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Le Collatéral, ou l'Amour et l'Intérêt
Le Collatéral, ou l'Amour et l'intérêt, comédie en trois actes et en vers, par P. F. N. Fabre d'Eglantine, 27 octobre 1791.
Théâtre de la Nation.
Jouée le 9 mars 1789 au Théâtre de Monsieur sous le titre de L'Amour et l'Intérêt.
Almanach des Muses 1793
Comédie qui a eu du succès.
Julie, jeune veuve, tendre, sensible, mais d'humeur un peu jalouse, devoit épouser le Chevalier de Beauchesne. Elle s'est mis dans la tête qu'il rendoit des soins à Hortense. La plus légère explication pourroit terminer cette petite querelle : mais un frère de Julie, homme avide et rusé, qui voyoit avec douleur passer en d'autres mains une fortune qu'il convoitoit, profite habilement de cette circonstance, et envenime si bien la conduite de Beauchesne qu'elle consent à rompre avec lui, à lui fermer sa porte, et à épouser un vieillard de 60 ans. Une suivante très attachée à sa maîtresse, met tout en œuvre pour faciliter un raccommodement que l'adresse du frère parvient long-temps à éviter ; mais enfin il est pris dans ses propres filets, et une somme de 500 louis qu'il prête lui-même à Beauchesne pour l'éloigner, sert, par un heureux stratagéme, à renvoyer son protégé sexagénaire, et une explication ménagée par la suivante achève de tout raccommoder.
Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez L. F. Prault, 1791 :
Le Collatéral ou l'Amour et l'Intérêt Comédie en trois actes et en vers, Par P. F. N. Fabre d'Eglantine, Représentée sur le Théâtre de Monsieur au palais des Tuileries, le 26 mai 1789, & reprise au Théâtre Français, rue de Richelieu, le 27 Octobre 1791.
Il veut les biens de tous & le bonheur d'aucun ;
Ennemis, ou parens avides, c'est tout un.
Collatéral, act. II. sc. 10.
Mercure de France, n° 23 du samedi 6 juin 1789, p. 38-41 :
[Compte rendu de la nouvelle comédie de Fabre d'Églantine, intitulée ici l’Amour et l’Intérêt, mais dont le titre complet est le Collatéral ou l'Amour & l'Intérêt. La critique est largement consacrée à une analyse de l’intrigue, une de ces histoires de jeune veuve qui veut se remarier malgré un membre masculin de la famille, qui craint pour l'héritage qu’il attend de sa sœur. Elle souligne ensuite la qualité de l’écriture, l’auteur ayant été nommé et ayant paru sur scène ; privilège rare : le public a exigé que la pièce soit rejouée le lendemain. Enfin, c’est l’interprétation qui est mise en valeur : pour la première fois, une comédie a été excellemment jouée sur la scène du théâtre de Monsieur, « avec le plus parfait ensemble » (il semble que ce ne soit pas une qualité si fréquente). Six interprètes sont nommés, et tous remplissent leur emploi de façon efficace.]
THÉATRE DE MONSIEUR.
Le lendemain, 26 [mai 1789], on avoit annoncé la Comédie du Fabuliste. Une Actrice s’étant trouvée indisposée, cette Pièce a été remplacée par la première représentation de l'Amour & l'Intérêt, Comédie en vers.
Une jeune veuve, Julie, aime le Chevalier de Beauchêne, dont elle est adorée Une aventure de bal le lui fait croire infidèle. Comme elle est riche, & qu'elle se proposoit de lui donner sa fortune , son frère, homme très-intéressé, trouve l'occasion favorable pour ne pas laisser échapper cet héritage. Il aigrit l'esprit de sa sœur, & lui persuade d'épouser un vieillard. Beauchêne est consigné à la porte, & n'a pas même la liberté de se justifier. La Suivante de Julie, indignée des vûes sordides du frère, vient au secours de Beauchêne. Elle lui facilite une explication avec sa Maîtresse ; mais cet Amant, trop sincère, aehève de ruiner sa cause par la manière dont il la défend. Cependant la Soubrette ne perd pas courage. Par son conseil, Beauchêne feint de vouloir s'en aller en Allemagne. Le frère de la veuve, qui voudroit le voir bien loin, lui prête de fort bonne grace 500 louis, dont il a besoin. Voici à quoi ils servent. Le Vieillard qui prétend à la main de Julie, est fort avare ; pour s'en défaire, le Valet de Beauchêne prend le nom & l'habit d'un Médecin fameux, dont le Vieillard a beaucoup entendu parler. Il feint de blâmer son mariage ; il va plus loin, il a parié 1000 louis qu'il n'auroit pas lieu.
– Vous avez perdu, dit le vieux Dormont,
– Non, reprend le faux Médecin, car je vous en donne cinq cents pour différer au moins de six mois, & en effet il les étale sur la table. Cette vue décide l'avare, & il part. Beauchêne revoit Julie, déjà ébranlée, loin de son frère occupé à presser le contrat, plus persuadée par les sermens & les transports de celui qu'elle aime, qu'elle ne l'avoit été par ses raisonnemens, elle pardonne enfin à Beauchêne, & le frère est la dupe de ses propres artifices.
Cette Pièce, écrire avec grace, naturel, du meilleur ton, & conduite avec beaucoup d'art, a eu le plus grand succès. On a demandé l'Auteur avec enthousiasme ; le sieur Saint-Preux est venu nommer M. Fabre d'Eglantine. Le Public a redemandé la Pièce pour le lendemain ; & l'Auteur, appelé avec les plus vives instances, est venu recueillir des applaudissemens bien mérités.
Cette charmante Comédie est jouée avec le plus parfait ensemble ; elle a servi à développer, dans la plupart des Sujets de ce Théatre, des talens qu'on ne leur avoit pas encore soupçonnés. Mme. Lavigne, qui débutoit pour la première fois, a paru remplie d'intelligence, de finesse & de sensibilité; toutes ces qualités se sont montrées avec encore plus d'avantage aux représentations suivantes, & on ne peut que féliciter ce Théatre d'une si précieuse acquifition. M. Paillardelle a confirmé la grande idée qu'il avoit déjà donnée de son mérite. Il est impossible de mettre dans son jeu plus de chaleur & de variété. Madame Pélissier, qui sait allier à la grande vérité toute la grace & la finesse dont l'emploi de Soubrette est susceptible, a prouvé dans cette Pièce & prouve chaque jour qu'elle est faite pour devenir une Actrice du premier rang. On doit aussi beaucoup d'éloges à son mari, dans les rôles de Valets. Il rend sur-tout la scène du Médecin d'une manière très piquante. M. St Preux, malgré l'odieux du personnage dont il est chargé, a obtenu les applaudissemens que lui méritent une connoissance approfondie de la Scène, & une diction excellente. Enfin M. Chevalier, qui jusque-là n'avoit pas encore eu un seul rôle de quelque importance, a développé dans celui-ci des talens capables de justifier sa haute réputation. Il paroît maintenant démontré que la Troupe Françoise de ce Théatre n'a plus besoin que de bonnes Pièces, & celle-ci semble faite pour lui en procurer.
L’Esprit des journaux français et étrangers, 1789, tome VII (juillet 1789), p. 339-340 :
[Une pièce à laquelle le critique n’a rien à reprocher, hors de « quelques légeres négligences » sur lesquelles on aimerait avoir plus de précision.]
THÉATRE DE MONSIEUR.
Le 26 mai, on avoit annoncé à ce spectacle la comédie du Fabuliste. Au lever du rideau, le Sr. St.-Preux est venu dire que l’indisposition d'une actrice empêchoit de donner cette piece. Il a proposé en place la premiere représentation de l'Amour & l'intérêt, comédie en vers, dans laquelle Mde. Lavigne devoit débuter par le principal rôle. Cette double nouveauté ne pouvoit manquer d’intéresser les spectateurs, & on juge bien que l'échange a été accepté.
Julie, jeune veuve, tendre, sensible, mais d'humeur un peu jalouse, devoit épouser le chevalier de Beauchêne. Elle s'est mis dans la tête qu'il rendoit des soins à Hortense. La plus légere explication pouvoit terminer cette petite querelle ; mais un frere de Julie , homme avide & rusé, qui voyoit avec douleur passer dans d'autres mains une fortune qu'il convoitoit, profite habilement de cette circonstance, & envenime si bien auprès de sa sœur la conduite de Beauchêne , qu'elle consent à rompre avec lui, à lui fermer sa porte & à épouser un vieillard de plus de 6o ans. Une suivante, très-attachée à sa maîtresse, met tout en œuvre pour faciliter un raccommodement que l'adresse du frere parvient long-tems à éviter ; mais enfin il est pris dans ses propres filets, & une somme de 500 louis, qu'il prête lui-même à Beauchêne pour s'éloigner, sert, par un stratagême fort gai, à renvoyer son protégé sexagénaire, & une explication ménagée par la suivante acheve de tout raccommoder.
Cette piece, remplie d'imagination & conduite avec beaucoup d'art, offre plusieurs situations très-piquantes & d'un excellent comique ; le style, malgré quelques légeres négligences, a paru en général rempli d'esprit, de naturel & du meilleur ton. Le succès a été très-brillant. On a demandé l'auteur avec de vives instances ; le Sr. St-Preux a nommé M. Fabre d'Eglantine, & le public qui n'a pu le voir s'en est dédommagé en redemandant sa piece pour le lendemain.
(Journal de Paris.)
Mercure Français, n° 12 du 24 mars 1792, p. 107 :
[Publication de la brochure, à l’occasion de la reprise de la pièce.]
Le Collatéral, ou l’Amour & l’Intérêt, Comédie en trois Actes & en vers ; par P. F. N. Fabre-d’Eglantine, représentée sur le Théâtre de Monsieur, au Palais des Tuileries, le 26 Mai 1789 ; & reprise au Théâtre Français, rue de Richelieu, le 27 octobre 1791. A Paris, chez L. F. Prault, Impr-Libr. quai des Augustins, à l’Immortalité. Prix, 30 s.
Nous reviendrons sur cet ouvrage.
Mercure Français, n° 21 du 26 mai 1792, p. 90-102 :
[La publication du texte de la pièce de Fabre d'Églantine est l’occasion d’un article vengeur de la part de l’auteur de la partie littéraire du Mercure Français, La Harpe (et non pas Framery, le responsable de la rubrique des spectacles). Les raisons qui peuvent expliquer une telle sévérité ne sont pas claires (rivalité d’auteurs, rancœurs politiques ?). L'organisation de l’article est simple : après de brèves indications sur l’intrigue, le jugement tombe, sans appel : il va s’agir d’examiner si « les moyens que l’Auteur emploie pour former ce nœud & soutenir l’intrigue, pendant trois actes avec une querelle d’Amans, sont naturels & vraisemblables », et la réponse est claire, ils ne sont ni naturels, ni vraisemblables (les deux critères fondamentaux pour juger une œuvre dramatique). La démonstration prend successivement les trois personnages de la jeune veuve , de son amant et du « collatéral » (Forlis, dont le rôle est peu mis en avant, malgré le titre). Et chacun de ces personnages est contraire à la nature et à la vraisemblance. Et le critique examine longuement le couple qu’il juge principal pour en démontrer le caractère artificiel et invraisemblable. Derniers personnages cités, le vieillard qui se pose en rival de l’amant, un avare que nulle femme ne pourrait souhaiter d’avoir pour mari, et un valet que le critique trouve très convaincant dans une scène assez traditionnelle (et sans doute artificielle à nos yeux modernes) de tromperie, à coup de déguisement. Cette scène digne du Malade imaginaire (un valet déguisé en médecin !) est pour le critique la seule bonne scène de la pièce. Un seul personnage acceptable dans une pièce, c’est peu, d’autant qu’il est secondaire (même s’il permet de dénouement que le critique loue fort : nous serions sans doute moins indulgents). Après les personnage, le style qui « n’est pas supportable », ce qu’une série d’exemples est censé montrer. L’auteur, qui n’est pourtant pas un débutant, ne paraît pas pouvoir « désormais apprendre à écrire passablement ». Et on lui reproche une trop abondante production. Dernier reproche, l'utilisation d’un grand nombre de ce que nous appelons des didascalies, procédé condamnable pour le critique. Les grands auteurs du répertoire n’ont jamais utilisé ces indications dictant à l’acteur son jeu, et que le lecteur supporte difficilement. Molière a uitlisé une telle indication dans le Tartuffe, et le critique s’amuse de l’erreur d’un acteur, sans doute significative à ses yeux, d’un acteur n’ayant pas compris qu’ils ‘agissait d’une indication hors texte et l’ayant insérée dans son rôle.]
Le Collatéral, ou l’Amour & l’Intérêt, Comédie en trois Actes & en vers ; par P... F... N... Fabre-d'Églantine, représentée sur le Théâtre de Monsieur, au Palais des Tuileries, le 26 Mai 1789 ; & reprise au Théâtre Français, rue de Richelieu, le 27 octobre 1791. Prix, 30 s. A Paris, chez L. F. Prault, Imp-Libr. quai des Augustins, à l’Immortalité.
Forlis, homme avide & intéressé, frere d’une jeune & riche veuve, nommée Julie, dont il convoite la succession, emploie toute son adresse à rompre un mariage projeté entre elle & Beauchê, le jeune homme qu’elle aime & dont elle est aimée. Il profite d’une brouillerie survenue entre les deux Amans pour proposer un autre mariage plus conforme à ses vues, avec un vieux garçon nommé Dormont, homme très-avare : il se flatte, vu l’âge de ce nouveau prétendu, qu’il ne naîtra point d’enfans de cette union, & de plus il compte faire insérer dans le contrat la cession entiere des biens de Dormont en faveur de Julie. Voilà donc l’intérêt qui combat l’amour, comme le titre l’annonce : voyons si les moyens que l’Auteur emploie pour former ce nœud & soutenir l’intrigue, pendant trois actes avec une querelle d’Amans, sont naturels & vraisemblables.
Le sujet de la querelle, c’est que Beauchêne a proposé une partie de bal à sa maîtresse, qui, n’aimant pas la danse, a refusé d’y aller. Cependant son humeur jalouse & soupçonneuse l’a portée à se rendre à ce bal pour y observer, sous le masque, la conduite de Beauchêne. Elle l’a vu courtiser une jeune femme nommée Hortense, & c’est de-là qu’elle est partie pour accepter sur le champ la main de ce vieux Dormont que son frere lui a présenté. Le contrat est prêt à se faire ; le Notaire est mandé, & tout cela dans l’espace de deux jours ; car l’action se passe au troisieme jour depuis l’aventure du bal.
Toute cette conduite de Piece est destituée de vraisemblance ; tout y est faux & forcé. On ne nous dit même pas que jusque là Beauchêne eût donné à sa maîtresse des sujets de jalousie ; on ne nous dit point qu’il ait rendu à Hortense des soins qui pussent la faire regarder par Julie comme une rivale à craindre ; & ces suppositions antérieures étaient nécessaires pour donner au moins quelque probabilité aux résolutions violentes & absolues de Julie. On nous représente, au contraire, son Amant comme un homme tendre & timide. Je demande s’il est possible que dans cet état de choses, une femme qui aime puisse prendre le parti de renoncer sur le champ à un mariage annoncé, & de se jeter, jeune & riche comme elle est, dans les bras d’un vieil avare ; s’il est naturel qu’elle ne cherche pas au moins une explication avec son Amant, mouvement inséparable de l’amour offensé, qui peut bien, par une affectation de fierté, dire qu’il ne veut rien entendre ; mais qui, dans le fait, n’a jamais rien de plus pressé que de dire tout ce qu’il a sur le cœur, & d’écouter tout ce qu’on peut lui répondre ? Enfin y a-t-il la moindre proportion entre le dépit momentané que peuvent causer des coquetteries de bal, & la résolution extrême, on peut dire même désespérée, que prend Julie ? Non, rien de tout cela n’est dans la nature. Julie ne fait rien de ce qu’elle doit faire. Beauchêne s’est présenté plusieurs fois chez elle, a rodé autour de sa porte, & n’a pi pénétrer jusqu’à elle, ni lui faire parvenir aucun message, parce que Forlis a donné des ordres au portier. Admettons qu’il ait pris sur lui de donner de pareils ordres chez sa soeur ; supposons qu’il ait osé les donner au nom de Julie ; comment Julie qui doit trouver incompréhensible l’éloignement & le silence de Beauchêne, ne s’informe pas t-elle pas s’il est venu, ou s’il a envoyé, ou s’il a écrit ? Comment sa Suivante, Lisbeth, qui est dans les intérêts de Beauchêne, ne prend-elle pas des informations du portier ? Comment Beauchêne lui-même, si la porte est fermée pour lui, n’a-t-il pas l’esprit d’envoyer un commissionnaire, de faire rendre une lettre à la Suivante pour sa maîtresse ? Comment reste-t-il sans action & sans moyens pendant deux jours, lorsqu’on pare dans toute la ville du mariage de Julie avec Dormont ? Il n’y a point d’amoureux de seize ans qui fût si mal-adroit. C’est là, sans doute, un tissu d’invraisemblances inexcusables ; mais l’Auteur en avait besoin pour prolonger cette situation forcée jusqu’à la fin du 3e. Acte. Il a bien senti pourtant qu’il ne pouvait s dispenser d’une entrevue entre les deux Amans ; mais comme leur querelle est de nature à ne pas durer un quart d’heure entre deux personnes qui s’aiment de bonne foi, il a bien fallu qu’il fît parler & dialoguer ses personnages à contre-sens dans la scène qu’ils ont au second Acte ; il prête à Julie le langage le plus déraisonnable, le plus opposé à l’amour, je dis à l’amour irrité ; & dans son plan, Julie est amoureuse. Certes, il n’y paraît pas dans cette scène qui était décisive ; rien n’y ressemble à la tendresse affligée ; pas un mouvement du cœur ; pas un accent de sensibilité ; une hauteur soutenue & insultante, une obstination gratuite à repousser,les meilleures raisons ; elle incidente & querelle ridiculement, non pas sur le fond de la dispute, sur ses sujets de jalousie, mais sur chaque parole de Beauchêne, qu’elle interprete avec la plus insigne mauvaise foi : en un mot, elle joue le rôle d’une femme qui n’aime plus & qui veut rompre, à quelque prix que ce soit ; & certainement ce n’est pas le dessein de l’Auteur, ce n’est pas son sujet, puisqu’ailleurs il la montre aux spectateurs comme ayant toujours de l’amour pour Beauchêne, & qu’elle finit par se raccommoder avec lui & par l’épouser.
Ce n’est pas tout : comme il voulait que cette scène, qui, dans l’ordre naturel, devait nécessairement finir la brouillerie, la prolongeât & l’envenimât, il a été obligé de dénaturer le rôle de Beauchêne comme celui de Julie. En conséquence il a imaginé de mettre dans la bouche, à la fin de cette entrevue, ce qui, peut-être, depuis qu’il y a des Amans, ne s’est jamais trouvé dans la bouche d’aucun d’eux. Forlis est venu se mettre en tiers dans cette explication, & l’on imagine bien que ce n’est pas pour y apporter la paix ; nous verrons tout-à-l’heure avec quelle maladresse choquante & improbable il se met à découvert ; mais actuellement il s’agit de Beauchêne. Forlis lui reproche les éloges qu’il lui a entendu plus d’une fois prodiguer à la beauté & à l’esprit d’Hortense. Quelle est la réponse de Beauchêne ? On ne s’y attendrait pas : la voici.
. . . . . . . . Au prix de tout mon sang,
Non, je ne puis cesser d'être sincère et franc.
Hortense, dites-vous, est celle que j'adore :
Et bien ! je conviendrai, je dirai même encore,
Avec mille autre gens, et qui ne l'aiment pas,
Qu'Hortense est en effet un prodige d'appas,
Que son esprit est vif, son caractère affable,
Sa conversation gaie, amusante, aimable,
Qu'elle a d'aussi beaux yeux qu'on puisse les avoir ;
Même j'ajouterai, que chez Verseuil, un soir,
Ils firent l'entretien d'un assemblée entière ;
Que sa bouche est la rose ; et s'il ne faut rien taire...
On voit qu’il n’est pas encore prêt à finir ; mais Julie, comme on peut s’y attendre, en a bien assez, & l’interrompt dans ce bel enthousiasme, pour l’envoyer auprès de celle qui en est l’objet. Pour cette fois, il n’y a pas de femme au monde qui, à sa place, n’en eût fait autant mais aussi quel homme que ce Beauchêne ! Quel autre que lui s’est jamais avisé, je ne dis pas seulement de se livrer à cette profusion de louanges pour une autre femme, en présence de celle qu’il aime, mais encore de prendre le moment où sa maîtresse est jalouse & blessée, pour se répandre en éloges si passionnés de celle qu’elle regarde comme sa rivale ? On peut, sans doute, devant sa maîtresse louer une autre femme, mais ce n’est ni avec cet excès, ni dans une pareille occasion.
J’ai dit que Forlis ne mettait aucune adresse ni aucune mesure dans sa malignité. En effet; il est ami de Beauchêne : celui-ci le prie d’intercéder pour lui auprès de Julie ; il reconnaît son tort ; & c’est dans ce même instant que Forlis charge les accusations avec une violence outrée & révoltante : il n’y a qu’à l’entendre.
Oui-dà ! qui veut vous croire
Ne trouve dans vos tours que des sujets de gloire.
Mais réfléchissez bien : le cœur ... Je neveux pas
Exciter entre vous quelque fâcheux débats
Mais vos nouveaux projets ont fort mauvaise grace.
Il n'est qu'un esprit faux, frivole, un cœur de glace
Qui puisse préférer Hortense....
A ces expressions grossieres que nul honnête homme ne peut endurer, surtout de la part d’un ami, Beauchêne se contente de se récrier par ce seul mot : Ah ! préférer ! Quoi ! c’est-là la réponse d’un homme qui s’entend traiter par un ami d’’esprit faux, frivole, de cœur de glace, & devant sa maîtresse ! Quoi ! dès ce moment il ne s’apperçoit pas que cet ami dont il vient d’implorer les bons offices, & qui l’accuse d’une préférence dont il n’a pas la moindre preuve, joue évidemment le rôle d’un fourbe ! Il ne lui rompt point en vssiere, à cette sortie si indécente, si déplacée ! Il ne forme pas même dans toute la scène la moindre plainte contre lui ! & dans l’Acte suivant, il lui emprunte de l’argent ! Il lui parle encore avec confiance & cordialité ! Il n’a aucun soupçon contre lui ! Lisbeth ne l’a pas averti de s’en défier ! Quel amas d’impossibilités morales !
Je suis entré dans ce détail critique, parce que M. d'Églantine, qui a fait voir qu’il savait ce que c’était qu’un plan & une intrigue, doit, avec un peu de réflexion, sentir qu’il a oublié ici tous les principes de l’Art, principes qu’il a si bien observés dans Philinte & dans l’Intrigue Epistolaire. Il doit savoir que tout ce qui est faux & hors de nature, est essentiellement anti-dramatique ;& voilà trois personnages principaux qui sont dans ce cas.
Je ne parle pas de la plate imbécillité de Dormont. L’Auteur avait besoin d’une dupe de cette espece pour la seule bonne scène de sa Piece ; pour celle qui lui fournit un dénouement. Ne pouvant le trouver, d’après son plan, dans une scène de sentiment entre les Amans brouillés, il a recours à une friponnerie de Valet pour éconduire Dormont : mais du moins cette scène est fort plaisamment imaginée, & l’exécution en est agréable & gaie. On y retrouve le talent comique de l’Auteur. Zacharin, valet de Beauchêne, se déguise sous l’habit & le nom d’un fameux Médecin de la ville ; il vient trouver Dormont, lui dit qu’il a entendu parler de son prochain mariage qu’il traite de folie ; qu’il a parié mille louis contre, que le pari a été couvert, & que si Dormont veut le lui faire gagner en rompant le mariage, qu’après tout il peut renouer au bout de six mois, la moitié du pari gagné lui appartiendra. Il lui présente en même temps, d’un côté, cinq cents louis en cinq rouleaux, & de l’autre, tous les accompagnemens du mariage pour un homme de l’âge dont il est : il n’y a pas à balancer pour un avare à qui d’ailleurs on demande un abandon de tout son bien dans le contrat projeté, et qui, sur tout ce que Lisbeth lui a dit de sa future, ne doit pas en être fort tenté. Dormont prend donc l’argent ; et le bon de l’affaire, c’est que Forlis l’a prêté à Beauchêne pour les frais d’un voyage que celui-ci doit faire en Allemagne. Dormont parti, on fait entendre à Julie, en lui racontant ce qu’on a imaginé pour la délivrer de Dormont. L’incident & la scène méritent des éloges ; mais une scène ne fait pas une Piece, ne saurait couvrir tant de fautes, ni racheter un si mauvais fond.
A l’égard du style, si l’on excepte la scène de Zacharin, il n’est pas suppportable. « Une querelle extrême »... »Il voit de loin, lui, loin des siens ».... « Suis je capable » ? (pour dire habile : capable, dans le sens absolu, ne se dit jamais que de celui qui affecte la capacité. « Vous doublez mon courroux ». (On redouble un courrous ; on ne le double pas.) « Je ne peux d’un homme, quel qu’il soit, captiver donc les voeux » ! Voilà un donc bien placé ! « Son aspect ne peut être éludé ». Eluder un aspect ! « Elle a sas doute la folie d’élancer de son coeur sa pensée après vous, &c. » Cet étrange jargon, qui blesse également la Langue, l’oreille & le bon sens, se retrouve à toutes les pages ; presque tous les vers sont chargés de chevilles. Il est difficile d’écrire plus mal, & difficile d’espérer que l’Auteur, malgré tout ce qu’on a pu lui dire, veuille ou puisse désormais apprendre à écrire passablement.
Il est manifeste que M. d’Eglantine compose avec une malheureuse précipitation qui ferait avorter un plus grand talent que le sien, & qui détruira enfin jusqu’aux espérances qu’il avait données. Voilà, dans l’espace de quelques mois, deux Ouvrages de lui, l’Héritière & le Sot orgueilleux, deux Pieces en 5 Actes, qui ont lassé jusqu’à l’indulgence que le Public y apportait : celle-ci n’a guère eu plus de succès. Si M. d’Eglantine se persuade que c’est le Public qui a tort, il n’y a plus de ressource.
Un autre travers choquant dans le Collatéral, mais qu’on retrouve aussi, quoique moins marqué, dans beaucoup d’autres Pieces imprimées, c’est cette affectation prétentieuse de tracer à chaque ligne le jeu & la pantomime de l’Acteur. « Forlis saisissant la pensée de sa sœur avec une précaution avide...... Julie, avec un dépit excessif....... Forlis, voyant son imprudence renforce sa voix & la séduction..... préparant le dernier vers & appuyant dessus....... débitant vite sous la main........ appuyant avec mystère.....Forlis, glissant avec une force sourde & craintive..... coupant net avec un dépit concentré..... confidemment & spécifiant bien....... &c. &c. &c. » On peut mettre de pareilles notes sur le rôle d’un Acteur ; mais le Lecteur en est impatienté, & n’y voit que la petite charlatanerie d’un Auteur qui rejette dans la pantomime l’expression qu’il n’a pas su mettre dans le style. Il est permis quelquefois d’indiquer l’esprit général d’une scène, dans des occasions importantes où les Acteurs peuvent se méprendre. Voltaire l’a fait quelquefois ; mais il y a loin de ces précautions rares à cette bigarrure continuelle de petits avertissemens italiques, dont on noircit aujourd’hui toutes les pages d’un Drame.
Corneille, Racine & Molière ne connaissaient pas ces grandes ressources, & mettaient leurs intentions en vers & non en notes. Ils ne se croyaient pas non plus obligés de joindre à la lsite des personnages le caractere de leur rôle....... « Veuve, femme sensible, tendre, mais jalouse, ambitieuse & violente.... Homme adroit, souple & intéressé.... Homme sensible, délicat, mais naïf, franc & absolument étranger à la duplicité des gens du monde, &c. &c. ». Eh ! montrez-nous tout cela dans la Piece, &, comme dit le Misanthrope, nous verrons bien. Moliere ne nous a pas avertis que Tartuffe était un hypocrite profond, un homme rusé, plein de présence d’esprit, &c. Il s’en est rapporté à sa Piece & à nous. Il est vrai que dans l’imprimé, il se crut obligé de mettre en marge, à un endroit où Tartuffe débite une morale affreuse, c’est un scélérat qui parle. Un Acteur, homme d’esprit, sans doute, crut que ces mots faisaient partie de son rôle, & ne manqua pas de dire :
Il est avec le Ciel des accommodemens.
C’est un scélérat qui parle, &c.
Dans la base César : la première a eu lieu au Théâtre de Monsieur le 26 mai 1789, puis, dès le 26 mai, la pièce est jouée au Théâtre Feydeau, pour une série de 19 représentations, jusqu'au 10 février 1790 ; elle est reprise le 21 décembre 1790 : 3 représentations au Théâtre Feydeau (du 21 décembre 1790 au 25 janvier 1791), puis 5 représentations au Théâtre français de la rue de Richelieu (du 27 octobre 1791 au 4 mai 1792). La pièce est également jouée au Grand Théâtre de la Monnaie à Bruxelles : 6 représentations du 25 juin 1792 au 11 décembre 1792.
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