Les Aubergistes de Qualité

Les Aubergistes de Qualité, opéra-comique en trois actes, de Jouy, musique de Catel, 17 juin 1812.

Théâtre de l'Opéra-Comique.

Titre :

Aubergistes de qualité (les)

Genre

opéra comique

Nombre d'actes :

3

Vers / prose

en prose, avec des couplets en vers

Musique :

oui

Date de création :

17 juin 1812

Théâtre :

Théâtre de l’Opéra Comique

Auteur(s) des paroles :

de Jouy

Compositeur(s) :

Catel

Almanach des Muses 1813.

Le marquis de Ravannes et Villeroi, jeunes étourdis, exilés par ordre du cardinal Dubois, s'avisent, pour mieux se cacher, de se déguiser en aubergistes, et de tenir cabaret à quelques lieues de Paris. L'expédient n'est pas des plus adroits ; aussi le gouverneur de la province, chargé de les faire arrêter, ne tarde-t-il pas à les découvrir. Ravannes s'avise alors de faire arrêter le gouverneur lui-même, en le désignant à l'exempt de la maréchaussée comme l'un des deux exilés. Celui-ci est assez sot pour ajouter foi à un rapport aussi invraisemblable, et le gouverneur assez bon pour se laisser faire. On ne sait trop jusqu'où la plaisanterie pourrait aller, si un courrier ne venait annoncer la mort du Cardinal et le rappel des deux étourdis.

Fond un peu léger pour trois actes ; musique qui n'ajoutera rien à la réputation de M. Catel.

L'Ambigu, ou Variétés littéraires et politiques, volume xxxviii, n° CCCXXXIV (10 juillet 1812), p. 21-24 :

[L’opéra comique de Jouy et de Catel reprend beaucoup d’une pièce jouée l’année précédente, l'Exil de Rochester. Reprise que le critique trouve maladroite (la nouvelle pièce est trop longue etsa musique étouffe l’intrigue). Il résume ensuite l’intrigue en en montrant l'invraisemblance. Il ironise ainsi sur le moyen trouvé pour finir la pièce, dont l’intrigue ne remplit trois actes que par l’emploi « de quelques accessoires » d’une parfaite inutilité : « ces puérilités, outre qu'elles sont communes, mesquines, et d'une qualité très-mince, ont encore le défaut d'être inutiles et de ne point tenir à l'action ». La musique, elle, n’est pas loin de nuire à la pièce : « elle est vague, chargée de longueurs », et elle a le défaut des ouvrages de « la nouvelle école » : « l'orchestre est très-riche, la mélodie très-pauvre » (défaut très grave : il faut que la musique serve le chant sans l’écraser !). Le critique (on aura reconnu l'inflexible Geoffroy) en profite pour rappeler que c’est la un de ses grands combats : « ramener la musique théâtrale à ses vrais principes ». La pièce a été bien servie par l’interprétation d’Elleviou, « bien secondé par le talent de Mesdames Duret et Gavaudan ».]

Opéra-Comique.

Première Représentation des Aubergistes de Qualité, Opéra comique en trois Actes, Paroles de M. Jouy, Musique de M. Catel.

Les Aubergistes de Qualité ressemblent à l'Exil de Rochester ; l'Exil de Rochester ressemble à la Jeunesse de Henri V : qu'importe à qui appartiennent ces bagatelles ; le fonds est si peu de chose, qu'il ne faut pas disputer sur l'invention, qui ne peut pas faire beaucoup ; c'est la forme seule qui leur donne quelque prix ; la forme emporte le fond. L'Exil de Rochester a de grands avantages sur les Aubergistes de Qualité : d'abord il est en un acte ; il a de la musique assez pour embellir les paroles, pas assez pour étouffer l'intrigue. Rochester est un personnage bien plus connu, plus fait pour un certain genre de folie que le comte de Ravanne qu'on ne connaît point.

Ce comte et son ami, le marquis de Villeroy, exilés sous la Régence, achètent un fonds d'auberge dans un village à quarante lieues de Paris; et au lieu de s'y cacher, ils font la sottise de s'y rendre célèbres, en donnant leur vin au plus bas prix, en régalant les femmes gratis, en faisant danser les filles. Une sottise de plus ou de moins, ce n'est rien pour de pareils fous : un exempt de police, qui a leur signalement, leur cause quelque inquiétude : heureusement leur exempt est aussi niais que le constable de Rochester ; ils se tirent aussi bien que lui de ce mauvais pas : jusque là c'est la même marche dans les deux pièces ; chaque auteur prend ensuite une route différente.

Le commandant de la province arrive dans le village où nos aubergistes de qualité font un commerce si avantageux de leurs denrées. Il paraît qu'il est instruit de la qualité de ces aubergistes, car il vient pour les faire arrêter. Sa fille l'accompagne ; c'est la maîtresse de Villeroy. L'officieux Ravannes, pour prolonger le séjour de cette belle dans le village, imagine de dénoncer son pere comme étant le comte de Ravannes ; le sot exempt reçoit la dénonciation ; il se fait amener le commandant et l'interroge. Le commandant se prête à cette farce qu'il devait arrêter d'un mot.

La farce n'aurait point été plaisante pour le dénonciateur, si, par un de ces hasards que les poètes ont toujours à leur disposition, le cardinal Dubois, auteur de l'exil des deux aubergistes, ne s'était avisé de mourir précisément pour les tirer d'intrigue. Ainsi cet opéra comique a pour dénoûment une mort. L'exil de Rochester est plus court et plus gai : la faible action du nouvel opéra comique délayée en trois actes, se traîne languissamment à l'aide de quelques accessoires ; telle est la galanterie de Ravanne, rival de son garçon d'auberge, et la jalousie de ce garçon nommé Chariot, et la coquetterie de la fille d'un aubergiste voisin, qui n'est pas de qualité : ces puérilités, outre qu'elles sont communes, mesquines, et d'une qualité très-mince, ont encore le défaut d'être inutiles et de ne point tenir à l'action.

Je voudrais pouvoir dire que la musique est utile à la pièce, c'est bien tout au plus si elle ne lui nuit pas ; elle est vague, chargée de longueurs : les deux premiers actes surtout en sont écrasés ; l'orchestre est très-riche, la mélodie très-pauvre. Dans un déluge de notes on aperçoit à peine surnager quelques motifs de chant :

Apparent rari nantes in gurgite vasto.

Il y a long-temps que je lutte contre les principes de la nouvelle école : j'ai engagé l'action dans le temps où les novateurs étaient le plus en force ; j'en ai remporté beaucoup d'injures fort peu harmonieuses, des reproches très-aigres et très-discordants, des accusations d'ineptie, de contradiction, de sottises et d'ignorance. J'ai tenu bon contre ce débordement d'invectives qui prouvaient la bonté de ma cause. Le public secondait mes efforts pour ramener la musique théâtrale à ses vrais principes : l'expression et la mélodie étaient sur le point de reprendre leur place usurpée par l'harmonie, lorsque tout à coup il m'arrive des alliés que je n'attendais pas, que je n'avais pas demandés ; c est la querelle de M. Belloni1 qui me les envoie. Quand j'ai presque gagné la bataille, ils viennent partager la victoire. Je suis très-disposé à leur en laisser tout l'honneur. J'ai combattu pour l'intérêt de l'art et non pour une vaine gloriole : peu importe à qui l'on devra la victoire, l'essentiel est de l'obtenir.

Les acteurs ont rendu à la pièce plus de service que la musique ; l'espèce de succès des deux premiers actes est dû au prestige d'Elleviou, à ses grâces toujours nouvelles dans ces vieux rôles d'étourdis et de mauvais sujets qu'on ne cesse de faire pour lui, et où il paraît toujours neuf par sa gaîté brillante : il est bien secondé par le talent de Mesdames Duret et Gavaudan.

Magasin encyclopédique, ou Journal des sciences des lettres et des arts, 17e année, 1812, tome III, p. 444-445 :

[Un point original dans cette critique : elle nie que l’intrigue soit « dans le caractère de la nation » ou « dans celui d'un noble français ». Cette fois, la musique de Catel est mieux acceptée, malgré la longueur de certains morceaux.]

Théâtre de l'Opéra Comique.

Les Aubergistes de qualité, opéra comique en trois actes, joué le 17 juin.

Rochester, exilé par Charles II, trouva plaisant de prendre une taverne, et de s'y dédommager par des folies, de celles qu'il ne pouvoit pas faire à la Cour.

Je ne sais pourquoi l'auteur du nouvel opéra attribue cette aventure à des seigneurs français. Elle n'est ni dans le caractère de la nation, ni dans celui d’un noble français. Quoi qu'il en soit, il a supposé que le chevalier de Villeroi et le marquis de Ravannes, exilés en Espagne par la haine du cardinal Dubois, achètent une auberge de village, à quarante lieues de Paris, et y vendent leur vin deux tiers au dessous de sa valeur. Cette générosité est imprudente pour des gens qui veulent se cacher, puisqu'elle attire chez eux tous les voyageurs. Le comte de Favaucon, gouverneur de la province, et chargé d'arrêter les deux étourdis, arrive dans ce village ; il est accompagné de sa fille Emilie, qui est aimée par le chevalier de Villeroi. Ravannes, pour servir l'amour de son ami, et empêcher le père de repartir, le fait arrêter en le désignant à un sot exempt comme l'un des disgraciés. Le gouverneur a la bonté d'obéir et de répondre à ce niais. On ne sait trop jusqu'à quel point il pousseroit la complaisance, si un courrier n'arrivoit pour annoncer la mort du cardinal, et finir à la fois la pièce et l'embarras.

Cette action, trop nue pour trois actes, a eu besoin de beaucoup d'accessoires ; il y en a de piquans. Mais le succès que l'ouvrage a obtenu est dû principalement à la gaieté du rôle de Ravannes et à la manière dont Elleviou s'en est acquitté.

On a distingué d'excellens morceaux dans la musique ; d'autres ont paru trop longs. On doit cette nouvelle composition à M. Catel, et le poème à M. de Jouy.

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome VII, juillet 1812, p. 291-295 :

[Après avoir rendu compte de Célestine et Faldoni, le critique éprouve un grand soulagement ; après l’horreur de l’anévrisme, « une heure de gaîté et de musique ». Le sujet a été traité sur le théâtre du Vaudeville, et l’opéra-comique est plus lent à proposer une œuvre d’une autre richesse : ce n’est pas une concurrence, mais l’utilisation de moyens différents dans un genre différent. Le critique insiste beaucoup sur la légitimité de ces reprises de sujet, en rappelant que l’opéra-comique est « une comédie piquante, soutenue par une musique originale, gracieuse et dramatique à-la-fois », appelée à une longue vie que le vaudeville ne peut espérer : « le Vaudeville peut parodier de bons ouvrages, mais il ne peut les empêcher de naître ». La pièce nouvelle reprend le sujet de l’exil de Rochester, mais en le changeant de lieu et de date, de « la régence du duc d'Orléans au règne de Charles II », « en nous offrant à la place de Rochester attendu, non pas deux roués mais deux étourdis ». Ce changement fait perdre tout ce que le personnage de Rochester et le contexte anglais apportaient de piquant. Le début de la pièce, où le critique ne voit « pas d'intrigue liée et pas d'action », pose les personnages et la situation. C’est dans l’acte II que l’action commence. On y retrouve les ingrédients habituels de ce genre d’intrigue (un vieux père et sa fille, qui est justement la maîtresse de l’un des deux « étourdis » qui tiennent l’auberge). Un imbroglio assez convenu se dénoue par le mariage attendu, indispensable dans un opéra-comique. Le critique affirme « que cette intrigue est bien légère, et que l'action est un peu nue », les détails seuls pouvant « couvrir la faiblesse du fond » sans produire tout à fait un livret digne d’un opéra-comique. La musique elle aussi « brille sur-tout par les détails ». Elle a été applaudie, mais si certains morceaux montrent « un peu de recherche », ils manquent « de naturel, d'abandon, de facilité » et on y sent plus le travail que l’inspiration. L’exécution n’a pas été satisfaisant. Par contre les interprètes sont jugés plutôt positivement (les uns conformes à leur réputation, les autres simplement nommés. Le nom des auteur et compositeur est donné incidemment au cours de l’article.]

THEATRE DE L’OPERA- COMIQUE.

Les Aubergistes de qualité.

Du malheureux Faldoni que, par erreur, nous avons fait vivre et mourir vingt ans trop tard, aux brillans et aimables Aubergistes de qualité, il y a une distance bien agréable à parcourir ; aussi beaucoup de gens ont couru de l'Odéon au théâtre Feydeau, comme pour y aller chercher, dans une heure de gaîté et de musique, un remède souverain contre l’anévrisme dont ils se croyaient atteints après la représentation du drame médical qui les avait terrifiés.

M. de Jouy est l'auteur des Aubergistes de qualité : ce sujet qu'il avait choisi, il y a plusieurs années, appartenait à tout le monde ; de plus habiles, sur un théâtre plus expéditif, dans un genre plus facile, l'ont devancé, cela est dans l'ordre ; le Vaudeville a plus tôt accordé son galoubet avec son tambourin que l'Opéra-Comique n'a réuni son aréopage musical, formé ses choeurs, arrangé ses décorations, disposé son orchestre ; on compose vite en musique quand on prend celle des autres ; on apprend facilement les airs que tous les orgues de Barbarie répètent; il est donc de l'essence du Vaudeville, et dans ses moyens, de s'emparer à la hâte de tous les sujets piquans et de les effleurer ; mais les autres théâtres peuvent les traiter ensuite après avoir pris le temps nécessaire pour s'en bien acquitter ; il n'y a là ni concurrence réelle, ni primauté redoutable. Les genres sont distincts, les moyens sont différens ; les amateurs même ne sont pas les mêmes, et ne se rencontrent que de loin en loin ; ainsi, nous aurions trop à perdre si les auteurs et les compositeurs rejettaient une idée à laquelle nous pouvons devoir un bon opéra, parce que cette idée a fourni un joli vaudeville : dans ce dernier genre, l'ouvrage le plus agréable n'est qu'une fugitive théâtrale ; la nouveauté est son essence, la variété doit être son cachet: mais un bon opéra-comique français, et j'entends par-là une comédie piquante, soutenue par une musique originale, gracieuse et dramatique à-la-fois, est .un ouvrage qui a des droits à une plus longue existence. Les chefs-d'œuvre de ce genre n'ont point d'âge, et je crois être certain que tous les auteurs de vaudevilles réunis auraient pu prendre le pas sur ceux de ces chefs-d'œuvre que nous possédons, sans les empêcher de prendre leur rang. Le Vaudeville peut parodier de bons ouvrages, mais il ne peut les empêcher de naître.

Si donc, comme tout l'annonce, M. de Jouy, maître de son sujet, ayant en porte-feuille l’Exil de Rochester ou Rochester aubergiste, et voyant le même sujet traité au Vaudeville, a cru devoir se défier du public ; ou s'il a craint de ne pas assez faire pour ce même public, en ne lui offrant qu'un sujet déjà connu, il me semble s'être trompé à-la-fois et dans sa modestie, et dans son jugement : il est très-bien d'estimer ses rivaux, mais il ne faut pas les craindre, sur-tout quand on a l'avantage des armes et du terrain ; il ne faut pas sur-tout se délier du juge du combat, quand on a reçu d'honorables témoignages de faveur : aussi on a vu, avec peine, le sacrifice que M. de Jouy a cru devoir faire beaucoup trop complaisamment, en substituant la régence du duc d'Orléans au règne de Charles II, en nous offrant à la place de Rochester attendu, non pas deux roués mais deux étourdis, deux aimables seigneurs d'une cour où il fallait être d'une certaine force en fait d'esprit et de licence pour se faire quelque réputation.

Nous avons perdu à cette combinaison le prestige attaché à un nom célèbre, une peinture de mœurs qui nous sont étrangères, et qui devaient paraître piquantes, beaucoup de traits que l'auteur eût cités à propos, ou très-bien forgés lui-même, un ton local enfin qu'il n'a pu prendre, et des couleurs qu'il a dû éviter. Voila ce que nous avons perdu ; voyons ce qui nous reste.

Le marquis de Ravannes et le chevalier de Villeroi, ont eu le malheur de déplaire au cardinal-ministre, qui les a fait inviter à aller faire une promenade en Espagne. Villeroi n'a pas voulu s'éloigner de Mlle, de Flavancourt, à la main de laquelle il aspire, et les deux amis se sont établis aubergistes dans un village à quarante lieues de Paris. Ici, déjà se fait sentir l'inconvénient d'avoir changé le lieu de la scène. Rochester tenant une taverne dans un faubourg de- Londres, ne s'éloigne pas trop des mœurs anglaises ; il veut moins se cacher qu'ajouter une plaisanterie à celles qui l'ont déjà signalé. Ici nos jeunes courtisans ont intérêt à n'être pas découverts ; ils n'ont aucune raison pour se faire aubergistes ; leur immense fortune peut leur procurer mille autres moyens de déguisemens plus sûrs et plus agréables ; et quelle étrange manière de si cacher ont-ils choisi ? Ils ont pris l'enseigne de la couronne, traitent les plus riches voyageurs, font payer cinq sols le vin de l'Hermitage, enivrent le village qu'ils font danser toute la journée, ne font point payer les femmes, et font crédit aux maris. Tout cela ajouté à l'élégance de leur demeure, et de leur costume demi-villageois, devrait les signaler au prévôt, averti qu'ils se sont cachés, et chargé de les découvrir. Mais Ravannes s'est fait le secrétaire-greffier de l'exempt de la brigade du lieu, personnage fort amusant, et lorsque son signalement arrive, il répond, sous la dictée de cet exempt, qu'on n'a vu personne qui lui ressemble.

Jusque-la il n'y a pas d'intrigue liée et pas d'action ; cette action ne peut commencer qu'à l'arrivée de M. de Flavancourt et de sa fille, qui voyagent et passent précisément dans le village en question. Le second acte se passe en expédiens imaginés par Ravannes pour procurer à Villeroi une entrevue avec sa maîtresse. Cette entrevue a lieu par ses soins ; mais comme on n'a eu que le temps d’y parler d'amour, comme on ne s'est point concerté sur le parti à prendre pour se faire rappeller et pour épouser, et que M. de Flavancourt veut partir, il faut imaginer un moyen de le retenir. Ravannes en trouve un fort expéditif ; il va trouver l'exempt, lui fait accroire que M. de Flavancourt est l'homme à la lettre de cachet. Il y a entre le signalement et le personnage, trente ans de différence, et dans la couleur des cheveux une nuance presqu'aussi sensible ; mais cet exempt a la vue basse, et arrête le noble voyageur : celui-ci prend d'abord la chose assez bien ; mais enfin, quand la prévôté s'en mêle dans les formes de sa jurisprudence, il ouvre sa redingotte, laisse voir son cordon, et prie l'exempt de vouloir bien le reconnaître pour gouverneur de la province. Les aubergistes sont dans un assez grand embarras : mandés devant le gouverneur, ils paraissent sous leur habit de la maison du roi, et viennent demander au gouverneur les ordres qu'il croira leur devoir donner. Heureusement le cardinal est à l'extrémité, et un ordre de la cour rappelle les deux exilés. On prévoit que Villeroi ne part pas sans avoir reçu son pardon et la promesse à laquelle il aspire. On se sépare ; l’auberge de la couronne sert de dot a un jeune couple ; il n'y a qu'un malheur pour le village, c'est que le vin s’établit au prix accoutumé.

On voit que cette intrigue est bien légère, et que l'action est un peu nue : il a fallu brillanter, avec soin, la broderie pour couvrir la faiblesse du fond : l'auteur a réussi à la faire oublier par l'esprit du dialogue et le piquant des détails. Toutefois on pourrait lui dire, et c'est en ce sens que j'ai interprété les applaudissemens qu'il a reçus : si vous avez voulu faire un Opéra-Comique, vous n'avez pas fait tout-à-fait assez ; mais si vous n'avez prétendu tracer qu'un canevas musical, le musicien n'a eu rien à désirer.

Le séjour des auberges est favorable à M. Catel, qui s'est déjà trouvé si bien dans celle de Bagnères. Sa musique ressemble à l'ouvrage, en ce sens qu'elle brille sur-tout par les détails : les morceaux qu'il a composés sont très-nombreux ; tous ont été applaudis : il sera cependant possible de faire un choix. Il en est quelques-uns où l'on trouve un peu de recherche, où l’on sent le travail, la combinaison ; on y désirerait plus de naturel, d'abandon, de facilité, une manière plus franche, des motifs plus comiques, des intentions plus variées, plus appropriées aux divers rôles. Le compositeur a souvent des motifs heureux  ; mais il semble ne pas vouloir les prendre pour thème, et craindre d’y revenir ; ils ne produisent qu'une sensation fugitive, et l'art vient trop vite se remettre à la place de l'inspiration : mais ce n'est ici qu'une impression première. L'ouvrage, sous ce rapport musical, a été faiblement exécuté. Il doit offrir des difficultés qui ne seront applanies qu'aux représentations suivantes.

Elleviou doit contribuer à la fortune de Rochester francisé : il y est très-aimable et très-brillant ; Juliet a eu dans celui de l'exempt sa vérité ordinaire, et plus d'originalité que de coutume. Mme. Duret chanté avec talent; Mme. Gavaudan avec goût, esprit et justesse. Chenard, Paul, Darancourt, Mlle. Desbrosses se sont partagés [sic] les rôles secondaires.             S......

D’après Nicole Wild et David Charlton, Théâtre de l'Opéra-Comique Paris : répertoire 1762-1972, p. 149, ouvrage représenté jusqu’en 1825.

1 L'année 1812 a été marquée par une vive querelle autour du refus par l'Opéra de l’œuvre de Belloni, les Ruines de Carthage. Cet opéra, condamné sans avoir été entendu (le jury de l'Opéra ne disposait que de la partition), trouva des défenseurs, dont Damaze de Raymond, qui, accusant – à tort – Catel d'être responsable de ce rejet, répliqua en critiquant vertement les Aubergistes de qualité. Geoffroy, dont l'Ambigu reproduit ici les feuilletons joua un rôle éminent dans ce débat. Cf., sur cette querelle, l'article que la Biographie universelle, ancienne et moderne consacre à Damaze de Raymond dans son volume 62 (1837), p. 59.

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