Sophie Arnould

Sophie Arnould, comédie en trois actes mêlée de vaudevilles, de Barré, Radet et Desfontaines, 24 nivose an 13 [14 janvier 1805].

Théâtre du Vaudeville.

Titre :

Sophie Arnould

Genre

comédie

Nombre d'actes :

3

Vers / prose

prose

Musique :

vaudevilles

Date de création :

24 nivôse an 13 (14 janvier 1805)

Théâtre :

Théâtre du Vaudeville

Auteur(s) des paroles :

Barré, Radet et Desfontaines

Almanach des Muses 1806.

[Madeleine-Sophie Arnould, née le 13 février1740, morte le 22 octobre 1802, est une actrice et cantatrice, célèbre par ses bons mots, recueillis dans un recueil par Albert Deville.]

Courrier des spectacles, n° 2885 du 25 nivôse an 13 [15 janvier 1805], p. 2 :

[Sur un ton badin, la seconde mort de la célèbre actrice, sur la scène du Vaudeville, où ses bons mots n’ont pas convaincu.]

Théâtre du Vaudeville.

On attendoit depuis long-tems à ce théâtre la célèbre Mlle. Arnoud, qu’on s’etoit chargé d’y ressusciter ; elle a paru pour mourir encore. L’esprit des auteurs ne lui a pas inspiré un souffle de vie assez fort. Toute l’artillerie des bons mots de Mlle. Arnould n’a pu soutenir celle des sifflets. On dira demain ce qui a occasionné cette mort subite, à laquelle il paroit qu’on ne s'attendait pas.

Courrier des spectacles, n° 2886 du 26 nivôse an 13 [16 janvier 1805], p. 2 :

[La pièce repose sur une anecdote montrant autant la générosité de Mlle Arnould que son habileté, et c’est cette anecdote que raconte le critique, avant de parler de la pièce, dont il regrette que les auteurs aient voulu tirer trois actes de ce qui ne pouvait en fournir qu’un. Ils ont accumulé les bons mots de Mlle Arnould, mais « le mérite d’un bon mot c’est d’être placé à propos », et ce n’est pas le cas ici. Et le critique a beau jeu d’ironiser sur ces bons mots amenés de manière très visible, quand, comme le machiniste, le poète doit cacher le moyen par lequel il arrive à placer le trait d’esprit. Résultat, « un froid glacial, un ennui mortel », et même des sifflets. L’anecdote de ce père captif et qu’on libère de sa prison occupe très peu de place, au début et à la fin. Le reste de la pièce est occupé par des mondanités, et beaucoup de jeux de mots et de calembours au point de lasser la patience des spectateurs, pourtant friands de « pointes ». Et quand invite ses amis à passer à table, tout le public a repris cette invitation à son compte en partant. La modestie du couplet final a permis heureusement de détendre l’atmosphère : la pièce ne montre que l’ombre de Mlle Arnould, et pas son esprit. L’interprétation est détaillée de façon très positive : on a vu « l’élite des acteurs de ce théâtre », mais « il ne manquoit qu’un bon ouvrage ». Les auteurs, dont il n’est pas dit qu’ils ont été nommés devront faire mieux que ce qui apparaît comme « une très-forte distraction ».

Théâtre du Vaudeville.

Sophie Arnould.

Le célèbre Mlle. Arnould apprend qu’un père de famille estimable est en prison parce qu’il ne peut payer une somme de dix mille francs : elle forme la résolution de le tirer de sa captivité, mais elle n'a pas d’argent. Elle imagine aussi-tôt de faire une loterie dont le prix sera une chaîne de la valeur de cette somme : cependant elle n’a point cette chaîne ; mais son intelligence et le désir d’être utile pourvoiera [sic] à tout. On prend les billets, on tire chez elle la loterie en présence des actionnaires, et les billets sont blancs. On rit d’abord, et l’on attend la solution de celte énigme, lorsque d’un salon voisin sort un vieillard accompagne de sa fille et d’un jeune homme destiné à devenir sou gendre. Mlle. Arnould présente ce vieillard, et dit à ses amis : Vous comptiez sur une chaîne, vous en avez brisé une, celle qui tenoit captif un père de famille estimable ; c’est du prix de vos billets que je viens d’acheter sa liberté : j’espère que ce lot vaudra bien celui que j’avois promis. Les amis de Mlle. Arnould se piquèrent de générosité, et doublèrent le prix des billets pour faire la dot de la jeune personne.

Voilà une anecdote qui pouvoit fournir au théâtre le sujet d’un acte intéressant : les auteurs de la nouvelle pièce en ont composé trois ; ils y ont rassemblé tous les bons mots de Mlle. Arnould, et les ont amenés comme ils ont pu. Le mérite d’un bon mot c’est d’être placé à propos. Quand il est connu d’avance, ou amené malgré lui, il perd tout son mérite.

Le poëte ne sauroit trop déguiser le mécanisme de son art ; il doit, comme le machiniste de l’Opéra, produire des effets, sans qu’on voie les rouages et les cordes qui font tout mouvoir. Dans Sophie Arnould on n’a rien caché au spectateur ; il semble qu’on ait voulu lui dire : Vous attendez des bons mots, nous allons vous en donner ; et sur-le-champ on a apporté le recueil divisé en scènes moitié vers, moitié prose, chantés ou récités par une jolie bouche, mais presque tous sans mérite, parce qu’ils n’ont pas celui de l’à-propos. Il est résulté de cette surabondance de saillies un froid glacial, un ennui morte1, et enfin une impatience qui s’est manifestée par plusieurs salves de sifflets.

Le plus grand défaut des auteurs est d’avoir substitué des détails oiseux au charme de l’action principale ; car il n’est guères question de la captivité du père de famille et de sa délivrance, que dans la première et dans la dernière scènes. Tout le reste se passe en visites, en conversations, en envois et en lectures de billets, et enfin en collations tantôt entre les maîtres, tantôt-entre les valets. Pour ajouter à l’intérêt du rôle principal, les auteurs ont cherché à réunir chez Mlle. Arnould le comédien Armand, la célébré Gogo Beaumenard , et la Camilla des Italiens, et , pour donner de l'esprit à leurs acteurs, ils n’ont ménagé ni les jeux de mots, ni les calembourgs, mais souvent avec si peu de discrétion, que le public, tout indulgent qu’il soit pour les pointes, s'en est trouvé fatigué.

A la fin de la pièce, Mlle. Arnould invite ses amis à venir souper. On a profité de l’à-propos, et les spectateurs en se levant, ont tous répété : allons souper. Cependant on a voulu entendre le dernier couplet. Il étoit d’une modestie propre à conjurer les orages. Nous vous avons donné, ont dit les auteurs, l’ombre de Mlle. Arnould, mais non pas son esprit ; on a répondu que cela étoit vrai.

La pièce a été d’ailleurs fort bien jouée. C’étoit l’élite des acteurs de ce théâtre. Mad. Belmont remplissoit le rôle de Mlle. Arnould ; elle avoit pour compagnes Mad. Hervey, Mad. Dorsan, Mlle. Desmares et Mlle. Delisle, c’est-à-dire des actrices jolies, spirituelles et intelligentes. Avec ces ressources, il faut être bien malheureux pour ne pas réussir. Parmi les acteurs étoienl Hyppolite, Carpentier, Henri, Seveste, etc, Il ne manquoit qu’un bon ouvrage.

S’il est vrai que celui ci ait pour auteurs trois hommes d’esprit, on doit le regarder comme le produit d’une très-forte distraction dont ils reviendront vraisemblablement.

Le Nouvel Esprit des journaux français et étrangers, tome VI, ventôse an XIII [février 1805], p. 287-289 :

[Article repris des Archives Littéraires de l'Europe ou Mélanges de littérature, tome cinquième (1805), Gazette littéraire, janvier 1805, p. XXI

On entre là dans les coulisses du monde théâtral : le trio Barré-Radet-Desfontaines tente de concurrencer les auteurs de Fanchon la Vielleuse, la pièce de Pain et Bouilly jouée avec succès en janvier 1803. Le sujet est emprunté à la vie de mademoiselle Arnould, la grande Sophie Arnould, née en 1740 et morte en 1802, célèbre comme chanteuse et comme diseuse de bons mots. la tentative d’exploitation de ces qualités n’a manifestement pas réussi aux vaudevillistes à la mode. Le résumé de l’intrigue conduit à la dénonciation d’un fonds léger et d’épisodes inconvenants (on ne badine pas avec les convenances. C’est globalement « le ton de l'ouvrage [qui] a déplu », tout comme le style « excessivement négligé ». La pièce n’est pas à la hauteur des talents de ses auteurs, qui ont dû attendre la troisième représentation pour se voir nommer.]

On attendait depuis long-temps au théâtre du Vaudeville, Mademoiselle Arnould, que l'on annonçait comme devant faire le pendant de Fanchon la Vielleuse. L'attente du public et celle des auteurs ont été également trompées. On croyait que mademoiselle Arnould, actrice très-aimée, morte depuis fort peu de temps, ayant même dans le parterre des gens qui l'avaient applaudie à l’Opéra, et des amis qui avaient pu, dans la société, juger les qualités de son cœur et celles de son esprit, aurait un de ces succès plus souvent dus au mérite du sujet qu'à celui de l'auteur. Ce calcul n'a pas réussi. Les bons-mots de mademoiselle Arnould ont tous été applaudis quoique très-connus  ; mais ils étaient malheureusement noyés dans trois actes sans intrigue et sans intérêt.

Une jeune personne sollicite de mademoiselle Arnould une place à l'orchestre de l'Opéra, pour son amant : de plus son père est en prison pour une dette de cinq cents louis ; mademoiselle Arnould a entrepris de placer l'un et de sauver l'autre. Elle profite d'un grand embarras où se trouve Francœur, directeur de l'Opéra, pour lui arracher la
place de musicien, qu'elle donne au jeune homme ; quant au vieillard, elle trouve plus facile de faire contribuer sa société que de le délivrer elle même. Elle fait donc une loterie d'une chaîne superbe,
qu'elle n'a pas ; et lorsqu'on s'apperçoit au tirage que tous les billets sont blancs, elle avoue la ruse qu'elle a généreusement imaginée, non pour faire gagner une chaîne, mais pour briser celle du vieillard. On a joint à ce fonds léger une épisode qui a beaucoup contribué à indisposer le public ; c'est l'indécent amour d'un lord ridicule, pour Gogo-Beauménard, (depuis madame Bellecour), de la Comédie française, et la facilité avec laquelle mademoiselle Arnould se mêle de les raccommoder, et reçoit même pour cela cent louis de l'Anglais. Une scène, entre deux domestiques et un petit marmiton, a paru aussi très-déplacée ; en général, le ton de l'ouvrage a déplu. Le style en est excessivement négligé. On devait attendre mieux de messieurs Barré, Radet et Desfontaines, qui se sont fait nommer à la troisième représentation.

Annales dramatiques, ou Dictionnaire général des Théâtres, tome huitième (Paris, 1811), p. 363-364:

SOPHIE ARNOULD, comédie en trois actes, en prose, mêlée de vaudevilles, par MM. Barré, Radet et Desfontaines, au Vaudeville, 1805.

Mlle Sophie Arnould, aussi célèbre par la vivacité de son esprit et ses bons mots, que par les succès qu'elle obtint sur la scène, a été mise au fort l'Evêque par l'ordre de M. le lieutenant de police, et en est sortie vingt-quatre heures après par ordre du ministre. Dans le peu de temps qu'elle est restée dans cette prison, elle a eu occasion d'y voir un honnête homme qui y est détenu pour dettes, par suite de la banqueroute d'un gros négociant. Cet homme l'a intéressée, et dès lors elle a conçu le projet de l'en tirer. Ce serait chose facile avec dix mille francs ; mais elle ne les a pas en sa possession. Pour se les procurer, elle fait une loterie dont elle distribue les billets à ses amis. Ensuite elle les réunit chez elle, fait tirer cette loterie, et leur avoue l'aimable tour qu'elle leur a joué. La société en est enchantée, et double le prix des billets, pour la dot d'Henriette, fille du débiteur, que Mlle Arnould unit à un jeune musicien, auquel elle vient de faire obtenir une place à l'Opéra, en dépit d'une comtesse auquel M. Francœur avoir cru devoir la promettre.

Cette pièce, dans laquelle on voit figurer Mlle Beauménard et Armand, acteurs des Français, eut du. succès. Elle renferme quelques-uns des bons mots de Mlle Arnould. Voici celui qui fut cause de sa détention. M. le lieutenant de police, voulant savoir quels étaient les grands personnages qui avaient soupé chez elle un tel jour, la fit venir, et lui adressa plusieurs questions, auxquelles elle répondit de manière à déconcerter l'interrogateur. Comment ? vous ne vous souvenez pas des personnes de distinction qui ont soupé chez vous? — Non, Monseigneur. — Mais il me semble qu'une femme comme vous doit se souvenir de ces choses-là. — Oui, Monseigneur ; mais devant un homme comme vous, je ne suis plus une femme comme moi.

Arnoldiana, ou Sophie Arnould et ses contemporaines (Paris, 1813), p. 150-152 :

[Les Arnoldiana sont un exemple de recueils de bons mots (des ana) dont on est friand en ces lointaines années, et son auteur, Albéric Deville en est un bon spécialiste. Il s'agit ici d'un trait de générosité plein d'esprit de la grande actrice.]

Mlle Arnould ayant été détenue pendant vingt-quatre heures au Fort-l'Evêque, pour avoir répondu peu respectueusement au lieutenant de police, trouva dans cette prison un père de famille arrêté pour une dette de dix mille livres. Le désir de faire en sa faveur une bonne action lui suggéra l'idée de proposer à ses amis une loterie à cinq louis le billet, d'une prétendue chaîne, dont elle disait vouloir se défaire. Les billets furent bientôt placés ; elle rassembla chez elle tous les actionnaires, et lorsqu'on fit le tirage des numéros, il sortit un billet sur lequel était écrit :

Un vieillard, pour dette arrêté,
N'avait pas la moindre espérance,
Et seule, en vain j'aurais tenté
De lui donner sa délivrance ;
Mais dans ses fers, grâces à vous,
Il n'est plus rien qui le retienne,
Et, de concert, chacun de vous
Brise un des anneaux de sa chaîne (1).

Aussitôt parut le vieillard, que Sophie avait secrètement tiré de sa prison. Tout le monde applaudit à ce joli tour, et la fille de cet infortuné fut encore dotée par la bienfaisance de l'assemblée, qui doubla la valeur des mises.

Cette anecdote a fourni à MM. Barré, Radet et Desfontaines le sujet d'une comédie intitulée Sophie Arnould, pièce qui fut représentée pour la première fois à Paris, sur le théâtre du Vaudeville, en pluviose an 13.

(1) Ce couplet est extrait de la pièce de Sophie Arnould.

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