Julie, ou la Religieuse de Nîmes, drame historique en un acte, en prose, par Charles Pougens, in 12-12 de 77 pag.
Tragédie non représentée (Théâtre de la Nation), publiée en 1792.
Almanach des Muses 1793
Sujet tiré de l'éloge de Flechier par d'Alembert.
Julie est victime de son inclination pour Florinval, et son père l'a forcée à se confiner dans un cloître. Sur le point de devenir mère, elle est précipitée dans un affreux cachot, y accouche chargée de fers, et reste quinze ans dans cet horrible état. Une jeune novice pénètre dans la prison : Julie lui raconte ses aventures au milieu du délire et du désespoir : c'est sa propre fille, celle dont elle est accouchée dans ce lieu-là même... Fléchier paroît, et arrache la malheureuse Julie à cet enfer sacré.
Des situations touchantes ; des inconvenances : un style passionné et dont l'effet seroit plus sûr,, s'il étoit plus naturel et moins travaillé.
Mercure Français, n° 14 du 7 avril 1792, p. 23-30 :
[Pour une pièce non représentée, le critique ne craint pas de faire un fort long compte rendu. Il part bien entendu de l’anecdote connue de cette religieuse enfermée dans un souterrain de son couvent pour la punir. Cette anecdote, M. de Pougens l’a reprise, l’a modifiée, mais il n’a pas su en faire un sujet de pièce de théâtre : outre une double exposition, la pièce se réduit largement à une très longue conversation entre la religieuse et la fille que l’auteur lui a supposée, avant que l’arrivée de l’évêque qui la libère n’arrive pour assister à son agonie. Or une conversation ne constitue pas un drame (le mot même montre qu’il y faut une action). C’est le moment pour le critique de se montrer d’une grande sévérité pour le théâtre de son temps, qui se contente de mettre sur la scène des situations en rapport avec le temps (comme le fameux Mirabeau à son lit de mort. Il élargit le propos à l’art en général, dont il prophétise la fin. Toutefois, la Julie de M. de Pougens vaut un peu mieux : dans une explication confuse, le critique évoque une page divisée en deux, les paroles des personnages (ce que l'auteur appelle la strophe) et d’abondantes indications, que le critique voit comme la description de la pantomime qui accompagne les propos des personnages (ce que nous appellerions les didascalies). Mais le texte de la pièce est plus proche de la poésie, bien qu’en prose, et bien éloigné du langage théâtral. L’enchaînement des idées est naturel : le critique accuse l’auteur d’écrire de façon enflée, affectée, et entreprend de démonter certaines expressions de l’auteur, dont il s’attache à montrer le caractère incohérent. Il condamne de même la longueur et la multiplication des scènes de délire de la religieuse : « rien de ce qui est violent ne doit être durable ». La critique s’arrête là, et la conclusion sert à réhabiliter la personne de l'auteur, mauvais dramaturge, mais bon physicien.]
Julie, ou la Religieuse de Nismes, Drame historique en un Acte, & en prose ; par Charles Pougens. A Paris, de l’Imprimerie de Dupont, Impr.-Libr. rue de Richelieu, N°. 14.
Le sujet de ce drame est malheureusement trop réel ; c’est un des exemples de ces atrocités ignorées qui n’étaient pas très-rares dans la tyrannie du régime Monastique. Le fait est rapporté par d’Alembert dans l’Eloge de Fléchier. Ce vertueux Prélat retira des cachots d’un Couvent une malheureuse fille, qui avait été forcée de prendre le voile, & qui ayant cédé à sa faiblesse, devenue très-excusable après qu’on avait contraint son inclination, était renfermée depuis quinze ans dans un souterrain, enchaînée, & au pain & à l’eau pour toute nourriture. Elle n’eut pas le temps de profiter des bienfaits de l’Evêque de Nismes ; elle mourut peu de temps après sa délivrance.
M. de Pougens, en prenant cette horrible aventure pour sujet de son ouvrage, a supposé qu’une fille, fruit des amours de cette infortunée Religieuse, est venue au monde dans le Couvent, a été élevée dans la maison par l’Abbesse, & a pris depuis peu l’habit de Novice. Un hasard qu’on pouvait rendre plus vraisemblable, la conduit dans la prison de Julie (c’est le nom de la Religieuse captive) : les détails de leur conversation amenent une reconnaissance. Cette fiction est très-heureuse & très-dramatique. Mais l’Auteur, occupé de travaux d’un genre tout différent, ne paraît pas voir assez réfléchi sur l’art du Théâtre, pour tirer de ce fond toutes les ressources qu’il offrait, & en former un plan théâtral. Pressé de se livrer à la sensibilité de son ame & aux élans de son imagination, il n’a fait qu’une esquisse au lieu d’un tableau. Il n’y a dans sa Pièce aucune action, aucun nœud. L’exposition a le grand inconvénient d’être double une vieille Religieuse, chargée du soin de porter la nourriture à Julie, commence par raconter son histoire à la jeune Novice qui la surprend près du souterrain, & Julie elle-même, un moment après, recommence le même récit, quand la Novice pénetre jusque dans son cachot. La conversation qu’elles ont ensemble forme à peu près toute la Piece. Elle dure jusqu’au moment où l’Evêque Fléchier vient pour briser les fers de Julie & la voit expirer. M. de Pougens a trop de connaissances pour se dissimuler à lui-même qu’un entretien d’une si excessive longueur, quel qu’en soit le sujet & l’intérêt, ne sauroit former un drame, & que tout drame (comme le mot même l’indique) exige nécessairement une action progressive. Ce n’est pas le tout d’avoir trouvé un ressort dramatique ; il faut le mettre en jeu & en tirer des effets. Nulle situation ne doit être toujours la même, quelle qu’elle soit : rien n’est par soi-même plus anti-théâtral que cette uniformité monotone. Il est vrai que depuis quelques années l’oubli de tous les principes de l’Art est porté au point qu’on ne fait plus guère autre chose que mettre tout uniment sur le Théâtre un fait tel qu’il s’est passé, sans se donner la peine d’y joindre la moindre apparence de plan ni d’intrigue. Il faut avouer que rien n’est plus commode, & c’est ainsi, par exemple, qu’on nous a donné comme une Piece, Mirabeau à son lit de mort, qui n’était autre chose que le rapport de M. Cabanis; très-fidélement mis en dialogue. L’indulgence publique a favorisé la foule de ces productions informes, où l’on ne cherchait qu’un rapport quelconque à notre Révolution, & dont les Auteurs étaient d’ailleurs dispensés non seulement de talent, mais même d’esprit. Aussi la critique n’a pas daigné même s’en occuper, bien sûre que tous ces Vaudevilles du moment passeraient sans laisser plus de trace que nos anciens Vaudevilles du Pont-Neuf. M. de Pougens est aussi en état que personne de juger & d’apprécier ces rapsodies éphémeres qui ne sont que le dernier terme de la dégradation de l’art. Il n’est sûrement pas du nombre de ceux qui se sont imaginés [sic] apparemment que la Révolution, en changeant tout, avait aussi changé l’essence & le caractere des beaux-arts. Ce n’est que par occasion que l’on parle ici de ces abus épidémiques dont il a sans doute la même opinion que tous les gens éclairés. Si sa Julie n’est pas composée suivant la théorie dramatique, il est d’ailleurs par lui-même fort au dessus de cet essai, qu’il n’a pas même songé à faire représenter. Il n’a songé qu’à répandre l’indignation qu’inspirent à toutes les ames bien nées les excès & les cruautés qui ont donné lieu à son ouvrage. On voit qu’il n’a pas plus cherché à conformer son style aux regles communes du dialogue dramatique, qu’à soumettre ses conceptions à un plan régulier. La scène est partagée chez lui en deux parties à peu près égales ; l’une qu’il appelle la Strophe, contient les paroles du personnage ; l’autre en décrit la pantomime dans le plus grand détail. Ce mot même de Strophe indique le caractere de sa diction, qui est beaucoup plus poétique, quoiqu’en prose, qu’il ne le faudrait pour être l’expression fidelle de la nature. Il y a des traits de force & de chaleur ; mais si M. de Pougens voulait sérieusement travailler dans ce genre, il a trop de lumieres pour ne pas s’appercevoir que cette maniere d’écrire tient beaucoup plus de l’ode que du drame, & ressemble trop à ce qu’on nomme une déclamation. En général son style n’en est pas exempt. Le récit qui précede sa Julie, offre des expressions qui décelent quelque penchant à l’enflure & à l’affectation, que l’on n’a que trop mises à la mode, & dont un homme de son mérite doit se garantir. « Parvenu à cette époque critique & salutaire où la vie cesse enfin d’être le roman du cœur, & où commence la convalescence de la jeunesse, &c. ». Il suffit d’un peu de réflexion pour sentir que ce n’est pas là un style sain & raisonnable, & qu’en cherchant des figures fortes, on rencontre aisément le faux & l’exagéré. La maturité, qui est l’époque dont parle ici l’Auteur, n’est point le temps critique de la vie : ce serait bien plutôt, comme on l’a dit souvent, la premiere jeunesse, le moment de la premiere effervescence de toutes les passions. La convalescence de la jeunesse n’est pas une expression plus juste ni plus claire. Il en faudrait conclure que la jeunesse est une maladie ; & certes ce n’en est pas une, pas même au moral ; on ne saurait appeler maladie la plus belle saison de la vie humaine, quoique la plus voisine de l’erreur & des abus, parce que c’est en même temps cette où l’homme a toute son énergie & toutes ses espérances, c’est-à-dire ce qu’il a de meilleur & de plsu heureux. Personne ne dira du printemps que c’est la maladie de l’année, quoique ce soit pour nous la saison la plus trompeuse & la plus inégale, & que souvent les gelées de la nuit détruisent les promesses du jour. la véritable maladie de l’homme sera toujours la vieillesse : c’est alors qu’on a tout appris ; je le veux bien ; mais c’est alors aussi qu’on a tout perdu : il n’y a pas là de compensation.
« Je lisais mes souvenirs, & je les méditais dans le silence animé de la Nature ». Pour faire entendre cette expression recherchée, je lisais mes souvenirs, il faudrait dire où on les lit ; & je comprends bien comment le silence de la Nature peut être, suivant les circonstances, touchant, majestueux, effrayant, &c. A l’égard de son silence animé, j’avoue que je ne saurais m’en former une idée.
« Julie, douée d’une sensibilité profonde, mais affligée d’une naissance illustre ». On ne peut se servir ainsi mot affligé que pour exprimer une chose qui est en elle-même un mal naturel : or la naissance n’est en elle-même ni un bien ni un mal.
L’Auteur prodigue volontiers certaines épithetes qu’il affectionne, celle d’auguste, par exemple, qui revient souvent; & presque toujours mal placée : « C’était un soir d’été, l’air était brûlant, & le zéphir soufflait à peine, un silence auguste régnait autour de moi ». Qu’y a-t-il là d’auguste ? Le silence religieux d’un temple, celui d’une grande assemblée peut être auguste ; mais une soirée d’été est toute autre chose qu’auguste. En voulant agrandir les objets, on les dénature, & l’on ne peint plus rien.
« Puisse le Ciel inexorable verser sur vous par torrens les remords & l’épouvante » ! Rien ne ressemble moins à un torrent, sous quelque rapport que ce soit, que le remords & l’épouvante. L’Auteur a voulu donner de la force à son imprécation ; il en détruit tout l’effet par une figure fausse.
Je ne dis rien des accès de délire de Julie, trop répétés & trop prolongés : rien de ce qui est violent ne doit être durable. Je n’étendrai pas plus loin la critique sur cet essai ; je n’ai eu d’autre intention que d’avertir les lecteurs judicieux de ne point juger de l’Auteur par cette esquisse, où il s’est trouvé tout à coupe transporté dans une sphere qui n’est pas la sienne. Il a donné en même temps un petit Traité sur le Cataclysmes ou Inondations, & sur quelques autres objets de Physique. On en rendra compte incessamment, & c’est-là que l’on pourra voir que M. de Pougens joint beaucoup d’esprit à beaucoup de connaissances, & que dans les matieres qu’il a étudiées, il sait penser & écrire.
C'est de l'anecdote que raconte cette pièce que Chénier a tiré son Fénelon : Journal encyclopédique ou universel, année 1793, tome II , n° V. (vingt février), p. 89 :
On trouve l'histoire de la Religieuse de Nîmes dans l'éloge de Fléchier, fait par d'Alembert.
Charles Pougens qui, en voyageant dans la Provence, où cette religieuse infortunée avoit vu le jour, s'étoit fait raconter jusqu'aux moindres détails de son histoire, en a fait un petit drame en un acte, en prose, sous le titre de Julie, ou La Religieuse de Nîmes, qu'il a même lu à la citoyenne Vestris ; mais Chénier, en changeant les noms de ses héros, a considérablement développé des mouvemens intéressans qui n'étoient qu'indiqués par Charles Pougens.
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