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Les Maures d'Espagne ou le Pouvoir de l'enfance

Les Maures d'Espagne ou le Pouvoir de l'enfance, mélodrame en trois actes, en prose et à grand spectacle, de Guilbert de Pixerécourt, 19 floréal an 12 [9 mai 1804].

Théâtre de l'Ambigu-Comique.

Courrier des spectacles, n° 2630 du 20 floréal an 12 [10 mai 1804], p. 2 :

[Premier article, consacré surtout à donner la source de la pièce, un roman de Florian, qui raconte la terrible histoire des Abencerrages, massacrés par les Zégris, la pièce retraçant le dernier épisode de leur histoire. Mais la place manque au critique, et il ne peut qu'annoncer la suite pour « un prochain numéro » et donner quelques indications, sur le soin mis à la production du spectacle et sur la nécessité de gommer quelques maladresses dans le dialogue au second acte.

Théâtre de l'Ambigu-Comique.

De tous les sentimens dont l’humanité s’honore, il n’en est peut-être pas qui inspire plus d’intérêt que l’amour maternel, et c’est l’héroïsme même de cet amour qu’on vient d’exposer â ce théâtre, dans le mélodrame intitulé : les Maures en Espagne. L’auteur avoit puisé les situations les plus attachantes dans l’un des traits les plus célèbres de l’Histoire moderne ; il y a mis en jeu tout ce que les passions présentent de plus animé et de plus pathétique, et ses efforts, mal gré les défauts qu’on a remarqués dans le second acte, ont été couronnés d’un succès mérité.

L’époque la plus intéressante de l’empire des Maures en Espagne avoit fourni à Florian le fonds do son roman de Gonzalve de Cordoue, et l'on sait tout le parti que l’auteur de Zoraïme et Zulnare a tiré de ses principales [sic] épisodes. M. Guilbert-Pixérécourt, connu par nombre d’excellents mélodrames, vient de puiser à la même source.

Après le massacre des Abencerrages dans la Cour des Lions, les restes de cette tribu malheureuse échappés aux poignards des Zégris, leurs ennemis mortels, abandonnèrent Grenade , et se réfugièrent à Carthame , petite ville située dans les Alpuxares ; c’est là qu’ils furent poursuivis pendant plusieurs années par la tribu victorieuse et féroce des Zégris, jusqu’à ce qu’enfin la prise de Grenade par Ferdinand et Isabelle, eût décidé l’expulsion totale des Maures, et les eût forcés de retourner en Affrique.

C’est à l’époque de ce séjour des Abencerrages à Carthame, que l’auteur a placé le sujet qu’il a mis en scène. Mais le temps ne nous permettant pas d’en développer les détails, nous sommes forcés de les remettre à un prochain numéro. Nous nous bornerons, pour le moment, à dire que rien n’a été épargné pour donner à ce nouvel ouvrage tout l’éclat qu’il exigeoit : décorations, ballets, costumes, etc. Nul doute enfin que, quand l’auteur aura retouché quelques parties du dialogue au second acte, où l’on a remarqué un peu de recherche dans le style, et des images trop multipliées, cette nouvelle production ne rivalise avec les meilleures qu’il a déjà données en ce genre.

B***.          

Courrier des spectacles, n° 2631 du 21 floréal an 12 [11 mai1804], p. 2-3 :

[Deuxième article donc, qui est d'abord consacré à raconter l'intrigue remise dans le contexte de la guerre entre Abencerr ages et Zégris. Vaincus, les Abencerrages sont condamnés à livrer leurs enfants à leurs ennemis, et ce sont les efforts de Zima, l'ancien amour du lieutenant du prince des Zégris, et ceux d'Abular son mari, pour sauver les enfants de la tribu. La pièce peint la cruauté des Zégris, jusqu'à ce que le prince des Zégris, Almanzor, ait pitié des derniers Abencerrages et décide de punir celui qui voulait les faire périr par vengeance. La pièce finit par les scènes de joie que provoque cette fin heureuse. Le sujet est jugé aussi dramatique que plein d'intérêt. Le mélodrame ne repose ni sur le hasard, ni sur des « incidens extraordinaires » : il suit « le cours naturel des passions, ou plutôt des sentimens » : « le pathétique est l'ame de tout dans ce drame » auquel le critique ne voit que « des taches très-légères », faciles à éliminer. Tout y est bien pensé : décorations, disposition des groupes sur la scène. Des enfants paraissent sur la scène, et ils sont touchants dans « leur petite pantomime ». Les acteurs ont beaucoup donné pour cette pièce. Et on a reconnu sans peine l'auteur, dont le critique cite les œuvres majeures,]

Théâtre de l'Ambigu-Comique.

Les Maures en Espagne, ou le Pouvoir de l'Enfance.

(Suite de l’article inséré dans le Numéro d’hier )

Après une longue série de combats, dans lesquels l’avantage est alternativement demeuré aux Abencerrages et aux Zégris, ces derniers ont enfin rangé la victoire sous leurs drapeaux. Les Abencerrages sont totalement défaits ; Abular, leur chef revient à Carthame au moment où ses troupes, qui avoient d’abord repoussé les Zégris, célébroient dans une fête ce premier avantage. Il y revient presque seul, et annonce à Zima, son épouse, que les Zégris, qui d’abord n’avoient pris la fuite qu’à dessein d’entraîner les vainqueurs dans un piège, étoient revenus à la charge, et avoient écrasé les siens par le nombre. Il est bientôt suivi d'Alamir, lieutenant d’Almanzor, prince des Zégris. Cet Alamir a aimé Zima, et le dédain dont elle a payé son amour l’a rendu le plus cruel ennemi des Abencerrages, Il a juré leur destruction, et vient, en conséquence leur annoncer, au nom de son maître, qu’avant la fin du jour ils doivent tous périr par le fer et la flamme, que leur ville doit être détruite de fond en comble ; que Zima seule est exceptée de cet ordre rigoureux. Il sort triomphant, et laisse les Abencerrages dans la dernière consternation.

Abular, sans aucuns moyens de défense, sans espoir d'arracher les restes de sa tribu au massacre ordonné par Almanzor, a recours, pour fléchir la barbarie des Zégris, à un parti extrême : il propose-de réunir les enfans des principales familles Abencerrages, sans en excepter les siens mêmes, et de les envoyer dans le camp ennemi, pour tenter de faire changer Alinatizor dans son affreuse résolution. On n’a pu dérober à Zima la connoissance de ce projet ; elle accourt et emploie inutilement les plus vives instances pour en détourner Abular, elle le trouve inflexible, et tombe évanouie ; on profite de ce moment pour lui enlever ses enfans, que le fidèle Hassan, vieux serviteur, est chargé d’accompagner au camp des Zégris.

On voit bientôt arriver ces enfans au camp d’Almanzor, et les Zégris, excités par Alamir, vont en faire un carnage : un chef plus humain suspend seul les coups des soldats, déjà émus par la vue de ces innocentes créatures. Cependant Almanzor paroît, et va détruire jusqu’à la race de ses ennemis ; en ce moment Zima, sous les habits d’Hassan, accourt et se precipite aux genoux d’Almanzor ; elle le trouve inexorable, il ordonne aux enfans et à leur guide de sortir du camp, et de retourner à Carthame. Leur perte est résolue. Mais ce que la pitié n’a pu obtenir du chef des Zégris, la nature va l’exiger à son tour. Almanzor a un fils ; ce jeune prince n’a pu voir sans la plus vive émotion tous ces enfans destinés à périr, et demandant la grâce de leurs pères. Par un généreux dévouement, il se propose à Zima pour l’accompagner à Carthame, afin d’y servir d’otage entre les mains d’Abular, et forcer ainsi son père à donner la paix à ces Abencerrages. Zima refuse et ne veut point devoir son salut à une bassesse. Almanzor, qui a tout entendu, cède à tant de générosité. Pénétré des vertus de son fil , il l’appelle, le presse dans ses bras. Zima n’a plus rien à craindre ; elle se débarrasse du manteau qui lui donnoit l’extérieur d’Hassan, et démasque toute l’horreur de la conduite d’Alamir. Celui-ci veut envain se dé fendre, il est chargé de chaînes et conduit à Grenade. Abular et les Abencerrages venoient au camp pour défendre Zima, on leur annonce la paix, et la journée se termine par des danses et des fêtes militaires.

Il étoit difficile de choisir un sujet plus dramatique, aussi l’intérêt qu'il inspire est-il continuel ; les chances du hasard ne sont entrées pour rien dans le développement de l’action. Point d’incidens extraordinaires, point de catastrophes ni de personnages épisodiques. Almanzor lui-même ne paroît qu’au moment nécessaire Le cours naturel des passions, ou plutôt des sentimens développe seul le sujet, en marque les repos, en lie les diffères périodes, et en amène enfin le dénouement de la manière la plus heureuse.

Le pathétique est l’ame de tout dans ce drame, conduit avec beaucoup de goût, et qui n'offre que des taches très-légères, qu’on aura fait disparaître facilement d’une représentation à l’autre. Les décorations sont simples et belles, les costumes d’une grande exactitude, les groupes toujours savament [sic] disposés, sans paroître l’avoir été autrement que par le résultat même des situations.

Faut-il le dire ? des enfans de six à dix ans y figurent comme autant d’acteurs, et rien de plus touchant que leur petite pantomime. Les ballets sont très-bien dans le caractère du pays : on a sur-tout applaudi au second acte une danse maure d’une invention tout-à-fait originale.

Les acteurs doivent en général se savoir gré des efforts qu’ils ont faits pour bien rendre ce mélodrame qui leur a valu de fréquens applaudissemens.

Il n’est pas besoin de répéter que l’auteur a été demandé après la représentation, la facture de l’ouvrage annonçoit assez celui de Cœlina, de la Femme à deux Maris, du Pèlerin Blanc, etc. et cette nouvelle production ne déparera nullement la liste.

B * * *.          

Dans la chronologie de ses œuvres, Pixerécourt attribue aux Maures d'Espagne 61 représentations à Paris et 163 en province.

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