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Les Scythes et les Amazones, ou Sauter le fossé

Les Scythes et les Amazones, ou Sauter le fossé, vaudeville en deux actes, de Barré, Desfontaines et Radet, 19 décembre 1811.

Théâtre du Vaudeville.

Titre :

Scythes et les Amazones (les), ou Sauter le fossé

Genre

vaudeville

Nombre d'actes :

2

Vers / prose

prose, avec des couplets en vers

Musique :

vaudevilles

Date de création :

19 décembre 1811

Théâtre :

Théâtre du Vaudeville

Auteur(s) des paroles :

Barré, Radet et Desfontaines

Les rapports de la police secrète, qui donnent comme sous-titre Sautez le fossé situent la première représentation au 19 décembre, parlent d’un succès douteux, bien qu’on ait demandé les auteurs.

Journal de Paris, n° 81 du 20 décembre 1811, p. 2-3 :

[Le vaudeville du trio Barré, Radet et Desfontaines suit de près l’opéra de Jouy, musique de Méhul, les Amazones ou la Fondation de Thèbes, joué le 17 décembre 1811 à l’Académie impériale de Musique, ce qui rend inutile un étalage de science concernant les amazones deux jours après l’article consacré à l’opéra dans le même journal. Le critique se contente de décrire une étonnante loi, rapportée par Hippocrate, qui interdit à une amazone de se marier avant d’avoir tué trois ennemis. Cette loi suscite bien sûr une débauche d'ironie  heureusement, les lois modernes permettent de se marier sans violence. Le vaudeville montre des amazones assez peu cruelles, qui ne sont pas insensibles à deux captifs scythes, qu’elles libèrent au lieu de les sacrifier. S’en suit une bataille entre amazones et scythes, qu’un fossé sépare. Qui « sautera le fossé », action fortement connotée bien sûr ? Ce sont les amazones qui se décident à « risquer le saut », si bien que « l’on finit par sentir et chanter le besoin et le plaisir d’ère deux ». La pièce est jugée sans beaucoup de sévérité : le critique se réduit à constater que la pièce est plus graveleuse et moins gaie que la comédie de Legrand, les Amazones modernes (1727). On savait d’avance qui étaient les auteurs, mais il fallait pourtant les faire nommer pour qu’on ne considère pas que la pièce avait échoué. Il s’en est fallu de peu que les trois auteurs ne soient pas nommés, et le critique manifeste un certain scepticisme sur la légitimité de ces associations d’auteurs : « Quand on réussit on n’a que le tiers d’un succès ; lorsqu’on tombe, on a le triple d’une chûte ».]

THÉATRE DU VAUDEVILLE.

Première représentation des Scythes et les Amazones, ou Sauter le Fossé.

Après l’érudition qu’a prouvée celui des rédacteurs de ce journal qui a rendu compte de l’opéra des Amazones, il me siérait mal d’entamer une dissertation sur l’existence réelle ou fabuleuse de ces femmes guerrières. Un savant bagage m’embarrasserait beaucoup sous l’humble péristile de la maison de Momus.

Je ne puis cependant résister au désir de citer une loi bien barbare, mais que les français, qui rient de tout, trouveront peut-être assez plaisante. Hippocrate nous assure qu’elle faisait partie de la constitution des amazones. Cette loi condamnait les filles à demeurer vierges jusqu’à ce qu’elles elles eussent tué trois ennemis de l’état. Malheur à celui qui se trouvait sur le chemin d’une jeune amazone lasse du célibat. Je crois qu’elle ne s’amusait guère à examiner s’il était réellement un ennemi de l'état, mais qu’impatiente de compléter sa dot martiale, elle sacrifiait légèrement les trois premiers venus pour arriver plus vite au quatrième, dont elle faisait son mari.

Cet heureux époux aurait eu mauvaise grâce à se glorifier de la préférence, puisqu’il ne la devait qu’au hasard qui ne l’avait pas offert plutôt aux regards de la jeune guerrière. Elle l’aurait immolé de cette même main qu’elle lui présentait comme un gage d’amour.

Combien nous sommes heureux qu’une pareille loi ne soit point en vigueur en France ! Il faudrait fuir avec effroi ses doux-objets dont nous aimons tant à nous rapprocher ; quelque profondes que soient les blessures que nous font de beaux yeux, elles ne sont ni si cruelles ni si dangereuses que celles des flèches des amazones. Mais pour le bonheur des deux sexes, on sait que ce n’est point par des actes meurtriers que nos jeunes demoiselles annoncent le désir d’être épouses.

Les amazones que nous ont présentées les auteurs de la pièce jouée hier soir au Vaudeville, ne sont pas à beaucoup près ni aussi cruelles ni aussi implacables que celles qui habitaient les rives du Thermodon. Elles ne sont pas même aussi audacieuses que celles de l’opéra ; car celle-ci [sic] viennent attaquer Thébes, et celles-là laissent envahir leur territoire par des scythes dont le roi est bien le plus pauvre homme du monde.

Deux jeunes Scythes, qui ont voulu voir de trop près deux jolies amazones, sont punis de leur curiosité. Captifs et liés à un arbre, ils attendent la mort. Mais aussi heureux que le canadien Chactas, ils trouvent chacun une Atala, et paient leur liberté d’un tendre baiser.... Les gardes infidèles déclarent que l’ennemi est venu en force leur attacher leurs prisonniers. On sonne l’alarme, on bat la générale, et les régimens femelles se rangent en bataille. Les scythes arrivent, et les deux armées ne sont séparées que par un fossé.... Qui le sautera le premier ?... De tendres provocations et l’envie de prouver leur agilité déterminent les guerrières à risquer le saut. La plus leste donne l’exemple, et semblables aux moutons de Panurge, toutes les amazones se disputent à qui la suivra de plus près. La générale se fait un peu prier, mais le chef des scythes l’enlève, et l’enlève même d’une manière un peu trop pittoresque. La reine Radotoski, qu’on avait dédaignée d’abord, trouve aussi un enleveur, et l’on finit par sentir et chanter le besoin et le plaisir d’ère deux.

La pièce est remplie de plaisanteries plus graveleuses et moins gaies que celles dont Legrand a assaisonné sa comédie des Amazones.

Le nom des auteurs, qui circulait d’avance dans la salle, avait rendu, le public exigeant. J’ai vu l’instant où ils n’étaient connus que confidentiellement; cependant, après un succès un peu contesté, et que le second acte a failli ravir au premier, quelques voix ont crie l’Auteur ! la toile docile a livré passage à Joly, travesti en Thalestris ; il a nommé MM. Barré, Desfontaine et Radet. J’avoue que je ne conçois rien au calcul de ces associations littéraires. Quand on réussit on n’a que le tiers d’un succès ; lorsqu’on tombe, on a le triple d’une chûte.

A.          

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 16e année, 1811, tome VI, p. 407-408 :

[Compte rendu peu enthousiaste : si le premier acte paraît amusant (« des plaisanteries graveleuses, mais assez gaies »), la suite ne vaut pas cher.]

Les Scythes et les Amazones, ou sauter le fossé, vaudeville en deux actes, joué le 20 décembre.

Deux jeunes Scythes, qui ont voulu voir de trop près deux jolies Amazones, sont punis de leur curiosité. Captifs et liés à un arbre, ils attendent avec inquiétude que l'on prononce sur leur sort ; mais leurs gardiennes, qui les délivrent, déclarent que l'ennemi est venu en force leur arracher leurs prisonniers. On sonne l'alarme, et les régimens femelles se rangent en bataille. Les Scythes arrivent, et les deux armées ne sont séparées que par un fossé.... Qui le sautera le premier?... De tendres provocations, et l'envie de prouver;:leur agilité, déterminent les guerrières à risquer le saut. La plus leste donne l'exemple, et, semblables aux moutons de Panurge, toutes les Amazones se disputent à qui la suivra de plus près. La générale se fait un peu prier; mais le chef des Scythes l'enlève. La reine Radotoski, qu'on avoit dédaignée d'abord, trouve aussi un enleveur, et l'on finit par chanter le besoin et le plaisir d'être deux.

Le premier acte offre des plaisanteries graveleuses et assez gaies. Le second est presque nul.

Les auteurs sont MM. Barré , Desfontaines et Radet.

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome II, février 1812, p. 289-293 :

[Voilà un article bien surprenant, qui s’en prend avec vigueur à une farce qui n’a sans doute pas grand intérêt, ais qui ne mérite une telle volée de bois vert. Les Amazones sont à la mode au théâtre, et les Amazones, ou la Fondation de Thèbes occupent l’Opéra. Le critique croit utile de comparer les deux pièces, mais c’est pour dire qu’elles n’ont rien de commun, et pour s’indigner qu’on y voit des femmes travesties en hommes se comporter comme des soudards : les femmes doivent au contraire apparaître dans leur fragilité (je passe sous silence l’étonnante anecdote qui est censée nous prouver que c’est ainsi que le théâtre doit les montrer). Il s’en est fallu de peu, selon lui, qu’on sifflât « impitoyablement les saillies un peu crues, les plaisanteries un peu vives, les équivoques de mauvais ton que les auteurs ont prodigués dans cet ouvrage ». Cette production n’est pas digne à ses yeux de la réputation du trio d’auteurs expérimentés à qui elle est due. Rien ne le satisfait, ni une intrigue amoureuse légère, ni les caricatures trop peu piquantes, ni les travestissemants « plus bizarres que plaisans ». Résultat : un simple succès d’estime.]

THÉATRE DU VAUDEVILLE.

Les Scythes et les Amazones, ou Sautez le Fossé.

Les Amazones ne se sont pas contentées d'envahir l'Opéra, elles veulent encore s'installer au Vaudeville ; mais, cette fois , elles ont trop présumé de leurs forces, et n'ont pas assez bien calculé les ressources qui leur étaient nécessaires pour une telle expédition. Sur la vaste scène de l'Opéra, où elles pouvaient se présenter avec tous leurs avantages et tempérer l'effet de leur humeur belliqueuse en étalant tout le charme des attitudes et tout le prestige d'une musique séduisante, leurs efforts ont été couronnés par le succès, mais au Vaudeville, c'est tout autre chose : dépouillées de. ces brillans accessoires et de ces développemens heureux, qui seuls peuvent faire excuser ce qu'il y a de trop sauvage et de trop masculin dans leur caractère, on ne voit plus que des égrillardes qui veulent brûler des hommes, qui donnent et reçoivent des gourmades, et chantent des chansons de corps-de-garde en faisant l'exercice. Les femmes ne doivent prendre les usages et les habits de notre sexe, que lorsqu'elles sont bien sûres de conserver sous ce nouveau costume tous les avantages et toutes les graces du leur ; mais ce travestissement, qui peut être quelquefois d'un effet très-piquant, est, pour la plupart d'entr'elles, une épreuve fort difficile à soutenir, et l'on souffre presque toujours de voir des. femmes, destinées à régner par la puissance de la séduction, entreprendre de soutenir, par des moyens violens, un empire qu'elles ne doivent qu'à leur faiblesse même. Je citerai, à cette occasion, une petite anecdote qui servira tout-à-la-fois de preuve et de développement à ma pensée.

On raconte qu'une troupe de comédiens ambulans qui traversait une ville de province peu faite à de telles bonnes fortunes, résolut de s'y arrêter et d'y donner une représentation. On choisit les Amazones Modernes, pièce de Legrand, siffiée à Paris ; mais que le directeur espérait bien faire applaudir à quelques cents lieues de la capitale. Malheureusement, l'événement trompa son espoir : le goût, la délicatesse, la galanterie sur-tout, étaient en honneur dans cette bicoque : on s'indigna de voir des femmes exposées à recevoir des horions et des taloches ; quelques jeunes bourgeois mêmes, ne pouvant plus contenir leur généreuse ardeur, s'élancèrent sur la scène, et, frappant avec vigueur sur les ennemis des Amazones, obligèrent ces guerriers discourtois à chercher un abri dans les coulisses.. Puis, se retournant avec fierté avant de remonter dans leurs loges : « A présent, mesdemoiselles, dirent-ils, ne craignez rien, et faites tranquillement vos affaires ; s'ils y .reviennent, nous nous en chargeons ». Ce fut en vain que les actrices voulurent expliquer que tel était le sujet de la pièce : « Il fallait donc nous en donner une autre, répondirent les preux chevaliers, car celle que vous jouez-là nous est insupportable, et nous ne pouvons absolument pas consentir à vous voir battues ». Il ne faut pas chercher au Vaudeville cette antique simplicité, ni cette galanterie d'un autre siècle ; mais on y peut trouver encore par fois du goût et de la délicatesse, et j'ai vu le moment ou l'on allait siffler impitoyablement les saillies un peu crues, les plaisanteries un peu vives, les équivoques de mauvais ton que les auteurs ont prodigués dans cet ouvrage, où l'on n'a retrouvé ni l'esprit, ni la grace, ni la verve piquante dont ils assaisonnent ordinairement la plupart de leurs productions.

Il n'y a d'ailleurs que le titre de semblable entre le Vaudeville et l'Opéra. Le sujet et la marche des deux ouvrages ne conservent aucune ressemblance : les Amazones attaquent à l'Opéra; au Vaudeville, elles ne font que se défendre. Les premières sont constamment victorieuses ; les autres finissent par être vaincues, et qui plus est enlevées. Les unes sont gracieuses, nobles, imposantes ; les autres sont un peu gauches et passablement ridicules ; et sans les nombreux mariages qui se célèbrent au dénouement dans les deux pièces, il n'y aurait pas plus de rapprochemens à faire entre les situations des Amazones de la rue de Richelieu et celles de la rue de Chartres, qu'entre toutes les autres parties qui constituent le mérite de ces deux productions. Une légère intrigue d'amour, ébauchée dans le ,premier acte de la pièce du Vaudeville, et qui ne suffit pas pour soutenir l'intérêt jusqu'à la fin, en forme à-peu-prés tout le nœud ; des caricatures médiocrement piquantes, des travestissemens plutôt bizarres que plaisans, fixent l'attention du spectateur pendant le reste du temps; et ces moyens, qui d'abord provoquent la gaîté, ne tardent pas, en se répétant, par amener la fatigue et la monotonie. En un mot, quoique ce vaudeville ait obtenu ce qui s'appelle un succès d'estime, on attendait: mieux des talens réunis de MM. Barré, Radet et Desfontaines.

T.          

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