Les mots du théâtre au XVIIIe siècle.
Chœur (théâtre).
Chamfort et Laporte, Dictionnaire dramatique, tome I, p. 242-247 :
Chœur, signifie un ou plusieurs Acteurs qui sont supposés Spectateurs de la Piéce, mais qui témoignent de tems en tems la part qu'ils prennent à l’action , par des discours qui y sont liés, sans pourtant en faire une partie essentielle. Le Chœur, chez les Grecs, étoit une des parties de quantité de la Tragédie. Il se partageoir en trois parties, qu'on appelloit Parodos, Stasimon & Commoi. Voyez ces mots.
La Tragédie n'étoìt, dans son origine, qu'un Chœur qui chantoit des Dithyrambes en l’honneur de Bacchus, sans autres Acteurs qui déclamassent. Thespeis, pour soulager le Chœur, ajouta un Acteur qui récitoit les aventures de quelque Héros. A ce Personnage unique, Eschyle en ajouta un second, & diminua les Chants pour donner plus d'étendue au Dialogue. On nomma Episode ce que nous appelions aujourd'hui Actes, & qui se trouvoit renfermé entre les Chants du Chœur. Voyez Épisode & Acte.
Mais quand la Tragédie eut commencé à prendre une meilleure forme, ces Récits ou Episodes, qui n'avoîent été imaginés que comme un accessoire pour laisser reposer le Chœur, devinrent eux-mêmes la partie principale du Poëme Dramatique, dont, à son tour, le Chœur ne fut plus que l'accessoire. Les Poëtes eurent seulement l’attention de ramener au sujet ces Chants qui, auparavant, étoient pris de sujets tout différens. II y eut dès-lors unité dans le Spectacle. Le Chœur devint partie intéressée dans l'action, quoique d'une maniere plus éloignée que les Personnages qui y concouroient. Ils rendoient la Tragédie plus réguliere & plus variée ; plus réguliere, en ce que, chez les Anciens, le lieu de la Scène étoit toujours le devant d'un Temple, d'un Palais, ou quelqu'autre endroit public ; & l’action se passant entre les premieres personnes de l'Etat, la vraisemblance exigeoit qu'elle eût beaucoup de témoins, qu'elle intéressât tout un peuple ; & ces témoins formoient le Chœur.
De plus, il n'est pas naturel que des gens intéressés à l'action, & qui en attendent l'issue avec impatience, restent toujours sans rien dire. La raison veut, au contraire, qu'ils s'entretiennent de ce qui vient de se passer, de ce qu'ils ont à craindre ou à espérer, lorsque les principaux Personnages, en cessant d'agir, leur en donnent le tems ; & c'est aussi ce qui faisoit la matiere des chants du Chœur. Ils contribuoient encore à la variété du Spectacle par la Musique & l'Harmonie, par les Danses, &c. Ils en augmentoient la pompe par le nombre des Acteurs, la magnificence & la diversité de leurs habits ; & l'utilité, par les instructions qu'ils donnoient aux Spectateurs. Voilà quels étoient les avantages des Chœurs dans l'ancienne Tragédie ; avantage que les Partisans de l'antiquité ont fait valoir en supprimant les inconvéniens qui en pouvoient naître. En effet, ou le Chœur parloit, dans les entr'Actes, de ce qui s'étoit passé dam les Actes précédens, & c'étoit une répétition fatiguante ; ou il prévenoit ce qui devoit arriver dans les Actes suivans, & c'étoit une annonce qui pouvoit dérober le plaisir de la surprise ; ou enfin il étoit étranger au sujet, & par conséquent il devoit ennuyer. La présence continuelle du Chœur, dans la Tragédie, paroît encore plus impraticable. L'intrigue d'une Piéce intéressante, exige d'ordinaire que les principaux Acteurs ayent des secrets à se confier & le moyen de dire son secret à tout un peuple ? Comment Phèdre, dans Euripide, peut-elle avouer à une troupe de femmes un amour incestueux , qu'elle doit craindre de s'avouer à elle même ? Comment les Anciens conservoient-ils si scrupuleusement un usage si sujet au ridicule ? C'est que le Chœur étant l'origine de la Tragédie , ils étoient persuadés qu'il devoit en être la base.
Le Chœur, ainsi incorporé à l'action, parloit quelquefois dans les Scènes par la bouche de son Chef appelle Choryphée. Dans les Intermèdes, il donnoit le ton au reste du Chœur , qui remplisoit par ses chants tout le tems que les Acteurs n'étoient point sur la Scène ; ce qui augmentoit la vraisemblance & la continuité de l'action.
Outre ces Chants qui marquoient la division des Actes, les Personnages du Chœur accompagnoient quelquefois les plaintes & les regrets des Acteurs sur des accidens funestes arrivés, dans le cours d'un Acte ; rapport fondé sur l'intérêt qu'un peuple prend ou doit prendre aux malheurs de son Prince.
Dans la Tragédie moderne, on a supprimé les Chœurs, si nous en exceptons l'Athalie & l'Esther de Racine, & l'Œdipe de M. de Voltaire. Les violons y suppléent. On a blâmé ce dernier usage qui ôte à la Tragédie une partie de son lustre. On trouve ridicule que l'action tragique soit coupée & suspendue par des.Sonates de Musique instrumentale. Le grand Corneille répond à ces objections, que cet usage a été établi pour donner du- repos à l'esprit, dont 1'attention ne pourroit se soutenir pendant cinq Actes, & n'est point assez relâchée par les Chants du Chœur, dont le Spectateur est obligé d'entendre .les moralités ; que de plus, il est bien plus facile à l'imagination de se figurer un long terme écoulé dans nos entr'Actes que dans les entr'Actes des Grecs, dont la. mesure étoit plus présente à l'esprit ;. qu'enfin la constitution de la Tragédie moderne est de ne point avoir de Chœurs sur le Théâtre, au moins pendant toute la Piéce, Voyez avec quel art Racine & M. de Voltaire les ont introduits ! Il n'y paroît qu'à son tour, & seulement lorsqu'il est nécessaire à l'action, ou qu'il peut contribuer à l'ornement de la Scène. Le Chœur seroit absolument déplacé dans Bajazet,dans Mithtidate, dans Britannicus & généralement dans toutes les Pîéces dont l'intrigue n'est fondée que sur les intérêts de quelques Particuliers.
Quand le Chœur ne faisoit que parler, un seul parloit pour toute la troupe ; voyez Choriphée : mais quand il chantoit, on entendoit chanter ensemble tous ceux qui corrrposoient le Choeur. Le nombre des Personnages monta jusqu'à cinquante personnes : mais Eschyle ayant fait paroître dans un de ces Chœurs une troupe de Furies qui parcouroient la Scène avec des flambeaux allumés, ce spectacle fit tant d'impression , que des enfans «n -moururent de frayeur, & que des femmes grosses accoucherent avant terme. Les Magistrats réduisirent alors- le Chœur à quinze personnes.
Dans la Comédie ancienne, il y avoir un Chœur que l'on nommoit Grex. Ce n’étoit d'abord qu’un Personnage qui parloît dans les entr'Actes. On en ajouta successivement deux, puis trois, & enfin tant, que ces Comédies anciennes n'étoient presque qu'un Chœur perpétuel, qui faisoit aux Spectateurs des leçons de vertu. Mais les Poëtes ne se continrent pas toujours dans ces bornes. Les Chœurs furent composés ou de Personnages satyriques, ou de Personnages qui recevoient des traits de satyre, qui rejaillissoient indirectement sur les principaux Citoyens. L'abus fut porté si loin en ce genre, que les Magistrats supprimerent les Chœurs dans la Comédie ; & on n'en trouve point dans la Comédie nouvelle.
[Parodos, Stasimon et Commoi, auquel le lecteur est invité à se référer, ne font pas l'objet d'un article dans le Dictionnaire dramatique.]
Références :
Comédie nouvelle : plus de chœur, suite à des excès dans le choix des personnages représentés par les choristes.
Eschyle ajoute un second acteur dans la tragédie ; le chœur d’une de ses tragédies a terrorisé les spectatrices, si bien que le nombre des choristes a été limité.
Euripide, Hippolyte : Phèdre avoue un amour incestueux devant un chœur de femmes (il s’agit de montrer les inconvénients de l’emploi du chœur, si important dans la tragédie antique).
Racine, Bajazet, Britannicus, Mithridate : dans ces pièces, dont l’intrigue est fondée sur les intérêts de quelques particuliers, la présence d’un choeur serait déplacée.
Racine, Esther et Athalie : avec l'Œdipe, les seules tragédies modernes à contenir un chœur.
Thespéis ajoute un acteur dans la tragédie pour soulager le chœur.
Voltaire, Œdipe : avec les deux dernières tragédies de Racine, la seule tragédie moderne à contenir un chœur.
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