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Le Menuisier de Livonie, ou les illustres voyageurs

Le Menuisier de Livonie, ou les illustres voyageurs, comédie en trois actes et en prose, par M. Duval ; 18 ventose an 13 [9 mars 1805).

Théâtre de l'Impératrice.

Titre :

Menuisier de Livonie (le), ou les Illustres voyageurs

Genre

comédie

Nombre d'actes :

3

Vers ou prose ,

en prose

Musique :

non

Date de création :

18 ventôse an XIII (9 mars 1805)

Théâtre :

Théâtre de l’Impératrice

Auteur(s) des paroles :

Alexandre Duval

Almanach des Muses 1806.

Le jeune Charles, menuisier dans un hameau de Livonie, ignore sa naissance, et l'élévation de sa sœur Catherine au trône de Russie. Il est épris de la fille d'un proscrit illustre, le comte de Mazepa, qu'il soutient du fruit de son travail. Son amour pour Eudoxie lui a suscité une querelle avec un des officiers de Pierre le Grand. Cet officier se plaint au czar, qui, d'après quelques informations, se doute que Charles est le frère de sa femme. Il vient incognito, suivi de Catherine, et se dit le prince de Menzicoff. Il veut éprouver le caractère de Charles, et le fait mettre en prison sous le prétexte de l'insulte faite à l'un de ses officiers. Il le fait interroger par le magistrat du village, homme vil et imbécille, toujours prêt à flatter la puissance, et à vendre ses jugemens. Le czar, satisfait de la conduite ferme et courageuse de Charles, le reconnaît pour le frère de Catherine et l'élève au rang de prince. Charles cependant ne veut pas se séparer d'Eudoxie. Il avoue son amour au czar, qui, en apprenant qu'elle doit le jour au comte de Menzicoff, s'abandonne à sa fureur, et s'écrie avec force : Où est-il ? Il est mort, lui répond Eudoxie. Ce mot désarme le czar, et le bonheur de Charles ne souffre plus d'obstacle.

Des situations quelquefois peu naturelles ; beaucoup de gaieté. Du succès.

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Vente, 1813 :

Le Menuisier de Livonie, ou les illustres voyageurs, comédie en trois actes, et en prose, Par M. Alexandre Duval, Représentée sur le Théâtre de l'Impératrice, rue de Louvois, le 18 ventôse an 13 (Samedi 9 mars 1805).

Courrier des spectacles, n° 2937 du 20 ventôse an 13 [11 mars 1805], p. 2-3 :

[Long compte rendu d’une pièce que le critique ne veut pas considérer comme une comédie (ce qu’elle est sur la brochure, et sans doute sur l’affiche. Il y voit un « fait historique mis en action », et il le montre en accordant une place très importante à l’histoire de l'impératrice Catherine, et de son frère Charles. Il cite longuement un récit de l’histoire du frère et de la sœur, sans en préciser l’origine – récit qu’on trouve également dans l’Histoire de l’empire de Russie sous Pierre le Grand de Voltaire, qui n’en donne pas non plus l’auteur, ni ne certifie la véracité des informations qu’il contient. Le critique mélange allègrement récit historique et intrigue de la pièce (ce qu’il dit du juge renvoie à la pièce, bien sûr, et le rôle de la fille de Mazeppa est très incertain). Même quand elle est un « fait historique », une comédie s’achève par un mariage : Charles épouse Eudoxie. Sans transition, l’article se consacre à ce qu’on attend d’une critique dramatique : jugement sur la pièce (la première représentation a été houleuse, semble-t-il, mais on y reconnaît « l’ouvrage d’un homme d’esprit » ; le troisième acte paraît même « d’un très-grand mérite » ; mais elle est aussi d’un niveau très inégal, entre « lieux communs fastidieux » et « traits d’esprit frappans » ; cette idée de contraste se retrouve plusieurs fois dans le jugement porté sur la pièce, en particulier pour le style, et même pour le personnage du juge, joué de façon caricaturale par Picard) ; conseils pour faire réussir néanmoins la pièce malgré ses défauts (sans surprise, supprimer les longueurs, et modifier le ton et la dignité du personnage du juge) ; appréciation positive de l’interprétation (Picard aîné a déjà été critiqué, mais les autres acteurs sont bons, y compris Picard jeune dans un rôle secondaire).]

Théâtre de l’Impératrice.

Le Menuisier de Livonie ou les illustres Voyageurs, comédie en trois actes.

L’auteur a donné à cette pièce le titre de comédie ; mais ce n’est ni une comédie, ni un drame ; c’est un fait historique mis en action. Le sujet en est tiré de l’histoire de Catherine femme du célèbre Pierre-le-Grand. On sait que cette princesse passa de l'abaissement et de la calamité au plus haut degré d’élévation. Elle avoit été élevée à Marienbourg en Livonie, chez un ministre luthérien nommé Gluk. Les Russes ayant pris cette ville d’assaut et l’ayant détruite, ils emmenèrent en captivité tout ce qu’ils trouvèrent d’habitans, et Catherine partagea le sort commun. Son nom, sa famille, sa naissance, tout étoit inconnu. Mais un de ces hasards qui la servirent si bien dans toutes les circonstances de sa vie lui fit retrouver son frère. Voici de quelle manière cet événement est rapporté :

« Un envoyé d’Auguste, roi de Suède, retournant à Dresde par la Courlande, entendit dans un cabaret un homme qui paroissoit dans la misère, et à qui l’on faisoit l’accueil insultant que cet état n’inspire que trop aux hommes. Cet inconnu, piqué, dit qu’on ne le traiteroit pas ainsi, s’il pouvoit être présenté au Czar, et que peut-être il trouveroit à la cour de plus puissantes protections qu’on ne pensait. Ce mot excita la curiosité de l’envoyé du roi, qui interrogea cet homme. Sur quelques réponses vagues, il le considéra plus attentivement, et crut démêler dans ses traits quelque ressemblance avec l’Impératrice. Il ne put s’empêcher, quand il fut arrivé à Dresde, d’ecrire ces détails à un de ses amis à Pétersbourg. Cette lettre tomba entre les mains du Czar, qui chargea le prince de Repnin de faire la recherche de cet inconnu. Le prince fit partir un homme de confiance pour Mittau. On découvrit l’homme ; il s’appelloit Charles Scawouski. Il étoit fils d’un gentilhomme de Lithuanie mort dans les guerres de Suède. Il n’avoit eu aucune éducation Séparé de sa sœur dès sa plus tendre enfance, il savoit seulement qu’elle avait été prise a Mariembourg, et on lui avoit dit qu’elle avoit fait quelque fortune auprès d’un prince qu’il croyait être le prince Menzicoff.

« Le prince Repnin envoya Scawouski à Pétersbourg. Le Czar voulut le voir lui-même, l’interrogea, et, après une longue conversatin, demeura couvaincu que Scawouski étoit frère de l'impératrice. Dès le lendemain, il le fit amener devant l’Impératrice vêtu des mêmes habits qu’il avoit portés pendant le voyage ; il l’interrogea de nouveau, et à la fin, il dit à sa femme : Catherine, voilà ton frère ; et à Scawouski : Allons, Charles, baise la main de ta sœur.

« Catherine se trouva mal et perdit connoissance ; mais l’Empereur lui dit : Il n y a rien là que de simple ; ce gentilhomme est mon beau-frère. S’il a du mérite, nous en ferons quelque chose. 

« Charles Scawouski fut créé comte ; il épousa une femme de qualité et en eut deux filles, qui furent mariées à des premiers seigneurs de Russie. »

C'est sur ce fonds historique qu'est élevé l’édifice de la nouvelle pièce. Mais comme les poëtes ont la liberté de l’invention, l’auteur a créé des circonstances particulières et des iucidens qui n’appartiennent qu’à lui.

Il suppose que le jeune Charles, dénué de tout autre moyen d’existence a appris le métier de menuisier, et qu’il loge dans une auberge où la maîtresse de la maison lui a permis d’établir son humble atelier. Une jeune personne d’une origine inconnue, loge dans la même auberge. Elle se nomme Eudoxie ; tout annonce qu’elle a reçu le jour de parens distingués ; mais c’est un secret qu’elle couvre du voile le plus épais. Réduite à partager avec la maîtresse de l’auberge les soins domestiques, elle n’a pu voir Charles sans concevoir un vif intérêt pour lui, et de son côté Charles ne voit rien au dessus de la jeune Eudoxie ; mais son attachement pour elle lui attire bientôt une affaire sérieuse. Des seigneurs de la cour du Czar, s’étant permis à l’égard d’Eudoxie quelques propos peu respectueux, Charles se constitue aussitôt son chevalier, et leur propose de se battre ; sur leur refus insultant, il déclare que s’il faut être gentilhomme pour se battre, il l’est. Le bruit de cette aventure parvient jusqu’au Czar ; il revenoit de France accompagné de l’Impératrice qui avoit été au-devant de lui ; ils voyageoient l’un et l’autre incognito. Ils descendent à l’auberge de Charles, et ce Prince voulant savoir au juste quel étoit ce jeune homme, le fait interroger par le juge du lieu.

Ce juge est un misérable aussi pervers qu’ignorant, lâche esclave de l’autorité et toujours prêt à condamner ou absoudre selon que son intérêt l’exige. Charles interrogé, se nomme : il raconte les diverses circonstances de son enfance , sa séparation de sa sœur, il jette enfin tant de lumières sur son origine et celle de l'Impératrice, que le Czar n’hésite plus à le reconnoître pour son beau-frère. Il le présente à Catherine qui s’évanouit ; elle revient enfin et serre tendrement son frère dans ses bras. Il ne reste plus que deux personnages dont il faut disposer, le Juge et Eudoxie. L’Empereur, indigne de la bassesse du premier, le destitue et le condamne à une grosse amende. Charles sollicite la main d’Eudoxie qui révèle le secret de sa naissance, et se déclare fille de Mazeppa. Ce Mazeppa est encore un personnage historique. Il étoit Hetman des Cosaques ; soit qu’il eût à se plaindre du Czar, soit qu’il voulût se rendre indépendant, il s’étoit joint au roi de Suède et avoit combattu contre son Prince. Le Czar irrité s’étant rendu maître de Bathurin, capitale du gouvernement de Mazeppa fit réduire la ville en cendres ; l’Archevêque de Kiovie excommunia le rébelle ; on le pendit en effigie, et quelques-uns de ses complices périrent par le supplice de la roue.

Ce Mazeppa n’avoit point d’enfans : mais cette difficulté n’embarrasse point les poètes, M. Duval lui a créé une fille, qui vient fort à-propos dans l’affaire.

A la vue d’Eudoxie, le Czar sentit toutes ses fureurs se rallumer : mais cette jeune personne, aussi belle que douce et sensible, le désarme d’un mot. Où est votre indigne père ? s’écrie le Czar : Il est mort , reprend Eudoxie ; et ce mot, prononcé d’une voix si touchante, fait tomber toute la colère du Czar, qui consent aussitôt aux désirs de Charles.

Quoique la fortune de cette représentation ait été très-variée, qu’elle ait été successivement mêlée de triomphes et de revers, il étoit facile néanmoins, au milieu des nombreux défauts qui la déparent, de reconnoître l’ouvrage d’un homme habile. Elle est pleine de mots heureux, et d’effets de théâtre pathétiques ; le troisième acte est sur-tout d’un très-grand mérite. Ce que l’on ne conçoit pas c’est que l’auteur ail pu faire un mélange aussi extraordinaire de lieux communs fastidieux, et de traits d’esprit frappans; de scènes très-intéressantes, et de verbiages inutiles et incommodes. Tantôt son style est pur, noble et rapide, tantôt il est familier, lourd et trivial. Le rôle de juge est une des plus tristes conceptions qu’on ait pu mettre sur la scène. Il est vrai que Picard n’en a point dissimulé les défauts. Il a fait de ce malheureux une espèce de bateleur, qui rend des jugemens comme un polichinelle de la foire ; c’est sur-tout ce personnage qui a excité la défaveur.

Cependant au milieu de ce mélange de platitudes et de bouffonneries, on a pu reconnoitre encore des intentions profondes, qui décèloient l'homme de mérite. Il y a aussi quelques mots d’un excellent comique. Par exemple, quand ce juge procède à l’interrogatoire de Charles, et que celui-ci veut lui présenter quelques observations ; il s’écrie brusquement : taisez-vous et répondez. Ce mot a été très-mal-a-propos interrompu par quelques sifflets.

Si M. Duval retouche son ouvrage, s’il en fait disparoître les longueurs ; s’il redonne du ton et de la dignité au personnage du juge, son Menuisier de Livonie deviendra une composition très-intéressante, et ne pourra manquer de procurer au théâtre de Picard de nombreux spectateurs et d’utiles recettes.

La pièce est très-bien jouée par Vigny, chargé du rôle du Czar, et par Mad. Delille, qui remplit celui de l’Impératrice ; Clozel et Mlle. Adeline se sont fait remarquer, le premier dans le rôle de Charles, la seconde dans celui d’Eudoxie. Picard jeune est aussi très-plaisant dans un rôle épisodique de juif.

Journal des débats et loix, 24 ventôse an 13, vendredi 15 mars 1805, p. 2-4 :

[Ce fort long compte rendu par Geoffroy d'une pièce qu'il voit comme destructrice du théâtre du temps permet de se faire une excellente idée de ce qu'il pense, de ses haines comme de ses admirations. On voit bien que le critique quasi officiel a une vision très traditionnelle de ce que doit être le théâtre, que comme beaucoup des gens du temps il juge très fortement menacé de décadence.

Il déteste :

  • la philosophie des Lumières, Rousseau qu'il ne peut s'empêcher d'appeler Rousseau de Genève (pour le distinguer de Jean-Baptiste Rousseau, le poète, ou pour rappeler que c'est un protestant ?) et qu'il ménage un peu ici ; et plus encore Voltaire, responsable pour lui d'une incroyable corruption du goût, accusé ici d'utiliser dans son Histoire de la Russie des documents douteux – un « manuscrit curieux » ;

  • le drame, dont les personnages ne sont pas « intéressants », c'est-à-dire que le spectateur ne peut pas « prendre part à sa bonne fortune » ;derrière cette idée, on aperçoit une conception très particulière du théâtre, les spectateurs devant adhérer à ce que vivent les personnages, ce qui implique que le spectacle soit plus que vrai, qu'il soit vraisemblable ;

  • autre défaut du drame, le manque de grandeur : les propos des personnages ne méritent pas « d'être transmises à la postérité », inutile de faire dire sur le théâtre des banalités ; et le czar, qu'on voudrait voir comme « le créateur et le législateur de l'empire de Russie », « n'est plus qu'un homme très ordinaire » ; ce manque de dignité s'étend à Catherine, réduite à une faible femme, qui ne fait que s'évanouir ; plus généralement « il ne faut jamais présenter les personnages illustres dans une situation qui les rabaisse ;

  • rejet absolu du « mélange du bouffon et et du grotesque » ; le rappel de pièces de théâtre écrites par Voltaire « où le pathétique est noyé dans les bouffonneries les plus triviales » ; la présence dans les pièces à la fois de « basses facéties » et pathétique ; ce mélange est « un assemblage incohérent » ;

  • abandon des règles des bons genres au profit du genre bâtard qu'est le mélodrame : « les drames historiques » comme la pièce de Duval, sont « des tragédies grossières et monstrueuses.

Il idéalise :

  • la conception classique du théâtre, celle d'Horace comme celle d'Aristote ; il faut respecter les règles, et toute tentative de s'en affranchir conduit au déclin du théâtre, un déclin que Geoffroy croit fort avancé et qu'il faut sauver ; Pinto est l'exemple même de ce qu'il fait condamner, « les productions informes d'une imagination déréglée »

  • la supériorité du théâtre français, qui a su rejeter ce que Geoffroy appelle les « imbroglios », les « pots-pourris » qui abondent dans les théâtres étrangers, anglais avec Shakespeare, espagnol avec Caleron et Lope de Vega, allemand avec Kotzebuë ;

  • la hiérarchie des genres et celle des théâtres : les genres culminent avec la tragédie, et le mélodrame est au contraire un genre inférieur ; ce qui peut servir d'excuse à l'auteur du Menuisier de Livonie, c'est d'avoir porté sa pièce sur « une scène inférieure », dont on attend moins que du Théâtre Français, lieu des genres nobles ; il faut que l'auteur comprenne qu'on attend de lui une prise de conscience et qu'il abandonne les « drames historiques » et propose une « jolie comédie ».

Les dernières lignes de l'article sont consacrées, comme d'habitude, à la qualité de l'interprétation, jugée sévèrement : deux acteurs sont cités, et ils ne sont pas à leur place dans ces rôles qui ne sont pas leur emploi.]

THÉATRE DE L'IMPÉRATRICE.

Les Illustres Voyageurs, ou le Menuisier Livonien.

Le métier de menuisier a été quelque temps noble et philosophique : Rousseau de Genève l'avoit mis à la mode pour l'éducation : à présent, c'est le métier de danseur et de musicien qui est du bon ton. Cependant l'auteur d'Emile observe très-bien que le métier de menuisier vaut mieux, comme ressource, et il prédit à ce sujet notre révolution aussi clairement que le meilleur prophête. Nous aprochons [sic], dit-il, de l'état de crise et du siècle des révolutions ; et il ajoute en note : Je tiens pour impossible que les grandes monarchies de l'Europe aient, encore longtemps à durer.

II ne faut pas être surpris de trouver le frère de 1'impératrice Catherine exerçant le métier de menuisier dans un village de la Livonie : sa sœur, mariée à un soldat, n'avait pas été plus grande dame que lui ; ce qui m'étonne c'est qu'on ait découvert le frère de Catherine, quoiqu'on n'ait jamais pu connaître son père ni sa mère. La reconnoissance de Zaïre et de Nérestan, quoique très romanesque, est beaucoup mieux fondée que celle de Catherine et de son frère : tout ce que raconte Voltaire dans son Histoire de Russie, a l'air d'une fable. Son récit est tiré, dit-il, d'un prétendu manuscrit curieux d'un officier du czar ; il n'en est pas moins bizarre et invraisemblable ; et l'on ne conçoit pas que Voltaire ait eu tant de crédulité pour des contes.

Les poètes dramatiques sont beaucoup plus libres que les historiens ; cependant ils ne doivent pas se charger de ces merveilles absurdes qui n'ont n'ont point d'appas pour les bons esprits. Le sujet de ce drame ne me paroît pas heureux, parce que la découverte d'un frère de Catherine pouvoit être un fait très-important pour la cour du czar, mais n'a aucun intérêt pour le public : il faudroit que ce frère fût très-intéressant lui-même, et qu'on l'aimât assez pour prendre part à sa bonne fortune. Or, ce menuisier Livonien n'a rien de fort aimable : il est vrai qu'il a du cœur ; il trouve mauvais que des officiers russes prennent quelques libertés avec sa maîtresse, pauvre orpheline élevée par charité dans une auberge ; il veut même se battre : cela est un peu fort pour un menuisier, j'en conviens. L'officier refuse de se mesurer avec un artisan et pour lui ôter tout prétexte, le menuisier se dit gentilhomme : cela est encore plus magnanime ; mais enfin cela ne suffit pas pour faire de ce menuisier un héros de drame. D'ailleurs ces traits de courage sont affaiblis par d'autres traits de puérilité et de niaiserie, et en général ce n'est point un sujet noble et théâtral.

Les autres personnages de la pièce ne sont pas aussi fort brillans ; le czar a paru sous un aspect si imposant quand il étoit charpentier et menuisier lui-même, qu'il semble jouer un triste rôle quand il n'arrive dans un village de Livonie que pour trouver son beau-frère dans un pauvre menuisier. Le manuscrit curieux dont Voltaire nous fait fête, nous assure que le czar dit. en reconnoissant ce beau-frère : S'il a du mérite, nous en ferons quelque chose; s'il n'en a point, nous n'en ferons rien. Ne voilà-t-il pas un oracle bien profond ? et des paroles aussi simples méritoient-elles d'être transmises à la postérité ? Du reste, les brusqueries de Pierre, ses manières dures et violentes, ses fureurs quand on lui parle d'un ancien chef de Cosaqnes qu'il doit avoir oublié ; tout cela est petit dans la pièce, parce que le czar n'y fait rien de grand qui couvre ces défauts de la nature. Des sentences usées sur le gouvernement et sur les lois, des traits communs d'une morale dont on s'est rebattu, ne couvrent point une action foible et nulle ; et le czar n'étant là que pour interroger et reconnoître son beau frère, n'est plus qu'un homme très-ordinaire et n'ont [sic] pas le créateur et le législateur de l'empire de Russie.

Il en est de même de Catherine : cette femme dont la fortune fut si extraordinaire, et le caractère encore au dessus de la fortune, ne- fait rien de considérable dans la pièce que de s'évanouir sans qu'on sache bien précisément si elle s'évanouit parce qu'elle trouve un frère, ou parce que ce frère est menuisier : cette défaillance est dans le manuscrit cité par Voltaire ; mais elle n'en est ni plus intéressante, ni plus vraisemblable. L'histoire nous apprend que Catherine avoit l'ame assez forte pour supporter, sans s'évanouir, la reconnoissance d'un frère auquel elle ne pensoit guère, et dont elle se seroit bien passée. C'est une règle générale, qu'il ne faut jamais présenter les personnages illustres dans une situation qui les rabaisse. Si César dans Pompée ne faisoit autre chose que faire l'amour à Cléopâtre, il seroit très-insipide ; mais il venge Pompée, et il excite l'admiration. Il fallait ne point faire paroître Pierre-le-Grand sur la scène, si on ne pouvoit montrer en lui que le beau-frère d'un menuisier. A peine cette aventure pourroit-elle figurer avantageusement dans une anecdote ; à plus forte raison ne peut elle avoir aucun relief dans un poëme dramatique.

Le mélange du bouffon et du sérieux est aussi très-repréhensible dans cet ouvrage. Le Bridoison. bien placé dans une farce telle que Figaro, ne peut convenir dans un drame ; ce maire de village tient de la parade ; il n'a pas même eu l'avantage d'être bien joué ; le genre est très-mauvais, et Picard n'a point saisi ce genre. Malgré tout son esprit, il semble avoir encore ajouté à la bêtise du personnage. Je demanderois comment M. Duval peut unir d'aussi basses facéties avec tant de prétentions à la sensibilité ; si Voltaire n'avoit pas fait l'Enfant prodigue et quelques autres pièces où le pathétique est noyé dans les bouffonneries les plus triviales ? Les lazzis du menuisier vêtu en prince rappellent trop la pantomime de Ricco en colonel : le bavardage de l'hôtesse, la caricature d'un usurier, tout cela n'est qu'un assemblage incohérent ; c'est le monstre d'Horace. Notre théâtre n'a pas besoin de ces imbroglios, de ces pots-pourris dont la sagesse de nos bons ailleurs l'avoit débarrassé. Est-ce que l'art revient en enfance ? Shakespeare, Calderon, Lopez de Vega sont-ils devenus nos maîtres ? Allons-nous chercher des modèles chez Kotzebuë et dans les rapsodies des Allemands ? et nos auteurs, oubliant la dignité de notre scène veulent ils se déshonorer par l'imitation des farces étrangères ?

II y a dans la. pièce un autre miracle, une autre reconnoissance merveilleuse ; c'est celle d'Eudoxie, fille de Mazeppa, général des Cosaques, proscrit pour avoir trahi les intérêts de la Russie. Cette petite fille élevée par charité dans un cabaret est fort maltraitée par l'empereur, qui s'emporte au seul nom de son père, sans égard pour la dignité impériale. Cependant cette colère indécente et inutile amène un mot heureux de la petite fille : lorsque Pierre furieux lui demande où est son père, comme pour assouvir sur lui sa vengeance : Eudoxie répond naïvement, il est mort, comme pour lui faire entendre qu'il n'est plus en son pouvoir. Pierre finit par s'apaiser et donne en mariage à son beau-frère la-fille de l'ennemi qu'il vouloit exterminer.

La première représentation a été fort malheureuse : 1a seconde a- obtenu un accueil plus favorable. M. Duval est plus intéressant que sa pièce : on regrette que l'auteur de quelques comédies agréables et ingénieuses méconnoisse son talent et se jette hors de son genre, il devroit laisser aux auteurs sans aveu, aux aventuriers de la littérature ces ressources frauduleuses et ces stratagèmes de la médiocrité intrigante. M. Duval a des moyens de plaire, en se renfermant dans les bornes de l'art.

Les drames historiques sont de véritables mélodrames, c'est-à-dire des tragédies grossières et monstrueuses, où l'on se flatte d'intéresser en s'affranchissant de toutes les règles : c'est la ruine de la bonne tragédie, que l'on doit chercher au contraire à ranimer pour l'honneur de notre théâtre. I1 y a quatre ou cinq ans qu'on essaya d'introduire ce mauvais genre sur la scène française : on y représenta je ne sais quelle farce intitulée Pinto ; on avoit travesti dans cet ouvrage la révolution de Portugal : les novateurs crioient merveille ; mais après de grands débats, Pinto et ses partisans furent éconduits par le public. Ce n'est pas enrichir notre scène que de la flétrir par les productions informes d'une imagination déréglée ; ce n'est pas multiplier nos plaisirs, c'est substituer aux jouissances nobles et délicates, la crapule et la débauche. S'il arrive que ces ouvrages amusent et intéressent, c'est un malheur car il ne doit pas être permis d'amuser et d'intéresser par toutes sortes de moyens. M. Duval n'a point ce dernier reproche se faire : le Menuisier livonien n'est pas fort amusant, et intéresse peu. On doit aussi lui savoir gré d'avoir respecté le Théâtre Français, et de n'avoir hasardé cet essai de mélodrame que sur une scène inférieure qui n'a pas le même décorum à garder. Il faut peut-être le féliciter de n'avoir pas mieux réussi ; cette petite correction le ramènera aux bons principes et nous vaudra quelque jolie comédie. Je suis chargé de déclarer à M. Duval que le public attend de lui des pièces telles que les Héritiers, et non point des drames historiques.

Le Menuisier Livonien ne tire pas un grand lustre du jeu des acteurs. Vigny n'est pas fort accoutumé aux rôles d'empereurs, et Closel joue mieux les petits-maîtres français que les menuisiers de Livonie.

La Revue philosophique, littéraire et politique, an XIII, IIe trimestre, n° 18, 30 Ventose (21 Mars 1805) p. 568-569 :

[« Drame intéressant et comique », qui nous transporte dans la Russie de Pierre le Grand, dont l’analyse met en avant Charles, le frère de l’impératrice, et non Pierre le Grand. Après ce résumé, le critique conteste les jugements sévères des autres journalistes : il en souligne les qualités (intérêt, gaieté, originalité des caractères, style), concède quelques « fautes » et finit par dire qu’elle « fait plaisir ».]

Théâtre de l'Impératrice, rue de Louvois.

Le Menuisier de Livonie.

Une anecdote russe a fourni le sujet de ce drame intéressant et comique.

Le frère de Catherine Iere, impératrice de toutes les Russies, ignore ses parens et l'élévation de sa sœur au titre de czarine ; il végète obscurément dans un hameau de Livonie, et se trouve réduit à exercer le métier de menuisier. Mais malgré son éducation inculte et sa pauvreté, il décèle un cœur fier et sensible. Amoureux avec énergie de la fille d'un proscrit illustre, ennemi du czar, le comte de Mazépa, il a trouvé le secret avec son travail de subvenir à ses besoins et de l'intéresser par la naïveté de ses sentimens et la noblesse de sa conduite. Une querelle que la violence de son caractère lui a suscitée avec un des officiers du czar, l'a rendu célèbre par la sauvage et fière résistance qu'il a opposée à l'insolence du pouvoir. Pierre-le-Grand a pris connaissance de l'affaire, et sur quelques renseignemens ultérieurs, il soupçonne que ce Charles pourrait être le frère de son épouse ; il vient incognito en Livonie, suivi de la czarine, se dit le prince Menzicoff, chargé de prendre des informations sur l'insulte faite à l'ambassadeur par le garçon menuisier, et le fait interroger par le magistrat du hameau, espèce de Brideoison qui ne manque pas de signaler sa basse flagornerie, en vendant son jugement à la puissance. Mais le czar, indigné d'une part de la méprisable versatilité de ce juge ridicule, et de l'autre, enchanté de la noble franchise, de la bravoure et de la vertu de Charles, le remet dans les bras de sa sœur, qu'il ne s'attendait pas à trouver si grande dame. Le voilà donc heureux pour son propre compte : mais il s'agit de faire approuver son amour pour la fille de Mazépa. Le czar, en apprenant que l'objet de son choix tombe sur la fille de son ennemi, éprouve d'abord un de ces moment de fureur et d'emportement dont il n'était pas maître ; mais bientôt la nouvelle que Mazépa est mort et que sa fille est malheureuse, le rappelle à des sentimens de générosité : il l'embrasse et l'unit avec Charles.

C'est une chose curieuse que le dénigrement avec lequel les journalistes quotidiens ont jugé cette production : la plupart ne l'ont pas sans doute entendue. Quand on écoute la pièce avec attention, après les avoir lus, on est tout étonné d'y trouver un intérêt assez pressant, du comique et de la gaité, des caractères originaux, sur-tout celui du garçon menuisier, et enfin un style naturel et piquant à la fois, qui décèle une plume exercée. On peut sans doute y trouver quelques fautes : l'évanouissement de Catherine est un moyeu forcé et peu vraisemblable de retarder la reconnaissance du frère et de la sœur. Cet évanouissement n'a point de motif suffisant : mais au total, la pièce fait plaisir, elle attache, elle intéresse, et certes ne méritait pas d'être traitée aussi rigoureusement par nos Aristarques. Elle est de M. Duval, déjà connu par le succès récent du Tyran domestique.                 L. C.

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome VIII, floréal an XIII [avril 1805], p. 284-287 :

[La pièce n’a pas obtenu un succès complet : elle a été applaudie, plus à la fin qu’au début, et elle a subi des murmures réprobateurs, plus au début qu’à la fin. L’intrigue analysée ensuite nous plonge dans les méandres dynastiques et sociaux de la Russie de Pierre le Grand : encore une histoire de souverain qui se mêle incognito à son peuple, et en profite pour régler les problèmes que cet anonymat lui permet de découvrir. A son actif, un mariage et une révocation. Pièce mal faite, mais intéressante : riche en défauts (le style négligé, l’action lente, le dialogue peu piquant) et en qualités (commencement, situations fortes au troisième acte, dénouement efficace). Pour qu’elle obtienne le succès, il suffit de quelques coupures, des modifications de détail, et une meilleure interprétation (le compte rendu ne nomme aucun acteur !). L’auteur a été nommé.]

Le Menuisier de Livonie, comédie en trois actes et en prose.

Succès disputé ; plus de murmures que d'applaudissemens durant les deux premiers actes. Beaucoup plus d'applaudissemens que de murmures pendant les dernières scènes.

Le czar Pierre revenant de France à Pétersbourg, rencontre son épouse, l'impératrice Catherine, dans une auberge de Livonie. Informé qu'un garçon menuisier, nommé Charles, et établi dans cette auberge, pourrait être le frère de Catherine (née, comme on le sait, de parens obscurs), il veut s'assurer de la vérité par lui-même, et il en cherche les moyens.

Charles, amoureux d'une orpheline nommée Eudoxie, vient d'avoir une dispute éclatante avec des officiers russes qui avaient entrepris d'enlever la jeune fille ; et le czar, gardant l’incognito, selon sa coutume, profite de cette circonstance pour interroger ce garçon menuisier. Charles, croyant qu'on veut se moquer de lui, répond assez inconsidérément à son souverain, qui prend le parti de le faire enfermer, par ses gens, dans une chambre de l'auberge. L'hôtesse avertit le juge du lieu pour qu'il punisse cet acte d'autorité arbitraire ; et ce magistrat campagnard, qui se trouve être le plus grand sot de toutes les Russies, veut d'abord, non pas défendre l'innocence, mais venger l'insulte faite à sa petite magistrature par un inconnu qu'il ne croit pas puissant. Le czar montre alors sa décoration, et le juge de se confondre bassement en excuses, sans savoir pourtant qu'il les adresse au czar ; car celui-ci ne veut passer aux yeux du sot que pour le grand boyard Menzikoff. Cependant il s'agit de juger Charles dans les formes juridiques. Catherine se trouve présente à l'interrogatoire, et reconnaît par les réponses naïves de l'accusé, que ce jeune menuisier est son propre frère. L'idée de ne le retrouver qu'au moment où tout semble annoncer qu'il va être condamné à une peine infamante, la fait tomber évanouie ; mais le czar, suffisamment instruit de ce qu'il voulait savoir, n'a point la cruauté de prolonger l'erreur de son épouse ; il lui déclare que Charles est innocent, qu'il le reconnaît pour son frère, et qu'il le place à côté du trône. On peut se figurer la joie de l'impératrice ; mais tout n'est pas encore arrangé. Pierre apprend que la petite Eudoxie, dont Charles ne veut pas se séparer, est fille d'un boyard déloyal (Mazéba), qui a indignement trahi sa patrie.... Il entre d'abord dans une grande fureur, puis on lui dit que Mazéba vient de mourir ; puis, enfin, il s'appaise tout-à-fait, et adopte l'aimable Eudoxie, qui devient d'épouse de Charles. Le juge vient alors complimenter son souverain,, et son souverain le destitue.

Toute défectueuse qu'elle est, cette pièce inspire un grand intérêt. Le style en est négligé ; l’action languit excessivement à certains endroits ; il y a des traits forcés dans le rôle du juge, qui n'est qu'une caricature ; enfin le dialogue n'a pas tout le piquant qu'on exige aujourd'hui des auteurs comiques ; mais la pièce commence très-bien ; mais le 3e. acte abonde en situations fortes, bien amenées, bien conçues, bien développées ; mais le dénouement produit un grand effet ; mais, enfin, l'auteur n'a guères que des coupures à faire, quelques mots à changer, un ou deux traits à adoucir, et des leçons à donner aux acteurs, pour procurer à son Menuisier de Livonie le sort de son tyran domestique, c'est-à-dire, un très-grand succès.

Cet auteur a été demandé, et l'on est venu nommer M. Duval.

L'Esprit des journaux français et étrangers, An XIII, tome XI (Thermidor, juillet 1805), p. 289-290 :

[Article qui concerne la reprise de la pièce au Théâtre de Bruxelles]

L'on a monté, pendant ce mois, deux pièces nouvelles qui ont obtenu un grand succès. L'une est le Menuisier de Livonie, fait historique en trois actes de M. Duval, et la seconde, l'Intrigue aux fenêtres, opéra en un acte, parole de M. Dupaty, musique de M. Nicolo.

Le Menuisier de Livonie, sans être un bon ouvrage, est attachant et intéresse ; c'est un mérite indispensable pour la représentation. Le rôle de Pierre-le-Grand est fort bien joué par M. Lagarenne, qui a donné à ce personnage la couleur qui lui appartient.

Mlle. Ribou avait une belle tenue dans Catherine. Le rôle est d'ailleurs de trop peu de conséquence pour qu'elle ait eu occasion de le faire valoir autrement.

M. Madinier n'a rien laissé à désirer dans celui du menuisier ; il l'a joué avec beaucoup de naturel et d'aisance ; il y a bien cette naïveté, cette gaieté, cette franchise qui sont propres au personnage. Ce rôle fait infiniment d'honneur au talent de M. Madinier, qui paraît très-propre au genre comique, dans lequel nous sommes convaincus qu'il obtiendrait de grands succès, s'il s'y adonnait.

Mme. Gouget joue très-bien le rôle de l'hôtesse. Mlle. Morland met trop d'ingénuité, de simplicité même, dans celui d'Eudoxie, fille de l'Hetman des Cosaques. Cette jeune personne, née dans un rang élevé, a reçu de son père une éducation convenable à sa naissance; ses discours et sa tenue, doivent s'en ressentir. Mlle. Morland l'a d'ailleurs joué d'une manière satisfaisante. M. Paulin a déployé beaucoup de comique et d'originalité dans le rôle du juge, espèce de Bridoison, dans lequel il a été on ne peut pas plus plaisant.

Annales dramatiques ou, Dictionnaire général des théâtres, tome sixième (1810), p. 244-245 :

[Le rédacteur des Annales dramatiques n'est pas du même avis que celui de la Revue philosophique, littéraire et politique...]

MENUISIER DE LIVONIE (le), comédie en trois actes, en prose, par M. Duval, au théâtre Louvois, 1805.

Le Czar Pierre, revenant de France à Pétersbourg, rencontre son épouse, l'Impératrice Catherine, dans une auberge de Livonie. Informé qu'un garçon menuisier, nommé Charles, établi dans cette auberge, pourrait être le frère de Catherine, née comme on le sait, de parens obscurs , il veut s'assurer de la vérité par lui-même, et en cherche les moyens.

Charles, amoureux d'une orpheline, nommée Eudoxie, vient d'avoir une dispute vive avec des officiers russes qui avaient entrepris d'enlever cette jeune fille. Le Czar, gardant l'incognito, selon sa coutume, profite de cette circonstance pour interroger le garçon menuisier. Charles, croyant qu'on veut se moquer de lui, répond inconsidérément à son Souverain, qui prend le parti de le faire enfermer dans une chambre de l'auberge. Alors l'hôtesse avertit le Juge du lieu pour qu'il punisse cet acte d'autorité arbitraire. Ce magistrat campagnard, qui se trouve être le plus grand sot de toutes les Russies, arrive et veut d'abord, non pas défendre l'innocence, mais venger l'insulte faite à sa petite magistrature, par un inconnu qu'il ne croit pas puissant. Le Czar montre alors sa décoration, et le juge se confond bassement en excuses, sans savoir pourtant qu'il les adresse au Czar ; car celui ci ne veut passer aux yeux du sot, que pour le grand Boyard Menzikoff. Cependant il s'agit de juger Charles dans les formes juridiques. Catherine se trouve présente à l'interrogatoire, et reconnaît, par les réponses naïves de l'accusé, que ce jeune menuisier est son propre frère. L'idée de ne le retrouver qu'au moment où tout semble annoncer qu'il va être condamné à une peine infamante, la fait tomber évanouie ; mais le Czar, suffisamment instruit de ce qu'il voulait savoir, n'a point la cruauté de prolonger l'erreur de son épouse : il lui déclare que Charles est innocent ; qu'il le reconnaît pour son frère, et qu'il le place à côté du trône. On peut se figurer la joie de l'impératrice ; mais tout n'est pas encore arrangé. Pierre apprend que la petite Eudoxie, dont Charles ne veut pas se séparer, est fille d'un Boyard déloyal, Mazeba, qui, autrefois, a trahi sa patrie. Il entre d'abord dans une grande fureur ; mais on lui dit que Mazeba vient de mourir ; alors il s'appaise tout-à-fait, et adopte l'aimable Eudoxie, qui devient l'épouse de Charles. Le juge vient complimenter son Souverain, et son Souverain le destitue.

Toute défectueuse qu'elle est , cette pièce inspire quelqu'intérêt ; mais le style en est négligé, et l'action languit excessivement, surtout dans les deux premiers actes. On y trouve des traits forcés dans le rôle du Juge, qui n'est qu'une mauvaise carricature ; enfin, le dialogue n'a pas tout le piquant qu'on est en droit d'exiger des auteurs comiques.

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