercher à Corcyre. Mais les habitans, voulant se venger de la tyrannie du père, massacrèrent le fils et lui renvoyèrent son corps. A cette vue, Periandre sentit le remords d’avoir violé son serment. Il fit préparer une pompe funèbre à son fils. A peine fut-elle achevée, qu’il s’adressa ainsi au peuple assemblé :

« Peuple de Corinthe, les dieux ont pris soin eux-mêmes de vous venger de mon usurpation, et de vous délivrer de la servitude ; Lycophron est mort, ma race est éteinte, je ne veux plus régner. Citoyens, reprenez vos droits et votre liberté. »

Quelques jours après il ordonna à deux esclaves d’aller la nuit dans un lieu qu’il leur indiqua, de tuer le premier homme qu’ils rencontreroient, et de jetter son corps dans la mer. Il s’y rendit lui-même, et fut ainsi assassiné.

Tels sont les principaux traits de l’histoire de Periandre, rapportée dans les voyages de Cyrus, où l’auteur de la tragédie nouvelle a annoncé avoir pris son sujet.

Melissa n’est plus. Proclès a été immolé sur son tombeau. Polyphron a fui pour jamais la vue de son père, et Periandre reste livré à la plus juste douleur. Un seul ami partage ses peines, c’est Agathophile. Le roi de Corinthe lui apprend l’intention où il est d’abdiquer la couronne ; mais le plaisir qu’il lui cause est bientôt troublé, quand il ajoute qu’il veut la placer sur la tête de Polyphron. En vain Agatophile fait-il les plus vives représentations à son ami. Il le trouve inflexible, et ne lui en demeure pas moins fidèle. Philoclès et Diocharis, sa fille, plus fermement attachés aux principes républicains, ont une profonde haine pour tous les rois, et sur-tout pour Periandre. Diocharis n’est .pas insensible à l’amour d’Agatophile, mais elle ne lui accordera sa main qu’après le rétablissement de la li berté. Periandre envoye chercher son fils à Corcvre, et pour cimenter sa réconciliation avec Philoclès, il offre à Diocharis, en présence d’Agatophile, la main de Polyphron et le partage de la couronne. Diocharis, espérant exciter son amant contre Periandre, feint d accepter ce mariage, et Agatophile faisant céder l’amour à l’amitié, se retire, le désespoir dans le cœur. Le rigide Philoclès rejette l’offre de Periandre, et ne consent à accorder sa fille à Polyphron, qu’autant qu'il restera simple citoyen. Le roi se retire irrité. Bientôt il apprend la mort de son fils, massacré par les Corcyriens Il suppose que c’est la suite d’un complot, dont Philoclès est l’âme ; il le fait arrêter avec sa fille. Agatophile veut les justifier, il devient lui-même suspect au roi ; mais sans s’offenser de ses soupçons, il ne pense qu’à le défendre contre les Corcyriens, qui viennent attaquer Corinthe. Sa victoire lui rend bientôt la confiance de son ami, à qui ses remords et la perte de son fils font prendre la résolution de rendre la liberté à son pays. Il fait assembler le sénat, s'y rend, après avoir pris du poison, et emploie ses derniers momens à abdiquer le souverain pouvoir et à unir les deux jeunes amans.

Cette tragédie n’a eu qu’un médiocre succès. L’auteur a été demandé ; c’est le citoyen Luce, auteur de Fernandez. On peut voir, par l’ana lyse, que cette pièce offre peu d’intérêt : elle n’inspire d’ailleurs ni pitié ni terreur. Son principal mérite consiste à présenter des sentimens d’un pur républicanisme, quelquefois exprimés en beaux vers, qui ont été très-applaudis. On peut cependant observer que le style est rarement digne du cothurne. Au reste , si l’ouvrage a pro duit peu d’effet , il faut avouer qu’il étoit difficile de traiter un sujet plus ingrat.

La Décade philosophique, littéraire et politique, an 7, IIe trimestre, n° 10 (10 Nivôse), p. 43

[D’abord, la source de l’auteur, un roman anglais qui utilise l’histoire de Périandre avec une liberté que l’auteur de la pièce a lui aussi pratiquée. Puis le récit de l’intrigue, qui se perd un peu dans des détails oiseux (pourquoi commenter le changement de nom d’un personnage, si tout est inventé ?). L’intrigue ne comporte guère d’action, et ce sont « les accessoires » qui enrichissent l’intrigue, et en particulier l’intrigue sentimentale entre la fille d’un partisan de la république et un défenseur de la monarchie, intrigue jugée sévèrement par certains, mais dont le critique souligne qu’elle donne lieu à des scènes liées, pleines de beautés de détail. Il ajoute que la pièce n’est pas seulement à juger sur son caractère républicain, et qu’il est normal d’y trouver « des sentimens vrais, énergiques et bien exprimés ». La pièce, à ses yeux, montre « une connaissance assez profonde de l'art dramatique, quelqu'élévation dans les pensées, et à travers des inégalités de style, des vers heureux et des situations assez fortement coloriées ». L’auteur est pour lui plein d’avenir, à condition de mieux étudier le cœur humain, d’éviter l’enflure et de s’en tenir aux « deux ressorts tragiques : la pitié et la terreur ». Et le critique suggère qu’il aurait pu trouver dans sa source des sujets plus intéressants !]

Odéon.

Périandre, tragédie.

L'auteur a annoncé lui-même qu'il avait pris son sujet dans les voyages de Cyrus, par Ramsay. L'histoire réelle de Périandre, tyran de Corinthe, et l'un des sages de la Grèce, présente des incertitudes qui mettent le romancier et l'auteur tragique fort à leur aise.

Fils de Cypselus, qui avait usurpé la souveraineté à Corinthe, il a aussi gardé le trône ; il s'y est d'abord affermi par une assez cruelle tyrannie, mais il a fini par régner avec douceur ; dévoré de chagrins et du remords d'avoir fait périr Melissa son épouse, qu'il avait crue faussement infidelle, il veut abdiquer le pouvoir souverain, mais sans rendre la liberté à Corinthe qui pourtant la regrette. Il a un fils que l'histoire nomme Lycophron, et que l'auteur a nommé, je ne sais pas pourquoi, Polyphron (l'un n'est guères plus doux que l'autre). C'est en faveur de ce fils qu'il veut se démettre de sa couronne, et tâcher, par cet abandon, de ramener à lui ce jeune prince qui ne lui a jamais pardonné le meurtre de sa mère, et que le tyran avait relégué à Corcyre ; mais au moment de revoir Polyphron, on lui apprend que les Corcyréens insurgés l'ont assassiné ; qu'ils lui apportent sa tête, et qu'ils menacent.la sienne propre, en conspirant avec un parti puissant qui veut rétablir la liberté à Corinthe même. Il reprend alors toute sa fureur ; combat les assassins de son fils ; appaise la sédition, grâce aux secours d'un ami; et finit, après s'être assuré la victoire, par abdiquer volontairement la couronne en s'arrachant lui-même la vie.

Telle est toute l'action, qui, comme on voit, n'en est point une, et qui ne présente qu'un très-médiocre intérêt. C'est par les accessoires que l'auteur a voulu racheter la stérilité du fonds. Il a mis auprès de Periandre un corinthien partisan irascible et fougueux de l'indépendance, et un ami reconnaissant qui, bien que républicain lui-même, et blâmant toujours le roi, ne cesse pourtant de le défendre à ses propres périls, et sacrifie son opinion et sa sûreté à la reconnaissance et à l'amitié. L'auteur a fait aimer la fille du républicain par le défenseur du trône, et c'est avec ces ressorts qu'il a conduit son ouvrage à la mesure des cinq actes. On l'a jugé, ce me semble, avec beaucoup de légèreté dans le monde littéraire : il faut convenir sans doute que le défaut capital de la pièce, est de n'avoir pas de problème dramatique assez déterminé ; mais ce défaut, qu'on rencontre dans beaucoup d'ouvrages modernes qui réussissent, ne devait pas rendre aveugles sur l'adresse très-remarquable avec laquelle les scènes sont liées, sur des beautés de détail et de style qui méritent quelques éloges. Il est injuste de n'y voir, comme ont fait quelques personnes toujours entraînées par un esprit de parti ridicule, qu'une pièce républicaine, et de proscrire à ce titre des sentimens vrais, énergiques et bien exprimés, parce qu'on ne les partage pas- Plus le sujet était ingrat, plus il fallait tenir compte à l'auteur des difficultés vaincues. Quant à moi, j'avoue que j'ai trouvé dans la contexture de la pièce une connaissance assez profonde de l'art dramatique, quelqu'élévation dans les pensées, et à travers des inégalités de style, des vers heureux et des situations assez fortement coloriées. Je crois enfin que le C. Luce s'est mis, par sa pièce, sur la ligne des auteurs qui nous font concevoir de belles espérances. I1 faut seulement qu'il étudie un peu le cœur humain ; qu'il ne confonde pas l'enflure avec l'élévation, et qu'il sache bien qu'il n'est réellement que deux ressorts tragiques : la pitié et la terreur. Sans elles toute tragédie est essentiellement froide, et tout sujet vicieux. En relisant les voyages de Cyrus, il m'a paru que l'auteur aurait tiré une tragédie plus intéressante de la conspiration de Proclès et de la mort de Melissa, que de cette froide abdication de Periandre.

La Décade philosophique, littéraire et politique, an 7, IIe trimestre, n° 16 (10 Ventôse), p. 444 :

[Annonce de la brochure :]

Periandre , tragédie en cinq actes, représentée pour la première fois sur le théâtre Français de l'Odéon, le 27 Frimaire an VII de la République, par le C. Luce, Professeur de Littérature au Prytannée français ; prix un franc 50 cent. A Paris, chez B. Logerot, imprimeur, rue Honoré , n°. 41- Et chez tous les marchands de nouveautés.

L’Esprit des journaux français et étrangers, vingt-huitième année, volume IV, nivôse an 7 [janvier 1799], p. 184-188 :

[Puisqu’il s’agit de rendre compte d’une tragédie, il faut bien sûr partir des éléments historiques, même si l’auteur a prévenu qu’il avait tout inventé. On peut ensuite s’intéresser à l’intrigue, qui mêle idées politiques et intrigue sentimentale (les deux sont indispensables, l’un parce qu’on est en 1798, l’autre parce qu’il n’est guère imaginable de se passer d’un couple d’amoureux). C’est l’aspect politique que le critique retient : pour lui, « l’intérêt de cette pièce est, comme l'on voit, tout entier dans l'amour de la liberté », et le public a montré son adhésion à cette vision de l’histoire. Il ne faut pas imputer à la pièce les réticences d’une partie des spectateurs : elles venaient de ce que les acteurs jouaient sans bien savoir leur rôle, et de ce que l’idée de liberté n’est pas encore assimilée par tous. La pièce associe « l’amour de la liberté avec toutes les autres vertus sociales ». Autre leçon dans cette pièce, les contradictions d’un « roi sage et modéré », qui veut le bonheur de son peuple, mais qui « ne peut cependant se détacher entièrement de l'amour du pouvoir ». Et la fin de l’article rappelle tous les crimes de ce roi sage, qui en a commis beaucoup.]

THÉATRE FRANÇAIS, SALLE DE L’ODÉON.

Quoique l'histoire fasse mention du nom de Périandre, roi de Corinthe, comme ayant abdiqué sa couronne, l'auteur de la tragédie a prévenu les lecteurs , que les circonstances de sa pièce sont toutes de son invention.

Corinthe république a été soumise par usurpation aux lois du père de Périandre, auquel il a succédé. Son caractère noble & généreux le rend un prince sage & modéré. Il accueille un  jeune Athénien exilé de sa patrie ; il se nomme Agatophile. Ce jeune homme sensible & reconnoifsant, se dévoue entièrement aux intérêts de Périandre ; mais vrai républicain, il a le courage de présenter souvent aux regards de Périandre le trône comme une usurpation sur les droits des Corinthiens, & comme dangereux à posséder. Périandre, prince éclairé, non-seulement ne sait point mauvais gré au jeune Athénien de cette liberté d'opinion & de langage, mais conçoit lui-même des idées d'abdication. Ces idées naturelles dans la tête d'un sage, sont cependant toujours repoussées ou du moins éludées par le roi. C'est, à ce que nous pensons, la moralité que l'auteur s'est proposée. Pour accorder en quelque forte le sage & le roi , Périandre se détermine à l'abdication, mais en faveur de son fils, relégué à Corcyre, depuis la mort de sa mère, que Périandre, sur un faux rapport, a tuée de sa propre main.

Périandre a retiré dans son palais Philoclès, l'un des principaux membres du sénat, avec Diocharis sa fille, dans l'espérance de se le rendre favorable. Il lui fait part de son projet, en lui annonçant en même temps que son fils couronné est destiné à épouser Diocharis. Philoclès, républicain vertueux, ne voit dans ce projet que la perpétuité de l'esclavage de sa patrie, & s'y refuse. Agatophile est l'amant aimé de Diocharis ; Philoclès veut le faire entrer dans ses vues de destruction du trône ; mais Agatophile, quoique partageant les opinions politiques. du sénateur, quoiqu'amoureux passionné de Diocharis, déclare qu'il ne peut voir dans Périandre qu'un ami auquel il doit un entier dévouement.

Ces circonstances amènent des scènes assez brillantes. Agatophile résiste à Philoclès & à Diocharis elle-même ; mais il ne tarde pas d'être mis à une épreuve beaucoup plus délicate, Périandre, après avoir appris la mort de son fils, ne change point son plan d'abdication, mais choisit Agatophile pour son successeur ; Agatophile s'y refuse.

Pendant cet intervalle, la flûte de Périandre ramène de Corcyre à Corinthe les restes de son fils. Périandre, livré aux effets de toutes les passions qui l'assiègent, devient furieux & soupçonneux ; il ne voit plus dans Philoclès & sa fille que des conspirateurs; il les fait arrêter. Il soupçonne Agatophile d'être leur complice, par la seule raison de son amour pour Diocharis ; il ose le lui dire. Il apprend dans ce moment de fureur que les Corinthiens sont en révolte ouverte ; Agatophile , pour réponse aux odieux soupçons de son ami, sort pour combattre. Périandre dans sa fureur, se propose de venger la mort de son fils sur tout son peuple ; il prend les résolutions les plus violentes, il sort & se mêle avec ses soldats. Agatophile s'apperçoit que dans la mêlée, Périandre en fureur expose sa vie sans ménagement & sans utilité. Il le fait reconduire dans son palais, il parvient à désarmer les révoltés, & à rétablir le calme. Périandre ordonne, pendant l'absence d'Agatophile, que le sénat s'assemble pendant la nuit, & que Philoclès & sa fille libres y soyent amenés. Agatophile à son retour, inquiet sur leur sort, s'y rend aussi. Périandre abdique, & rend aux Corinthiens leur liberté ; il unit Agatophile & Diocharis, & meurt empoisonné. Il justifie cette dernière action par l'impossibilité qu'un roi puisse jamais devenir citoyen, & surtout par la crainte de voir renaître dans son cœur des regrets & des retours vers la royauté.

L'intérêt de cette pièce est, comme l'on voit, tout entier dans l'amour de la liberté. Un grand nombre de détails & plusieurs scènes ont été vivement applaudis. L'auteur ne doit point imputer à sa pièce l'espèce de froid qui s'est manifesté chez un grand nombre de spectateurs ;
deux raisons étrangères à la pièce ont dû y donner lieu. D'abord, les acteurs ne tenoient pas encore assez bien leurs rôles dans leur mémoire, & l'on sait combien cette circonstance nuit à l'action & au jeu ; ensuite nous ne sommes pas encore pour la plupart assez familiarisés avec les idées de liberté & les vrais principes qui la constituent, pour en sentir toute l'influence. On ne peut que savoir gré au C. Luce, qui a été demandé, d'avoir, pour ainsi dire, le premier ouvert la carrière. Son plan a le mérite d'allier l'amour de la liberté avec toutes les autres vertus sociales, & de prouver que loin d'y être contraires, les vertus ne font que lui donner une nouvelle énergie.

Son plan contient encore une autre leçon. Il nous a montré un roi sage & modéré, dont le désir est de rendre ses sujets aussi heureux qu'ils peuvent l'être sous un roi ; mais ce sage, qui avoit pris l'engagement de rendre aux Corinthiens leurs droits, ne peut cependant se détacher entièrement de l'amour du pouvoir. Il temporise, il modifie, il veut un successeur , & ne se rend que vaincu par les obstacles qu'il prévoit ne pouvoir surmonter, Ce même sage a tué sa femme de sa propre main, a exilé son fils, a fait enfermer un sénateur & sa fille sur un simple soupçon, a outragé l'amitié, à laquelle, comme roi, il ne peut avoir une confiance entière.

Le site César signale 4 représentations, sur le Théâtre de l'Odéon, du 17 au 23 décembre 1798.

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