Abelino ou le Héros vénitien, drame en quatre actes, de Chazet père, 4 frimaire an 10 [25 novembre 1801]
Théâtre du Marais.
Le Courrier des spectacles du 26 brumaire an 10 [17 novembre 1801] annonce que le Théâtre du Marais fait relâche « pour la répétition d'Abelino ». L'annonce de la première est faite dans le numéro 1730, le 4 frimaire an 10 [25 novembre 1801].
Courrier des spectacles, n° 1733 du 7 frimaire an 10 [28 novembre 1801], p. 2 :
Théâtre du Marais.
Beaucoup de personnes ont réclamé Abelino. L’une prétendoit l’avoir traité avant l’autre. Mais, étoit-il nécessaire de prendre une date de priorité pour un sujet qui appartenoit au premier occupant ? Le citoyen Chazet, auteur de la pièce jouée au théâtre du Marais, sous le titre d'Abelino, ou le Héros Vénitien, nous avoit fait aussi parvenir une réclamation qui établissoit incontestablement son droit de priorité. Mais, il faut le dire, ces réclamations n’empêchent pas et ne peuvent empêcher la représentation de la même pièce à un autre théâtre. Les autorités civiles ou littéraires n’y peuvent rien. Le public voit deux pièces semblables, il juge, et la meilleure reste.
Nous n’avons pu assister à première représentation de cet ouvrage, mais il ne paroît pas avoir été mal accueilli, quoique nous doutions fort qu’il ait eu un brillant succès. C'est absolument le fonds d'Abelino (*), qui se joue avec succès au théâtre de Molière, et de l’Homme à trois visages (**), qui attire du monde à l'Ambigu-Coinique ; mais les noms n’en sont pas les mêmes, la marche en est différente, les actes sont coupés d’une autre manière, les effets peut-être en sont moins rapides, les situations moins étonnantes. Cependant l’auteur a eu une intention bien dramatique, celle de taire l’explication de la mort d'Abelino, et des travestissemens du Héros qui, après l’avoir tué, a pris son nom et son costume, jusqu’au moment où il importe à tous de le connoitre. Mais eu rendant l’intérêt plus compliqué, il ne l’a pas augmenté, parce que le public qui ignore qu’Abelino est le même que Fladoardo, se demande raison de ces apparitions extraordinaires d’un brigand au milieu d’une ville policée, et devant le premier Magistrat : et lorsqu'il faut se demander pourquoi tel personnage agit, l'esprit est à la torture, adieu d'attention; Nous avons aussi trouvé un peu mesquine cette réunion de nobles Vénitiens qui viennent à la fête de la nièce du Doge. Il y manque un certain appareil nécessaire pour en imposer aux conjurés qu'on veut y arrêter. Nous aimons mieux que la scène se passe au Sénat. Encore un petit mot : l’auteur n’a point donné a la conjuration de chef principal ; il en falloit un, et non dix ; il en falloit un pour doubler les dangers de Fladoardo, et l’intérêt qu’on doit lui porter.
Cet ouvrage est joué d’une manière satisfaisante par les citoyens Chazel et Alexandre. Ce dernier a eu des momens de vérité dans le rôle d'AbeIino ; mais il n’est pas aussi bon dans celui de Fladoardo. Il est malheureux que le traducteur de cet ouvrage allemand ait gardé de grandes phrases insignifiantes, des détails minutieux, tels que le bouquet de violettes qu'a cueilli la nièce du Doge, la description de la victoire de celui-ci sur 1es Turcs, etc. ; cela ne fait que refroidir le spectateur, qui , dans cette saison, demande à être échauffé, sur-tout dans une salle aussi vaste et aussi peu fréquentée que celle du Marais.
(*) Voyez le N° du 26 brumaire.
(**) Voyez le N° du 15 vendémiaire.
Le numéro du 15 vendémiaire an 10 [7 octobre 1801] contient un compte rendu de l'Homme à trois visages, adaptation d'un drame allemand de Schultz intitulé Abelino (et qui connaîtra d'autres adaptations.
La Décade philosophique, littéraire et politique, an 8, 3e trimestre, p. 484-485 :
[L'article, p. 469-485) est consacré à rendre compte de la publication du théâtre de Schiller, traduit par Lamartellière :
Théatre de Schiller, traduit de l'Allemand, par Lamartelliere, membre de plusieurs sociétés littéraires, 2 vol. in-8°. de 500 pages chacun. A Paris, chez Renouard, libraire, rue André-des-Arcs, No. 42, an VIII.
Abelino ou le Grand Bandit est la dernière pièce du recueil des pièces, et elle n'est pas de Schiller. Lamartellière a remplacé par la pièce de Zchocke les Brigands de Schiller peut-être parce qu'elle était trop connue. Dans la préface au tome I du Théâtre de Schiller, p. 7, il la présente comme une « pièce qui a un mérite tout à fait original, et qui, par sa contexture et la singularité du sujet, semble appartenir au même écrivain ». Le jugement porté sur la pièce est plutôt ironique : la pièce repose sur le dédoublement du personnage principal, entre bandit et homme d'honneur. Elle est comparée aux « mauvais romans qu'on dit imités de l'Anglais », et son sujet est juste bon à faire une pantomime, une pièce avec caverne et brigands comme on en trouve tant dans les « petits théâtres ». La dernière phrase s'indigne que ce soit ce genre de spectacles qu'on montre au peuple.]
Enfin,, Abelino ou le Grand Bandit est une production qui passe toutes les bornes de l'originalité.
Cet Abelino est un jeune homme qui s'appelle Flodoardo, plein d'honneur, de vertu, de rares qualités. Il ne se fait brigand, sous le nom d'Abelino, que dans les meilleures intentions du monde.
Il paraît tantôt [s]ous un nom, tantôt sous l'autre, sans que personne se doute qu'il joue ce double personnage. Il en est quitte, comme maître Jacques, pour changer de casaque. Les mêmes personnes le voient presqu'au même instant en Abelino et en Flodoardo, sans soupçonner qu'il est double.
Est-il Flodoardo ? Il est charmant, amoureux, sensible, réconnaissant ; il parle le langage le plus tendre.
Est-il Abelino ? Il jure, il boit, il rosse ; il fait peur à tout le monde ; il joue le rôle de Cartouche ou de Mandrin. Il brave les lois, les juges et les sbirres ; on tremble à son nom ; on ne sait où le prendre ; il semble qu'il soit invisible et invulnérable.
Il menace de tuer les deux premiers magistrats de Venise, les meilleurs amis du Doge; et effectivement ces deux magistrats disparaissent ; mais à la fin Flodoardo promet de livrer Abelino vivant; et il le livre en expliquant le mystère du double déguisement. Il ramène les deux vieillards qu'il a seulement cachés pour les soustraire aux poignards de véritables conjurés ; car il se tramait dans Venise une conspiration à laquelle il a feint de prendre part comme Abelino, afin de la déjouer comme Flodoardo.
Cette pièce ressemble assez aux mauvais romans qu'on dit imités de l'Anglais, et qui font peur aux petits enfans : nous ne doutons pas qu'on ne pût en faire une pantomime ou une pièce dans le genre de toutes ces cavernes, et de tous ces brigands dont nos petits théâtres sont encore plus infestés que nos grandes routes. Il est bien honteux que ce soient de pareils spectacles qu'on montre à un peuple qui a le bonheur de posséder tant de beaux ouvrages dramatiques.
Voir l'article consacré à l'ensemble des pièces mettant Abelino en scène.
Ajouter un commentaire