Les Ricochets

Les Ricochets, comédie en un acte et en prose, de Picard, le 15 janvier 1807.

Théâtre de l'Impératrice.

Titre :

Ricochets (les)

Genre

comédie

Nombre d'actes :

1

Vers ou prose ,

en prose

Musique :

non

Date de création :

15 janvier 1807

Théâtre :

Théâtre de l'Impératrice

Auteur(s) des paroles :

Picard

Almanach des Muses 1808.

Une jeune veuve très aimable, mais très capricieuse, partage ses affections entre son amant et son carlin. Malheureusement le carlin est perdu ; l'amant arrive ; on le reçoit fort mal. Il ne sait à qui s'en prendre de son malheur, lorsque M. Dorsai, oncle de la jeune veuve, vient le prier de s'intéresser à lui pour un emploi considérable qu'il sollicite. On lui répond à peine, et on finit par le uitter assez brusquement. M. Dorsai, trèsmécontent de cette réception fait rejaillir sa mauvaise humeur sur son valet-de-chambre, qui se venge à son tour sur le jockei qui vient assez mal-à-propos lui demander sa niece en mariage. Tout le monde se désespere lorsqu'heureusement un jolis erin vient remplacer le carlin perdu. L'amant revient sur ses pas, et un mot fait tout oublier. M. Dorsay obtient l'emploi qu'il desire, Lafleur rentre dans les bonnes graces de son maître, et le petit jockei épouse sa jolie soubrette.

Sujet heureux ; caracteres pleins de vérité. Beaucoup d'esprit et de gaîté. Succès complet.

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Martinet, 1807 :

Les Ricochets, comédie en un acte et en prose, Par L. B. Picard ; Représentée pour la première fois, à Paris, sur le théâtre de S. M. l'Impératrice, le 15 janvier 1807.

Dans me Théâtre de L. B. Picard, membre de l'Institut, tome V (Paris, 1812), la page de titre des Ricochets contient une longue épigraphe :

Il n'y a qu'à dépeindre la dépendance sous la figure d'une espèce d'échelle. Par exemple, le postillon, ou quelque autre petit garçon dont les grandes maisons sont toujours pourvues, se lève de bon matin pour décrotter le laquais ; celui-ci rend le devoir à monsieur le valet de chambre, le valet de chambre habille son maître, souvent à la hâte, afin qu'il aille faire la cour à mylord ; mylord se dépêche pour être au lever du ministre, et le ministre pour se rendre auprès du prince.

Les Aventures de Joseph Andrews,

Livre II , Chap. XIII.

Dans la préface qu'il rédige pour sa pièce, p. 461-463, Picard souligne combien il est attaché à cette « petite pièce » :

Quand mes amis veulent choisir entre mes petites pièces, ils balancent entre les Voisins, M. Musard et les Ricochets. Moi, je suis pour les Ricochets. Qu'on me pardonne cette franchise d'amour-propre, je ne trouve presque rien à reprendre dans les Ricochets. L'idée de la pièce est ingénieuse et vraie, et la pièce elle-même me paraît bien exécutée. C'est un tableau en miniature de toute la société envisagée sous un point de vue assez piquant. Les rôles du jokei, de sa petite maîtresse, du colonel et de sa capricieuse amante, ont de la grâce, de l'ingénuité et quelquefois de la passion. Ceux de M. Dorsay et de son valet de chambre ont du comique et de la vérité.

La pièce obtint un succès qui se soutient encore. Quelques personnes dirent que mes personnages étaient encore des marionnettes. Je n'en disconviens pas. Dans les Ricochets, comme dans les Marionnettes, tous les personnages changent subitement de volonté suivant les événements, suivant la situation où ils se trouvent : mais la pièce offre encore autre chose. D'abord comme le passage de Joseph Andrews, que j'ai pris pour épigraphe, et qui m'a donné le sujet, elle offre un tableau par échelons de toutes les classes de la société. Tel qui se trouve inférieur de celui-ci est supérieur de celui-là ; il reçoit avec soumission les ordres du premier ; il donne ses ordres avec importance au second, qui les reçoit à son tour et va donner les siens à d'autres. Plus un homme est souple devant son supérieur, plus il est arrogant envers son inférieur. Fielding monte du postillon jusqu'au roi ; moi, je m'arrête au fils d'un ministre : mais j'enchéris sur lui en plaçant à côté du premier et du dernier échelon les vrais despotes de tous tant que nous sommes. Mon petit jokei obéit à sa maîtresse. Le fils du ministre obéit à la sienne ; cette maîtresse obéit elle-même à un caprice ; et c'est ce caprice dont elle est dominée qui domine et décide, par une suite de ricochets, le sort de tous les personnages. Enfin, en rompant toutes les espérances par la perte d'un petit chien, en les faisant renaître, en les réalisant, en opérant des mariages et faisant obtenir des places par le cadeau d'un serin, je prouve que les petites causes amènent souvent de grands effets, je mets en action ce mot d'un ancien qui disait que la république était gouvernée par son fils ; car ce fils gouvernait sa mère, la mère gouvernait le père, et le père gouvernait la république.

Dans les trois suites de ricochets qui composent la pièce, on devine d'avance par les premières scènes quelles sont celles qui vont suivre. C'est la faute du sujet, c'en est aussi le bénéfice. Il m'a semblé reconnaître que le public était plus satisfait de voir arriver la scène telle qu'il l'attendait que fâché de l'avoir devinée.

Un homme que je ne connais pas m'adressa, quelques jours après la première représentation, de vifs reproches d'avoir voulu le désigner dans le rôle de Dorsay. Ce n'était pas la première fois que de pareilles réclamations m'arrivaient. Comme si la comédie n'avait déjà point assez d'entraves, il s'est établi ou plutôt il s'est renouvelé depuis quelque temps une manie de crier aux personnalités. Puisque la tâche de l'auteur comique est de peindre les gens qu'il voit, il n'est pas étonnant que, dans le nombre, quelques-uns se reconnaissent; mais faut-il pour cela l'accuser d'avoir voulu désigner tel ou tel à la risée publique. Quant à moi, je déclare franchement que j'ai presque toujours eu en vue un ou plusieurs modèles dans les ridicules que j'ai essayé de peindre ; mais je déclare aussi que je me suis attaché à changer quelque chose au portrait, que je me suis empressé de retrancher tout ce qui aurait pu faire reconnaître l'original, et qu'en prenant l'individu pour modèle, j'ai eu pour unique but de montrer, non pas l'homme, mais le ridicule dont il était atteint.

J'approche de celle de mes pièces qui m'a causé le plus de chagrin, les Capitulations de Conscience. Si elle avait réussi, elle m'en aurait peut-être causé bien davantage. Je n'aurais pu éviter un procès avec la communauté des procureurs, et voyez la suite ! Ils ne pouvaient me pardonner d'avoir mis en scène un avoué petit-maître et avide, et un autre casuiste, et d'une conscience un peu large. Si je n'en avais introduit qu'un, disaient-ils ; mais deux ! Qu'auraient-ils dit s'ils avaient vécu du temps d'Arlequin Grapignan, successeur de M. Coquinière ? que doivent-ils dire quand ils voient la fameuse scène des deux procureurs dans le Mercure Galant ? Il est sans doute plus d'un avoué aussi honnête qu'habile ; mais où en es-tu, pauvre comédie, si l'on ne te permet pas même les procureurs fripons et négligents.

Courrier des spectacles, n° 3627 du 16 janvier 1807, p. 3-4 :

[Après avoir expliqué les lois physiques qui gouvernent les ricochets, puis les avoir transposé dans les sociétés humaines, le critique arrive à la pièce, « d’une vérité frappante : c’est la nature prise sur le fait ». Il résume une intrigue toute simple : d’abord l’enchaînement des mécontentements, puis celui des réconciliations  après les malheurs, les bonheurs. La pièce repose sur une idée morale, et elle ne pouvait l’être mieux, « dans un cercle plus aimable, de meilleur esprit et de meilleur goût ». C’est « un des plus jolis ouvrages » de Picard, qui en a produit beaucoup. Rien à reprendre : « le véritable esprit, de l’esprit sans affetterie ». Aucun reproche, ‘est rare, mais rien non plus sur l’interprétation.]

Théâtre de l’Impératrice.

Les Ricochets.

C’est une chose fort connue en physique, que l’angle de réflexion est égal à l’angle d’incidence. C’est encore une chose fort connue, qu’un corps lancé obliquement sur un autre corps élastique est renvoyé par ricochet vers le point opposé. Si vous voyez un chasseur tirer dans une rivière, gardez-vous de vous tenir dans le plan de réflexion, car il pourroit fort bien arriver que la balle destinée à un brochet, vînt vous atteindre par ricochet. Comme il y a des ricochets dans l’ordre physique, il y en a aussi dans l’ordre moral. Par exemple : un grand prince qui passe une mauvaise nuit, reçoit mal son ministre qui n’a pas étudié le mollia fandi tempora. Le ministre revient chez lui de fort mauvaise humeur  il passe cette mauvaise humeur sur son secrétaire, le secrétaire sur le chefs de division, et le chef de division sur les commis ; le commis rentre chez lui, gronde sa femme, chasse sa servante, et fustige ses enfans. Voilà par richochets cent cinquante personnes fort mécontentes.

C’est cette idée que l’auteur de la pièce nouvelle a saisie avec beaucoup d’esprit. Ses Ricochets sont d'une vérité frappante ; c’est la nature prise sur le fait.

Un M. D’Orsai est oncle d’une fort jolie veuve, dont Sainvillle, fils d’un ministre, est devenu amoureux ; il a pour valet-de-chambre un M. Lafleur, lequel a aussi une nièce, dont le Jokey est également amoureux. Tout se dispose pour un double mariage. La joie de M. d’Orsai rejaillit sur le Valet-de-chambre, celle du Valet-de-chambre sur la Nièce, celle de la Nièce sur le Jokey ; mais la belle Veuve, qui aime passionnément les chiens et les oiseaux, perd son carlin, et se désole de ce malheur. L’amant, qui se présente en ce moment, est fort mal reçu, et se retire mécontent. M. d’Orsai, qui attendoit un emploi important de la protection du Ministre, et qui comptoit sur les bons offices de Sainville, est à son tour fort mal accueilli ; Lafleur, qui vient solliciter une faveur de son maître, reçoit sa part de mauvaise humeur ; et le Jokey, qui s’avise de parler mal-à propos de son mariage, est chassé par le Valet-de-chambre.

Heureusement la scène change. La jolie Veuve oublie son carlin, pour songer à Saiuville. L’amant revient et oublie son mécontentement ; M. d’Oisai se présente, est reçu à bras ouvert, et obtient l’emploi qu’il sollicite. Lafleur à son tour, est accueilli à merveille, et le Jokey rappellé ; épouse la jolie Soubrette. Ainsi par Ricochet, tout le monde est successivement heureux et malheureux.

Il est difficile de renfermer cette idée morale dans un cercle plus aimable, de meilleur esprit et de meilleur goût que ne l’a fait M. Picard. Cette petite pièce est un des plus jolis ouvrages échappés à sa veine. Je ne sais ce que la critique pourroit y reprendre. Mais je vois parfaitement ce que la justice et le goût peuvent y louer. C’est là le véritable esprit, de l’esprit sans affetterie, tel qu’on n’en trouve point dans mille mièvreries qu’on appelle des conversations faites d'avance, et qui ne sont que des niaiseries que les simples ont la bonté d’applaudir.

Mercure de France, littéraire et politique, tome vingt-huitième, n° CCCIII du samedi 9 mai 1807, p. 260-264 :

[Long article paru lors de la publication de la brochure.]

Les Ricochets, comédie en un acte et en prose, par M. Picard, représentée pour la première fois à Paris, sur le Théâtre de S. M. l'Impératrice, le 15 janvier 1807. Prix: 1 fr. 15 c., et 1 fr. 5o c. par la poste. A Paris, chez Martinet, lib., rue du Coq, n°. i5; et chez, le Normant.

[...]

Les inférieurs souffrent presque toujours de l'humeur de leurs supérieurs ; et bien souvent les événemens qui décident de notre sort tiennent aux causes les plus légères. Telles sont les deux idées sur lesquelles est fondée la comédie des Ricochets. Peut-être ces idées peu approfondies ne suffiroient-elles pas pour faire la matière d'une pièce de théâtre : placées adroitement dans un grand ouvrage, comme un épisode lié à l'action, elles auroient produit plus d'effet ; le titre seul de la pièce fait prévoir toutes les situations. En effet, quand on voit une femme tourmenter un amant dont le crédit est nécessaire à son oncle, on présume tout de suite que l'amant maltraitera son protégé, que ce dernier grondera son valet de chambre, et que le valet ne manquera pas de se venger sur un malheureux jokey qui lui est soumis. Cette conception se rapproche du genre des Proverbes, destiné à distraire des sociétés particulières. Le canevas de ces sortes d'ouvrages est toujours très-léger; souvent même il n'est pas écrit : il ne sert qu'à faire briller l'esprit des acteurs, qui y joignent tous les traits plaisans qui leur passent par la tête. Cet amusement doit nécessairement perdre beaucoup à être placé dans un cadre trop grand : il a fallu tout l'esprit de M. Picard pour rendre un tel sujet propre au théâtre ; et l'on doit convenir que ce petit ouvrage est un de ceux où il en a le plus montré.

Sa fable est ingénieuse : il a eu l'art de remplir le vide du sujet par les caractères qui sont pleins de vérité et de comique. Le style est vif et piquant, l'action marche avec une grande rapidité, et les scènes qu'on prévoit le plus, sont amenées avec un art, et tracées avec une gaieté qui les rend très-agréables.

M. Dorsay, homme riche et ambitieux, a dans sa maison une nièce, jeune veuve, nommée Mad. de Mircour. Cette femme, gâtée par ses parens et son premier mari, est très-capricieuse : elle affecte sur-tout beaucoup de sensibilité. En moins de dix mois, elle a été joueuse, dévote et botaniste : à présent elle est folle des animaux, et un petit carlin est auprès d'elle dans la plus haute faveur. Sa femme de chambre, nommée Marie, plus jeune qu'elle, mais moins sensible, profite des engouemens capricieux de sa maîtresse, pour la gouverner. Le colonel Sainville, fils d'un ministre, est amoureux de madame de Mircour : on conçoit que M. Dorsay ne néglige pas cette occasion de s'avancer, et que le jeune officier ne demande pas mieux que d'obliger l'oncle de celle qu'il aime.

Les choses sont en cet état quand la pièce commence. Gabriel, jeune jokey, est amoureux de Marie ; mais il n'ose espérer d'obtenir la main d'une femme de chambre, nièce de M. de La Fleur, valet de chambre de M. Dorsay : les états sont trop différens, et l'alliance paroîtroit disproportionnée. Cependant le jokey est secrètement aimé de Marie ; ils se font même des présens :. Marie lui a brodé une cravate de mousseline, et Gabriel a donné à sa maîtresse un joli serin. Ils conviennent tous deux que le meilleur moyen de réussir est de faire la cour à M. La Fleur : ce domestique est donc servi avec le plus grand soin par Gabriel, à qui il ne manque pas de faire sentir tout le poids de son autorité. Cependant, quand il apprend son amour, comme il se trouve dans un moment de bonne humeur, il lui laisse concevoir quelques espérances.

Ce calme des deux amans ne dure pas long-temps. Sainville a promis de servir Dorsay, et lui a offert de se charger de ses papiers ; il est dans les meilleures dispositions pour un homme qu'il regarde déjà comme son oncle. Mais il est arrivé un grand malheur à Mad. de Mircour : elle a perdu son carlin ; et quand le jeune officier veut lui parler de son amour, elle lui reproche de ne pas avoir de sensibilité ; elle se plaint de ce qu il ne prend pas assez de part à sa douleur, et le congédie. Sainville, très-irrité de ce caprice, reçoit fort mal Dorsay qui lui apporte ses papiers, et lui enlève toute espérance. Dorsay furieux exerce son humeur sur La Fleur, qui ne sait d'où vient cet orage ; et La Fleur se trouvant immédiatement après avec Gabriel, pousse beaucoup plus loin que son maître la dureté envers son inférieur : il traite le jokey de libertin, de mauvais sujet, et le chasse de la maison.

Gabriel, étourdi de ce coup imprévu, confie ses peines à Marie, qui, plus expérimentée que lui, ne perd pas l'espérance. Un carlin a tout troublé, un oiseau peut tout apaiser. Suivant cette idée lumineuse, Marie trouve le moyen de faire naitre à sa maîtresse le désir d'avoir le serin : Mad. de Mircour oublie bientôt son petit chien. Rendue à sa bonne humeur, elle reçoit très-bien Sainville qui revient, malgré le congé qui lui a été donné ; le colonel renoue avec Dorsay dont il prend les papiers, et promet de servir les projets ; Dorsay tient la même conduite avec La Fleur, qui un moment après pardonne au jokey. Ce jeune homme, d'après la recommandation de Mad. de Mircour, vient d?être élevé au rang de valet de chambre de Sainville. Un avancement aussi rapide lève toute les difficultés : Gabriel et Marie sont unis; le bonheur renaît dans la maison. Et voilà les grands événement amenés par de petites causes, ainsi que les Ricochets, par lesquels, comme l'observe un personnage de la. pièce, tout s'enchaîne et tout marche dans la vie.

Cette petite pièce est sur-tout remarquable par la vivacité du dialogue, et par les traits piquans et naturels dont elle est semée. M. Picard est tellement exercé dans le comique, que ces qualités ne paroissent presque rien lui coûter : elles remplissent d'autant mieux leur objet. Rien n'est plus agréable dans la comédie que cette facilité naïve qui entraîne le spectateur, sans même qu'il s'en doute. Heureux celui qui la possède, si, se préservant de ce penchant souvent invincible, qui fait tomber nos meilleures qualités dans les défauts qui les avoisinent, il ne laisse pas dégénérer en négligence cette précieuse facilite !

Nous citerons une scène de cette comédie qui nous paroît peindre avec beaucoup de vérité un travers dont plusieurs femmes ne sont pas exemptes.

Mad. de Mircour a fait la veille un accueil très-agréable à Sainville, et l'a prié de lui procurer une chanson nouvelle. Le jeune homme s'est acquitté de cette commission, et revient en rendre compte à la dame dans l'espoir d'être bien reçu; mais le carlin de Mad. de Mircour est perdu ; elle est au désespoir ; et son amant, qui ne peut concevoir cette grande douleur, est traité d'homme insensible : il représente qu'on, retrouvera ce carlin, et pense qu'elle est trop raisonnable.....

Mad. De Mircour.

Raisonnable ! Non, monsieur, je ne suis point raisonnable, et je n'aime point les gens raisonnables ; ils sont froids, insensibles. Au fait, que me voulez-vous ? Je suis fort étonnée, qu'on ne vous ait pas dit que je ne voulois voir personne.

Sainville.

Eh, mon Dieu, comme vous me traitez, madame ! Ces couplets que vous m'avez demandés hier.....

Mad. de Mircour.

Ces couplets ? Je n'en veux plus ; ils ne valent rien. En effet, je suis bien en disposition à chanter !

Sainville.

Vous êtes méchante, au moins.

Mad. de Mircour.

Moi, méchante ! C'est vous plutôt qui n'avez pas la moindre sensibilité. Je pleure, je souffre ; monsieur plaisante, rit.

Sainville.

J'étois loin de m'attendre à un pareil accueil. Se peut-il que ce soit la femme qui, hier au bal, étoit si douce si bonne !

Mad. de Mircour.

Hier, monsieur', vous étiez aimable ; tâchez donc de l'être aujourd'hui.

Sainville.

Ma foi, madame, je désespère de vous paraître tel, tant que vous conserverez cette humeur.

Mad. de Mircour.

Fort bien, vous vous piquez, vous vous fâchez. Oh, que voilà bien votre vivacité, votre pétulance !

Sainville.

Voilà bien le caprice le mieux conditionné.....

Mad. De Mircour.

Le caprice !... On a le malheur de sentir vivement, et l'on a des caprices ! Ainsi, vous seriez malheureux avec moi ; n'est-ce pas là ce que vous voulez me faire entendre ?

Sainville.

Allons, je ne peux pas dire un mot que vous ne l'interprêtiez de la manière la plus odieuse. Adieu, madame.

Mad de Mircour.

Adieu, monsieur.

Sainville.

Ainsi, c'est la perte de M. Azor qui nous brouille.:

Mad. de Mircour.

Ce que vous dites là est affreux ; vous savez bien que je ne serois pas assez injuste Non, c'est le manque d'égards, de procédés, d'indulgence.....

Sainville.

Et c'est donc là le prix de l'amour le plus tendre ? etc.

Que l'on compare cette scène de dépit à celles que Molière a faites sur le même sujet, dans quelques-unes de ses pièces, et l'on pourra remarquer la différence des mœurs des deux époques. Autrefois, les femmes n'affectoient point cette fausse sensibilité que M. Picard sait si bien peindre ; elles étoient moins sujettes à l'engouement, et l'on ne trouvoit pas dans leur ton et dans leurs manières autant d'uniformité. Aussi les amoureuses de Molière offrent plusieurs caractères différens, tous aussi agréables les uns que les autres. M. Picard est obligé de se restreindre beaucoup plus: il ne présente ordinairement dans ces sortes de rôles qu'une simplicité presque niaise, une malice prématurée, ou une sensibilité affectée. Ce n'est point stérilité de sa part : il se conforme aux règles de l'art, qui lui prescrivent de peindre en général les mœurs de son siècle.

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