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Les Trois Saphos lyonnaises, ou Une cour d’amour

Les Trois Saphos lyonnaises, ou Une cour d’amour, comédie-vaudeville, en deux actes, de Barré, Radet et Desfontaines, 14 janvier 1815.

Théâtre du Vaudeville.

Titre :

Trois Saphos lyonnaises (les), ou Une cour d’amour

Genre

comédie-vaudeville

Nombre d'actes :

2

Vers / prose

prose avec des vers

Musique :

vaudevilles

Date de création :

14 janvier 1815

Théâtre :

Théâtre du Vaudeville

Auteur(s) des paroles :

MM. Barré, Radet et Desfontaines

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Fages, 1815 :

Les Trois Saphos lyonnaises, ou une Cour d’Amour, comédie-vaudeville, en deux actes, par MM. Barré, Radet et Desfontaines, Représentée, pour la première fois, au Théâtre du Vaudeville, rue de Chartres, le 14 janvier 1815.

Journal des débats politiques et littéraires, lundi 16 janvier 1815, p. 1-4 :

[La critique de ce vaudeville occupe presque la totalité du feuilleton, et prend position sur bien des questions qui ne sont pas toutes en rapport avec la pièce. D’abord, il est question de la situation du Vaudeville, qui a connu bien des échecs « depuis plus de deux ans » et que les auteurs réputés (le fameux trio du Vaudeville) devraient réussir à relever. Enfin on va retrouver le véritable vaudeville (et on pourra utiliser plusieurs passages de cet article pour savoir ce que c’est qu’un véritable vaudeville). Ce développement a un parfum marqué de conservatisme. Mais l’annonce d’un véritable vaudeville était prématurée, et la nouvelle pièce entre dans la catégorie honnie des pièces inclassables, ni vaudeville, ni comédie, ni opéra-comique (et le critique n’aime pas les hybrides). C’est « tout au plus une espèce de tableau historique à qui il manque bien des choses, caractères, action, dialogue, mots plaisants, couplets agréables. Les personnages célèbres y sont méconnaissables, et les moins célèbres ne sont que des gloires provinciales. L’analyse du sujet aborde ensuite les graves questions littéraires et historiques que pose la pièce (le critique tient beaucoup au respect de la vérité historique, du moins ce qu’il appelle ainsi), puis nous fait vivre une « cour d’amour » telle qu’on l’imagine alors. La discussion de points d'histoire, littéraire ou non, amène aussi à rappeler aux malheureux auteurs qu’il ne faut pas de personnage inutile dans une pièce, et Rabelais comme Marot paraît ici peu utile. On suit le jugement des amants des trois jeunes femmes qui s’estiment offensées (leur amant n’est pas venu à un rendez-vous). Bien sûr le verdict est toujours le même : non coupable.Conclusion (en deux temps) : le vaudeville contient tout ce qu'il ne faut pas mettre dans un vaudeville (« du spectacle; de belles robes, de beaux uniformes rouges, des marches, des chœurs presqu'aussi nombreux et aussi brillans que ceux de Castor et Pollux » : ce n’est pas un opéra ! Toujours la hiérarchie des genres), et on n’y trouve rien de ce qui fait un vrai vaudeville (« l’esprit, la gaîté, et même [l'intérêt] qui résulte d'une action progressive et de caractères bien tracés et naturellement développés »). Les deux listes sont fort instructives. Et le succès n’est pas au rendez-vous, si bien que l’acteur chargé de nommer les auteurs n’a pas réussi à se faire entendre au milieu des instruments à vent (sifflets et clés forées ?).]

THEATRE DU VAUDEVILLE.

Première représentation des Trois Saphos Lyonnaises, ou la Cour d’Amour, vaudeville en trois actes, par MM. Barré, Radet et Desfontaines.

Le nom des auteurs n'étoit point un secret : avant !e lever du rideau, il circuloit dans la salle ; il étoit dans toutes les bouches Ce nom consacré par tant de succès, étoit d'un augure favorable, et sembloit garantir la réussite de la pièce nouvelle ; on espéroit qu'un triomphe alloit succéder à cette suite de revers qui depuis plus de deux ans se sont accumulés sur ce théâtre. Enfin, se disoit-on, nous allons revoir le véritable vaudeville ; cet enfant de la malice et de la gaieté va reparoître sous ses traits naturels, avec sa physionomie enjouée et piquante, avec son sourire spirituel, avec son regard fin et observateur. Ce ne sera plus ce grimacier maussade, cet échappé des ruelles et des tréteaux, qui n'annoncoit son ennuyeuse présence que par des fadeurs insipides, des énigmes tournées en madrigaux, ou d'indécentes gravelures. Les auteurs des Deux Edmon. de Monsieur Guillaume, de Gaspard l’Avisé, de Colombine mannequin, vont marquer de leur touche libre et gracieuse le pendant qu'ils donnent à ces agréables tableaux et ce modèle d'un genre agréable, et qu'on peut appeler proprement ]e genre français, par Ie contraste de son succès avec les chutes précédentes, remettra les jeunes auteurs dans la route des principes, et, beaucoup mieux que tous les raisonnemens, les convaincra que l'unique moyen de plaire et d'obtenir des triomphes durables au Vaudeville, est de se rapprocher le plus possible de cet élégant badinage qui n'effarouche point les Grâces, qui intéresse sans effort, qui effleure légèrement les ridicules, et qui, sur les ailes rapides d’un air facile et populaire, fait parvenir jusqu'aux derniers rangs de la société le trait acéré dont les travers du jour ont été punis.

C’est en effet aux maîtres de l’art qu'il appartient de donner de semblables leçons, toujours efficaces quand elles sont appuyées de l'autorité de l’exemple. Les espérances que l'on formoit étoient donc légitimes, et toutefois elles ont été trompées. Au lieu de rester dans la voie étroite et difficile qu’ils ont parcourue d'un pas ferme et triomphant, les trois auteurs ont préféré suivre le chemin plus large et plus commode que leurs successeurs se sont ouvert. Ils ont oublié que pour être sauvé, il faut persévéré jusqu’à la fin ; ils ont imité ces veillards insensés qui, dérogeant à la gravité de leur âge, croient se rajeunir en empruntant le costume et les modes extravagantes de la jeunesse, tandis que ce seroit à eux à condamner, par une noble simplicité, les caricatures grotesques de ces brillans étourdis.

Il faut donc le dire franchement : ce n’est point un vaudeville qu’ont offert au public les illustres triumvirs : ce n’est pas non plus une comédie ni un opéra comique ; c’est un ouvrage qui n'a point de nom, parce qu’il n’a pas de caractères ; où l’on cherche inutilement une action, un dialogue, des mots plaisans, des couplets agréables. C'est tout au plus une espèce de tableau historique, mais bien pâle, bien décoloré, où quelques personnages célèbres, tels que la reine de Navarre, Marot, Rabelais, sont méconnoissabies, et qui ne fera pas connoître trois autres personnages assez célèbres, il est vrai, dans leur province, mais dont lat gloire, à peu près resserrée sur les bords de la Saône, ne devra pas au Vaudeville une plus grande illustration.

Les trois héroïnes sont Louise Charli, Clémence de Bourges, et Aglaé Duguillet. Ces trois femmes, contemporaines et amies, avoient ressenti à Lyon l’influence du mouvement qu’imprimait alors à son siècle le restaurateur des lettres, François Ier. Louise surtout a laissé de longs souvenirs dans sa patrie, et le nom de la Belle Cordière vit encore dans le quartier qu'elle habita. On la représente dans le vaudeville comme une guerrière intrépide, également chère à Vénus, aux Muses et à Bellone, sur quoi un des personnages (Marot, si je ne me trompe) observe très sensément qu’il n'est pas grand admirateur de ces Amazones redoutables qui, suivant l'expression de J. J. Rousseau, en se faisant de notre sexe, perdent sans compensation tous les avantages du leur. Les deux autres, moins connues que la Belle Cordière, sont cependant citées avec honneur dans les ouvrages de biographie, et dans les mémoires particuliers où l’on trouve tout quand on veut se donner la peine de chercher, mais où l'on ne cherche guère parce que les trésors qu'ils renferment ne valent pas les frais de l'exploitation. Cependant, comme les noms des Trois Saphos appartiennent à l'histoire littéraire de la France. et à l'époque où cette histoire commence a avoir quelqu'intéret pour nous, on ne peut pas savoir mauvais gré aux auteurs d'avoir voulu raccommoder notre mémoire avec leur souvenir.

Louise, Clémence et Aglaé ont chacune un amant : c'est dans dans l'ordre ; mais par une fatalité attachée à la communauté de sentimens qui les rapproche et qui les lie, toutes les trois sont fâchées avec lui. La cause est grave : il s'agit d'un rendez-vous auquel aucun d'eux ne s'est trouvé.

On apprend, à l'ouverture de la scène, que le jour même, Marguerite, reine-de Navarre, sœur de François Ier, cette princesse bien plus chère aux Français à un autre titre puisqu'elle fut la grand’mère de Henri IV, doit faire son entrée à Lyon. Marcel, Eugène, Edmond, amans disgraciés, quoique toujours chéris, sont à la tête de la garde bourgeoise qui doit former le cortège de la reine. Le podestat leur donne ses ordres pour l’entrée et la cérémonie. Le podestat est une espèce d’imbécille à prétentions, un vrai Bailly de village qui parle toujours de son esprit, et qui ne dit ou ne fait que des sottises. C'est une invention qui blesse également les probabilités et les convenances. On ne peut raisonnablement supposer un sot de cette force à la tète de la seconde ville du royaume.

Dans le nombre des divertissemens que l'on prépare, le podestat se fait honneur d'avoir imaginé le spectacle d'une Cour d’Amour. Dans la vérité, c'est la galante Marguerite qui, voulant se donner ce plaisir, a manifesté d'avance ses intentions On sait que l'institution de ces Cour d’Amour remonte aux premiers temps de la chevalerie, où tous les Français, dévoués à leurs maîtresses autant qu'à leur roi et à leur Dieu, mettoient infidélité envers les femmes presqu’au même rang que la félonie et le sacrilège. Un chevalier, prévenu d’avoir trahi la dame de ses pensées, d'avoir blessé sa délicatesse par des indiscrétions, ou offensé son honneur par des propos injurieux, étoit cité et comparoissoit ou en personne ou par un second devant les tribunaux que la coutume avoit établis, et dont elle obligeoit de respecter les arrêts : tant il est vrai que les mœurs sont quelquefois aussi puissantes que les lois, et suppléent du moins efficacement ou à leurs lacunes ou à leur silence. On peut voir dans Brantôme les punitions ordinairement très sévères, quelquefois très plaisantes, prononcées par ces cours. Si l'historien est exact, il en cite quelques unes qui semblent plus propres à multiplier qu'à effrayer les coupables.

Clément Marot est exilé de Lyon, on ne dit pas précisément pourquoi : c'est pour des vers badins, assure-t-on : le prétexte n’est pas admissible. François Ier, qui trouvoit très bon que sa sœur imprimât les Cent Nouvelles, et dont les mœurs étoient plus que faciles, n'auroit pas puni de l'exil quelques vers du même genre que l’Heptaméron. Marot, qui n’avoit sauvé sa tête à genève qu’aux dépens de ses épaules, pouvoit bien être banni pour nn motif plus plausible et plus vraisemblable.

Rabelais, de son côté, sur l’ordre de Marguerite, s’est rendu à Lyon. Autrefois cordelier, il a quitte saint François pour Hippocrate ; il est médecin dans le cours de la pièce ; à la fin, il revient à ses premières habitudes ; la reine lui promet le prieuré de Saint-Maur et la cure de Meudon.

Puisque Rabelais est mandé à Lyon, la reine avoit un but, et ce but n'est pas même indiqué. L'inutilité d'un personnage marquant (qui le sait mieux que M. Barre ,) est la mort d'un ouvrage dramatique. Rabelais doit agir, intriguer, surtout égayer : or, tout son rôle consiste à répéter une douzaine de fois son juron de : Vive Dieu ! et à se constituer à la fin l'avocat d'Eugène. Ce n'étoit pas la peine de lui faire faire deux cents lieues.

La même réflexion s'applique au rôle de Marot, qui ne sert pas plus que celui de Rabetais, à la marche de l'ouvrage. Ces deux hommes si enjoués dans leurs écrits, ont paru d'un froid glacial sur la scène. Marot défend devant la cour d’amour la cause de Marcel.

La reine a voulu nommer elle-même les membres de cette cour : elle lui fait l’honneur de la présider et les trois Saphos désignées par elle seront ses trois premiers conseillers. A l'ouverture du troisième acte, on voit la salle d'audience ; le fond en est encore caché par un rideau rehaussé d'or, et décoré des armes de Navarre. Le podestat est occupé à recevoir les innombrables placets des amans malheureux, des maris mécontens. des vieilles femmes abandonnées, des maîtresses trahies. Le rideau s'ouvre, et on aperçoit la reine sur un. trône magnifique, revêtue d'une robe qu'enrichissent la pourpre et l’hermine. Six femmes siègent à droite et a gauche à ses côtés ; on appelle et on expédie d'abord quelques affaires d'une assez médiocre importance.

Viennent enfin les trois grandes causes : celle de Marcel est la prmeière ; son crime est de s’être endormi au rendez-vous où il a prévenu sa maitresse. Marot, son défenseur, le justifie en assurant que toute la nuit il avoit veillé pour elle ; son sommeil a donc été involontaire et par conséquent graciable. L'indulgente Clémence se rend à une raison aussi peremptoire, et elle pardonne d'autant plus volontiers, qu'elle suppose que son image a occupé les songes de son amant.

Eugène est plus coupable : il a manqué le rendez-vous d’un quart d'heure ; mais Rabelais l'absout de ce tort avoué et réel par un moyen qui, dans ses principes et d'après sa tournure d'esprit, est un excellent moyen justificatif. Eugène s'étoit oublié et avoit oublié l’heure dans un souper où il avoit vidé plusieurs verres à la santé de son amie, en buvant un coup à chacun de ses appas ; sa raison avoit du promptement s'égarer. Cette doubie ivresse de t'Amour et de Bacchus trouve aisément sa grâce aux yeux d'Aglaë qui se réconcilie et dont le pardon est aussitôt sanctionne par la cour.

Edmond paroît plus difficile à excuser ; mais il n'a manqué à la parole donnée à Louise que pour tenir un engagement plus inviolable que lui a a imposé l'honneur : il a dérobé les momens promis au plaisir pour venger Louise des prétentions et des railleries insolentes d'un rival. La belliqueuse Louise est forcée d'applaudir aux motifs généreux d'une aussi légitime absence : elle prononce l'absolution, et la cour la confirme tout d'une voix.

Un courrier du roi vient apporter à Marguerite la grâce de Marot qu'elle a sollicitée depuis long-temps, et elle part pour Paris avec le poëte aimable et le joyeux curé de Meudon.

On a mis dans ce vaudeville tout ce dont un vaudeville peut et doit se passer ; du spectacle; de belles robes, de beaux uniformes rouges, des marches, des chœurs presqu'aussi nombreux et aussi brillans que ceux de Castor et Pollux : on y a omis l’essentiel, l’esprit, la gaîté, et même cette sorte d'intérêt dont le genre est susceptible comme tout autre, je veux dire celui qui résulte d'une action progressive et de caractères bien tracés et naturellement développés.

Le public a été sévère On a demandé les auteurs; mais leurs noms ont à peine été entendus ; et la basse-taille de Saint-Léger, qui s'est chargé de les faire connoître, a été presque étouffée sous le bruit des instrumens à vent qui ont formé le final du dernier acte.                     C.

Le Nain jaune, ou Journal des arts, des sciences et de la littérature, 1815, volume Ier, n° 344 (5e année), 20 janvier 1815, p. 83-85 :

[Compte rendu original, pour une pièce dont l’échec est inattendu : pour l’essentiel, l’article donne ironiquement toutes les raisons de cet échec (pas de plan, d’intrigue, d’action, pas de comique), et invite ensuite les auteurs, toujours ironiquement, bien sûr, à en tirer la conclusion qui s’impose : leur époque est passée, et ils doivent se retirer, laissant la place aux jeunes...]

PET1TS THÉATRES.

Vaudeville. — Rien n'avait été épargné pour le succès des Trois Saphos Lronnaises ; cette pièce, composée depuis longtemps, était mise en réserve pour la saison la plus fructueuse de l'année ; œuvre de prédilection de trois auteurs en crédit, les principaux rôles en avaient été confiés aux premiers sujets ; depuis deux mois le décorateur et le costumier donnaient l'essor à leur imagination, et déployaient toutes les ressources de leur talent pour concourir au succès qu'on attendait. Tout était calculé pour qu'il fût grand et illustre, pour qu'il fît époque dans les fastes du Vaudeville, et qu'il renouvelât le prodige de Fanchon, tous les prestiges du théâtre devaient y concourir. Mais ne voilà-t-il pas que le jour de la première représentation, le public, qui se fait un plaisir du désappointement des auteurs, va s'aviser de ne pas s'amuser, il se permet d'exiger de l'esprit dans une pièce de MM. Barré, Radet et Desfontaines, il a la sotte prétention de vouloir un plan, une intrigue et de l'action en trois actes ; il se permet de s'ennuyer à la fin du second, et de siffler au troisième ; il trouve mauvais que Marot et Rabelais, les deux hommes les plus spirituels du seizième siècle, ne chantent que des couplet insignifians ; il se plaint hautement de ce qu'au milieu d'une douzaine de personnages il n'y en ait pas un de comique. On conviendra qu'il était difficile de trouver un public plus ridicule et plus exigeant, et je conviens que j'ai été scandalisé de ses prétentions ; cependant, j'ai cru reconnaître une certaine justice dans ses sifflets. Un poëte persan avait trouvé le secret d'expliquer le gazouillement des oiseaux ; j'ai cru pouvoir expliquer les sifflets de la pièce nouvelle.

« J'ai cru leur entendre dire à MM. Barré, Radet et Desfontaines : Messieurs, depuis long-temps vous courez la carrière dramatique, vous y avez obtenu beaucoup de succès, vous y avez acquis autant de gloire que de profit, un grand nombre de vos ouvrages resteront comme des modèles de génie ; mais tout s'use dans ce monde, et Voltaire, qui avait presque autant d'esprit que vous, a fini par Irène.

» Croyez-nous, abandonnez le théâtre, vivez sur votre vieille réputation, contentez-vous d'avoir été comparés pendant vingt ans à Piron et à Favart ; ne dévouez plus vos cheveux blancs à nos affronts ; laissez cultiver le domaine du Vaudeville, que vous avez si heureusement défriché, par les jeunes gens qui vous y succèdent. Ce genre demande surtout de la fraîcheur, de l'imagination, la verve de la gaieté, et le piquant des saillies, qu'on ne trouve que dans la jeunesse. Croyez que des chansonniers de soixante-dix ans ressemblent bien plus à des Cassandres qu'à des Anacréons; et persuadez-vous bien que vous n'êtes plus au courant de l'anecdote de la veille, du ridicule du jour, et de l'esprit du moment, qui sont les trois élémens du succès du vaudeville ». Voilà ce que j'ai cru entendre dire aux sifflets, qui ont fait tomber les Trois Saphos Lyonnaises. Je laisse à MM. Barré, Radet et Desfontaines à décider si je me suis trompé.

Le Nain jaune, ou Journal des arts, des sciences et de la littérature, 1815, volume Ier, n° 345 (5e année), 25 janvier 1815, p. 104 :

[Finalement, des coupures ont suffi, et les trois maîtres du Vaudeville n’ont pas perdu la main...]

PETITS THÉATRES.

Vaudeville.—Les Trois Saphos lyonnaises ont reparu avec succès à la deuxième représentation et aux suivantes. Cet ouvrage, que les journaux ont jugé peut-être trop sévèrement, est revu aujourd'hui avec plaisir. Les auteurs ont adroitement coupé dans la pièce ; ils ont su, avec leur grande habitude du théâtre, la débarrasser des longueurs. C'est aujourd'hui un ouvrage fort agréable, et qui peut attirer la foule, étant soutenu avec des nouveautés que le publie revoit avec plaisir, telles que la Vénus Hottentote, les Visites du jour de l'An et le Voile d'Angleterre.

Annales lyonnaises, XXXIIe livraison (2.e année), Lyon, 28 Janvier 1815, p. 1-5 :

[Dans la patrie des trois dames, un article reprenant un journal national, et faisant l’éloge des trois poétesses, plutôt que de parler de la pièce. On note une allusion à une possible homosexualité, liée bien sûr à l’emploi de la référence à Sappho (mais c’est bien sûr une allusion perfide !]

VARIÉTÉS.

Sur les trois Saphos Lyonnaises, vaudeville nouveau.

Est-ce un honneur qu’on a rendu, est-ce un outrage qu’on a fait à trois femmes célèbres par leur esprit et leur beauté ? On a exposé aux sifflets trois jolies femmes accoutumées de leur vivant aux hommages et. aux adorations. Je doute que le patriotisme puisse faire réussir le vaudeville nouveau, même à Lyon, et cependant il réunit dans le même cadre le portrait de trois illustres Lyonnaises. Le peintre qui fait le portrait d’une femme, est bien excusable de la flatter un peu ; il serait même coupable de lèse-galanterie s’il ne se conformait à cet usage, qui satisfait à la fois l’amour propre du modèle et celui de l’heureux possesseur du portrait ; l’intérêt du peintre n’y perd rien. Innocent commerce de flatterie, où tout le monde trouve son? compte.

Ce n’est ni sous le rapport de l’esprit, ni sous celui des grâces et de la beauté, que les auteurs ont flatté la plus célèbre de leurs trois Sapños. S’il faut en croire la tradition, quelque belles, quelque aimables que puissent être les trois actrices qui représentent Louise, Perrine et Clémence, ces belles Lyonnaises n’auraient rien perdu à paraître sous leurs propres traits ; mais, Si-l’on s’en rapporte au témoignage de quelques chroniqueurs contemporains, il n’est sur aucun de nos théâtres une comédienne, même parmi celles qui usent le plus librement du joli privilége de leur indulgente condition, près de qui Louise Charly-Labbé (la belle Cordière) n’eût en fort mauvaise grâce à faire la prude.

Elle se crut sans doute obligée de prouver que la nature ne s’était pas trompée en la créant femme ; car, sans les charmes de sa figure, on aurait pu douter de son sexe. A quatorze ans, entraînée par son goût pour les exercices militaires, elle porta les armes contre les Espagnols, et se signala dans plusieurs occasions. Quelques poètes du temps ont célébré-ses exploits :

En s'en allant toute armée,
Elle semblait parmi l'armée
Un Achille ou un Hector.

Au siége de Perpignan , elle était déjà fameuse sous le nom du capitaine Loys. Ce capitaine de seize ans prit sa retraite ; et, comme les habitudes guerrières de Louise n’avaient pas étouffé les heureuses dispositions qu’elle avait montrées dès son enfance pour la musique, la poésie et les langues savantes, elle se livra à l’étude dont elle adoucissait l’austérité par de galantes distractions. Elle eut cependant la sage précaution de se ménager un établissement auquel elle dut une grande fortune, accessoire qui ne nuit jamais au culte des lettres, ni même à celui de l’amour. Elle épousa Ennemond Perrin, qui avait acquis des richesses considérables dans un gros commerce de câbles et de cordages.

On lit dans les œuvres de Louise Labbé, que son mari possédait plusieurs maisons dans Lyon, et qu’il occupait un terrain très-étendu dans lequel se trouvaient réunis quatre ateliers, des magasins propres à son négoce, un logement commode et un jardin spacieux et agréable. Ce jardin avait une issue sur la place Bellecour, et ce fut dans la longueur de ce même terrain que l’on ouvrit une rue qui prit le nom de Belle-Cordière, qu’elle conserve encore.

Ces détails rendent vraisemblable ce qu’on raconte de sa fortune, qui lui permit/de former une grande bibliothèque des meilleurs auteurs dans tous les genres. Sa maison était le rendez-vous de tout ce qu’il y avait à Lyon de personnes de distinction, de savans et de gens d’esprit. C’était une académie où chacun trouvait à s’instruire et à s’amuser ; car le jardin de la belle Cordière était plus gai que celui de l’athénien Academus, où il était expressément défendu de rire.

La conversation, le chant, les instrumens, la lecture : tout était employé par la muse qui présidait au temple pour charmer ceux qui le fréquentaient. La galanterie venait animer et embellir ce docte et agréable séjour ; et la belle Louise, qui voulait que rien ne manquât à leurs plaisirs, se fit un devoir de ne jamais refuser ses faveurs à ceux qui savaient les demander avec esprit et avec grâce.

On sent que si le portrait de la belle Cordière eût été d’une ressemblance trop exacte, il n’aurait pas trouvé place dans la scrupuleuse galerie du vaudeville, où Fanchon la vielleuse n’a été admise qu’en empruntant les traits d’une amante sensible, délicate et fidèle.

Il y aurait eu d’ailleurs de l’ingratitude à des auteurs à ne pas user d’indulgence pour des fautes que la coupable ennoblissait par le choix de ses complices. « Qu’on ne croie pas, dit un historien, que toute sorte de personnes eût part aux faveurs de la belle Cordière ; il fallait être ou homme de condition, ou homme de lettres, et même ceux-ci étaient toujours préférés aux premiers. Dans la concurrence d’un savant ou d’un homme de qualité, elle faisait plutôt courtoisie à l’un gratis, qu’à l’autre pour un grand nombre d’écus.»

Hommes de lettres, partez pour Lyon. On assure. que la descendance féminine de Louise y existe encore, et a conservé ses principes.

Plus heureuse que la princesse qui avait pris pour devise, courte et bonne, Louise poussa très-loin sa voluptueuse carrière. L’âge, loin d’affaiblir son goût pour le plaisir, sembla lui donner-une nouvelle ardeur ; elle en fait elle-même, dans les vers suivans, un aveu qui prouve quelle avait de moins que bien des femmes qui vivent comme elle, le. vice de hypocrisie :

Le temps met fin aux hautes pyramides ;
Le temps met fin aux fontaines humides ;
Il ne pardonne aux braves colisées ;
Il met à fin les villes plus prisées.
Finir ainsi il a accoutumé
Le feu d’amour, tant soit-il allumé.
Mais las ! en moi il semble qu’il augmente
Avec le temps, et que plus me tourmente.

Il est permis de douter un peu de la vertu sévère de Cléémence. de Bourges, contemporaine de la. belle Cordière, quand on sait qu’elle fut son amie intim. Louise et Clémence, regardées comme les deux prodiges féminins du seizième siècle, vivaient dans la plus tendre union ; on les citait comme un rare exemple d’une sincère amitié entre deux jolies femmes ; mêmes goûts, rapports parfaits de caractère et d’humeur, même penchant à l’amour. La malignité, en donnant une sanction perfide au surnom de Saphos modernes que leur décernait l’admiration publique, prétendait que chacune d’elles donnait une rivale à son amant.

La jalousie rompit ces beaux nœuds. Louise trahit son amie et lui-enleva-l’homme qu’elle aimait. La haine 1a. plus envenimée remplaça l'amitié la plus tendre. Satires, épigrammes, diatribes, telles furent les armes qu’employèrent les deux ennemies. Les dames Lyonnaises, jalouses de l’éclat qui environnait ces deux fortunes, triomphèrent de les voir s’injurier et s'humilier réciproquement. L’opinion publique se prononça pourtant en faveur de Clémence, et son nom doit être honorablement consacré dans les fastes de l’amour et de la fidélité. Elle aima Jean Dupeyrat, homme d’une grande distinction ; l’hymen allait couronner leur tendresse, lorsque Dupeyrat fut tué au siége de Beaurepaire. Clémence ne survécut pas à son amant. Elle mourut de douleur. Ses funérailles furent une espèce de triomphe qui ne s’est pas renouvelé depuis elle. On la promena par toute la ville, le visage découvert et la tête couronnée de fleurs.

La troisième des Saphos est Perrine ou Pernette Duguillet, dont les auteurs ont changé le prénom plébéien en celui d’Aglaé. La médisance a toujours respecté sa vertu, qui donnait un nouveau lustre à son esprit et à ses talens. Elle jouait de plusieurs instrumens avec une grande supériorité, et écrivait en espagnol, en italien et en latin, aussi bien que dans sa langue maternelle. Ses ouvrages sont dédiés aux dames Lyonnaises. M.me Dubocage a suivi cet exemple, en dédiant aux femmes sa tragédie des Amazones. '

(Extrait du Journal de Paris.)

Mercure de France, volume 62 (janvier-février 1815), n° DCLXVIII (janvier 1815), p. 110-111 :

[Après un résumé succinct de l’intrigue, le critique se montre sévère avec la pièce, « longue, froide », sans mots heureux, sans couplets saillants. La solution proposée : la réduire de trois à deux actes, voire un seul. Les interprètes féminines sont citées, l’une pour être félicitée, les trois autres pour recevoir un jugement bien ambigu (si « personne n’a été tenté de les imiter », c’est qu’elles étaient inimitables, ou franchement mauvaises). A noter : une des qualités de madame Hervey, c’est son « art du jeu muet » : elle joue même quand elle ne parle pas. Beaucoup d’acteurs ne se comportent pas ainsi.]

Théâtre du Vaudeville. — Première représentation des Trois Sapho Lyonnaises, ou la Cour d'Amour.

La scène est à Lyon, tout y est en mouvement pour célébrer l'arrivée de Marguerite, reine de Navarre. Rabelais qui l'accompagne, et Clément Marot qui a été exilé dans cette ville, se chargent de plaider à la Cour d'Amour II y a trois accusatrices, Louise Charly, Clémence de Bourges, et Perrine du Guillet (célèbre lyonnaise). Ces dames accusent leurs amans, l'un de s'être endormi au rendez-vous où il attendait sa maîtresse, l'autre d'y être venu gris et la troisième de n'y être pas venu du tout. Marot défend le premier, Rabelais le second, l’autre se défend lui-même ; son plaidoyer n'est pas long et parait victorieux : il n'est pas venu au rendez-vous, parce qu'il se battait pour sa maîtresse avec un jeune étourdi qui l'avait offensée par des propos indécens. Les six amans se réconcilient et s'épousent.

Cette nouvelle production est de MM. Barré , Radet et Desfontaines ; son principal défaut est d'être longue, froide, et de n'être animée ni par des mots heureux, ni par des couplets saillans : tout le monde disait au foyer qu'ils feraient bien de réduire leur pièce en deux actes, et même en un ; j'avoue que je pense comme tout le monde.

Madame Hervey, qui joue le rôle de Marguerite, présidente de la cour d'amour, a été ce qu'elle est toujours, agréable, piquante et enjouée ; peu d'actrices poussent aussi loin qu'elle l'étude et l'art du jeu muet : Mesdemoiselles Desmarres., Arsène et Rivière, représentent les trois dames qui viennent se plaindre. Elles ont joué de manière à ce que personne n'a été tenté de les imiter.                        A. D. C.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 20e année, 1815, tome I, p. 170 :

[Froideur, manque d’action et d’intérêt : la pièce n’a pas vraiment réussi, puisqu’il a fallu la réduire de trois à deux actes.]

THÉATRE DU VAUDEVILLE.

Les trois Saphos Lyonnoises, ou une Cour d’Amour , vaudeville joué en trois actes, le 16 Janvier 1815 et remis en deux actes à la sixième représentation.

On attend dans la ville de Lyon Marguerite de Valois, sœur de François I, le Podestat se donne beaucoup de peine pour lui faire une belle réception; il est aidé par Clément Marot, qui se trouve exilé dans cette ville pour quelque vers un pet trop gais, et par Rabelais qui arrive là à point sommé. Louise Charles, Clémence de Bourge, et Perine du Tillet, dont les auteurs ont changé le nom bourgeois en celui d'Aglaé, doivent célébrer par des vers la présence de la Reine, et leurs amans commandent la garde bourgeoise qui doit aller au devant d'elle. Les trois Saphos sont brouillées avec leurs trois amans, pour trois rendez-vous manqués. Elles ne veulent point entendre leur justification : mais Marguerite a ordonné une Cour d'Amour, et c'est là que les trois jeunes gens viennent se justifier. Clément Marot et Rabelais plaident pour deux d'entre eux, le troisième plaide pour lui-même. Ces Dames,.qui dévoient être juges, deviennent accusées, et elles sont condamnées à se raccommoder avec leurs amans. Marguerite apprend à Marot qu'elle a obtenu sa grâce ; à Rabelais, qu'il est nommé curé de Meudon, et tout finit par des chansons.

Cette pièce a paru froide; elle manque surtout d'action et d'intérêt, qu'il auroit fallu racheter par du comique. Elle n'a eu qu'un demi-succès. Les auteurs sont MM. Barré, Radet et Desfontaines.

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