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Élisca, ou l'Amour maternel
Élisca, ou l’amour maternel, opéra en trois actes, par les Cs Favières et Grétry. 12 nivôse an 7 (1er janvier 1799).
Théâtre de la rue Favart, Opéra-Comique.
L'opéra-comique de Favières, musique de Grétry a connu deux versions, qu'il est utile de distinguer, en raison de l'importance des modifications apportées à la première version de 1799 lors de sa reprise en 1812, avec un sous-titre différent :
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en 1799, Élisca, ou l’Amour maternel, de Favières, musique de Grétry ;
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en 1812, Élisca ou l'Habitante de Madagascar, de Favières et Grétry neveu, musique de Grétry. L'intervention de Grétry neveu est peu souvent signalée dans les comptes rendus de 1812.
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Titre :
Élisca, ou l’Amour maternel (1799), puis : ou l'habitante de Madagascar (1812)
Genre
opéra comique (drame lyrique mêlé d’ariettes)
Nombre d'actes :
3
Vers / prose
prose, avec des couplets en vers
Musique :
ariettes
Date de création :
12 nivôse an 7 [1er janvier 1799], puis 5 mai 1812
Théâtre :
Théâtre de l’Opéra Comique
Auteur(s) des paroles :
Favières
Compositeur(s) :
Grétry
Almanach des Muses 1800
Elisca, jeune Européenne, se trouve à Madagascar, mariée à Ziméo, naturel du pays. Une coutume superstitieuse et barbare veut que les enfans nés un certain jour, soient brûlés en l'honneur du grand Myang, dieu que l'on y adore. C'est ce jour-là qu'Elisca a mis au monde un fils. Le grand-prêtre veille à l'exécution de la loi, Elisca veut s'y soustraire. Elle abandonne son époux, et fuit avec son fils dans une île où s'est retiré le vertueux Macdonado, ancien chef des Portugais, et gouverneur de Madagascar, qui en a été chassé par le grand-prêtre. Le vieillard veille, dans cette île, à l'éducation des enfans qu'on a eu le bonheur d'arracher au supplice ordonné par la coutume. Le grand-prêtre découvre la retraite d'Elisca, l'y poursuit, s'empare du vieillard, des enfans qu'il y élève, d'Elisca, de son fils, et se propose d'en faire le jour même autant de victimes immolées à Myang. Mais un frère d'Elesca, ravi jadis par Macdonado à la barbarie de la coutume, est parvenu à raffermir Ziméo, que les menaces du grand-prêtre avaient intimidé ; il s'arme, se met à la tête de quelques insulaires révoltés, fond sur le bourreau fanatique, allume pour lui le bûcher préparé pour Macdonado et le fils d'Elisca, rétablit le vieillard vertueux dans la domination de Madagascar, et abolit pour jamais le culte affreux de Myang.
Sujet intéressant qui a produit peu d'effet. On a reproché à l'auteur trop de détails, pas assez d'art dans la conduite de la pièce, trop de spectacle pour les yeux, trop peu d'aliment pour le cœur.
Musique de Grétry. C'est le cinquante-deuxième ouvrage que ce compositeur donne à nos théâtres lyriques.
Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Cailleau, an VII :
Élisca, ou l'amour maternel, drame lyrique, En trois Actes en prose, mêlé d'Ariettes. Paroles d'Ed. Favières. Musique de Grétri. Représenté, pour la première fois, sur le Théâtre de l'Opéra-Comique National, le 12 nivôse de l'an 7 de la République.
Raphaëlle Legrand, « Élisca ou les dangers de l'exotisme », in Grétry et l'Europe de l'opéra-comique, sous la direction de Philippe Vendrix (Pierre Mardaga éditeur, Liège, 1992), p. 155-156 :
[La contribution de Raphaëlle Legrand occupe les pages 155 à 166. Elle insiste sur l’exotisme de la pièce, y compris dans les décorations. mais peut-être faut-il aussi insister sur la dénonciation du fanatisme que la pièce développe.]
Le 12 nivôse an VII de la République (1er janvier 1799), l'Opéra-Comique National donnait la première représentation d'Élisca ou l'amour maternel, drame lyrique en trois actes en prose, mêlé d'ariettes, de Favières et Grétry.
Le soir de la première, le succès d'Élisca semblait décidé. Les comptes rendus des journaux, le lendemain, sont fort élogieux :
« Ce poëme offre de l'intérêt, et surtout des fêtes et un spectacle superbe. [...] Superbes décorations, vérité des costumes, tout se trouve à la fois dans cet ouvrage qui est monté avec un luxe, un ensemble brillant faits pour attirer la foule à ce spectacle. Mais ce qui l'y amènera longtemps, c'est la belle musique de l'immortel Grétry. » [Journal des Théâtres, (13 nivôse an VII/2 janvier 1799), pp. 134-135.]
Le compositeur fut en effet couronné de lauriers à la fin du spectacle, sous les ovations du public. D'après divers journaux, la troisième représentation « avait attiré un concours prodigieux de spectateurs. » [Ibidem, (18 nivôse an VII/7 janvier 1799), p. 154.] Cependant les Parisiens se lassèrent assez vite de l’œuvre qui disparut des programmes après quatorze représentations. Élisca, profondément remaniée et pourvue d'un nouveau sous-titre, l'Habitante de Madagascar, ne fut reprise qu'en 1812.
Cette rapide désaffection, après une première flambée d'enthousiasme, s'explique sans doute par l'originalité du propos de Favières : donner au public français une peinture exacte des mœurs et coutumes malgaches. Ce projet fut poussé fort loin, puisqu’il impliqua non seulement le texte du livret, la musique de Grétry, mais aussi et surtout décors, costumes, accessoires et mise en scène.
Courrier des spectacles, n° 675 du 8 nivôse an 7 [28 décembre 1798], p. 4 :
[De façon peu habituelle, trois jours avant la première représentation, le journal publie une lettre de Favières (qui ne donne pas son nom) donnant des informations « ethnographiques » permettant de comprendre le sujet de la pièce qui sera jouée le 12 nivôse, comme s’il craignait que le public soit dérouté par le sujet exotique de sa pièce.]
AU RÉDACTEUR
DU COURRIER DBS SPECTACLES.
Citoyen,
Accueillant les réflexions qui peuvent intéresser la littérature et les arts, je vous prie de vouloir bien insérer, la note que je vous adresse.
L’ouvrage que je dois offrir au public le 12 nivôse, transportant le spectateur dans un pays étranger, les données sur les coutumes et les usages étant différentes, suivant les époques où les voyageurs ont écrit, j’ai cru devoir présenter à mes juges quelques détails exacts puisés dans dans les mémoires (*) de deux Français qui écrivoient sur le lieu même, et qu’ils habitèrent long-tems.
La scène se passe à Madécase, sur la côte du canal de Mozambique, dans une peuplade composée d’Arabes réfugiés, et qui contractèrent des alliances avec les naturels du pays. Les portugais furent les premiers européens qui abordèrent dans cette isle en 1506. Ils y bâtirent le fort Dauphin.
Ces insulaires du pays naturellement superstitieux, avoient la foiblesse de regarder plusieurs jours de l’année comme malheureux, et leur usage étoit de sacrifler à Niaug (mauvais genie) tous les enfa ns qui naissoient à ces époques, marquées parla fatalité. Le jour de la cérémonie, le peuple s’assembloit au Donac, palais des Rohandrians, ou chefs de l’île. Les Ombis, ministres de Niaug, recevaient les victimes que l’on précipitoît dans un bûcher, au son des lambis, des tam-tam et des balafo, instrumens du pays. Un vieillard européen fut assez courageux pour s’élever contre cette coutume barbare ; l’humanité place le nom de cet homme sensible auprès de celui du vertueux Las-Casas, si interessant dans l’histoire du Mexique.
Ayant rappellé au public ces légers détails, que j’ai cru nécessaires pour le familiariser d’avance avec des noms un peu sauvages, je garde le silence sur le poëme, dont le jugement ne m’appartient plus.
L’auteur d’Elisca.
Courrier des spectacles, n° 680 du 13 nivôse an 7 [2 janvier 1799], p. 2-3 :
[Le journal a déjà dit quel est le « fonds du sujet de l’opéra » ; et l’article peut passer immédiatement aux « détails », longuement expliqués acte par acte, sans porter de jugement. Mais ce très long résumé a pris trop de temps et trop de place, et le rédacteur reporte son jugement au lendemain. Il ne peut que donner le nom des auteurs, et évoquer rapidement les marques d’enthousiasme qui ont été montrées à Grétry, le modeste Modeste Grétry.]
Théâtre Favart.
Le fonds du sujet de l’opéra en trois actes, qui a été donné hier pour la première fois sur ce théâtre, avoit été indiqué dans notre feuille du 8 de ce mois. Ils se trouve, en quelque sorte, rapporté dans les détails suivans.
Sur la côte du canal de Mosambiqne, existe, au milieu des naturels du pays, la jeune Elisca, épouse de Ziméo, leur chef ; par suite d’une coutume barbare établie chez ces insulaires superstitieux, les enfans nés sous certains jours de l’année considérés comme malheureux, sont voués à la mort ; et l’enfant d’Elisca a pris naissance à l’une de ces fatales époques. Un bon insulaire, Jago, soustrait le plus d’enfans qu’il peut à cette loi cruelle, en les enlevant dans une nacelle pour aller les déposer chez Macdonado, généreux portugais, que les Madécases, autre fois , ont chassé de l’isle, et qui a fondé une habitation sur la côte voisine. Parmi ces barbares et dans Anossi, leur capitale, il existe encore deux êtres sensibles, Zabi, indien, qui arrose constamment de ses larmes le tombeau de sa chère Etoé, et Amazilli, frère d’Elisca. Zabi est dévoué à Elisca. Il observe pour elle le retour de Ziméo, qui, avec Amazilli, est allé combattre les Caffres. Tous deux sont vainqueurs, tous deux sont de retour ; Amazilli, précède de quelques instans Ziméo auprès d’Elisca, au milieu des transports de la joie la plus vive. Ils vont jurer de conserver, au mépris d’une coutume odieuse, 1es jours de l’enfant d’Elisca, lorsque le chef des Ombis, ministres du dieu Riang, réclame cet enfant pour le faire mourir. Il prédit à Ziméo que cet enfant, s’il n’est pas sacrifié, à l’exemple du sanguinaire Zulbar, couvrira un jour le pays de dévastation et de carnage. Ziméo est ébranlé par cette menace, Elisca indignée de cette foiblesse, arrache une branche de palmier, la fixe en terre devant sa demeure, dont le seuil, par ce signe, est désormais interdit à Ziméo. « Vas, lui dit-elle, Elisca saura seule garder son enfant, et elle sera plus riche que Ziméo. » Ce dernier trop superstitieux, croit obéir an ciel et préserver son pays des plus grands malheurs ; mais sa tendresse pour son fils allume le désespoir dans son cœur : il veut aller mourir au milieu des combats ; il désigne Amazilli pour son compagnon d’armes ; ce choix se solemnise au milieu d’une cérémonie religieuse. Les Ombis comptent sur-tout sur le courage d’Amazilli ; il pourra réclamer une grande récompense s’il est vainqueur ; tout se prosterne devant ce jeune guerrier. Elisca profite de ce moment favorable pour voler au rivage et sauver son fils dans une nacelle prête à voguer jusqu’à l’habitation de Macdonado. Ce tableau et l’incident qui lui donne de l’intérêt, termine le premier acte.
On est dans l’habitation de Macdonado, tous les enfans qui la peuplent sont ceux de Jago à soustraits à la mort, et que cet ami de l’humanité a recueillis ; on les voit occupés à la culture et à divers travaux ; lui-même entouré des plus jeunes adresse avec eux des vœux au ciel pour le bonheur de ses semblables. Il les entretient d’une morale, douce leur parle de bienfaisance, d’amitié, surtout d’oubli des injures. Touchant tableau de mœurs pures, simples, patriarchales ! Jago et bientôt Elisca et son enfant viennent dans cette case hospitalière, Zabi accompagne ces fugitifs, les deux Indiens lient amitié, la cimentent par le partage du calumet, et tous sont témoins des exercices des enfans de l’habitation, quand tout-à-coup cette petite fête est troublée par l’irruption des insulaires, qui, ayant le chef des Ombis à leur tête, fondent sur Macdonado et l’entrainent.
On voit (au troisième acte) la disposition du bûcher dans lequel doit être précipité l’enfant d’Elisca ; Amazilli lui-même, né sous un jour fatal, et qui n’a dû la vie qu’à l’humanité d’un Européen, frémit à la vue de ces apprêts. Ziméo paroît à son tour ; ils sont venus pour combattre une horde ennemie sur cette côte ; ils ignorent l’irruption faite sur l’habitation de Macdonado ; mais Ziméo est privé d’Elisca, qui lui est enlevée, il est transporté de fureur : cette épouse qu'il pleure a été sauvée par Jago, ainsi que son enfant. Cette circonstance amène dans le cœur de Ziméo le triomphe de la nature sur la superstition ; il a horreur d’un culte sanguinaire, et Amazilli lui fait jurer de l’abolir. Jago se jette à la nage pour aller reclamer l’appui des Portugais ; bientôt on vient annoncer que les deux partis vont en venir aux mains. Amazilli, dont la seule présence peut arrêter l’effusion du sang, se rend au vœu des armées qui le demandent. Cependant les Ombis viennent dresser le bûcher ; leur chef ordonne qu’on y précipite le généreux Macdonado, que les ministres du culte saisissent, les Indiennes s’opposent en vain à cette barbarie, leurs efforts sont repoussés, et Magdonado va périr dans les flammes, lorsqu'Amazilli et Ziméo vainqueurs paroissent à la tête de leurs guerriers ; et c’est le chef cruel des Ombis qui est jetté dans la fosse que couvre le bûcher. Amazilli réclame pour récompense que la peuplade lui a promise, l’abolition d’un culte que l’humanité réprouve, et les Indiens se rendent avec joie à ses désirs.
(Pressés par l'heure et gênés par le défaut de place, nous regrettons d’être obligés de remettre à demain à énoncer notre opinion sur cet ouvrage qui a eu le plus grand succès. Nous nous contenterons de dire que les paroles, sont du cit. Favières, et la musique de l’immortel Grétry. On a voulu rendre à ce dernier un hommage particulier : une couronne a été jettée sur la scène ; Grétry a été appellé à grands cris ; il a été ramené par des artistes recommandables, et couronné, au milieu des acclamations du public ; des larmes d’attendrissement couloient des yeux de cet il lustre et modeste compositeur.)
Courrier des spectacles, n° 681 du 14 nivôse an 7 [3 janvier 1799], p. 2 :
[Le jugement promis : réticence pour le dénouement, « brusque et précipité » (c’est un reproche classique) ; les événements sont d’ailleurs plus généralement mal répartis, trop rares à l’acte deux, au contraire du premier acte. Il montre bien le talent de l’auteur, déjà connu par des œuvres appréciées. C’est la musique qui a droit aux plus vifs éloges, et le critique souligne ses qualités, essentiellement l’adéquation de cette musique au sujet. Il énumère un bon nombre de morceaux remarquables. « Le jeu des acteurs, les costumes, les décors ont ajouté au charme de ce spectacle. », et l’article s’achève par la liste des acteurs, tous jugés excellents.]
Théâtre Favart.
Nous avons promis de faire quelques observations sur la charmante pièce donnée avant-hier à ce théâtre.
Le dénouement nous a paru brusque et précipité. On sembloit faire à l’auteur le reproche d’avoir pressé les incidens au troisième acte , après les avoir trop épargné [sic] dans le second ; celui-ci, en effet, offre dans l’action quelques vuides que remplissent à la vérité, des tableaux pleins de naturel et de sentiment, mais trop prolongés ; les scènes d’enfans veulent être infiniment ménagées, d’autant plus qu’elles ne sont, le plus souvent, qu’épisodiques, et coupent le nœud du sujet. On n’a point ce reproche à faire au premier acte, dont le mérite ne peut bien s’apprécier qu’à la représentation. Cette pièce, écrite avec pureté, rappelle tout le talent du citoyen Favières, auteur de Paul et Virginie, de Lisbeth, etc.
La musique de cet opéra fait, en quelque sorte, un poëme suivi, tant elle rend les situations avec nature, tant elle exprime les sentimens avec vérité ; mais ce dont il seroit impossible de rendre compte, c’est ce genre inimitable, cette composition qui semble peindre les mœurs du pays, ce ton de localité qui fait tant d’illusion ! Tel nous qualifierons le style soutenu de ce nouvel ouvrage d’un auteur inépuisable et toujours nouveau. Une ouverture de caractère et d’une grande beauté, au premier acte un air de désespoir bien dans les mœurs et dans la situation de Ziméo. Tous les chœurs des ombis sont également beaux. Au second acte, un duo tout-à-fait original entre Jago et Zabi, qui fut redemandé et recommencé, l’air de Magdonado entouré de ses enfans ; au troisième acte un chœur coupé par un air délicieux que le basson accompagne presque toujours seul, ont excité les plus vifs applaudissemens. Le jeu des acteurs, les costumes, les décors ont ajouté au charme de ce spectacle.
Les citoyens Gavaudan, Chenard, Philippe, Solié, Moreau, Paulin et la citoyenne Saint-Aubin remplissent tous chacun leur rôle de manière à être au-dessus de tout éloge.
L’Esprit des journaux français et étrangers, vingt-huitième année, volume V, pluviôse an 7 [février 1799], p. 212-215 :
[Sous un titre différent de celui qu’on lui connaît d’habitude (l'amour est devenu tendresse), le compte rendu donne d’abord un assez long résumé de l’intrigue, sans cacher qu'elle manque un peu de cohérence (« on ne sait trop comment »). Le dénouement insiste sur ce qui est peut-être l’essentiel de la pièce, la lutte contre le fanatisme. Le jugement porté sur la pièce signale ensuite un paradoxe : un tel sujet devrait susciter un très vif intérêt chez les spectateurs, rien ne le motivant mieux que la représentation de l’amour maternel. Or la pièce « produit peu d’effet », et le critique en donne un grand nombre d’explications : d’abord la conduite maladroite de la pièce, le manque d’enchaînement des événements puis la surabondance des « détails accessoires » qui « étouffe » le « nœud principal » ; le manque de nuances du personnage d’Élisca, « plus emporté que sensible » ; enfin, « le luxe même des décorations, des tableaux prodigués sans mesure » qui fait mieux voir « les défauts de la pièce ». C’est le livret qui est mis en cause, la musique étant au contraire couverte de compliments, Grétry ayant même connu l’honneur d’être couronné par un public enthousiaste.]
THÉATRE DE L'OPÉRA COMIQUE NATIONAL, RUE FAVART.
Eliska, ou la tendresse maternelle.
A Madagascar, une coutume cruelle & superstitieuse a condamné les enfans nés un certain jour, à être livrés aux flammes & offerts en sacrifice au grand Myang, dieu de ces contrées.
Un grand prêtre fanatique règne sur cette île avec toute la tyrannie spirituelle qui toujours caractérise les interprêtes exclusifs de la voix céleste. Il ordonne le maintien du barbare usage & la recherche exacte de ces enfans.
La compassion d'un insulaire en arrache tous les ans quelques-uns à la fureur du grand prêtre, & les transporte dans une île peu éloignée où s’est retiré Macdonado, ancien chef des Portugais, qui avoit été maître de Madagascar & qui en a été chassé par le grand-prêtre actuel. Ce Macdonado, vieillard vertueux & compatissant, élève tous ces malheureux enfans proscrits à leur naissance, dans les principes de la vraie religion, | 'est à dire, de l'humanité.
A Madagascar se trouve Eliska, jeune Européenne, épouse de Ziméo, naturel du pays. Elle a un fils né le jour fatal. Elle est résolue à le dérober à la loi cruelle ; mais le grand-prêtre qui connoît son secret, veut lui arracher son fils, & parvient à intimider le superstitieux Ziméo lui-même, qui dominé par l'empire de sa croyance & par les menaces du pontife, veut livrer son enfant. Eliska, entraînée par un amour maternel exalté, abandonne son époux, & fuit avec son fils dans l'île du vertueux Macdonado.
Mais le grand-prêtre poursuit ses droits & sa vengeance, découvre le lieu de la retraite, on ne sait trop comment, s'empare du vieillard, d’'Eliska, de son fils & de tous ses enfans, les fait reconduire à Madagascar, & se propose d'en faire, le jour même une hécatombe à Myang offensé.
Mais un frère d'Eliska, ravi jadis comme les autres à la loi cruelle par Macdonado, parvient à éclairer Ziméo, à l'armer contre le barbare oppresseur des mères & de son propre fils. Ils fondent à l'improviste, avec le secours de quelques insulaires insurgés, sur le grand-prêtre, l’immolent lui-même sur le bûcher qu'il destinoit à Macdonado & au fils d'Eliska, rétablissent le bon vieillard dans la domination de l'île, & abolissent pour jamais le culte atroce du farouche Myang.
Certes, cette analyse paroît annoncer d'autant plus d'intérêt que l'amour maternel, ce sentiment impérieux qui domine tous les êtres sans réserve, trouve presque tous les cœurs disposés à partager son exaltation. Par quelle fatalité l'ouvrage produit-il peu d'effet ? C'est que l'auteur n'a peut-être pas mis assez d'art dans la conduite de sa pièce ; c'est que les événemens ne sont ni préparés ni liés ; c'est que le nœud principal est entièrement étouffé sous la foule inutile & froide des détails accessoires ; c'est que le caractère d'Eliska, plus emporté que sensible, n'a pas assez de nuances attendrissantes ; c'est qu'enfin le luxe même des décorations, des tableaux prodigués sans mesure, éclaire les défauts de la pièce au lieu de les voiler.
On regrette d'autant plus que ce sujet ait été manqué par le C. Favières, qui en a traité d'autres avec plus de succès, que l'immortel Grétry, dans ce cinquante-unième fruit de sa veine musicale, a déployé un talent neuf encore. L'ouverture est d'un effet admirable; les airs sensibles & variés, le coloris toujours approprié au sujet. Aussi le public l'a-t-il appelé avec enthousiasme, pour le couronner. Grétry s'est rendu au vœu général, & a reçu la couronne avec cette noble sensibilité qui l'en rendoit encore plus digne.
Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 4e année, 1799, tome V, p. 253 :
[L’idée essentielle de ce compte rendu, c’est que le recours à l’exotisme est le moyen pour les auteurs sans idées neuves de pallier l'absence de ces idées. La pièce nouvelle offre riches costumes, décorations brillantes, acteurs jouant bien, mais elle est « foiblement conduite et plus foiblement écrite ». La musique par contre a valu le succès à son auteur.]
Elisca, opéra.
L'opéra donné au théâtre Favart, sous le titre d'Elisca ou l'Amour maternel, a eu un succès qu'il a dû plutôt à la musique qu'au poëme : en effet, lorsqu'un auteur n'a pas d'idées neuves, il place sa scène dans un pays dont les mœurs sont différentes des nôtres, et la nouveauté du spectacle tient lieu de situations. Elisca, épouse de Zimeo, habite sur la côte du canal de Mosambique. Par suite d'une coutume barbare chez ces insulaires superstitieux, les enfans nés à certaines époques sont voués à la mort. Celui d'Elisca, né à une de ces époques, est demandé par le ministre du dieu Rieng, qui veut le sacrifier à sa divinité. Le foible Zimeo est presque décidé à remettre son enfant ; mais Eiisca plus courageuse, proteste que son fils ne périra qu'après elle ; elle gagne dans une nacelle une île dans laquelle un vertueux Indien nommé Jago, reçoit tous les malheureux enfans qu'on a pu sauver de la mort. Le cruel ministre, à la tête de ses troupes, attaque cette île, fond sur les habitans et enlève les enfans. On dresse un bûcher où le fils d'Elisca doit être précipité. Cependant la nature l'emporte sur la superstition : Zimeo se joint à Jago ; ils vont réclamer l'appui des Portugais, qui viennent à leurs secours, et sont vainqueurs des barbares insulaires, dont le chef cruel est précipité dans le bûcher à la place du fils innocent d'Elisca.
On voit, par celle courte analyse, le sujet de ce drame. Les costumes sont riches, les décorations brillantes, les acteurs jouent bien ; mais la pièce est foiblement conduite et plus foiblement écrite. La musique est de Gretry ; il a été demandé, applaudi et couronné.
Journal des arts, des sciences et de la littérature, neuvième volume (avril à juin 1812), n° 153 (25 mai 1812), p. 256-257 :
[Article qui conserve à l’œuvre de Favières et Grétry son ancien sous-titre, mais qui parle bien néanmoins d'Élisca, ou l'Habitante de Madagascar.]
Théâtre de l'Opéra-Comique.
Élisca, ou l'amour maternel, opéra en trois actes, paroles de Favières, musique de Grétry.
Élisca, jeune Européenne, habite l'île de Madagascar, où elle a épousé un naturel du pays, nommé Ziméo. Une coutume superstitieuse et barbare, établie par les Ombis, prêtres cruels, condamne tous les enfans qui naissent un certain jour à être brûlés en l'honneur de Niang, dieu que l'on adore dans l'île : c'est dans ce jour fatal qu'Élisca a mis au jour un fils. Le grand-prêtre, qui veille à l'exécution de la loi, exige le sacrifice de cet enfant ; Élisca, en mère tendre et passionnée, veut l'y soustraire. En vain elle engage son mari à réunir ses efforts aux siens ; celui-ci effrayé n'ose enfreindre la loi. Élisca prend alors le parti de s'enfuir avec son fils ; elle va se réfugier dans une petite île voisine qui est habitée par un ancien chef de Portugais, nommé Madonaldo, et qui sert d'asile à tous les enfans échappés an zèle fanatique des Ombis ; mais ceux-ci découvrent la retraite d'Élisca, l'y poursuivent, s'emparent du vieillard, des enfans qu'il y élève, d'Élisca et de son fils, les ramènent en triomphe au temple de Niang, et se disposent à les immoler le jour même à cette divinité monstrueuse.
Mais Amazilli, frère d'Élisca, ravi jadis par Madonaldo à la barbarie de la coutume, est parvenu à rassurer Ziméo que les menaces du grand-prêtre avaient intimidé ; ils s'arment l'un et l'autre, se mettent à la tête de plusieurs insulaires révoltés, fondent sur les prêtres, précipitent leur chef dans le bûcher qu'il avait préparé pour le fils d'Élisca et Madonaldo, confèrent à celui-ci le gouvernement de l'île, et abolissent pour jamais le culte affreux de Niang.
Tel est le fonds de cette pièce. L'action, quoique peu compliquée, a pourtant le défaut de marcher lentement et d'être surchargée de détails minutieux. Le troisième acte est très-larmoyant, et le dénoûment qui le termine est trop brusque et peu naturel. Quant à la musique, elle mérite les plus grands éloges. On y retrouve tout le talent, toute la. vigueur du célèbre Grétry, dont elle est le cinquante-deuxième ouvrage. Parmi les morceaux qui méritent d'être distingués, et qui ont fait le plus de sensation, nous citerons l'ouverture du deuxième acte, quelques chœurs de sauvages, le duo de Ziméo et d'Élisca, et le grand air que chante celle-ci, et qui exprime si bien toutes les craintes de l'amour maternel. Ce rôle est rempli avec beaucoup de talent et de sensibilité par madame Paul-Michu.
Cette pièce n'est pas nouvelle ; elle avait déjà été représentée au mois de nivôse an 7 sur le théâtre de la rue Favart ; mais le peu d'accueil qu'avait reçu le poème, malgré les beautés réelles de la musique, avaient fait retirer cet ouvrage du répertoire. Espérons qu'en 1813, le parterre se montrera moins sévère, et qu'en faveur de la belle musique de Grétry, il consentira à laisser représenter sur le théâtre Feydeau cette pièce, que l'Ambigu-Comique aurait le droit de revendiquer, comme étant essentiellement du genre mélodramatique.
L’Esprit des journaux français et étrangers, tome VI, juin 1812, p. 278-285 :
[La reprise d’Elisca, désormais désignée sous ce seul titre, sans sous-titre, douze ans après, et dans un autre théâtre, est l’occasion pour le critique de se plonger dans les délicieux souvenirs du passé, d’évoquer tout ce qui faisait du théâtre Favart un théâtre si remarquable, illustré par de grands musiciens. Elisca était la quarante-troisième ouvrage de Grétry à triompher et à montrer sa parfaite compréhension des nécessités de son art : être musicien bien sûr, mais aussi poète et même peintre dans sa composition. « Tant qu'on aura le sentiment juste de ce que doit être la comédie réunie à la musique », ses œuvres seront des modèles. Chaque année depuis trente ans, Grétry a donné au moins un opéra à succès. Bien sûr, Elisca est aujourd’hui oubliée, au point que le critique ne peut juger les changements effectués sur l’intrigue et son déroulement. Il croit possible qu’Elisca réussisse, malgré « l'invraisemblance de la plupart des situations, l'impossibilité de quelques autres,.le choix des moyens secondaires, et le ton du dialogue presque toujours forcé comme le sujet ». On a même l’impression que certaines scènes sont plutôt des scènes de parodie. L’opéra n’a pas été joué par les grands chanteurs de l’Opéra-Comique, mais c’est qu’il fallait faire jouer les gens adaptés aux rôles de la pièce. La reprise de cette pièce, qui n’était pas nécessaire pour la gloire de Grétry a confirmé combien le public l’appréciait.]
THÉATRE DE L'OPÉRA-COMIQUE.
Elisca, drame lyrique en 3 actes, paroles de M. Favières,musique de Grétry.
Ce drame a été donné il y a environ 12 ans au théâtre Favart ; la musique, les décorations, les costumes, le jeu des acteurs ne suffirent pas pour fermer les yeux du public sur les défauts attachés au genre de cet ouvrage. Il ne resta pas fort long-temps au répertoire, et eût été promptement oublié si quelques-uns de ces airs naturels, piquans, pleins d'esprit et d'originalité, pour lesquels la muse de Grétry n'a point d'âge, n'étaient restés gravés dans le souvenir avec cette facilité qui est leur don particulier. L'opéra comique à cette époque avait deux théâtres, où son genre véritable était presqu'égalemeut méconnu. Le théâtre Feydeau s'était enrichi des belles compositions de Chérubini, de Steybelt, de Lesueur ; des chanteurs formés en partie à l'école de la troupe italienne de 1789, un orchestre excellent, un grand luxe de décorations, une magnificence extraordinaire dans toutes les parties du spectacle, un choix d'ouvrages à grands effets, Mme. Scio dans tout l'éclat de ses moyens et de. son talent, donnaient alors à ce théâtre une vogue extraordinaire : ce n'était point à l'opéra comique qu'il était consacré ; mais ce genre nouveau, trop brillant pour ne pas attirer la foule, trop dispendieux pour pouvoir l'attirer long-temps, charmait alors la capitale.
Monsigny, Grétry, Méhul, Dalayrac, Berton , restés attachés au théâtre Favart, soutenaient la concurrence que le prestige de la nouveauté rendait difficile. Les plus beaux ouvrages de l'ancien répertoire étaient alors exécutés devant un petit nombre de fidèles. C'est, autant que je peux me le rappeller, à cette époque de rivalité et de concurrence, que le théâtre Favart voulut aussi satisfaire le goût de ceux qui cherchent au théâtre, le spectacle, le mouvement, la machine, et qui préfèrent les fortes émotions du drame aux impressions agréables et douces de la comédie.
On donna alors un assez grand nombre d'ouvrages à spectacle tous oubliés aujourd'hui. Grétry paya le tribut et fit Elisca : c'était la quarante-sixiême fois qu'il remportait la palme due à son inépuisable talent. Cette palme lui fut unanimement accordée : on s'étonnait en l'applaudissant qu'il eût conservé autant de verve et de chaleur ; et qu'après tant d'ouvrages auxquels il avait su donner un cachet particulier, il fut [sic] original encore. Lui seul ne s'en étonnait pas sans doute ; et ceux-là ne doivent pas s'en étonner davantage, qui ont étudié la manière de ce grand musicien, qui ont essayé de deviner les secrets de sa composition. La nature avait fait Grétry musicien : mais il a senti dès ses plus jeunes années, et du moment où il a pu entendre les maîtres d'Italie qui l'ont formé, qu'être musicien, ce n'était assez ni pour lui, ni pour un théâtre français ; qu'il fallait y être poëte autant et souvent plus que l'auteur des paroles ; qu'il fallait y être peintre autant que l'homme de l'art qui établit à nos yeux le lieu de la scène et le temps de l'action.
C'est dans ce système que Grétry a toujours eu le secret et le bonheur de composer ; c'est ce qui en fait un homme absolument à part ; c'est ce qui fait de lui le compositeur dont le nom vivra le plus longtemps parmi nous, et de ses ouvrages ceux sur lesquels les variations du goût, et les caprices de la mode auront le moins d'influence. Tant qu'on aura le sentiment juste de ce que doit être la comédie réunie à la musique, on verra le problême résolu dans les Evénemens imprévus, le Jugement de Midas [1778}, et l’Amant jaloux [L'Amant jaloux, ou les Fausses apprences, 1778] ; tant qu'on conservera une idée de ce qu'étaient les mœurs chevaleresques, on y reconnaîtra leur image fidèle dans Aucassin [Aucassin et Nicolette, 1779] et dans Richard ; tant qu'on appréciera la manière vive et piquante dont les bons compositeurs italiens ont traité l'opéra-beuffon, on reconnaîtra leur digne imitateur dans la Fausse Magie [1775] et dans le Tableau parlant [1769] ; dans un style plus élégant et plus élevé, Zémire [1771], Lucile [1769], et le Sylvain [1770] ne seront-ils pas toujours des modèles ? Les acteurs ont changé souvent ; les ouvrages restent, et nous ne nommons ici qu'une faible partie des chefs-d'œuvre d'un compositeur, qui pendant trente années de sa vie n'en a pas passé une sans donner un ou plusieurs opéras, et n'a pas donné ces ouvrages à la cour, à la ville, au grand théâtre lyrique ou à l'opéra-cornique, sans y obtenir un succès quelquefois contesté par des rivaux, toujours confirmé par l'assentiment général. Les rivaux pouvaient avoir raison sur quelques détails, le public avait raison sur l'effet et sur l'ensemble.
On est excusable peut-être d'avoir oublié ce qu'était Elisca il y a douze ans. Un duo de nègres, morceau d'une naïveté charmante ; un air de fureur, chanté par un chef sauvage, air d'une vigueur extraordinaire, et dont les intonations hardies ont bien la couleur du rôle ; une ouverture vive:, brillante, d'une énergie soutenue, qui, exécutée, par extraordinaire, entre le premier et le second acte, transporte bien l'auditeur parmi des barbares insulaires. Voilà ce que j'avais retenu. On. prétend aujourd'hui que, retouchée [sic] par une main amie, le poëme a subi beaucoup de changemens, que le second acte est devenu le premier, que le premier acte devenu le second n'offre plus des tableaux qui avaient paru trop forcés. Je ne puis rien contester ou soutenir à cet égard.
Elisca peut avoir du succès, même comme ouvrage dramatique, parce que le ressort de la pièce est le danger d'un enfant qui n'a d'appui que l'amour de sa mère : or avec ce ressort on fera constamment réussir une pantomime ou un mélodrame ; mais l'impression touchante produite dans quelques scènes est trop chèrement achetée par l'invraisemblance de la plupart des situations, l'impossibilité de quelques autres,.le choix des moyens secondaires, et le ton du dialogue presque toujours forcé comme le sujet.
Il y a des scènes qui: sembleraient appartenir à la parodie, en ce sens qu'un parodiste pourrait les employer fort gaiement, comme la critique de moyens invraisemblables qu'un ouvrage sérieux offrirait à la critique ; telle est la scène où Elisca attend, pour fuir avec son enfant, que toute la peuplade de sauvages, ses barbares prêtres y compris, aient baissé la tête devant sa monstrueuse idole ; telle est encore celle, où le flibustier Montauban introduit dans le temple, en mettant le pistolet sur la gorge du pontife, se charge de rendre lui-même les oracles, et fait parler un Dieu bizarre pour proscrire ses sanguinaires ministres. Toutes ces idées seraient, je le répète, des moyens piquans de parodie ; ils ne peuvent être tolérés que dans le genre de la pantomime, et ne doivent enrichir que le mélodrame. A l'opéra-comique, on est heureusement peu exercé à ces sortes de parades tragiques, il y a toujours quelque chose de ridicule dans l'exécution, et quelques scènes d’Elisca n'en ont pas été exemptes; mais le compositeur faisait tout excuser.
On a paru s'étonner qu'EIisca, repris comme pour rendre hommage à son auteur, ait été joué par des doubles ; c'est une erreur ; Elisca n'a pas été joué par des. doubles, mais par ceux des sociétaires appellés par la nature de leurs talens et de leurs moyens à jouer dans ce genre : Philippe était autrefois très-beau dans le rôle de Ziméo : ce chef sauvage, dont l’ame ardente est en proie à tant de passions contraires, ne pouvait être joué que par Gavaudan ; il n'y avait là de rôle ni pour Elleviou, ni pour Martin, ni pour les deux cantatrices brillantes que possède aujourd'hui ce théâtre ; il fallait les acteurs du drame, ou du mélodrame, et ces acteurs ont paru ; ils ne sont point les doubles en ce genre , ils sont les premiers.
La gloire de Grétry n'avait aucun besoin de la reprise d’Elisca : on prétend cependant qu'il a une estime particulière, une prédilection marquée pour cet ouvrage ; peut-être est-ce parce qu'il est dans un genre où il a fait preuve des qualités musicales qui lui ont été contestées par des amateurs qui voient trop souvent le talent dans la force des moyens et l'exagération des effets, et qui pensent à tort que le savoir peut tenir lieu d'imagination, d'esprit et de goût.
Mais, si cette prédilection était l'effet d'un sentiment assez naturel pour un ouvrage auquel on a cru long-temps devoir son dernier succès, Grétry aurait un moyen non moins naturel d'étendre plus loin cette prédilection si pardonnable, ce serait d'en composer un autre. Il l'aimerait peut-être mieux encore que le précédent, et nous aussi ; le plaidoyer de Sophocle peut se renouveller la lyre à la main, et la nouvelle Athènes reconnaîtrait avec enthousiasme qu'il y a des talens qui ne vieillissent point, parce qu'il y a des ames qui ont le don de ne se refroidir jamais, et des imaginations assez heureuses pour ne s'affaiblir qu'au moment où tout doit s'éteindre.
Ces témoignages de l'assentiment général si constamment décernés à notre compositeur, il les a reçus à la reprise d’Elisca d'une manière bien flatteuse, et qu'il paraît avoir trop vivement sentie : Vous voulez donc me faire mourir, s'écriait Voltaire, accablé de couronnes, à la représentation d’Irène. Dans sa profonde émotion, Grétry aurait aussi pu le dire au parterre qui le demandait à grands cris, et auquel il n'a pu faire adresser que les expressions de sa reconnaissance. S......
Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 17e année, 1812, tome III, p. 186 :
[Pour sa reprise en 1812, la pièce a changé de sous-titre, mais le critique ne le signale pas. Il constate seulement que le livret a subi des transformations, sans amélioration sensible, et que la musique, qui a aussi ses nouveautés, reste un chef-d'œuvre. Rien de changé donc.]
THÉATRE DE L'OPÉRA COMIQUE.
Elisca, opéra en trois actes, musique de Grétry, remis au théâtre le 5 mai.
Nous avons rendu compte de cet opéra, joué il y a dix ou douze ans. Il n'eut pas alors un grand succès. L'auteur y a fait plusieurs changemens, entre autres la transposition du deuxième acte, qui est devenu le premier. L'ouvrage n'a pas beaucoup gagné ; mais la musique est un chef-d'œuvre. M. Grétry y a ajouté plusieurs morceaux nouveaux, et dignes de sa grande réputation.
Dans la base César : 16 représentations au Théâtre Italien (salle Favart) : 11 du 1er janvier au 29 janvier 1799, puis 5 représentations du 28 août 1799 au 13 septembre 1799.
César cite également une autre pièce, Elisca, ou l'Habitante de Madagascar du 19 septembre 1799 au 17 octobre 1799, au même théâtre, pièce attribuée à Nicolas-François Guillard. C'est bien sûr une erreur, Élisca ou l'Habitante de Madagascar apparaîtra en 1812, avec l'adjonction de Grétry neveu comme auteur des paroles au côté de Favières.
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