Le Tartuffe révolutionnaire, ou la Suite de l’Imposteur

Le Tartuffe révolutionnaire, ou la Suite de l’Imposteur, comédie en trois actes, en vers, de Népomucène-Louis Lemercier, auteur de Méléagre (1788), 21 prairial an 3 [9 juin 1795].

Théâtre de la République.

Pièce non imprimée, d'après Jules-Antoine Taschereau, Histoire de la vie et des ouvrages de Molière 3e édition, 1844), p. 292 L'auteur signale l'existence d'un autre Tartuffe révolutionnaire, dont le sous-titre est le Terroriste, comédie en prose en trois actes, de Balardelle, juge au tribunal criminel de Bruxelles, publiée à Dunkerque, Brouillard an 4, in-8°, non représentée (et sans rapport avec la pièce de Molière).

Le Journal de Paris signale bien la première représentation dans son numéro du 21 prairial an 3 [9 juin 1795]. La base César propose comme date de première représentation le 20 décembre 1794, soit le 30 frimaire an 3 (mais c'est une erreur).

Titre :

Tartuffe révolutionnaire (le), ou la Suite de l’imposteur

Genre

comédie

Nombre d'actes :

3

Vers / prose

vers

Musique :

non

Date de création :

21 prairial an 3 (9 juin 1795)

Théâtre :

Théâtre de la République

Auteur(s) des paroles :

Lemercier

Almanach des Muses 1796.

Pièce où l'on a suivi fidèlement l'intrigue de celle de Molière. Au lieu de se cacher sous la table ronde pendant que Tartuffe cherche à séduire sa femme, Orgon est dans une armoire sur laquelle on a mis les scellés. Irrité par la résistance de celle qu'il aime, ce scélérat annonce qu'il a tout prévu, que les biens de son mari vont passer sous ses mains, et qu'il consent encore à les partager avec elle. Il s'avance pour briser les scellés de l'armoire. L'épouse d'Orgon frémit. Tartuffe, sans s'émouvoir, répond, au lieu de ce vers fameux.

Madame, je sais l'art de lever les scrupules.

Par celui-ci :

Madame, je sais l'art de lever les scellés.

Il les brise en effet. Orgon sort de sa retraite : la confusion de Tartuffe est au comble. Il cherche à reprendre son audace : mais elle est confondue par l'arrivée des meilleurs Républicains de sa Section, éclairés sur ses crimes. L'imposteur révolutionnaire reçoit le châtiment qu'il préparoit à l'innocence et menace encore au dernier moment.

La Décade philosophique, littéraire et politique, an iii, tome cinquième (de début Germinal à fin Prairial), n° 42 (30 Prairial) p. 554-558

THÉATRE DE LA RÉPUBLIQUE.

Tartuffe révolutionnaire.

C'est une entreprise difficile de continuer un grand homme, et sur-tout, si cet homme est Molière.

Fabre d'Eglantine, dont les amis du théâtre doivent regreter la perte, et qui vivrait encore peut-être, s'il n'avait pas appliqué aux affaires publiques le génie de l'intrigue qu'il devait réserver pour la comédie ; Fabre eut cette heureuse hardiesse, dans la Suite du Misantrope. Son troisième acte de Philinte parut digne de l'école de Molière. Si, dans cet ouvrage, le style avait répondu aux conceptions vraiment dramatiques, l'auteur occuperait une place très-élevée parmi les écrivains du même genre. Mais le style lui manque trop souvent. Le sien est incorrect, pénible et bizarre, et n'a presque jamais cette facilité et ce naturel qui donnent tant de charme aux pièces d'un rival qu'il n'aimait pas, et que le goût doit lui préférer.

Le jeune auteur du Tartuffe révolutionnaire, comédie en trois actes, qu'on a donné le 21 prairial, au théâtre de la République, a voulu marcher aussi à la suite de Molière. Mais, comme Fabre, il n'a point créé de nouveaux ressorts, et placé ses personnages dans de nouvelles situations. Il a craint d'être infidèle au génie de Molière , et il l'a suivi avec plus de respect.

Son Tartuffe révolutionnaire, comme le tartuffe religieux, s'est introduit dans une maison gouvernée par son ascendant.

Ici, l'on trouve également un mari imbécile, qui a épousé toutes les opinions du nouveau Tartuffe ; une femme vertueuse, sur qui ce dernier a les mêmes vues ; des enfans et des valets, révoltés du triomphe de l'hypocrisie, et qui se liguent entre eux pour s'en venger.

Une des scènes qui a été le plus applaudie, est une imitation heureuse de celle où Orgon, caché sous la table, entend la déclaration d'amour de son hôte à sa femme.

Le Tartuffe révolutionnaire, comme celui de l'autre siècle, fait arrêter le mari qu'il veut tromper en feignant d'être son ami. Au moment où on vient enlever le mari, le Tartuffe s'offre pour être la caution de la femme, reste avec elle, et lui déclare son amour. Mais les termes du civisme moderne qu'il emploie, ne peuvent être d'un effet aussi heureux et aussi comique que l'alliance des expressions de la mysticité et de l'amour.

Cependant le mari, qu'on croie emprisonné, est témoin de cette perfidie. On a pris, à sa place, son fidèle domestique, au milieu du désordre, et à l'aide des nouveaux costumes qui confondent toutes les conditions. Le nouvel Orgon est caché dans une armoire de l'appartement où son faux ami cherche à le déshonorer. Les scellés ont été mis sur cette armoire ; c'est là que Tartuffe a persuade au crédule mari de déposer ses effets les plus précieux, en lui promettant de veiller à leur conservation. Il y veille en effet, mais pour les enlever. Il veut s'emparer à la fois des trésors et de la femme de sa victime. Quand il voit la résistance et l'indignation de celle qu'il aime, alors il emploie les derniers moyens. Il lui annonce qu'il peut tout, qu'il a tout prévu; que les biens de son mari vont passer dans ses mains, et qu'il consent encore à les partager avec elle. Il s'avance pour briser les scellés de l'armoire. L'épouse d'Orgon frémit de cet attentat. Tartuffe, sans s'émouvoir, répond, au lieu de ce vers fameux :

Madame , je sais l'art de lever les scrupules,

par celui-ci :

Madame, je sais l'art de lever les scellés.

Il les brise en effet. Orgon sort de sa retraite : la confusion de Tartuffe est au comble. Il cherche à reprendre son audace ; mais elle est confondue par l'arrivée des meilleurs républicains de sa section, éclairés sur ses crimes. L'hypocrite reçoit le châtiment qu'il préparait à l'innocence, et menace encore au dernier moment.

Des vers heureux, des allusions piquantes, des détails agréables ont été souvent applaudis dans cet ouvrage. On voit, d'après l'idée qu'on vient d'en donner, ce qui peut y manquer du côté de l'intrigue et des caractères.

Certainement la philosophie et la liberté ont eu leurs tartuffes comme la religion. Les vices et les passions de l'homme sont toujours les mêmes, et ne varient de siècle en siècle que par des formes et des nuances nouvelles. La comédie avait droit de s'emparer du Tartuffe philosophe ou démagogue, comme du dévot; mais alors il fallait donner à ce caractère les couleurs naturelles, et l'environner des accessoires qui produisent l'illusion.

Le démagogue devait être montré, si je ne me trompe, au milieu du peuple, dont il fait son instrument et sa victime, et qu'il appelle souverain pour mieux l'asservir. On aurait voulu le voir dirigeant et soudoyant les émeutes, et se moquant lui-même, avec ses confidens intimes, de la bassesse des moyens qui produisent de si grands effets. Il est vrai que notre révolution est plus fertile en grands événemens qu'en grands personnages. Il en est peu qui puissent exciter ou l'intérêt tragique, ou le rire de la bonne comédie. C'est ce qui distingue cette révolution de toutes les autres. La tragédie trouvera des sujets dans l'histoire de la ligue, parce que les chefs de la ligue et leurs adversaires ont été souvent de grands hommes. La comédie pourrait tirer aussi des querelles de la Fronde un tableau très-piquant, parce que les factieux de ce tems-là avaient des travers plaisans, et ne commettaient pas des actions atroces. Un homme- tel que Je cardinal de Retz, figurerait à merveille dans une comédie politique, à la manière d'Aristophane. Ce genre nous manque peut-être; et voici le moment de le traiter.

Mais il me semble que les démagogues modernes ne peuvent guère inspirer que le dégoût sur le théâtre. C'est à un Tacite , plus qu'à un Molière ou à un Racine, de peindre quelque jour cette époque désastreuse, qui lui fournira des images et des leçons plus terribles que le règne des Tibères et des Séjans.

Au reste, on ne peut trop encourager le zèle des écrivains dramatiques qui.poursuivent de toutes les manières les restes d'une faction qui a désolé la France. Le Tartuffe révolutionnaire est du citoyen Mercier, auteur de la tragédie de Méléagre et dud rame de Lovelace. Le talent qu'il montre dans sa comédie, ainsi que dans ses deux autres ouvrages, devient plus recommandable encore par les intentions du bon citoyen. Il a mérité, sous ce double rapport, les applaudissemens qu'il a reçus plus d'une fois. Ils ont redoublé à ces vers prononcés par le domestique d'Orgon :

. . . . . . . . . . Le nom de citoyen
Ne rime en bon Français qu'avec homme de bien.

Cette pièce est très-bien jouée. Baptiste l'aîné rend, avec son intelligence ordinaire, le rôle de Tartuffe ; Grandménil, celui d'Orgon ; Dugazon, celui du domestique. la citoyenne Vanhove met beaucoup de décence et d'intérêt dans le personnage de la femme d'Orgon.               F.

Méléagre est une tragédie en vers et en cinq actes écrite par Lemercier à seize ans et jouée en 1788 au Théâtre Français.

Magazin encyclopédique, ou Journal des sciences, des lettres et des arts, an troisième (1795), tome second, p. 272-273:

THÉATRE DE LA RÉPUBLIQUE.

Première représentation de Tartuffe rérolutionnaire, ou la suite de l’Imposteur.

Tartuffe révolutionnaire, comédie en trois actes et en vers, jouée pour la première fois le 21 prairial, n'a point eu de succès. Cette pièce est du citoyen Lemercier.

L'auteur de cette comédie est jeune encore, il ne se découragera point sans doute. Il faut qu'il ne regarde son ouvrage que comme un troisième essai qu'un autre plus heureux pourra suivre. Il a déjà donné au théâtre une tragédie intitulée Méléagre, et un drame en vers, intitulé Lovelace. Il avoit, dit-on, seize ans lorsqu'il fit Méléagre, joué il y a dix ans. C'était annoncer un talent bien précoce. Lovelace, quoique cet ouvrage n'ait point réussi, a prouvé des progrès, et son Tartuffe révolutionnaire, malgré l'échec qu'il vient d'essuyer, annonce assez de dispositions pour que le C. Lemercier puisse se flatter d'obtenir un jour des succès dan» cette carrière.

Cette pièce n'est point du tout la suite de l'Imposteur, comme le Philinte, de Fabre d'Eglantine, est la suite du Misanthrope. Le Tartuffe révolutionnaire n'est véritablement que la parodie du Tartuffe de Molière. C'est le même plan, ce sont les mêmes motifs de scènes, ce sont les mêmes situations. Que n'est-ce aussi le même style ? Seulement, au-lieu de tromper sa dupe par le masque de la dévotion, Tartuffe la trompe par le masque du patriotisme. C'est, si vous voulez, une imitation modeste et foible du chef-d'œuvre de la scène comique, mais ce n'en n'est [sic] point la suite orgueilleuse. On ne doit donc pas accuser l'amour-propre de l'auteur, d'une erreur qui a pu nuire à son succès.

Le sujet que le citoyen Lemercier a voulu traiter, exige un esprit plus mûr, un observateur plus exercé, et le talent du style qui, à ce qu'il paroît, n'est plus assez un objet d'étude pour quelques jeunes écrivains. Cependant il seroit injuste de ne pas reconnoître dans l'idée et la composition de cet ouvrage, de l'esprit, de la facilité, et quelques intentions comiques. Par exemple, l'auteur a parodié d'une manière assez plaisante, une partie de la scène admirable où Orgon se cache sous la table. Dans la parodie , il se cache dans une armoire sur laquelle on vient poser les scellés ; mais il en sort au moment où Tartuffe va les briser, pour s'emparer des effets au porteur que l'armoire renferme. Ce moyen de désabuser Orgon, est gai et théâtral. Mais la scène en elle-même est dépourvue de ce bel ensemble, de cette unité de but, et de ces préparations habiles qui contribuent à faire de la scène de Molière un chef-d'œuvre inimitable. La seconde représentation de cette pièce a eu moins de défaveur, et on a rendu justice à ce que l'ouvrage peut offrir de louable, soit comme parodie, soit comme expression de quelques vérités politiques que l'indignation commune a déjà popularisées.

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1795, volume 3 (mai juin 1795), p. 247-249 :

[Projet ambitieux, et réussite médiocre ! Mercier a voulu tracer le portrait du Tartuffe des temps nouveaux, et le critique n’est guère convaincu : la pièce arrive trop tôt (on ne peut pas encore faire le portrair du « faux politique »), ou trop tard (les terroristes ont été « démasqués depuis dix mois »). Il a repris de façon « servile » la trame de la pièce de Molière en la transposant à l’époque actuelle. La pièce n’est pas sans mérite, mais la comparaison est trop écrasante.]

Le tartuffe révolutionnaire, comédientu trois actes & en vers.

S'il étoit difficile de faire une Suite au Tartuffe de Moliere, il étoit sans doute téméraire d'oser imiter toutes les situations de cet ouvrage immortel, & de les présenter destituées de cette sorte de style & de logique qui caractérisoit ce grand maître ; il étoit d'ailleurs trop tôt on trop tard, pour offrir Tartufe révolutionnaire : trop tôt si l'on vouloit peindre un faux politique ; trop tard, si l'on donnoit à Tartuffe ou à ses agens, les moustaches, les pistolets, le grand sabre, tout l'attirail des terroristes, gens démasqués depuis dix mois, & dont mille caricatures dramatiques nous ont retracé à l'envi les traits horribles & gigantesques. La hardiesse de l’entreprise, une imitation trop servile, le peu d'effet des efforts de l’auteur, qui devoit s'attendre, qui s’étoit exposé même à être jugé comparativement, tout a nui au succès de Tartuffe révolutionnaire , ou la Suite de l’imposteur, dont deux mots suffiront pour faire connoître l’intrigue. Tartuffe est sorti du cachot où l'aventure d’Orgon l’a fait jetter : la révolution est arrivée, Tartuffe s'est fait ultra-révolutionnaire : il a trouvé un asyle dans la maison de Dufour, homme simple &. crédule; & là, comme chez Orgon, il séduit la femme de son bienfaiteur ; il le détache de son frere, de son fils, de toute la famille, & finit par le dénoncer, pour épouser sa femme & profiter de ses grands biens. Mêmes épreuves, mêmes moyens que dans l'ouvrage de Moliere : à la fin, Dufour va marcher en prison, lorsque son fils découvre la scélératesse de Tartuffe : pour derniere preuve, on trouve chez ce monstre la planche aux assignats, & i! est définitivement livré à la vengeance des loix.... Cet ouvrage n'est cependant pas sans mérite, & sans doute son jeune auteur eût été davantage encouragé, s'il ne se fût pas mis à côté d'un grand nom & d'un ouvrage sublime. Isolé de Tartuffe, avec d'autres noms, sa piece eût obtenu le degré d'estime qu'elle mérite ; mais, nous le disons aux auteurs dramatiques, le faux Politique, l’Hypocrite en révolution, sont encore des caracteres à tracer.

D’après la base César, la pièce est d’auteur inconnu. Elle a été jouée 10 fois au Théâtre français de la rue de Richelieu, du 20 décembre 1794 au 18 septembre 1795 (ce qui ne concorde pas avec les dates proposées par l’Almanach des Muses ou la Décade philosophique). La bonne date de début, c’est le 21 prairial an 3 [9 juin 1795].

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