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Les Voleurs

Les Voleurs, tragédie en prose en cinq actes, Creuzé de Lesserde Schiller ; imitée de l'allemand par A.C.D.P. [Creuzé de Lesser],

Le titre traduit plutôt mal die Räuber, le titre de la pièce de Schiller.

La pièce a été traduite par Friedel et Bonneville en 1785 dans leur collection du Nouveau théâtre allemand. Cette traduction a d'abord été utilisée par Laartelière pour écrire sa pièce Robert, chef de brigands, puis reprise par Creuzé de Lesser pour ses Voleurs.

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez la citoyenne Toubon, an 3 :

Les Voleurs, tragédie en prose, en cinq actes ; Par Schyller. Imitée de l'allemand, Par A. C. D. P.

Le livre de Schyller deviendra celui des âmes fortes, des jeunes gens, et peut-être des femmes ; oui, des femmes.

Préface.          

Le texte de la pièce est précédée d'une longue préface de l'éditeur, p. 3-11 :

(1) Nantes , 17 Juin 1793, an lle. de la République.          

L'ouvrage dont je présente au Public une imitation; est connu en Allemagne, par un succès dont il n'y a pas d'exemple dans l'histoire des théâtres, et que je suis loin de lui désirer en France, ni dans aucun autre pays. L'énergie singulière qui le caractérise, et le feu qui en embrâse toutes les parties, passa dans l'âme de la jeunesse de Fribourg en Brisgaw, où on le représentait. Des êtres aussi ardens et presque aussi sensibles que celui qui en est le héros, pensèrent devenir aussi coupables. Brûlans de marcher sur ses traces, et d'être comme lui des anges exterminateurs, ils formèrent une conspiration, qui ne fût découverte qu'au moment où ou allait en éprouver d'horribles effets, et qui depuis a fait proscrire la pièce des Voleurs, sur presque tous les theâtres de l'Allemagne. Le succès qu'elle a obtenu sur les autres, sans être non grand, a été moins dangereux.

Mon dessein n'est pas de m'étendre sur le mérite de ce gigantesque et magnifique chef-d'œuvre; je n'apprendrais rien à ceux qui le sentiront, et je n'ai rien à apprendre à ceux qui ne le sentiront pas. Pour moi je n'ai pu le lire sans obéir à l'enthousiasme qu'il commande : il est bien vrai que, si l'énergie de l'Allemagne y triomphe, trop souvent le goût de la France s'y fait regretter. Au milieu des éclairs qui brillent dans cet ouvrage, parmi une foule de scènes magnifiques, devant lesquelles pâlissent tant de beautés de notre theâtre, j'ai rencontré des longueurs rebutantes, des scènes hors de place, des traits d'une inconvenance de toutes les mœurs, et d'un mauvais goût de tous les pays. Jamais l'incorrection du génie n'a été aussi marquée, mais jamais aussi elle n'a tant mérité de disparaître ; j'ai eu l'orgueil ou plutôt le besoin de l'entreprendre. Jeune homme, cet ouvrage d'un jeune homme a allumé mon âme ; j'ai voulu éviter à cette production brûlante, l'affront d'être retouchée par une main sexagénaire ; j'ai pensé que, plein de Schyller, il était possible de perfectionner son ouvrage, autant qu'impossible de passer son talent. Aussi quelque succès qui puisse couronner cette édition de sa tragédie, n'oublierai-je jamais, et inviterai-je tous les lecteurs français à ne pas oublier qu'il en est l'auteur, le noble auteur. Glorieux et satisfait si l'on me prononce digne d'y avoir travaillé après lui ; en quelque contrée de l'Allemagne, ou de l'Europe que son goût ou sa destinée l'ait conduit, je désire qu'il lise ce que je viens d'écrire, et qu'il y croie,

M'occupant donc principalement de la gloire de l'art dramatique, et du plaisir de mes concitoyens, j'ai cru pouvoir profiter, pour le compte de Schyller, de quelques idées et de quelques détails tirés de Robert, chef de brigands, pièce tirée elle-même des Voleurs. Quoique le nombre en soit peu considérable, je dois cette déclaration au très-estimable auteur de cette production, après lequel je n'eusse assurément pas travaillé, si le désir de voir son ouvrage représenté en France, ne l'avait trop souvent réduit à énerver son original, qu'il a embelli quelquefois, et dont il n'a donné d'ailleurs qu'une espèce d'abrégé. On sait avec quel succès il a exécuté son dessein ; je citerai plusieurs morceaux excellens où son talent s'est montré digne de celui de Schyller, et qui prouveront combien il l'était d'exécuter ce que j'ai osé entreprendre.

J'ai également profité de la littérale et excellente traduction que MM. Friedel et Bonneville ont donné de la pièce des Voleurs, dans le douzième volume du nouveau théâtre allemand ; dans nombre d'endroits je me suis borné à les copier presque mot pour mot ; j'aurais fait mieux, s'il m'avoit été possible.

Quant à mon propre travail, ce n'est pas à moi à l'apprécier. Quoique Racine se soit dit l'auteur de Phèdre, j'ai trop peu mis du mien dans l'ouvrage qu'on va lire, pour me dire l'auteur des Voleurs ; mais peut-être aussi y ai-je trop mis pour ne m'en dire que l'éditeur : je me suis souvent livré à un genre de travail qui leur a donné plus de perfection, qu'il ne m'a donné de peine. Il n'est pas un homme au-dessus du médiocre, et ayant un peu réfléchi sur ce que c'est que le style, qui n'ait remarqué combien c'est une chose difficile ; quelles fines et imperceptibles nuances a à saisir, celui qui veut écrire ; combien sont délicates les fibres du cœur, et même de l'esprit ; combien, je ne dirai pas une phrase, mais un mot, mais une transposition, ou embellit, ou défigure et voile tout un passage. J'ai souvent ôté ce mot dans Schyller, et ce qui est resté a apparu dans tout son éclat ; j'ai eu tant de plaisir à rendre au jour tant de sublimes beautés, qu'on aurait tort de m'y trouver beaucoup de mérite : au surplus, sais-je si en voulant retrancher ses défauts, je n'en ai pas mis de ma façon ? On me jugera. Au surplus, le défaut que j'ai évité avec le plus de soin, a été d'affaiblir l'énergie de l'original ; j'ai même cru quelquefois l'avoir augmentée. Autant que je l'ai pu du moins, je lui ai conservé son caractère étranger, et souvent gigantesque ; j'ai même cherché à le prendre momentanément dans les scènes et détails que j'ai cru devoir, ajouter. De temps immémorial, presque tous nos traducteurs français ont cru de leur devoir d'énerver les ouvrages étrangers dont ils s'occupaient ; j'ai de beaucoup préféré le reproche contraire, et cependant j'espère prouver, même ici, que le goût ne m'est pas une chose étrangère : c'est le goût qui m'a dit, qu'obligé quelquefois d'ajouter à l'œuvre de Schyller, je devais donner à l'ensemble de la pièce l'unité de style, et l'y réunir à l'unité d'action, ou plutôt d'intérêt ; quant aux autres unités dont il est question dans les arts poétiques, il n'en sera pas ici question : ce n'est pas le lieu où je me propose d'en dire ma pensée ; ce sera à ceux qui y tiennent, de voir en essayant de lire cette tragédie, si elle contient assez de beautés de leur goût pour les dédommager de la privation qu'ils éprouveront à cet égard.

On voit que j'ai conservé à la pièce des Voleurs, le nom de tragédie qu'elle porte dans l'original. Quelques lecteurs français pourront se récrier ; mais peuvent-ils le lui disputer, si, autant et plus que toute autre œuvre dramatique, elle produit une impression profonde et des sensations tragiques? Au surplus qu'ils l'appellent comme ils le voudront : malheur à ce qu'on appelle tragédie, si ce qu'on va lire n'en est pas une.

Je n'estime pas assez toutes les opinions dramatiques de mes concitoyens, pour penser que, de longtemps au moins, cet ouvrage puisse être représenté sur un théâtre français ; beaucoup de raisons me semblent devoir s'y opposer ; quoiqu'il en soit, n'en étant tout au plus que le père adoptif, je verrai avec plus de tranquillité le sort quelconque qu'il subira sur la scène moins orageuse où je l'expose, et je m'occupe déja à le combiner. Toutes les ames froides ou refroidies, toutes celles qui sont molles, et celles qui sont remplies, pour notre littérature, d'une admiration trop exclusive, goûteront peu cette production : beaucoup de personnes crieront au mauvais goût, à la barbarie, au délire ! quelques-unes même condamneront sans retour et Schyller et moi-même, son éditeur, qui serai extrêmement sensible à leur décision : mais d'autres âmes fortes, pittoresques, sentimentales pourront en appeler. Il se pourra que la beauté des situations et des caractères, le feu des sentimens, le neuf des scènes, des pensées, et même des expressions les séduise toujours de plus en plus, et, qui sait, les remplisse pour Schyller d'une admiration scandaleuse. Un jeune homme enivré de son ouvrage, en citera les traits brûlans à sa maîtresse ; ils s'allumeront à sa lecture ; ils ne seront pas les seuls, et la fortune de la pièce sera faite. Oui, le livre de Schyller deviendra celui des ames fortes, des jeunes gens, et peut-être des femmes ; oui, des femmes.

Je ne puis mieux terminer la préface des Voleurs qu'en citant l'opinion que son auteur veut en donner : Je me reprocherais de priver les lecteurs de ce passage aussi original que son ouvrage. Après qu'un succès inoui l'a courronné, il imprime qu'il est détestable. Malgré ses nombreux défauts, et bien qu'il soit vrai qu'en beaucoup d'endroits, même des plus importans, il semble ne l'avoir qu'ébauché, je me garderai bien d'ajouter, comme les excellens traducteurs du théâtre allemand, qu'il a vraiment raison. Tous ceux qui sentent, jugeront à quel point il a tort. Voici ce passage ; il est extrait du prospectus d'un ouvrage périodique qu'il a publié après avoir quitté, pour cause de sa pièce, Wirtemberg, sa patrie, où il avait été élevé dans l'école militaire du duc de ce nom. Au milieu de quelque peu de galimathias, on retrouve sa manière noble et élevée à l'excès. Il ne faudrait pas que ce fût celle de tous les auteurs; mais il me semble qu'on est charmé de la rencontrer quelquefois.

« J'écris comme citoyen du monde ; je ne sers aucun prince ; de bonne heure j'ai perdu ma patrie pour l'échanger contre le genre humain que je connaissais à peine en imagination. Un singulier mal-entendu de nature, m'avait condamné à me faire poëte dans la ville où j'étais né ; mon penchant pour la poésie blessait, dit-on, les loix de l'institut dans lequel j'étais élevé. Mon enthousiasme a lutté pendant dix années entières contre un état pour lequel mon cœur n'était point fait. La passion pour la poésie est dévorante comme le premier amour ; ceux qui ont cru l'étouffer l'ont entretenue brûlante.

» Pour échapper à un contrat fait sans moi, dont j'étais la victime, mon cœur s'égarait dans un monde idéal. Ne connaissant ni le monde réel dont j'étais séparé par des liens de fer et des murs impénétrables, ni les hommes (tous ceux qui m'entouraient avaient cessé de l'être,) ni par conséquent les nobles penchans des êtres libres livrés à eux-mêmes, renfermé dans un cercle étroit où la nature à la gêne n'avait plus rien de sa grace, de son originalité, de son audace, ne connoissant point les chef-d'œuvres de la nature, (car on sait que les portes de cet institut ne s'ouvrent pour les femmes que lorsqu'elles n'intéressent pas encore, et lorsqu'elles ont cessé d'intéresser) ne connoissant donc ni les hommes ni leur destinée, mon pinceau devait nécessairement manquer le milieu entre l'ange et le démon, et produire un monstre qui heureusement n'existait pas, et auquel je ne souhaiterais l'immortalité que pour éterniser l'exemple d'une production enfantée par la subordination et le génie ; union qui répugne à la nature.

» Que le climat sous lequel je suis né soit toute mon excuse. Si, des plaintes sans nombre portées contre cette pièce, il en tombe une seule sur moi, c'est d'avoir osé peindre des hommes deux ans avant d'en avoir trouvé.

» Les Voleurs me coûtent ma famille, ma patrie. Dans un âge, où c'est encore la voix du grand nombre qui fixe notre inquiétude et détermine nos sentimens et nos pensées, où le sang bouillant d'un jeune homme se ranime aux doux regards qui l'applaudissent, où mille pressentimens d'une grandeur future entourent son âme exaltée, et où il entrevoit déjà dans l'avenir la divine immortalité, au milieu des jouissances des premiers éloges, qui des provinces les plus éloignées venaient me séduire, on m'interdit ma plume dans ma patrie, sous peine d'être renfermé Tout le monde sait la résolution que j'ai prise ; je me tais sur le reste : je ne me crois permis, sous aucun prétexte, d'en demander raison à un prince qui jusqu'à cet instant m'avait servi de père.

» A présent toutes mes relations sont dissoutes; le public est seul aujourd'hui mon étude, mon souverain, mon père ; c'est lui seul que je crains, que je respecte  ; je ne sais quoi de sublime s'empare de moi à cette idée ! Je n'aurai pour juge que le cœur de l'homme. »

Paris, 19 pluviðse,, l'an IIIe, de la république.          

Près de deux années se sont écoulées, et cet ouvrage n'a pas paru. Les lugubres évènemens qui ont rempli la France, les horreurs qui l'ont inondé pendant cet intervalle en ont été une triste cause. Il paraît aujourd'hui dans des jours et sous des auspices plus heureux : mais l'émotion qui a fatigué les ames subsiste encore. Les ames noircies long-temps de monstrueuses aventures et de forfaits sans exemple, frémiront à peine, peut-être, de ceux très-inférieurs dont on leur offre le tableau. Je n'ai rien changé à cet ouvrage, mais tout est changé pour lui. II y a deux ans, je craignais la force de son auteur : aujourd'hui, peu s'en faut que je ne redoute sa faiblesse. Il est horrible pour la France que tout ce que cette tragédie contient d'épouvantable en évènemens n'ait plus le droit d'y paraître trop extraordinaire, et soit devenu presque trivial. Long-temps en France, qu'était-ce que des voleurs de grands chemins ? qu'était-ce que leurs assassinats ? Qu'était-ce ?... Profitons au moins du seul avantage qui puisse résulter pour nous de la désastreuse époque qui a été. Nos âmes trempées par le malheur sont devenues capables de fortes émotions, se sont ouvertes aux beautés grandes, majestueuses pittoresques ; et désormais un trait sublime, un mot d'amour, et sur-tout un cri de douleur, répondra à toutes les ames allumées. Le passage est fait de notre littérature belle, mais étroite, mais comprimée, mais molle quelquefois, à une littérature plus vaste, plus libre, plus sentimentale et sur-tout plus énergique. Un beau trait tuera une belle critique. On disait autrefois les règles et puis le cœur ; on dira désormais le cœur et puis les règles : peut-être même en viendra-t-on à les lui soumettre toutes.

Quelles affreuses scènes se sont passées ! quelle carrière s'est ouverte à l'historien, au peintre, au poëte, à l'auteur dramatique ! quels tableaux offriront les Robespierre, les Carrier, les ...... Comme là on pourra peindre toute la beauté hideuse du crime : mais ces sujets ne sont pas mûrs pour notre génération. L'auteur destiné à s'immortaliser par leurs noires peintures sourit peut être dans son berceau, et un jour vengera les pleurs de sa mère.

En reportant mes pensées sur cette tragédie, je suis satisfait de son auteur ; il a tracé une série de crimes, et rarement néanmoins un plus beau monument a été élevé à la vertu. Jusques dans ses morceaux les plus forcenés, il la montre, toujours dans le lointain, belle, attrayante, telle que son image existe dans tous les cours honnêtes; et son héros, comme ses lecteurs, ivres de ses chastes attraits, ne sont pas un moment sans sentir tout le bonheur de la posséder, et tout le désastre de l'avoir perdue.

(1) Je n'ai jamais conçu pourquoi les auteurs ne dataient pas leurs préfaces, et même leurs ouvrages. Qu'est-ce qu'une préface, sinon une lettre qu'un auteur écrit au public ? Des nombreux avantages & agrémens qui peuvent résulter de cette forme, je ne citerai qu'un fait : c'est qu'en datant une préface, comme un bulletin, on évitera ces préfaces nombreuses & souvent nécessaires de la première, de la seconde, de la troisième édition. Je ne dis pas cela pour moi.

La Base César ne connaît pas la pièce de Creuzé de Lesser. Je n'ai pas trouvé de trace d'une représentation de la pièce de Creuzé de Lesser.

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