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Acte

Les mots du théâtre au XVIIIe siècle.

Acte.

Chamfort et Laporte, Dictionnaire dramatique, tome I, p. 7-12 :

ACTE, partie d'un Poëme Dramatique, séparée d'une autre partie par un intermede.

Les Poètes Grecs ne connoissoient point la division des Poèmes en cinq Actes. Il est vrai que l'action paroît de tems en tems interrompue sur le Théâtre & que les Acteurs, occupés hors de la Scène ou gardant le silence, font place aux Chantres du Chœur, voyez Chœur ; ce qui produit des intermèdes, voyez intermedes, mais non pas des Actes dans le goût des Modernes, parce que les chants du Chœur se trouvent liés d'intérêt à l'action principale, avec laquelle ils ont toujours un raport marqué, du moins dans les Piéces de Sophocle ; car Euripide s'est quelquefois écarté de cette régle ; & ses Chœurs sont souvent de beaux morceaux de Poësie, qui n'ont aucun rapport avec l’action.

Si dans les nouvelles Editions, leurs Tragédies se trouvent divisées en cinq Actes, c'est aux Editeurs & aux Commentateurs qu'il faut attribuer ces divisions, & nullement aux Originaux ; car de tous les anciens qui ont cité des passages de Comédies ou Tragédies Grecques, aucun ne les a désignés par l'Acte d'où ils sont tirés ; & Aristote n'en fait nulle mention dans sa Poëtique. Il est vrai pourtant qu'ils considéroient leurs Piéces comme consistant en plusieurs parties ou divisions, qu'ils appelloient Protase, Epitase, Catastase, ou Catastrophe ; voyez chacun de ces mots ; mais il n'y avoit pas, sur le Théâtre, d'interruptions réelles qui marquassent ces divisions.

Il est vrai qu'Horace en fait un précepte :

Neve minor, nec sit quinto productior actu
Fabula quæ posci vult & spectata reposci.

Mais on n'est pas d'accord sur la nécessité de cette division, ni sur le nombre des Actes. Ceux qui les fixent à cinq, assignent à chacun la portion de l'action principale qui lui doit appartenir. Dans le premier, dit Vossius, on expose le sujet ou l'argument de la Piéce, sans en annoncer le dénouement, pour ménager du plaisir au Spectateur ; & l'on annonce les principaux caractères.

Dans le second , on dévelope l’intrigue par dégrés.

Le troisième doit être rempli d'incidens qui forment le nœud.

Le quatrième prépare des ressources ou des voies au dénouement.

Le cinquième doit être uniquement consacré au dénouement.

Selon l'Abbé d'Aubignac, cette division est fondée sur l'expérience ; car on a reconnu , 1°. que toute Tragédie devoit avoir une certaine longueur ; 2°. qu'elle devoit être divisée en plusieurs parties ou Actes. On a ensuite fixé la longueur de chaque Acte. Il a été facile, après cela, d'en déterminer le nombre. On a vu , par exemple, qu'une Tragédie devoit être environ de quinze ou seize cens vers, partagés en plusieurs Actes, que chaque Acte devoit être d'environ trois cens vers. On en a conclu, que la Tragédie devoit avoir cinq Actes, tant parce qu'il étoit nécessaire de laisser respirer le Spectateur & de ménager son attention, en ne la surchargeant pas par. la représentation continue de l'action, & d'accorder au Poëte la facilité de soustraire aux yeux des Spectateurs certaines circonstances, soit par bienséance, soit par nécessité.

Pendant les intervalles qui se rencontrent entre les Actes, le Théâtre reste vacant, & il ne se passe aucune action sous les yeux des Spectateurs. Mais on suppose qu'il s'en passe hors de la portée de leur vue quelqu'une relative à la piéce, & dont les Actes suivans les informeront.

Par-là, les Auteurs Dramatiques ont trouvé le moyen d'écarter de la Scène les parties de l'action les plus sèches, les moins intéressantes, celles qui ne sont que préparatoires, & pourtant nécessaires, en les fondant, pour ainsi dire, dans les Entr'actes, voyez Entr'actes. II n'y a que l'imagination qui les offre au Spectateur en gros, & même assez rapidement pour lui dérober ce qu'elles auroient de lâche ou de désagréable dans la représentation.

La division d'une Tragédie, en Actes, paroît fondée ; mais est-il absolument nécessaire qu'elle soit en cinq Actes, ni plus ni moins. Il paroît que le nombre des Actes devroit être proportionnée à la nature & à l’importance de l'action. Il vaudroit mieux la resserrer dans l'espace de trois ou quatre Actes, que de filer des Actes inutiles, embarrassés d'épisodes, ou surchargés d'incidens. M. de Voltaire nous a donné la mort de César, qui, pour être en trois Actes, n'en est pas moins une belle Tragédie. Nous avons plusieurs Comédies très-agréables, en deux, en trois, & même en quatre Actes.

On exige que les Actes soient à-peu près de la même durée. On avoit abusé de cette régle, jusqu'à s'astreindre à ne pas faire entrer dans un Acte deux vers de plus que dans un autre ; & Corneille, dans la Préface de ses premieres Comédies, s'applaudit de cette exactitude. II seroit bien plus simple de demander que la durée d'un Acte fût proportionnée à l'étendue de l'action qu'il embrasse ; & nos Modernes paroissent avoir pris cet usage.

Le premier Acte d'un Drame est peut-être le plus difficile. Il faut qu'il entame, qu'il marche, qu'il développe les caractères, qu'il expose le sujet, & sur-tout qu'il lie l'action. Voyez exposition.

On a voulu qu'un même personnage ne rentrât pas sur la Scène plusieurs fois dans le même Acte. Cependant si ce qu'il vient dire, il ne l'a pu dire quand il étoit sur la Scène ; si ce qui le ramene s'est passé pendant son absence ; s'il a laissé sur la Scène celui qu'il y cherche ; si celui-ci y est en effet ; ou si n'y étant pas, il ne le sait pas ailleurs ; si le moment le demande ; si son retour ajoute à l'intérêt ; en un mot, s'il reparoît dans l'action, comme il arrive tous les jours dans la société, alors sa présence ne peut déplaire, & son retour devient même nécessaire.

Le premier Acte doit contenir le fondement de toutes les actions, & fermer la porte à tout ce qu'on voudroit interdire d'ailleurs dans le reste du Poëme. Ïl suffit cependant d'y annonces les Acteurs qui agissent dans la Piéce par quelque intérêt considérable.

Il est toujours dangereux, dit M. de la Mothe, d'ouvrir le premier Acte par un de ces grands Tableaux qui multiplient les Acteurs, & qui chargent le Théâtre. II est à craindre que dans les Actes suivans, le Théâtre ne paroisse vuide. On voir, par l’exemple de Brutus, que la difficulté n'est pas insurmontable : mais il faut être sûr de ses ressources, comme l' Auteur de cet Ouvrage.

Le Poëte, dit M. Diderot, devroit tellement arranger son Sujet, qu'il pût donner un titre à chacun de ses Actes ; & de même que dans le Poëme Epique, on dit la Descente aux Enfers, les Jeux Funèbres, le Dénombrement de l' Armée, on diroit dans le Dramatique, l'Acte des Soupçons, l’Acte des Fureurs, celui de la Reconnoissance. Le caractère de l’Acte fixé, le Poëte seroit obligé de le remplir. Chaque Acte doit avoir, comme la Piéce même, son exposition, son nœud, & son dénouement.

Le Public aime assez que chaque Acte se termine par quelque morceau brillant, qui enlève les applaudissemens. II faut surtout que la fin de l'Acte laisse le Spectateur dans l'espérance ou dans la crainte & dans l'impatience de voir la suite.

Références :

Pièces :

Eschyle.

Euripide.

Sophocle.

Voltaire, Brutus (1730).

Voltaire, la Mort de César.

Critique littéraire :

Abbé d’Aubignac.

Aristote, Poétique (où il n’est pas question des actes...).

Corneille, préface de ses premières comédies.

Diderot, De la poésie dramatique, XV, Des Entr’actes, (Œuvres complètes, librairie Garnier, 1875, tome 7, p. 359) : dans un poème dramatique (une pièce), le poète devrait pouvoir donner un titre à chacun des actes.

De la Mothe

Horace. Art poétique, v. 189-190.

Vossius.

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