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Le Boxeur français, ou Une heure à Londres

Le Boxeur français, ou une Heure à Londres, vaudeville en un acte, de Moreau, Du Mersan et de la Fortelle, 1er octobre 1814.

Théâtre du Vaudeville.

Titre :

Boxeur français (le) ou une Heure à Londres

Genre

vaudeville

Nombre d'actes :

1

Vers / prose ?

en prose, avec des couplets en vers

Musique :

vaudevilles

Date de création :

1er octobre 1814

Théâtre :

Théâtre du Vaudeville

Auteur(s) des paroles :

Moreau, Du Mersan et de La Fortelle

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 19e année, 1814, tome V, p. 415-416 :

[Le compte rendu se contente de résumer l’intrigue de façon plutôt neutre, avant de donner un jugement moyennement positif : on sent trop que la pièce a été faite à la hâte (on aimerait en savoir plus), mais il y a aussi des éléments plaisants : « des caricatures angloises », et l'interprétation du rôle du boxeur anglais par un dénommé Édouard. Finalement, c’était presque drôle... et on nomme les auteurs, qui se sont mis à trois pour se moquer des Anglais jusqu’à un certain point (le personnage de Bolding n’est pas si négatif).]

THÉATRE DU VAUDEVILLE.

Le Boxeur français, ou une Heure à Londres, vaudeville en un acte, joué le premier Octobre 1814.

Saint-Georges, dont la force et l'adresse sont célèbres, est à Londres. Son valet est amoureux de Betti, nièce d'un maréchal ferrant. Un Boxeur, son rival, le surprend, prêt à enlever la petite personne, et veut le forcer à combattre à coups de poings pour la belle : mais le pauvre jockey n'est pas de force ; en vain la galerie en fait-elle la remarque an terrible Bolding, celui-ci répond qu'il va rendre un bras à son adversaire. Saint-Georges arrive, et veut s'opposer au combat, en disant qu'il ne souffrira pas qu'on insulte un de ses gens. Bolding le provoque lui-même ; on parie, alors Saint-Georges jette son habit, et boxe à la place de son jockey. Il renverse l'anglois, et la populace de Londres célèbre son triomphe : mais, on vient l'arrêter pour dettes. Bolding, pour se venger noblement et faire voir sa force à son vainqueur, rosse les huissiers, et en jette un dans la Tamise ; l'argent des paris sert de dot au jockey et à Betti ; et Saint-Georges part, en promettant d'envoyer une lettre-de-change, dès qu'il sera arrivé en France. Ce vaudeville, fait un peu trop à la hâte, se sent peut-être de cette précipitation. Plusieurs tableaux, des caricatures angloises ont cependant amusé, ainsi que le rôle du Boxeur Bolding, fort bien joué par Edouard.

Les auteurs sont MM. Moreau, du Mersan et de la Fortelle.

L’Esprit des journaux français et étrangers, année 1814, tome X (octobre), p. 285-292 :

[Le compte rendu commence par évoquer l’habitude qu’aurait le Théâtre du Vaudeville de faire jouer dans la même soirée des pièces des auteurs de la pièce nouvelle qu’il va présenter (ce qui donne bien sûr une indication sur les auteurs de la pièce nouvelle, censés encore inconnus). Et découvrir qu’il s'agissait du trio Moreau, Lafortelle, Dumersan n’a pas rassuré le critique, persuadé qu’on allait à l’échec. Le spectacle s’est donc ouvert par Voltaire chez Ninon, de Moreau et Lafortelle, dont l’article rend longuement compte (pour y souligner principalement des incongruités. L’abord de la pièce nouvelle se fait par la reprise du couplet d’annonce, chanté par Ninon. Mauvais présage. On passe à la longue analyse de l’intrigue. On ne sait pas toujours si, à propos de Saint-Georges, on parle du personnage historique ou du personnage de fiction. Pendant un long paragraphe, il est question, semble-t-il, du chevalier de Saint-Georges. Puis on passe à des aventures dont il est difficile de savoir si elles sont réelles ou fictives (mais on n’est toujours pas arrivé à la pièce !). On finit quand même par voir le but, l’intrigue de la pièce, racontée de façon plutôt humoristique, jusqu’à ce que l’épisode de l’huissier jeté à l’eau (en fait un banal mannequin qui ne risquait de toute façon pas de se noyer sur la scène : image plutôt ridicule) entraîne le critique dans un vigoureuse attaque contre la pièce : un tel épisode est totalement impossible à Londres, lieu où la police est respectée plus que partout ailleurs. L’analyse s’achève plus paisiblement sur le récit du dénouement (un mariage, bien sûr, et la promesse de Saint-Georges de payer ses dettes). Reste à rendre le verdict. Il est sans appel : « Telle est l'illustre aventure délayée dans un dialogue fade et languissant, dans des couplets sans sel et sans esprit, par laquelle les auteurs ont essayé de jetter du ridicule sur le pugilat anglais ». Là où Désaugiers a produit une pièce divertissante (les deux Boxeurs), le trio ne propose qu’« une conception triste et ennuyeuse », qui n’amènera pas grand monde au théâtre du Vaudeville, qui en aurait pourtant bien besoin, dans la situation de concurrence avec les théâtres des boulevards où il se trouve. Et le critique lance un cri d’alarme aux responsables du Vaudeville : il faut renouveler le cheptel des auteurs, mettre les anciens à la retraite et trouver de nouveaux talents, qui se manifesteront si le Théâtre leur ouvre la scène (intéressante comparaison des auteurs avec les « minois agaçans dans un magasin de modes »). On peut se demander si la noble corporation des auteurs dramatiques a trouvé la comparaison à son goût.]

THÉATRE DU VAUDEVILLE.

Le Boxeur français, ou Une Heure à Londres; par MM. Moreau , Lafortelle et Dumersan.

C'est un usage antique et sacré au Vaudeville, quand ce théâtre offre une nouveauté au public, de la faire accompagner de pièces des mêmes auteurs. J'avais cherché en vain sur l'affiche les noms célèbres dans les annales de Momus : point de Barré, de Piis, de Radet, de Désaugiers, d'Armand Gouffé ; mais en revanche, le triumvirat de MM. Moreau, Lafortelle, Dumersan. Je ne sais pourquoi je concevais de sinistres présages pour la pièce nouvelle : malheureusement ils ont été vérifiés par l'événement.

Le spectacle a commencé par Voltaire chez Ninon : c'était nous montrer les deux extrémités contiguës de deux siècles fameux. On pouvait appliquer à ces deux personnages ce beau vers de l'Attila de Corneille :

Un grand destin s'achève, un grand destin commence,

[…] Les œuvres du père de la tragédie sont sur les rayons les plus élevés de la bibliothèque de Ninon ; le jeune poëte veut en prendre un volume, et il monte sur une échelle, parce qu'il a l'ambition de s'élever à la hauteur de Corneille. Voilà un échantillon des belles choses qu'il a fallu dévorer pour arriver enfin au Boxeur Français, que Ninon est venue annoncer par un couplet dont j'ai retenu la fin :

L'indulgence fait notre espoir,
Mais elle a l'humeur pacifique ;
Ne la forcez donc pas ce soir
A boxer avec la critique.

Sur une semblable annonce, j'aurais parié cent guinées contre l'indulgence.

Le héros de la pièce est le fameux Saint-Georges, et le sujet, une leçon à coups de poing qu'il donna, dit-on, un jour au plus célèbre boxeur de Londres. Ce Saint-Georges, mort il y a dix ou douze ans, réunissait, à un très-haut degré, beaucoup de talens agréables : généralement reconnu pour la plus forte épée de l'Europe, il savait en outre manier un cheval avec grâce, danser comme un artiste de l'Opéra, et jouer très-bien du violon. Dans le cours de la révolution, il organisa à Lille un corps franc dont l'administration d'alors lui confia le commandement : mais soit inexpérience, soit défaut de véritable courage, il fut obligé très-promptement de s'en démettre ; et, dans l'opinion générale du moins, il confirma la différence qu'elle a toujours établie entre un ferrailleur et un brave.

Saint-Georges a quitté Londres pour se soustraire aux poursuites de ses créanciers. Il a visité avec un jockey les différentes contrées des îles britanniques; et dans sa tournée en Ecosse , il a inspiré une vive passion à lady Evélina, vieille et riche douairière qui veut se marier avec lui : mais notre chevalier errant s'échappe des mains de cette nouvelle créancière, et revient, avec son jockey, à Londres, où il est accueilli, on ne sait pourquoi, par les huées s et les éclats de rire de la populace. Il tire sa redoutable épée, et met en fuite toute cette canaille. Cependant James, son jockey, est amoureux de la fille d'un maréchal ferrant ; mais il a pour rival M. Bulding, marchand bottier, le plus terrible boxeur de Londres. M. Bulding n'entend pas raillerie, et menace d'écraser quiconque osera lui disputer le cœur de sa maîtresse. Le maréchal, comme boxeur émérite, incline pour le bottier; mais la jeune fille ne veut pas que son mari soit exposé à avoir des bosses à la tête, et tout son cœur est au pacifique James. Comme Saint-Georges va repasser en France et emmener avec lui son jockey, celui-ci concerte avec miss une fuite qui la soustraira à l'autorité paternelle et aux prétentions de son rival. Le dessein s'exécute, et miss part donnant un bras à James, et portant sous l'autre un léger paquet. En ce moment, Bulding arrive, prend les fuyards sur le fait, et convaincu, par ses propres yeux , de la trahison et de son injure, il en demande au jockey une réparation éclatante et publique. Le malheureux James se voit déjà moulu de coups : le public s'assemble, les paris s'engagent et sont déposés dans un chapeau. Cependant, sur l'observation que les forces sont trop inégales, Bulding consent à faire avantage à son adversaire en ne le combattant que d'un bras. La lutte va commencer lorsque Saint-Georges arrive, prend fait et cause pour son valet, met habit bas, fond sur son ennemi, l'attaque et triomphe en un instant. Bulding avoue en rougissant sa défaite : « Il faut, s'écrie-t-il, que vous soyez le diable ou Saint-Georges. » Le vainqueur se fait connaître ; mais au moment même il est arrêté pour dettes, et on va le conduire à New-Gate. Bulding se pique de générosité : il ne veut pas voir emprisonner un homme qui a eu l'honneur de le vaincre ; il fond à coups de poing sur le Constable et sur ses agens ; il en saisit un, et le jette par-dessus le parapet dans la rivière. Cet exploit, exécuté sur un mannequin, est la seule chose qui, dans toute la pièce, ait fait rire le parterre ; et c'est cependant sans contredit celle qui méritait le plus d'être sifflée. Il faut n'avoir aucune connaissance des mœurs et de la police anglaise pour se prêter à une pareille monstruosité. Il n'est aucun pays où les exécuteurs des lois soient plus respectés qu'à Londres. Un simple officier, armé de son verdict, arrête en plein jour le carrosse d'un pair du royaume, et de l'homme le plus populaire de la chambre basse, sans que le peuple conçoive l'idée de la plus légère résistance. Maître Bulding fait donc dans cette occasion une véritable folie dont le résultat doit, aux prochaines assises, le conduire droit à Tyburn.

Le père, non moins émerveillé que Bulding de la force prodigieuse de Saint-Georges, veut absolument lui donner sa fille ; celui-ci, qui n'a combattu que pour James, lui transporte tous ses droits sur la belle qui doit être le prix de la victoire. L'argent des paris, abandonné par les parieurs, est consacré à la dot des deux époux, et Saint-Georges part pour la France en promettant d'envoyer le plutôt possible des lettres-de-change à ses créanciers.

Telle est l'illustre aventure délayée dans un dialogue fade et languissant, dans des couplets sans sel et sans esprit, par laquelle les auteurs ont essayé de jetter du ridicule sur le pugilat anglais. Oh ! que M. Désaugiers entend bien mieux ses intérêts et les nôtres ! Sa pièce des Deux Boxeurs n'est à la vérité qu'une folie ; mais c'est une folie divertissante. Celle de MM. Moreau, Lafortelle et Dumersan est une conception triste et ennuyeuse, et pour laquelle à-coup-sûr, on ne boxera point à la porte du Vaudeville. Que ce théâtre y prenne garde : le public commence à se fatiguer de ces pièces insipides qui s'y succèdent sans relâche. Le Vaudeville a un rival qui attire constamment la foule, parce qu'inférieur par le genre, celui-ci du moins a le mérite de la gaîté, et de l'ensemble dans le jeu des acteurs. On ne rit plus au Vaudeville ; et, à l'exception de Joly, et d'un ou deux autres tout au plus, les comédie n’y sont pas bons. Si le directeur, à qui l'on doit de si charmans ouvrages, sent aujourd'hui le besoin de se reposer comme auteur, qu'il se donne tout entier à l'administration, qu'il appelle au secours de son théâtre nos francs, nos spirituels chansonniers ; qu'il accorde des brevets de retraite à cinq ou six auteurs qui obstruent en ce moment toutes les avenues du Vaudeville. Quand les passages seront libres, quand les vrais talens seront accueillis, ils se présenteront d'eux-mêmes : ils préféreront la rue de Chartres aux Boulevards ; ils rameneront le public sur leurs pas. Il faut des auteurs d'esprit pour achalander le Vaudeville, comme il faut des minois agaçans dans un magasin de modes.

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