La Laitière de Bercy

La Laitière de Bercy, comédie anecdotique en deux actes et en prose, mêlée de vaudevilles, de Sewrin et Chazet, 4 ventose an 13 [23 février 1805].

Théâtre du Vaudeville.

Almanach des Muses 1806.

Titre :

Laitière de Bercy (la)

Genre

comédie anecdotique mêlée de vaudevilles

Nombre d'actes :

2

Vers ou prose ,

en prose, avec des couplets en vers

Musique :

vaudevilles

Date de création :

4 ventôse an 13 [23 février 1805]

Théâtre :

Théâtre du Vaudeville

Auteur(s) des paroles :

Sewrin et Chazet

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Barba, an XIII – 1805 :

La Laitière de Bercy, comédie anecdotique en deux actes et en prose, mêlée de vaudevilles, par MM. Sewrin et Chazet. Représentée, pour la première fois à Paris, sur le théâtre du Vaudeville, le 4 ventôse an 13.

Courrier des spectacles, n° 2912 du 5 ventôse an 13 [24 février 1805], p. 3 :

La Laitière de Bercy, représentée hier au théâtre du Vaudeville, a obtenu du succès ; les auteurs sont MM. Chazet et Sewrin

Courrier des spectacles, n° 2913 du 6 ventôse an 13 [25 février 1805], p. 2 :

[Le numéro de ce jour reprend les indications de celui de la veille : il est par erreur n° 2912, du 5 ventôse, 24 février 1805 (une indication manuscrite corrige seulement la date vieux style.]

[Ce compte rendu soulève deux questions qui tiennent à cœur au critique. D’abord, le personnage de la laitière est-il un personnage historique ? Car la pièce montre aussi sur la scène Colbert (et il n’y a là pas de doute concernant son historicité !). La fin du premier paragraphe plaide pour la liberté du poète, et pour le caractère fictif de l’anecdote (d’autant que nul n’a jamais entendu parler de ce Constantin mis en prison pour s’être moqué de Colbert). A la fin de l’article, autre problème : au Vaudeville, une pièce que la forme et « beaucoup d’accessoires » rapprochent beaucoup du mélodrame. Et le critique croit à l’étanchéité des genres et des théâtres où on les joue. Heureusement, les auteurs ont mis ce qu’il faut de couplets gais « pour faire oublier son genre étranger ». Entre les deux questions, le résumé d’une intrigue qui donne une curieuse idée de ce qu’on juge juste sous Napoléon Bonaparte : un ministre qui met en prison un auteur d’épigrammes, et qui n’oublie pas de faire libérer sa victime quand il cesse d’être ministre ; une femme qui attend trois ans pour essayer de venir en aide à son mari. Autre caractéristique intéressante : tout ce qui est tenté pour adoucir la captivité du pauvre Constantin ne sert à rien, puisqu’il est libéré au moment même où il a réussi à corrompre son geôlier (le geôlier complice volontaire ou non, de son captif, c’est encore un cliché de ce genre de pièce, même si, en général, il faut l’enivrer pour obtenir sa clémence). L’article finit par un jugement positif sur l’interprétation, et principalement sur l’actrice principale, bonne chanteuse et actrice subtile. Les auteurs ne sont pas cités, mais ils l’ont été la veille dans un court entrefilet.

Théâtre du Vaudeville.

La Laitière de Bercy.

J’avoue que mon érudition est ici en défaut. Je ne sais si la Laitière de Bercy est un personnage historique, ou si elle ne doit son existence qu’à l’imagination des auteurs. Les annales de Bercy que j’ai consultées ne m’ont fourni aucun renseignement à ce sujet, et mes voisins que j’ai interrogés au théâtre ne m’ont pas paru plus savans que moi. Cependant il s’agit ici de Colbert,et tout ce qui est relatif à un grand homme paroîtroit devoir être plus connu. Mais les poëtes ne sont pas tenus à une exacte véracité, et il faut leur pardonner de jouir du privilège qu’Horace leur accorde : Quidlibet audendi semper fuit æqua potestas.

Un mauvais poète nommé Constantin, personnage fort inconnu, s’est avisé de faire des vers satyriques contre le grand Colbert ; le ministre l’a aussi-tôt envoyé exercer sa verve dans une prison d’état voisine de Bercy. Les prisons d’état sont quelquefois favorables au génie ; on y trouve le recueillement et la solitude, source de la méditation et des grandes pensées. Plusieurs auteurs y ont composé de fort beaux ouvrages ; mais ou celle de Bercy n’avoit pas le privilège d’inspirer ses prisonniers, ou le poète Constantin étoit peu susceptible d’inspiration ; ou bien enfin, l’envie nous a dérobé ses productions ; car il est constant que nous ne connoissons rien de ce grand homme. Cependant, depuis trois ans, il expioit entre quatre murailles, les épigrames innocentes qu’il avoit lancées très incognito, lorque sa jeune femme, l’aimable Clérine, désolée d’une si longue séparation, conçut le projet de revoir encore une fois l’objet de ses plus douces affections. Déguisée sous le costume d’une laitière, elle s’introduit chez le bon fermier René pour épier une occasion favorable à ses desseins. Constantin de son côté parvient à séduire son geôlier. Ce Cerbère consent à lui donner ses habits et à le laisser sortir sous ce costume pour aller embrasser la belle laitière Mais dans cet intervalle, Colbert quitte le ministère et, digne imitateur de Louis XII, il ne veut pas qu’un simple particulier continue de venger les injures du ministre ; il s’adresse donc à son successeur, obtient la grâce de Constantin, va la lui porter lui-même, et, se méprenant au costume de concierge dont il le trouve revêtu, lui signifie l’ordre qui le regarde. Constantin tombe aux pieds de son libérateur, et la joie renaît dans le sein de deux époux malheureux.

Cette pièce est une conquête faite sur le mélodrame ; elle s’en rapproche par la forme et par beaucoup d’accessoires ; mais pour lui donner un costume convenable au local, on l’a égayée de petits couplets qui ont été assez heureux pour faire oublier son genre étranger ; elle a d’ailleurs le mérite d’offrir des tableaux de village, des scènes gaies, et un personnage assez comique, celui du Geolier. Plusieurs couplets sont tournés avec beaucoup d’esprit ; celui qui sert d’annonce a été entendu avec plaisir :

La fable nous dit que Pérette
Laissa tomber son pot au lait ;
Par cette chute la pauvrette
Perdit le bien qu’elle espéroit.
Messieurs, d’un accident semblable
Préservez notre nouveauté,
Et, ce soir, faites que la fable
        Ne soit pas une vérité.

La pièce a été très-bien jouée. Mlle. Desmares, qui joint à une voix très-agréable, beaucoup de finesse et d’intelligence, a réuni tous les suffrages dans le rôle de la Laitière.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 1805, tome II, p. 186-187 :

[Quelle surprise, un mélodrame au Vaudeville ! Sans doute s’agit-il de répliquer aux mélodrames à succès d’autres théâtres. L’intrigue est résumée sans commentaire. Puis, en deux phrases, on apprend que « le style des couplets sont presque toujours précieux, exagéré, et ensuite froid et sans couleur », au point qu’on y voit « deux touches bien différentes ». Or, le critique nomme ensuite deux auteurs. Lien entre les deux éléments ?]

La Laitière de Bercy.

Cette pièce est vraiment un mélodrame. On a été fort étonné de trouver au Vaudeville un pareil sujet ; c'est une contre-épreuve de la Forteresse du Danube, qui attire en ce moment la foule au théâtre de la Porte Saint-Martin, et de Léonore ou l'Amour Conjugal joué à Feydeau. Un certain Constantin de Renneville s’est avisé de faire des vers contre la cour. On le met à la Bastille :c’est tout simple. Mais sa jeune épouse veut le tirer de sa prison ; et, déguisée en laitière, elle demeure à Bercy, et va vendre du lait à la porte de la Bastille. Un geolier devient amoureux d'elle ; et comme il ne sait pas lire, il prie Constantin de lui lire les lettres que lui écrit Clerine : c'est le nom de la laitière. Celui-ci reconnoît la main de son épouse, répond, et le geolier se charge, sans s’en douter, de la correspondance. Colbert, à qui les auteurs font dans leur pièce quitter le ministère, arrive là et reconnoît Clerine ; on ne sait dans quelle intention il vient lui raconter son histoire, et s’en va ensuite sans dire quel est son proiet ; mais il éveille des soupçons, on croit qu'il veut nuire à Clerine. Cependant Constantin veut revoir son épouse ; il donne cinquante louis au geolier pour occuper sa place pendant une heure, dans sa prison ; il revêt lui-même les habits du geolier, et vient auprès de sa Clerine ; mais l'heure sonne, il faut se séparer ; un invalide de la Bastille vient chercher le geolier ; Colbert survient, se nomme, et annonce. la grâce de Renneville, qui ne s’en étonne pas, attendu, dit-il :

Que l’on peut bien donner la vie,
Quand on a l'immortalité

Le style des couplets est presque toujours précieux, exagéré, et ensuite froid et sans couleur. On y reconnoît deux touches bien différentes. Les auteurs sont MM. Sevrin et Chazet.

Le Nouvel Esprit des journaux français et étrangers, tome VII, germinal an XIII [mars 1805], p. 281-283 :

[En plein carnaval, une pièce dans « le genre sérieux et sentimental » peut réussir, et ce même au Vaudeville, où on joue plutôt des bouffonneries. L’intrigue de la pièce est vite résumée : elle est simple et sans surprises. C’est d’ailleurs un peu ce que le critique lui reproche : « un échafaudage immense pour un dénouement prévu et pour une action toute simple ». Tout le spectacle repose sur le rôle de la laitière. Il lui reproche aussi un langage ampoulé, digne du sonnet d’Oronte dans le Misanthrope, style que le public applaudit, ce qui prouve son mauvais goût. C’est sans doute une excuse pour les auteurs qui emploient « ces froids concetti, ces pensées alambiquées ». Si les interprètes féminines sont félicitées, les auteurs sont simplement nommés.]

La Laitière de Berci.

Tandis que l'espèce de délire qui agite les têtes pendant-les derniers jours du carnaval donnait à quelques auteurs l'idée de risquer des bouffonneries comme plus analogues à la saison, ceux de la Laitière de Berci prouvaient de leur côté que le genre sérieux et sentimental pouvait encore conserver quelque espoir de succès, et leur preuve était d'autant plus concluante que ce n'est pas ordinairement au Vaudeville qu'on s'accoutume à chercher ce genre de préférence, et c'est-là cependant qu'il a complettement réussi.

Constantin de Renneville est prisonnier d'état à la Bastille, son épouse s'est déguisée en villageoise, elle est venue se mettre aux gages d'un fermier de Berci, et par sa gentillesse a trouvé le moyen de gagner le cœur d'un porte-clef. Cet amour lui sert à entretenir des intelligences avec Constantin et des communications épistolaires.

Cependant M. de Colbert, informé du dévouement héroïque de l'épouse de Constantin, vient à Berci, déguisé en simple particulier, se convaincre par ses yeux du courage, des vertus et des graces de la fausse laitière, sollicite la liberté de Constantin, l'obtient et la lui donne au moment où on l'accusait au contraire de n'être venu que comme espion du gouvernement pour tourmenter et séparer les deux époux.

Le tort de cette pièce, qui cependant a beaucoup de succès, est d'offrir un échafaudage immense pour un dénouement prévu et pour une action toute simple ; elle n'est pas tissue avec assez d'art, et la mise en œuvre n'y répond pas aux matériaux. L'arrivée de Colbert laisse tout prévoir, et l'intérêt décroît du moment où la laitière est reconnue par le ministre ; mais ce rôle de laitière offre des détails intéressans, et c'est lui qui soutient la pièce : il est joué par l'actrice (Mlle. Desmares, ou Mme. Thésigni) avec beaucoup de grace et de sensibilité.

Une observation que la critique ne doit point passer sous silence, c’est que le public est encore, malgré l'histoire du Sonnet d'Oronte dans le Misantrope, disposé à s'enthousiasmer pour le faux éclat du clinquant de l'afféterie ; il applaudit avec transport cette pensée, aussi fausse que glaciale, dans la bouche de l'infortuné prisonnier.

C'est toujours en versant des larmes
Que l'aurore annonce un beau jour.

La poésie descriptive et gracieuse peut bien transformer la rosée du matin en larmes de l'aurore ; mais jamais le sentiment et la douleur peuvent-elles en avoir l'idée et figurer ainsi leur style pour faire des madrigaux ?

Ce n'est que jeux de mots, qu'affectation pure,
Et ce n'est point ainsi que parle la nature.

Tant que le public n'aura pas le goût assez épuré pour rejetter ces froids concetti, ces pensées alambiquées, les auteurs seront peut-être en quelque sorte excusables de profiter de son erreur et de l'entretenir : il n'est pas si aisé qu'on le croit de sacrifier des applaudissemens sûrs aux arrêts du bon goût.

L'ouvrage est de Messieurs Chazet et Sewrin.

Annales dramatiques: ou Dictionnaire général des Théâtres, Volume 5 (Paris, 1810), p. 287-289 :

LAITIÈRE DE BERCY( la), comédie-vaudeville, en deux actes, par MM. Chazet et Sewrin, au Vaudeville, 1805.

Pour s'être permis de faire, dans une pièce de vers, des allusions qui compromettaient la dignité du ministère français, Constantin de Renneville fut arrêté en Hollande, où il s'était réfugié avec son épouse, et de là fut conduit à la Bastille, où il est renfermé depuis trois ans. Caroline, c'est le nom de l'épouse de Renneville, quitta la Hollande, et, sous les habits d'une simple villageoise fit, à pied, le chemin de la Haye à Paris. Arrivée dans cette ville, elle s'informa avec circonspection du sort de son bien aimé, et ne tarda pas à savoir qu'il était détenu à la Bastille. Alors cette femme courageuse dirigea ses pas vers Bercy, et se présenta chez un honnête et bon fermier du village, dont elle reçut l'accueil le plus flatteur. Depuis cette époque, Caroline, sous le nom supposé de Clairine, vaque aux travaux les plus durs et les plus grossiers, auxquels elle a su accoutumer ses membres délicats : c'est elle qui va vendre à Paris, le lait de la ferme que fait valoir René. Tel est l'avant-scène de cette petite pièce. Caroline captive tous les cœurs des villageois, par sa douceur, sa modestie et son amabilité, elle les enivre d'amour par sa jeunesse, sa fraîcheur et ses graces. Tout, jusqu'au porte-clef de la Bastille ressent le pouvoir de ses charmes : mais si sa beauté lui fut chère, c'est sur-tout dans l'instant qu'elle lui offrit la possibilité d'entretenir une correspondance avec son cher Renneville. En feignant de répondre à l'amour du geolier, la laitière trouve le moyen de faire passer les lettres de Caroline à son malheureux ami. Les lettres de la laitière sont adressées à Corbé ; mais comme ce dernier ne sait ni les lire ni leur faire réponse, il s'adresse à son prisonnier, qui reçoit ainsi celles de madame de Renneville. Cet innocent stratagème console ces époux de leurs longues et cruelles infortunes. Nous ne parlerons point ici de l'amour d'un niais et fort laid personnage, que l'on a introduit dans la pièce pour y répandre quelque gaieté, et principalement pour contraster avec celui du geolier ; nous allons passer rapidement sur ces petits détails, pour arriver à l'événement principal. M. de Colbert, ce ministre vertueux et éclairé, à qui Louis XIV doit son plus grand éclat, fut l'auteur de l'arrestation de Renneville ; c'est lui-même qui en signa l'ordre ; mais aujourd'hui qu'il est retiré du ministère, il ne voit plus les choses sous le même aspect. Renneville, qui paraissait coupable d'un crime d'état, aux yeux du ministre, ne l'est plus que d'imprudence à l'œil indulgent de Colbert, simple particulier. Les renseignemens qu'il a obtenus sur madame de Renneville, sa fermeté, sa constance, tout, jusqu'à son déguisement le remplit d'admiration. Heureux de pouvoir rendre ce couple intéressant et vertueux à la liberté et au bonheur, M. de Colbert va lui-même à Bercy, et descend chez René, qu'il interroge sur la laitière ; mais les réponses du fermier ne le satisfaisant pas, il interroge la laitière à son tour : elle cherche en vain à lui faire prendre le change ; son émotion et son trouble la trahissent, et bientôt elle est forcée d'avouer qu'elle est, en effet, l'épouse de Renneville. M. de Colbert a expédié un courrier à Versailles, qui lui rapporte, en peu de tems, la liberté du prisonnier ; enfin il a la satisfaction de réunir ce couple malheureux et fidèle.

Tel est le fonds de cette pièce ; l'intrigue en est agréable, et l'intérêt bien suspendu.

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