Le Rêve, ou la Colonne de Rosbach

Le Rêve, ou la Colonne de Rosbach, divertissement vaudeville en un acte, de Barré, Radet et Desfontaines, 15 novembre 1806.

Théâtre du Vaudeville.

Almanach des Muses 1807.

Titre :

Rêve (le), ou la Colonne de Rosbach

Genre

divertissement vaudeville

Nombre d'actes :

1

Vers / prose ?

prose, avec couplets en vers

Musique :

vaudevilles

Date de création :

15 novembre 1806

Théâtre :

Théâtre du Vaudeville

Auteur(s) des paroles :

Barré, Radet et Desfontaines

Pièce à ne pas confondre avec la pièce d’Augustin Hapdé, la Colonne de Rosbach, jouée en 1811 sur le Théâtre des Jeux Gymniques.

Le 18 octobre 1806, après la victoire d’Iéna, Napoléon fit abattre la colonne édifiée par Frédéric II à Rosbach, dans l'actuelle Saxe-Anhalt, après la victoire qu’il avait obtenu sur les armées française de Louis XV et autrichienne de l’impératrice Marie-Thérèse, le 5 novembre 1757. Les morceaux de la colonne ont été rapportés à Paris avec l’épée de Frédéric II et les drapeaux perdus en 1757 pour être exposés à Paris. Cette destruction symbolique était censée venger l’affront fait aux armées françaises. Les projets de réédification de la colonne n’aboutirent pas, et on perd sa trace après 1807. On trouve sur Internet de nombreuses illustrations de l’événement du 18 octobre 1806.

Courrier des spectacles, n° 3568 du 16 novembre 1806, p. 2-3 :

[Pièce patriotique, pour célébrer la gloire des armées françaises. Son sujet est propre à susciter l’enthousiasme. Il est traité bien sûr à la mode du Théâtre du Vaudeville : une histoire de mariage, une jeune fille étant le prix d’une sorte de pari, une vieille dame ayant rêvé que la colonne de Rosbach partirait à Paris. Personne ne croit à la réalisation d’un tel rêve, et quand il se réalise, la jeune fille peut épouser son amant de cœur, un officier français, et non le Prussien que son oncle avait choisi pour elle. Le critique doit bien reconnaître qu’ils ‘agit d’une « intrigue légère », mais elle est rachetée « par des détails pleins de gaîté, par des mots heureux, des oppositions de caractères bien ménagées, et surtout par des couplets tournés avec beaucoup d’esprit »  le cocktail habituel chargé de compenser la maigreur de l’intrigue. Mieux encore, « la louange y est répandue avec délicatesse, sans profusion et sans emphase », ce qui est plus rare et plus précieux, en cette période de triomphe de Napoléon où la flatterie est déployée sans mesure au théâtre. Succès donc, les auteurs ont été « demandés avec un empressement général ». Pour faire bonne mesure, le critique cite quatre couplets redemandés, avant de souligner la qualité de l’interprétation et de promettre à la pièce un riche avenir.]

Théâtre du Vaudeville.

Le Rêve, ou la Colonne de Rosbach.

Si l’on eût prédit, il y a un an, que la colonne, élevée sur le champ de Rosbach, dût arriver à Paris, on eût pris le prophête pour un rêveur. La colonne n’existe plus, l'honneur de nos armes est vengé, et les trophées des ennemis servent aujourd’hui d’ornement au temple consacré à la valeur.

De tous les sujets que la guerre actuelle peut fournir au théâtre, cet événement étoit un des plus propres à exciter un vif enthousiasme. Les auteurs du Rêve l’ont saisi avec beaucoup d’esprit, et la manière dont ils l’ont traité a donné un nouveau prix à cette brillante conquête.

Une jeune Française, nommée Thérèse, réside avec Mad Verner sa grand’mère, dans une petite ville d’Allemagne. Elle aime un Officier Français, appelé Ernest ; mais son oncle, bailli du lieu qu’elle habite, lui destine pour époux un Prussien nommé M. Bloom. C’est l’époque où la guerre vient d’être déclarée à la France. Le Bailli et M. Bloom ne doutent pas des triomphes de l’armée Prussienne ; ils voient déjà les Français en fuite, les frontières de l’Empire insultées, et toute la France tremblant devant les aigles de Berlin. Mais Mad. Verner, Française comme Thérèse, et fidèle à sa patrie, ne voit pas cela ; elle a la manie des rêves, et ses rêves lui promettent pour les Français les succès les plus brillans. Le Bailli, Thérèse et M Bloom ont beau se mocquer d’elle, elle persiste dans ses visions, et prédit que la colonne de Rosbach voyagera à Paris. Le Bailli le prend au mot, et consent à marier Thérèse avec Ernest, si la colonne vient à voyager. Bientôt le bruit des armes se fait entendre ; c’est un Colonel prussien qui arrive, et demande des logemens. On imagine aussi-tôt une déroute des Français, on se figure des triomphes, quand le Colonel annonce qu’il est prisonnier de guerre. De nouvelles victoires succèdent à ce premier succès ; enfin on apporte en pompe les drapeaux conquis sur l’ennemi, l’épée du grand Frédéric, son aigle noir, et l’on assure à M. le Bailli que la colonne de Rosbach est en route pour Paris. Mad. Verner se réjouit de voir son rêve accompli, M. Bloom se retire en maugréant, et Thérèse épouse Ernest.

Cette intrigue légère e»t animée par des détails pleins de gaîté, par des mots heureux, des oppositions de caractère bien ménagées, et sur-tout par des couplets tournés avec beaucoup d’esprit. La louange y est répandue avec délicatesse, sans profusion et sans emphase. La pièce a obtenu un succès complet. Les applaudissemens ont été unanimes, et les auteurs demandés avec un empressement général. Cet ouvrage est de MM. Barré, Radet et Desfontaines. Parmi les couplets qu’on a redemandés, ou peut citer les suivans :

LA VIEILLE.

Air : Ballet des Pierrots.

Tous ces rêves-là, mon cher frère,
Jusqu’à présent n'ont pas eu tort ;
Mais celui que je viens de faire
Me paroît pourtant un peu fort.
De ce grand rêve qui m'étonne,
Plus que moi, vous serez surpris ;
J’ai vu marcher une colonne,
Allant de Rosbach à Paris.

THÉRÈSE à BLOOM.

Air : Au bosquet dès le grand matin.

Avec justesse je me plains
De cet indécent persiflage :
Du plus grand de vos souverains
Ce n’étoit pas là le langage.
Il disoit malgré ses succès :
» Si, forcé de faire la guerre,
» Je commandois à des Français,
» Je soumettrois l'Europe entière.

UN GUERRIER

Air : Trouverez-vous un parlement.

Dans cette fameuse action,
Si Frédérick sut nous réduire,
C'est qu'alors un Napoléon
N’étoit pas là pour nous conduire.
Si le colonne sur nos pas
En France aujourd'hui va se rendre,
Messieurs, c'est que vous n’aviez pas
Un Frédérick pour la défendre.

UNE JEUNE FILLE.

Air : J'ons un curé patriote.

Je sais fort bien me défendre
D’un soupirant Allemand ;
Sans crainte je puis l’entendre,
Et résister fièrement.
Mais de moi, près d'un Français,
Je ne répondrois jamais ;
Et, malgré ma vertu,
J’aurois peur de l’impromptu.

La pièce a été très bien jouée par Madame Duchaume, chargée du rôle de la Grand’Mère, par Mlle. Desmares, qui a rempli celui de Thérèse, par Vertpré, revêtu de l’emploi de Bailli, et sur-tout par Fichet, qui s’est acquité avec un talent remarquable du rôle de M. Bloom. Cette jolie pièce ne sauroit manquer d’obtenir les honneurs d’un grand nombre de représentations.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 11e année, 15 novembre 1806, tome VI, p. 441 :

La Colonne de Rosbach.

Jolie pièce de circonstance, dans laquelle on a remarqué une scène charmante ; celle, où quatre jeunes filles prenant une leçon de géographie, suivent sur la carte la marche de nos armées. Des couplets ingénieux, des applications adroites, ont procuré à cette pièce un grand succès. On a remarqué M. Fichet, dans un rôle d'officier prussien qu'il a joué avec beaucoup de comique.

L'Esprit des journaux français et étrangers, 1806, tome XI, novembre 1806, p. 284-287 :

[En pleine gloire napoléonienne, une pièce se mettant au service du pouvoir et faisant l’éloge de la grande armée et de son chef. Le critique prend d’ailleurs bien soin d’inscrire le nouveau vaudeville dans la lignée du Nouveau réveil d’Epiménide, dont le contenu était encore plus explicitement une flatterie envers Napoléon. Cette fois, il s’agit des rêve prémonitoires d’une Française vivant en Saxe, et qui ne rencontrent que le scepticisme chez un ancien officier prussien. Les victoires françaises viennent infirmer cette opinion. La pièce montre aussi la bonne mère française donnant des leçons de géographie (et de stratégie) à ses filles. Le public a bien entendu applaudi à une œuvre qui répondait trop bien à ses attentes : tout a été agréé, « éloges, épigrammes, plaisanteries, allusions, vers, couplets ». Et les acteurs ont été salués pour l’excellence de leur prestation. Le critique non plus n’a pas beaucoup de sens critique.]

Théâtre Du Vaudeville.

Le Réve, ou la Colonne de Rosbach.

On se rappelle l'effet que produisit après les triomphes de la grande armée, à Ulm et à Austerlitz, une très-jolie pièce de circonstance, intitulée : le Réveil d'Epiménide. Elle était de MM. Etienne et Nanteuil : une idée très-ingénieuse y était saisie avec enthousiasme par le public ; c'est lorsqu'Epiménide, réveillé après quelques années de léthargie, encore effrayé des progrès des Russes et du nom de Suwarow, jette les yeux sur la carte mise sur sa table, lit royaume de Bavière, royaume de Wirtemberg, prise de Vienne, et s'écrie que cette carte est du temps de Charlemagne.

La liaison des idées et l'analogie qui se trouve, pendant deux années successives, entre les plus grands et les plus mémorables événemens, ont fourni aux ingénieux auteurs du Vaudeville, au trio si connu par ses succès, MM. Radet, Barré et Desfontaines, une des plus jolies scènes qu'ils aient jamais imaginées, scène placée elle-même dans un cadre fort agréable.

Leur nouvel hommage à la grande armée et son auguste empereur, est intitulé : le Rêve ou la Colonne de Rosbach. Ils supposent qu'une Mme. de Werner, française d'origine, habitant la Saxe, et tenant à sa première patrie par les liens de l'affection et de la reconnaissance, effrayée de la guerre que l'Allemagne provoque, a vu en rêve la colonne de Rosbach détruite, roulant vers Paris, et les aigles françaises arborées sur les forteresses prussiennes, quelques jours après avoir pris leur vol des bords du Rhin.

Elle raconte ces rêves et plusieurs autres de même nature à un M. Blumm, officier prussien, d'une désespérante incrédulité, caricature assez plaisante, l'un de ces hommes auxquels les leçons de l'expérience sont inutiles, tant que cette expérience ne leur est pas personnellement désastreuse ; entiché des vieilles idées, de la minutieuse tactique tant de fois déjouée, et confondant sans cesse un automate avec un soldat : en parlant des siens, il dit très-plaisamment :

Ce ne sont pas des soldats de milice ;
Depuis quinze ans nous faisons l'exercice.

Les Français font mieux , répond l'interlocuteur,

Depuis quinze ans ils battent l'ennemi.

L'incrédule M. Blumm en reçoit bientôt une preuve nouvelle , en apprenant le succès de la journée de Jena, l'entrée du vainqueur dans Berlin. Mme. Werner, en bonne mère de famille, et sur tout en bonne française, veut faire tourner ces événemens au profit de l'instruction de ses filles, auxquelles elle montre la géographie. Les trois demoiselles, des épingles à la main, suivent sur la carte les mouvemens des armées françaises et ennemies. On conçoit à quelles allusions, à quels traits spirituels, et souvent à quels jeux de mots cette situation doit donner lieu, étant traitée par les auteurs ingénieux et faciles que nous avons cités.

Eloges, épigrammes, plaisanteries, allusions, vers, couplets, tout a été applaudi avec un plaisir inexprimable, une gaieté que le sujet faisait naître, un enthousiasme qu'un juste hommage rendu à des vérités qui tiennent du prodige, faisait naître à chaque mot. La pièce est très-agréablement jouée : les acteurs, comme dans toutes les occasions de cette nature, disent, chantent et jouent, avec cette vérité et cette chaleur que l'on trouve toujours, quand on exprime devant un public nombreux des sentimens que l'on partage avec lui, et que ses acclamations manifestent au plus haut degré.

L.-Henry Lecomte, Napoléon et l'Empire racontés par le théâtre, 1797-1899 (Paris, 1900), p. 148-150 :

Vaudeville, 15 novembre 1806 : Le Rêve, ou la Colonne de Rosback, divertissement en prose et en vaudevilles, par Barré, Radet et Desfontaines.

Le bailli d'un petit village delà Franconie destine sa nièce Thérèse à l'officier prussien Blome, en congé de convalescence ; la jeune fille, française comme Madame Warner, sa mère, préfère de beaucoup Ernest, officier français dont elle reçoit fréquemment des nouvelles. Madame Warner approuve Thérèse, mais elle a des obligations au bailli et ne peut contrarier ouvertement le projet du bonhomme. Blome, qui a été blessé dans une rencontre avec les Français, prétend cependant que ces derniers, plusieurs fois battus déjà, ne pourront tenir contre les troupes prussiennes. Madame Warner n'est pas de son avis ; elle rêve souvent, et l'un de ces songes, auxquels elle croit fermement, lui a montré les Français vainqueurs transportant à Paris la colonne de Rosback. Le bailli, à qui Madame Warner le confie, trouve ce rêve tellement fou qu'il s'engage, en cas de réalisation, à congédier Blome pour marier Thérèse à Ernest. Justement ce dernier fait parvenir à Thérèse une lettre qui contredit singulièrement les assertions de Blome. Au lieu d'être battus, les Français ont gagné plusieurs victoires, et rien désormais ne leur pourra faire obstacle. Des Saxons, que l'on croit d'abord vainqueurs et qui avouent n'être que prisonniers, confirment la nouvelle des succès de Napoléon. Ernest, porteur d'un message pour Paris, paraît bientôt lui-même, précédé de soldats portant l'épée, la ceinture et le cordon de l'Aigle Noire qui ornaient le tombeau du Grand Frédéric ; ce trophée suivra dans la capitale la colonne de Rosback, enlevée par les nôtres. La colonne de Rosback ! voilà le rêve de Madame Warner réalisé, et le bailli mis en demeure d'unir Ernest et Thérèse. Il s'exécute d'autant plus volontiers que Blome. furieux de la défaite des siens, quitte le village où, sans le regretter, on célèbre par des chansons les nouvelles victoires françaises.

Pièce de circonstance, dont les détails ingénieux et les couplets bien écrits furent,comme ils le méritaient, chaudement et longtemps applaudis. Citons ces vers sur le vainqueur de la Prusse :

De Frédéric il a saisi l'épée,
Il la conserve, il a bien ses raisons :
Cette arme-là, solidement trempée,
Vaut à ses yeux plus que des millions.
Nos combattants, pour se mettre en campagne,
Feront briller trois lames de renom,
Puisqu'ils auront celles de Charlemagne,
De Frédéric et de Napoléon.

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