Les Assemblées primaires ou les Élections

Les Assemblées primaires ou les Élections, vaudeville en un acte et en prose, de Martainville, 29 nivôse an 5 [19 mars 1797].

Théâtre des Jeunes Artistes, rue de Bondy.

Le titre de la pièce peut être au pluriel, les Assemblées primaires ou les Élections ou au singulier, l'Assemblée primaire ou les Élections. C'est le singulier que Martainville emploie dans le texte préliminaire dans la brochure, qui donne portant le titre au pluriel, de même que dans l'annonce de la deuxième représentation dans le Courrier des spectacles n° 73 du 30 ventôse an 5 [20 mars 1797], alors que le même journal donne le titre au pluriel dans le compte rendu de la page 3 (le numéro de la veille, qui devrait annoncer la première de la pièce, ne donne pas le programme du Théâtre des Jeunes Artistes).

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Barba, an 5 :.

Les Assemblées primaires, ou les Élections, vaudeville en un acte, Représenté pour la première fois le 29 ventôse, an V, sur le Théâtre des jeunes Artistes, défendu par le Bureau Central, à la quatrième représentation, et redemandé le soir même à grands cris par le public. Par le C. Martainville, auteur du Concert Feydeau.

Avant le texte de la pièce, Martainville propose un texte qui revient sur les conditions houleuses dans lesquelles sa pièce a d'abord été interdites, tout en étant vivement demandée par le public.

Nous allons, au lieu de Préface donner un échantillon du style et de la conduite du Bureau Central; ce préambule a été aussi imprimé en affiche.

Le théâtre des Jeunes Artistes donnoit, depuis trois jours avec le plus grand succès un vaudeville intitulé: l'Assemblée Primaire ou les Elections : la quatrième représentation étoit affichée pour hier.... Le directeur est mandé au bureau central.... il s'explique et sort avec une autorisation provisoire de donner la pièce.... Une heure après, îl prend un remords aux membres du bureau central... Arrive un arrêté portant : le directeur ne donnera pas telle pièce, il fera mettre des bandes sur ses affiches.... Cet arrêté n'étoit pas motivé.... on s'y soumit.... mais le soir je me transportai au bureau central avec un artiste du théâtre.... On nous introduit auprès des administrateurs.... je m'adresse à Limodin, qui seul avoit signé l'arrêté de défense. Je vais mettre notre conversation en dialogue.

Moi : : Citoyen, vous avez pris un arrêté qui défend la représentation de la pièce intitulée : L'Assemblée primaire. J'en suis l'auteur, et je crois qu'il eût été du devoir ou au moins de la délicatesse du bureau central de le motiver.,

Limodin : Nous n'avons pas besoin de motiver de tels arrêtés....

Moi : Voudriez-vous au moins le faire de vive voix....?

Limodin : Le titre seul de la pièce suffit pour la proscrire... et toute la pièce répond au titre,

Moi : L'avez-vous lue?

Limodin : Non, mais c'est égal.

Moi : Oui; c'est comme si vous l'aviez lue.

Limodin : Je sais qu'il y a un endroit où vous parlez d'une fille que son père ne veut marier qu'à un électeur, et vous dites: Cette fille sait mieux ce qu'il lui faut que l'assemblée primaire. N'est-il pas scandaleux, citoyen, de comparer l'assemblée primaire à une fille....?

Moi : (souriant). Citoyen, ah ! que vous êtes méchant ! Croire que j'aie comparé l'assemblée primaire à une fille.... Ah ! c'est trop malin !.... Mais, tenez, j'ai le manuscrit sur moi, jettez-y un coup d'œil....

Limodin, s'adressant à un citoyen qui étoit dans la salle à quelques pas de là : « Citoyen, vous qui avez plus d'esprit que moi, dites-moi ce que vous pensez de ce couplet-là... » et il lui relit le couplet de l'assemblée et de la fille.

Le Citoyen : Quant à moi... sûrement... parce qu'enfin...

Limodin (vivement). Vous voyez bien que tout le monde est de mon avis.

Moi : Oui, qui ne dit mot, consent.

Limodin : Qu'est-ce que c'est encore que cela?

Pour tâcher que l'assemblée
Paroisse un pt'it brin callée.

Moi : Citoyen, vous détachez deux vers d'un couplet ; souvenez-vous ́que le cardinal de Richelieu disoit  donnez-moi six lignes du plus honnête homme, et je le fais pendre,

Limodin : Nous ne sommes pas le cardinal de Richelieu, et nous ne voulons faire pendre personne.

Moi : En vérité ?... oh bien, je commence à être plus tranquille.

Limodin : Vous avez beau faire le goguenard : votre pièce ne sera pas jouée, parce qu'elle peut occasionner du trouble.

Moi : Au moins voilà-t-il une raison. Cependant observez que les pièces capables de causer du trouble produisent surtout leur effet pendant la première effervescence, et la mienne a déjà été donnée trois fois ; le calme le plus profond n'a été interrompu que par les fréquens applaudissemens du public, que je crois un aussi bon juge que le bureau central.

Limodin, s'échauffant : Je me fouts du public !!!

JE ME FOUTS DU PUBLIC !!!

Moi : Vous m'allez forcer, moi chétif, à dire comme Molière : Monsieur ne veut pas qu'on le joue.

Limodin : Pas de propos.

Un citoyen, que je ne connois pas, mais qu'à son ton je soupçonne être un administrateur, me dit : vous avez avili les assemblées primaires.

Moi : Lisez la pièce et vous verrez le contraire.

Le même citoyen : Mais foutre, Monsieur.

Moi : Ah citoyen, je ne croyois pas que cet endroit dût retentir d'un mot comme celui que vous venez de prononcer ; quant au terme de Monsieur, ….. vous qui craignez tant qu'on n'avilisse les fonctions de citoyen, respectez-en du moins le titre.... car, Citoyen, quoique simple Citoyen, je suis autant Citoyen qu'un Citoyen magistrat.

Limodin : Bientôt on fera une pièce intitulée : Le corps législatif :

Moi : Parbleu : vous me donnez une bonne idée.

Limodin : Il y a six ans, auriez-vous osé mettre le roi et sa famille sur la scène.

Moi : Vous comparez le corps legislatif au roi et à sa famille.... si je ne vous connoissois pas, je vous prendrois pour un avilisseur.

Limodin : Vous auriez craint la guillotine.

Moi, avec chaleur et en fixant Limodin : J'ai gémi en prison, et j'ai moins frémi de l'idée de la mort, que de l'atrocité des hommes qui prêchoient dans leurs sections, la mutilation du corps législatif, et l'assassinat des meilleurs français.

Limodin : Citoyen, vous nous faites perdre un tems précieux. Retirez-vous, et soyez sûr qu'on ne jouera pas votre pièce pendant la durée des assemblées primaires.

Moi : C'est donc votre dernier mot.

Limodin : Absolument.

Moi : Adieu donc, citoyen; et nous nous retirâmes en disant entre nous  : et c'est la un magistrat !...

A. MARTAINVILLE.

N. B. Le public dont Limodin se fout, et qui, je crois, lui rend bien la pareille, a demandé hier à grand cris la pièce défendue.... Moi qui ne suis pas membre du bureau central, et qui ne me fouts pas du public, pour le mettre à même de juger la pièce, je l'ai fait imprimer. Elle se vend chez BARBA, rue St.-André-des-Arts, N°. 27.

Courrier des spectacles, n° 73, 30 nivôse an 5 [20 mars 1797], p. 3 :

[Avant de revenir sur les Amours de Madame Angot, le critique donne son sentiment sur les Assemblées primaires ou les Élections, avec un curieux pluriel pour l'Assemblée primaire, qui s'accommoderait fort bien du singulier. Pièce sans intrigue (juste une de ces assemblées primaires où on choisit celui qui la représentera). L'auteur, Martainville, y a joint une minuscule intrigue sentimentale, mais c'est surtout l'occasion de faire la critique des prétendants à la fonction d'électeur, principalement un fournisseur (celui qui vend à l'État les marchandises dont il a besoin, et à l'occasion de faire de fort beaux bénéfices) et un journaliste, présenté comme malhonnête et corrompu. Dans le trio des prétendants, le critique ne dit rien du sort réservé à l'auteur. Mais il reste bien sûr le gentil garçon, qui va trouver grâce aux yeux de son futur beau père parce qu'il est le fils de celui qui a été choisi comme électeur. On y trouve « quelques couplets saillans, peu d’intrigue », et le critique souhaiterait qu'on y fasse quelques changements, pour dire plus de mal des fournisseurs, et moins des journalistes...]

Théâtre des Jeunes Artistes.

On ne pouvoit exiger beaucoup d’une bluette telle que le vaudeville des Assemblées primaires ou les Elections, donné hier au théâtre des Jeunes Artistes. Cette petite pièce a quelques couplets saillans, peu d’intrigue, mais le sujet n’en comportoit même pas. Ce vaudeville est de M. Martinville, auteur du Concert de la rue Feydeau, des Suspects, et récemment de Jeannot Bohémien. Nous aurions désiré qu’il eût donné plus de latitude à son rôle du Fournisseur, qu’il eût démontré davantage combien cette classe s’est enrichie aux dépens de la fortune publique. Nous aurions désiré qu’il eût donné au journaliste un caractère quelconque, qui lui méritât toutes les sorties qu’il fait contre lui, et qu’il n’eût pas enveloppé dans son cadre tous les journalistes en général, dont les lumières sont le thermomètre de l’opinion publique. Si quelques-uns mentent, et vendent leur plume, la justice punit les uns, le mépris et l’indignation générale sont le partage des autres. Nous souhaitons qu’il fasse ces petits changemens qui ne peuvent qu’ajouter à l’intérêt de sa pièce, dont voici la courte analyse.

M. Dumont a la manie de ne vouloir marier sa fille qu’à un Electeur ; il a jeté les yeux sur trois personnages importuns, un Journaliste, un Auteur, un Fournisseur; mais Lucile, sa fille, n’en aime aucun et a du penchant pour Darcy ; celui-ci adore Lucile, le père est toujours dans le même sentiment. L’assemblée commence, chacun porte son scrutin, les trois favoris de M. Dumont n’emportent de suffrage que le leur ; M. Darcy, père de l’amoureux de Lucile, réunit la majorité des voix pour l’électorat, et M. Dumont consent avec plaisir au mariage de sa fille avec le fils d’un Electeur, comme s’il eût été Electeur lui-même.

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