Les Suspects

Les Suspects, comédie en un acte, mêlée d'ariettes, de Picard et Alexandre Duval, musique de Lemierre, 30 floréal an 3 [19 mai 1795].

Théâtre de Louvois.

La pièce fait partie de la grande vague de pièces anti-jacobines qui déferlent sur les théâtres parisiens de février à avril 1795.

Si Soleinne reprend pour la pièce le noms des auteurs donnés par la brochure, d'autres l'attribuent à la collaboration de Picard et Moreau, dit Eugène Lasticot. Mais la préface d'Alexandre Duval met fin au début.

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Barba, sixième année de la République, 1797 :

Les Suspects, comédie en un acte, mêlé d'ariettes, Par les Citoyens Picard et Duval. Musique du Citoyen Lemierre. Représenté pour la première fois sur le Théâtre des Amis de la Patrie, rue de Louvois, le Décadi, 30 Floréal, an III de la République Françoise.

Le texte de la pièce figure dans le tome premier des œuvres complètes d'Alexandre Duval (Paris, J.-N. Barba, 1822). Il est précédé d'une notice (p. 147-153) :

[Alexandre Duval parle peu de sa pièce, mais fournit maints détails intéressants, sur le contexte politique qui suit la chute de Robespierre, mais aussi sur les conditions de la création (la collaboration entre auteurs, en particulier : il évoque en particulier son amitié avec Picard, et parle aussi de façon plus générale du besoin pour un auteur de voler de ses propres ailes).]

NOTICE SUR LES SUSPECTS.

Le titre seul de cette pièce indique l'époque où elle fut jouée. La France, en secouant le joug du tyran le plus hypocrite et le plus cruel, venait de se rendre libre une seconde fois. Les satellites de Robespierre s'agitaient encore ; mais ils ne pouvaient plus rien contre une nation honteuse d'avoir pu souffrir si long-temps ce règne de l'ignorance et de la mort. Cet horrible temps, si funeste à tant d'individus, ne put du moins altérer le caractère national. L'étranger, trop imbu de ses anciennes idées sur la légèreté du Français, apprit, en le voyant marcher à la victoire et à l'échafaud, qu'il savait chanter, combattre, et mourir. Aucune époque de l'ancienne monarchie n'offrit de plus beaux exemples de vertus, de courage et de dévouement. Ah ! combien j'en pourrais citer, si de pénibles souvenirs ne m'interdisaient ces récits ! Ce n'est point à moi, c'est à l’écrivain qui ne voudra point adopter la nouvelle méthode d'écrire l'histoire avec partialité, qu'il appartient de tracer ces généreux tableaux. Nos guerres, nos révolutions, tous nos malheurs enfin, ont développé de si grands courages, que je suis convaincu qu'il est peu de familles en France qui n'ait à citer l'un de ses membres pour s'être fait distinguer, ou par son éloquence, ou par son courage aux armées, ou par sa noble résignation à la mort.

On conviendra qu'après ce temps d'ignorance et de talent, de terreur et de courage, il était de droit qu'un auteur dramatique profitât d’un répit, dans la révolution, pour flétrir sur la scène ces hommes qui avaient désolé la France. Une anecdote, que j'entendis raconter, me fournit l'idée de ce petit ouvrage.

On m'assura que, dans un village de France très-éloigné de la capitale , les habitants, peu au courant de la révolution, ayant appris que, dans une ville voisine, plusieurs hommes considérables avaient été désignés comme suspects, voulurent aussi avoir les leurs, bien convaincus que la qualité de suspect était une place honorable à laquelle tout le monde pouvait prétendre. Je racontai à mon ami Picard cette petite anecdote fausse ou vraie, et nous résolûmes d'en faire un petit opéra-comique. Avec nous, la chose décidée était presque la chose faite. Quelques jours après, nous donnâmes à M. Lemierre, mon compatriote, qui avait déja travaillé avec nous, ce petit poème, pour qu'il en fit la musique. Comme nous il était jeune et avide de succès ; il ne nous retarda point; et, en quelques semaines, l'ouvrage fut joué et applaudi généralement. On donnait dans le même temps les Comités révolutionnaires, comédie de M. Ducancel, qui attirait tout Paris par la vérité du tableau. Tout en faisant rire, cette hideuse peinture des ridicules atrocités de l'ignorance laissait pourtant au fond de l'ame une pensée pénible que ne pouvait inspirer notre opéra. La méprise naïve d'honnêtes villageois portait plus à la gaieté que les grossiers propos des publicistes en sabots : et j'avais si bien senti ce défaut à la représentation des Comités révolutionnaires, que j'aurais voulu qu'il m'eût été possible de supprimer, dans notre petite pièce, la vilaine figure qui fait le dénouement de nos Suspects. Elle est vraie ; mais elle n'en est pas plus agréable à voir. — Certes ! si l'on mettait de nouveau sur la scène les pièces qu'on jouait à cette époque, nos jeunes gens d'aujourd'hui s'écrieraient avec Boileau :

Le vrai peut quelquefois n'être pas vraisemblable.

Si la musique de ce petit opéra, qui avait été faite très-promptement, ajouta peu à son succès ; ce n'était pas que le musicien ne fût né pour se distinguer dans son art : la nature lui avait donné le chant. Dirigé par un grand-maître, il eût pu marcher sur les traces des Grétry et des Dalayrac. Les guerres de la révolution l'entrainèrent à l'armée, et il y dut à ses services un avancement assez rapide. Maintenant que son épée repose, il a repris la lyre : heureux avantage des talents ! ils charment le printemps de la vie, rendent des illusions à la vieillesse, et consolent dans l'adversité !

Cette pièce est la dernière que j'aie composée en société avec Picard : sans que nous eussions cessé d'être amis, des circonstances nous éloignèrent l'un de l'autre. Il se maria, et moi je partis pour ma province. Je revis ma famille, et à mon tour je me soumis au joug commun. Cet événement est assez important par lui-même dans l'existence d'un homme pour changer son caractère et refroidir ses premières liaisons. La vie d'un époux n'est plus celle d'un garçon. Dès que l'avenir force un homme de lettres à penser aux siens, il contracte l'habitude de la réflexion ; et, souvent malgré lui, la raison vient modérer l'élan de son esprit. Ses actions et ses ouvrages prennent quelquefois une gravité qui devient une suite de sa position. On prétend qu'un poète a tort de se marier ; et moi je soutiens au contraire que, si son cœur est honnête, il doit subir les tourments, les inquiétudes attachés au mariage. L'auteur célibataire devient presque toujours un froid égoïste, un parasite, un flatteur, tandis que l'écrivain qui sait porter le fardeau imposé à tous les hommes, qui vit dans les autres autant que dans lui-même, s'il doit imiter la nature animée, est certain de trouver la vérité du sentiment qu'il veut peindre dans le cœur d'un époux et d'un père.

A l'époque où je travaillais avec Picard, l'amitié seule décidait deux auteurs à se partager un sujet de pièce pour avoir le plaisir de se réunir. Cette manière peut convenir à des jeunes gens qui veulent essayer leurs forces en s'appuyant l'un sur l'autre ; mais ce sentiment qui tient à la modestie, ne doit avoir qu'un instant ; dès qu'un jeune oiseau a essayé ses ailes, il ne tarde pas à prendre son vol. Il n'en est plus ainsi de beaucoup de nos littérateurs ; ils forment des sociétés durables et deviennent barbons, en continuant de mettre leurs essais en communauté. Maintenant, tous nos petits théâtres ne prospèrent que par les fournitures de tel auteur et compagnie. Ce genre d'industrie qui n'est point à dédaigner, puisqu'il peut conduire à la fortune, est facile à expliquer. Qu'un auteur trouve un sujet ou qu'il le prenne dans une ancienne comédie, il va trouver son associé ordinaire, qui compose le plan ou les couplets ; un troisième survient, qui, pour une action dans l'ouvrage, se charge des peines et démarches pour le faire recevoir et représenter. Qu'on ne croie pas que ce tableau soit exagéré : l'activité est aussi un talent; et l'on voit tel agent, qui se dit homme de lettres, dont les revenus sur les petits théâtres de Paris ne sont fondés que sur l'intrigue. La multiplicité de ces établissements est devenue la cause de cet abus ; leur grand nombre a fait de la littérature un négoce : des compagnies exploitent à leur compte, et leurs spéculations sont tellement heureuses, que les jeunes gens de nos jours, même ceux qui promettent le plus grand talent, se croiraient de véritables fous s'ils ne préféraient pas la fortune à la gloire. Je connais deux ou trois auteurs de ce genre qui, par des scènes du plus grand comique, par des esquisses de caractère et une grande connaissance de l'art dans la conception de leurs pièces, auraient dû se lancer sur une scène plus vaste ; mais non, comme ils le disent eux-mêmes en riant, l'intérêt les retient à leur manufacture ; dans une chute, ils ne voient qu'une perte d'argent ; ils vivent, espérant toujours que l'âge les conduira à traiter de plus grands sujets. Mais que nous importe qu'ils soupçonnent leur force, s'ils ne veulent pas s'en servir : tant qu'ils mettront aux prises l'argent comptant, et l'espoir d'une gloire éloignée, la gloire aura toujours tort. Attendront-ils pour s'essayer dans de grands ouvrages que l'âge ait glacé leur imagination ! Ignorent-ils donc que la main habituée à ne tracer que des caricatures, à n'y employer que de l'esprit ou plutôt de la folie, ne peut arriver tout-à-coup aux tableaux des David et des Gérard ! Au théâtre, comme en peinture, toute grande composition demande à être longuement méditée ; elle demande de plus une grande habitude d'exécution ; et il en est telle, dans le genre élevé, qui ne peut être que le résultat des travaux et des pensées de toute une vie.

Dans « La théâtralité révolutionnaire des fausses nouvelles », Philippe Bourdin (dans Faux bruits, rumeurs et fake news, Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, 2021) propose une lecture de la pièce de Picard et Duval comme dénonciation de la Terreur et éloge de la politique du juste milieu du Directoire. Il la rapproche de la pièce de Ducancel, l’Intérieur des comités révolutionnaires, ou les Aristides modernes.

La pièce de Picard et Alexandre Duval a été adaptée par la Troupe des Grognards de la Marne et jouée le 27 janvier 2018 à Meaux à l'Espace Caravelle. Cette représentation était présentée ainsi :

« NOUS SOMMES EN L’AN II DE LA RÉPUBLIQUE, TOUTE LA FRANCE EST OPPRIMÉE PAR LA TERREUR…

TOUTE ? NON !

UN VILLAGE CHAMPENOIS PEUPLÉ DE SIMPLES ET HONNÊTES CITOYENS RÉSISTE INNOCEMMENT À LA LOI DES SUSPECTS. »

Comédie mêlée d’ariettes d’après Louis-Benoît PICARD et Alexandre DUVAL, donnée la première fois au théâtre des Amis de la Patrie en 1795, jouée et chantées en costumes et dans un décor d'époque par les comédiens amateurs de l’association des Grognards de la Marne.

Une occasion rare de s’embarquer pour un voyage dans le temps et dans le rire !

Entrée : Gratuite, dons au chapeau

Durée : Deux heures de spectacle joué et chanté, dix-neuf rôles dans des costumes et des décors reconstitués

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