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Valentine de Milan

Valentine de Milan, drame lyrique en trois actes, composé entre 1807 et environ 1815, paroles de Bouilly, musique de Méhul, révision posthume par Joseph Daussoigne-Méhul, neveu du compositeur, 28 novembre 1822.

Opéra-Comique (salle Feydeau).

Sur la page de titre de la brochure, à Parus, chez Huet, 1823 

Valentine de Milan, drame lyrique en trois actes, paroles de J. N. Bouilly, musique posthume de Méhul, partition terminée par M. Daussoigne. Représenté pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre Royal de l’Opéra-Comique, le 28 novembre 1822.

Omnia vinct amor : et nos cedamus amori.

Virg., Buc.

L’amour triomphe de tout ; nous devons donc céder à l’Amour.

Le texte de la pièce est précédé d’une dédicace « aux Mânes de Méhul » :

AUX MANES DE MÉHUL.

Cet ouvrage fut l'objet de ta prédilection : tu mis un soin particulier à l'embellir des sons harmonieux de ta lyre immortelle. Te le dédier, c'est en quelque sorte te restituer ton bien.

Il m'a produit à moi la plus douce récompense que je pusse ambitionner : celle de voir déposer sur ton image chérie le laurier que mérite le grand talent, et de rendre à ta mémoire cet hommage du cœur qu'on n'accorde qu'à l'homme de bien.

Ta cendre, mon cher Méhul, a tressailli sans doute, pendant la première représentation de notre Valentine. Parmi tous ceux de nos confrères qui composaient cette belle fête des arts, ton collaborateur et ton ami, caché sous ta brillante auréole, s'est rejoint à toi par la pensée, et s'est convaincu, plus que jamais, que la mort même ne peut séparer ceux qui pendant trente ans, eurent la douce habitude de s'estimer et et de se chérir.

BOUILLY.          

A. Delaforest, le Théâtre moderne ou Cours de littérature dramatique, tome 1 (1836) p. 93-97 :

[Auguste Laforest est le critique dramatique (ultra) de la Gazette de France. Ila repris dans son Cours de littérature dramatique certains de ses articles, dans la lignée d’ilustres prédécesseurs, Collé, Grimm, La Harpe et bien sûr Geoffroy, dont il reprend le titre de son recueil d’articles. Le tome 1 est consacré au théâtre moderne. L’article reproduit ici a paru le 29 novembre 1822. Après de graves considérations sur les ouvrages posthumes dont il pense qu’ils réussissent bien peu souvent (si les auteurs ne les ont pas mis sur le théâtre, ce n’est sans doute pas sans raisons), après toute une série d’exemples, il fait une exception pour la musique de Valentine de Milan. Valentine de Milan « est célèbre dans l’histoire par sa douleur conjugale », que le critique rappelle, pour dire que cet élément de sa vie n’est pas ce que Bouilly a traité dans son livret, sans doute parce que le « deuil éternel d’une veuve » est jugé bien invraisemblable par un public toujours moqueur. C’est une autre intrigue qu’il a développée, placée sous le signe de l’invention (« M. Bouilly a donc supposé... ») : les pourparlers de paix entre le grand-duc de Milan et Louis de France, le frère du roi. Louis est amoureux de Valentine, la fille du grand-duc et il pense que la paix lui permettrait d’épouser Valentine. Un traitre blesse le prince français d’un coup d’arquebuse, mais la blessure est sans gravité, on découvre que l’attentat a été fomenté par le duc de Bourgogne. La paix peut alors advenir, et le prince peut épouser Valentine. Le titre de la pièce est un peu arbitraire, Valentine n’étant pas l’unique objet de l’intérêt. Mais le critique accuse Bouilly d’utiliser, dan ses pièces, « toutes les célébrités », comme il l’a fait dans Fanchon la Vielleuse. La pièce n’a rien d’amusant : « c’est par la sensibilité que M. Bouilly provoque le rire ». Il créé un personnage de confidente pour la princesse, une paysanne (choix que le critique juge peu convenable : une paysanne, confidente d’une princesse !) qui se montre bonne avec les soldats qu’elle soigne et fait boire. La pièce est finalement jugée bien conduite, même si elle manque du fameux intérêt qui fait apprécier au public une œuvre dramatique. Le critique insiste sur son habileté dans la conduite d’une pièce. La musique de Méhul est particulièrement appréciée, et le critique cite une série d’airs qu’il met en lumière : « Il n’est pas un des airs de cet ouvrage qui ne décèle la supériorité de ce compositeur ». Les interprètes sont également mis en valeur : ils « ont bien fait leur devoir », même si le mérite d’un des acteurs semble être, aux yeux du critique, d’avoir « un habit superbe ». « Monté avec soin », selon la formule consacrée, la pièce a été vivement applaudie. Les confrères de Méhul ont participé à ce succès, qui aurait de toute façon été obtenu sans leur appui bruyant. De même, l’ovation quon a fait au buste d e Méhul à la fin de la représentation ne s’imposait pas.

La Journée aux aventures est un opéra-comique de Chapelle et Mézières-Miot, musique de Méhul (1816), Edmon et Caroline une comédie mêlée d’ariettes de feu Marsollier, musique de Kreubé (1819)]

THÉATRE ROYAL DE L'OPÉRA-COMIQUE.

PREMIÈRE REPRÉSENTATION DE VALENTINE DE MILAN,
OPÉRA EN TROIS ACTES, PAROLES DE M. BOUILLY,
MUSIQUE DE FEU MÉHUL.

29 novembre.          

Il existe contre les ouvrages posthumes une sorte de prévention défavorable. Il est naturel de penser, en effet, qu'à moins qu'ils n'aient été frappés d'une mort subite, ou enlevés jeunes encore à la société, les auteurs auraient fait jouer, de leur vivant, des ouvrages qui pouvaient ajouter à leur gloire, s'ils en eussent espéré le succès. D'un autre côté, le dédain des comédiens, quoiqu'il ne soit pas toujours d'un mauvais augure, peut être encore considéré comme une preuve secondaire de la faiblesse des ouvrages qu'ils laissent dormir dans leurs cartons, et enfin l'expérience est venue plusieurs fois confirmer ces préventions. Pour n'en citer que deux exemples récens, si la musique de la Journée aux Aventures n'a rien ôté à la réputation de Méhul, il faut avouer cependant qu'on ne retrouve pas dans cet ouvrage toute la verve et toute l'originalité de l'auteur de l’Irato ; et de tous les poëmes dont Marsollier a enrichi le théâtre Feydeau, celui d'Edmon et Caroline est, sans contredit, le plus faible. Grétry et Dalayrac n'ont également rien gagné à ces exhumations dramatiques ; mais le génie de Méhul est apparu, avant-hier, brillant d'une nouvelle głoire ; et, si le succès qu'a obtenu la belle musique de Valentine de Milan ne détruit pas les préventions fondées du public contre les ouvrages posthumes en général, du moins ce succès peut ajouter à la réputation de Méhul et aux plaisirs des amateurs.

Valentine de Milan est célèbre dans l'histoire par sa douleur conjugale. C'est l'Artémise du quatorzième siècle. Inconsolable de la mort de son époux assassiné par le duc de Bourgogne, elle mourut sans avoir goûté le plaisir de la vengeance, également cher aux femmes et aux dieux. Ce n'est pas dans cette situation que M. Bouilly l'a présentée sur le théâtre. Le public est si moqueur qu'il aurait quelque peine à croire au deuil éternel d'une veuve ; ses souvenirs lui rappelleraient les calomnies que La Fontaine a répandues à ce sujet dans le conte de la Matrone d'Ephèse. Il faut lire ces récits de fidélité conjugale dans l'histoire ancienne, et ne mettre sur la scène que des tableaux plus vrais et moins tristes.

M. Bouilly a donc supposé que Jean Galéas , duc de Milan, et père de Valentine, vivement pressé par l'armée française que commandent le connétable de Clisson et Louis de France, duc d'Orléans, vient de perdre une bataille, à la suite de laquelle le frère du roi propose la paix. Le grand-duc s'y refuse, et ne cède enfin qu'aux sollicitations de sa fille. Le même motif a fait agir le prince et Valentine. Ils s'aiment ; mais ils n'ont pu encore se faire l'aveu de leur amour. Ils espèrent que la paix leur en fournira les moyens. Le grand-duc accepte donc une entrevue qui doit avoir lieu devant l'obélisque qu'il a fait élever à la mémoire de Bélisaire. La douceur, la loyauté de Louis de France parviennent à adoucir la rudesse et la hauteur du connétable et du grand-duc; une trève est jurée ; les soldats français et milanais s'en réjouissent également ; le duc d'Orléans a sollicité et obtenu la permission d'aller porter cette nouvelle à Valentine ; mais pendant qu'il se rend au palais, un traitre qu'on a vu rôder dans les environs, et qu'on ne peut saisir, frappe le prince d'un coup d'arquebuse. Les soupçons naissent ; la haine se réveille, et la guerre va recommencer. Cependant la blessure du prince n'est pas dangereuse ; retiré sous une tente, il reçoit une lettre de Valentine qui cherche à détruire les doutes élevés sur la fidélité du grand-duc. L'amour se trahit aisément : les expressions de cette lettre laissent voir au prince qu'il est aimé de Valentine, et sa santé se ressent de cette bonne nouvelle. On découvre bientôt l'arquebuse qui a servi à l'assassinat. Elle révèle, par les armoiries qui y sont incrustées, l'auteur de cet attentat. C'est le duc de Bourgogne lui-même, qui, échappé des prisons de France, a voulu, par ce meurtre, se délivrer du duc d'Orléans, son ennemi. La paix se renoue ; l'amour du prince et de Valentine se découvre; ils sont unis.

Telle est la marche de la pièce, à laquelle M. Bouilly aurait fort bien pu ne pas donner le nom de Valentine de Milan. L'ouvrage eût pu paraître sous le titre de Louis de France, ou de tout autre, sans rien y perdre. Ce qui a causé la célébrité de cette princesse n'est pas du tout le sujet du poëme; mais ce nom n'est pas inutile sur l'affiche, et c'est un merveilleux attrait pour la foule, que des malheurs à peu près imaginaires puissent s'appliquer à Valentine de Milan. M. Bouilly exploite depuis long-temps toutes les célébrités. Celle de Fanchon la Vielleuse même ne lui avait pas échappé. Il a voulu offrir le contraste de cette héroïne du boulevard du Temple, et nous avons un chef-d'œuvre de plus, grâce à Méhul. Du reste, on voit, par l'analyse de Valentine, qu'il n'y a pas le plus petit mot pour rire dans cet ouvrage. C'est le cachet de M. Bouilly. Ce n'est pas qu'il ait négligé les oppositions ; il a trop de connaissance du théâtre pour cela  ; mais c'est par la sensibilité que M. Bouilly provoque le rire. Il a donné pour confidente à la princesse, sans faire beaucoup d'attention aux convenances, une paysanne, espèce de vivandière, qui joint à la gaieté d'une bonne vivante toute la sensibilité de la sœur Marthe. Elle panse les soldats, et leur donne à boire, parce que

La plus douce félicité
C'est de servir l'humanité.

C'est le pendant du porteur d'eau des Deux Journées. Au surplus, le succès n'a pas été un seul instant douteux. Si la pièce manque d'intérêt, elle est toutefois parfaitement conduite, et jamais la scène ne languit. Il y aurait de l'injustice à refuser à M. Bouilly une grande entente du théâtre. Il calcule et ménage ses effets avec beaucoup d'habileté. Les morceaux de musique sont amenés avec art , et M. Bouilly a bien servi le génie de Méhul. Il n'est pas un des airs de cet ouvrage qui ne décèle la supériorité de ce compositeur. Mais ce qui a surtout enlevé tous les suffrages, ce sont les finales du premier et du second actes. Le chœur : Confondons nos cours et nos armes, est d'un admirable effet. Il faut en dire autant d'un autre chœur du troisième acte, exécuté en sourdines, au moment où les soldats viennent savoir des nouvelles de leur général. Une romance, chantée par Huet, est pleine d'expression et de suavité. Les autres morceaux sont à peu près dignes de ceux que je viens de citer ; mais il faut les entendre plusieurs fois encore avant de les louer convenablement. Les acteurs ont bien fait leur devoir. Huet, mesdames Desbrosses et Paul ont fort bien joué ; Darancourt a un habit superbe. L'ouvrage est monté avec soin, et a été applaudi avec un enthousiasme qui n'avait pas besoin d'être excité par la présence et les efforts de tous les auteurs et compositeurs, amis et rivaux de Méhul, qui garnissaient les deux balcons du théâtre. Cette provocation au succès, et cet étalage de sensibilité sentent trop la comédie, et répugnent aux gens de goût. C'est ce qu'en termes de coulisses on appelle du cabotinage, et le génie de Méhul pouvait s'en passer tout aussi bien que de l'ovation qu'on a fait subir à son buste à la fin de la pièce. Cet hommage de comédiens n'est plus de mode ; il n'a ému personne, excepté M. Bouilly peut-être, qui, n'ayant pu pleurer au balcon, s'en sera probablement dédommagé dans les coulisses.

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