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La Nouvelle Cendrillon
La Nouvelle Cendrillon, comédie en quatre actes et en prose, de de Rougemont et Périn, 6 novembre 1810.
Théâtre de l'Impératrice.
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Titre :
Nouvelle Cendrillon (la)
Genre
comédie
Nombre d'actes :
4
Vers / prose ?
en prose
Musique :
non
Date de création :
6 novembre 1810
Théâtre :
Théâtre de l’Impératrice
Auteur(s) des paroles :
Rougemont et Périn
Almanach des Muses 1811.
Sujet déja traité sur presque tous les théâtres, et toujours avec succès ; un rôle de gascon très gai ; des longueurs et peu d'intérêt ; mais beaucoup d'esprit dans les détails.
Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez M.me Masson, 1810 :
La nouvelle Cendrillon, comédie, en quatre actes et en pros, Par MM. de Rougemont et Réné Perin. Représentée pour la première fois sur le Théâtre de S. M. l'Impératrice, par les Comédiens ordinaires de Leurs Majestés, le 6 Novembre 1810.
[Plusieurs comptes rendus relèvent le manque d'originalité ou de nouveauté du sujet. Certains renvoient en particulier à Cendrillon, ou l'École des mères, vaudeville de Desfontaines, de 1802.]
L'Ambigu, ou variétés littéraires et politiques, volume XXXI (Londres, 1810), n° CCLXXVI (30 Novembre, 1810), p. 425-434 :
[L'Ambigu, revue publiée à Londres, reproduit les feuilletons de Geoffroy (le critique du Journal de l'Empire) qui rendent compte dans deux longs articles des premières représentations de la Nouvelle Cendrillon. Articles tout à fait intéressants, sur l'ambiance très particulière de ces deux représentations (lors de la première, le début de la pièce a été retardé par une demi-heure de désordre que le critique ne comprend pas – réellement ou hypocritement – ; la seconde a été un succès), et sur la capacité des auteurs du temps de modifier leur pièce en fonction des réactions du public (entre la première et la seconde représentation, la pièce a été « réduite à quatre actes ».]
THÉATRE DE L'IMPÉRATRICE.
Premiere Représentation de la Nouvelle Cendrillon, Comédie en cinq Actes.
Divers motifs avaient rassemblé dans l'enceinte de ce théâtre une foule immense, et telle que l'ancienne Cendrillon, dans ses plus beaux jours, n'en vit jamais à Feydeau une plus extraordinaire. Les uns, attirés par une curiosité vague, étaient venus simplement pour s'amuser d'une nouveauté ; les autres, avec un dessein plus prononcé, étaient accourus pour soutenir l'auteur et la piece ; plusieurs avaient apporté des intentions hostiles, et s'étaient rendus au parterre comme sur un champ de bataille. Il y avait dans la mêlée des curieux, des amis, des ennemis, des indifférents prêts à se ranger du côté du plus fort : des éléments aussi hétérogenes ne pouvaient être en harmonie, et composaient un tout plein d'agitation et de trouble.
On a commencé par le Jeune Savant : quoiqu'il soit encore nouveau au théâtre, il a beaucoup souffert de l'impatience que faisait éprouver la Nouvelle Cendrillon ; et M. Rougemont, auteur des deux ouvrages, se nuisait à lui-même. Cette premiere piece a paru longue, quoiqu'elle n'ait qu'un acte ; elle s'est jouée dans le tumulte, et on a eu de la peine à l'achever. L'entr'acte a été très-bruyant : les signes d'une violente tempête éclataient de toutes parts d'une maniere effrayante pour les spectateurs paisibles. On leve enfin la toile, et les deux sœurs de Cendrillon, madame Henry et Mlle. Delille, ou plutôt Eléonore et Rosalie, s'avancent sur la scene. Le premier dit à l'autre, Eh bien, ma sœur, etc. : le bruit l'empêche d'en dire davantage ; et d'actrices devenues spectatrices, les deux sœurs n'ont plus rien à faire qu'à contempler les effets d'un orage qui a duré environ une demie-heure ; mais en perdant la parole, elles avaient conservé le jeu muet, et n'exprimaient pas mal l'impatience et le dépit.
On a cru voir se renouveler la fameuse querelle des Bardes. Celle de l'Odéon n'en a différé que par le temps et par le motif ; elle a moins duré, et n'avait pas en apparence un objet bien déterminé. A l'Opéra, on voulait, on demandait quelque chose, on articulait des sujets de plainte ; à l'Odéon, on ne voulait, on ne demandait rien, on n'avait à se plaindre de rien ; on avait l'air de faire du bruit, uniquement pour le plaisir de troubler le spectacle. Je m'imagine cependant que le parti de l'auteur, évidemment le plus fort, a voulu par ce fracas terrible épouvanter et contenir les malveillants, en leur prouvant sa supériorité. On a surtout vivement poursuivi un certain homme à besicles, soupçonné d'être l'un des chefs des ennemis. Enfin, les choses étant à-peu-près arrangées, l'attention s'est tournée vers les deux dames qui, depuis long-temps, attendaient une audience, et la piece a commencé.
Le conte de Perrault, qui a rempli la scene de Cendrillon, est un conte des fées qui n'est bon que pour un opéra comique. Anseaume le premier le choisit pour sujet d'un vaudeville de la Foire, où il y a de l'esprit et de la gaieté. M. Rougemont n'a pris que l'idée principale du conte, et renonçant à tous les prestiges de la musique et du merveilleux, il a prétendu faire une comédie de mœurs et d'intrigue. Le projet est louable assurément ; mais l'auteur ne devait pas, à ce qu'il me semble, étendre sa prétention jusqu'à cinq actes : sa matiere ne pouvait guere lui en fournir que trois.
La tendresse exclusive d'une mere pour l'un de ses enfants, est toujours aveugle, et tombe sur l'objet qui en est le moins digne : c'est un sujet de comédie intéressant et moral. Qui croirait que c'est un jésuite qui l'a traité le premier dans un drame de collége. Le P. Porée, le professeur de Voltaire, nous a laissé un recueil de petites pieces latines. Il y en a une où il a peint assez heureusement la prévention d'un pere pour l'un de ses fils, et son injuste aversion pour l'autre. Dans le théâtre de Destouches, on trouve une esquisse du même sujet sous le titre de la Belle Orgueilleuse, ou l'Enfant Gâté ; ce fond a encore été remanié dans une piece du Boulevard, intitulée les Deux Sœurs, et dans quelques autres. La littérature et le théâtre ne sont plus que de vastes friperies où les auteurs vendent de vieux habits ! cela ne peut pas être autrement, puisqu'il y a trois cents ans qu'on fait des comédies. Le talent ne consiste plus qu'à bien retourner ces vieux habits, et à les refaire à la mode.
MM. Rougemont et Périn, auteurs de la Nouvelle Cendrillon, se sont privés d'une partie de l'intérêt et de la morale du sujet, en supposant que Sophie (c'est le nom de la Nouvelle Cendrillon) est maltraitée par une belle-mere qui a deux filles de son premier mari. Si l'on n'avait pas voulu profiter de la vogue du nom de Cendrillon, le véritable titre de la piece était la Belle-Mere. M. Delmar, pere de Cendrillon, voyant ses affaires dérangées, est parti pour l'Amérique, et depuis quatorze ans il n'a point donné de ses nouvelles. Dans son absence, sa femme, auteur et bel-esprit, ne s'est occupée que de ses deux filles, et a fait de Cendrillon leur servante : elle leur a prodigué la parure, les plaisirs, les maîtres de tous les arts d'agrément, et n'en a fait que des orgueilleuses et des sottes. Cendrillon a retenu tout ce qu'on a enseigné à ses sœurs : elle sait la musique, le dessin, la danse, la géographie, l'histoire ; c'est un petit prodige de science et de vertu ; elle est adorée de toute la maison, excepté de ses sœurs et de sa belle-mere. Edouard, secrétaire de madame, est surtout sensible au mérite de Cendrillon, dont il s'est fait le précepteur. Il y a dans le jardin un bocage secret où il fait voir à son écoliere bien du pays sur la carte. Cendrillon ne veut y voir que la route que son pere a suivie pour aller en Amérique. Elle ignore que ce pere chéri, mort dans l'opinion de tout le monde et surtout dans celle de sa femme, est de retour de l'Amérique : qu'il est dans la maison, dans le jardin, où dans ce moment même il est témoin des tendres souvenirs de sa fille bien-aimée, et de l'indifférence de ses belles-filles ; car tandis que Sophie suit son pere sur la carte, ses sœurs, de l'autre côté du jardin, occupées aussi de géographie, observent avidement la position de Cachemire qui nous envoie de si beaux schalls, et celle des riches contrées de l'Inde qui nous fournissent les diamants et les perles : c'est une des plus jolies scenes de la piece.
Le pere, caché dans sa propre maison, examine tout, et n'a pour confident que le jardinier Ambroise. Il découvre qu'Edouard, le secrétaire de sa femme, est le fils de son ami et de son associé Dercourt, qui est mort en Amérique, laissant des biens immenses. M. Delmar profite de cette découverte pour commencer la punition de la mere et des filles ; il se fait connaître au jeune Dercourt. Bientôt le bruit se répand que le secrétaire Edouard vient d'hériter d'une grande fortune. La mere, comme Madame Guibert de la Petite Ville, voit dans le riche Edouard un excellent parti pour une de ses filles : elle les exhorte à faire valoir devant lui tous leurs moyens de plaire. Eléonore chante et danse ; Rosalie l'accompagne de son luth : vains efforts ! Edouard ne voit, ne rêve que Sophie. Sophie est donc une rivale dangereuse qu'il faut écarter. Madame Delmar veut l'envoyer chez un parent de son mari. On voit la pauvre petite prête à partir avec un très-petit paquet sous le bras : spectacle qui excite une révolte parmi les domestiques ; ils demandent leur compte et veulent suivre Sophie. Déjà Madame Delmar a reçu la foudroyante nouvelle du retour de son mari ; déjà même la reconnaissance conjugale s'est opérée, aussi froidement qu'il était possible : M. Delmar, maître de son ressentiment, se contente de persifler sa chere moitié, lorsque les domestiques révoltés viennent insolemment signifier à Madame Delmar qu'ils ne veulent plus rester dans une maison d'où l'on chasse Sophie : cela fait crever la bombe. Le courroux du mari éclate : la mere et les filles sont confondues : mais Sophie n'est point encore assez vengée. Le pere emmene sa chere fille dans un hôtel magnifique ; il prodigue pour la parer les ornements les plus précieux et les plus rares : sa mere et ses sœurs sont témoins de son triomphe. Sophie, toujours bonne, fait de vains efforts pour fléchir en leur faveur le cœur de son pere, Tout se termine par son mariage avec Edouard. Je n'ai point parlé d'un épisode qui cependant a obtenu le plus brillant succès : c'est celui des amours de Florent, domestique de M. Delmar, avec la petite jardiniere Jeannette. Le dialogue est vif, enjoué, étincelant de saillies et de gasconnades plaisantes : rien n'est plus joli ; mais c'est toujours un remplissage, et n'y a point de belles scenes hors de l'action.
Les trois premiers actes, et une partie du quatrieme, sont très-agréables et remplis d'esprit ; ils ont été universellement applaudis : ils ont fait rire ; l'intérêt s'y trouve réuni à la gaîté : mais la fin du quatrieme et le cinquieme en entier ont été mal reçus, et ne méritaient pas, il faut en convenir, un accueil plus favorable. Comment les auteurs de tant de pieces connaissaient-ils assez peu le théâtre, pour ne pas savoir qu'il faut surtout écarter du dénouement tout détail froid, toute explication désagréable sur un objet triste et ingrat ? Les plus justes reproches dont un mari accable sa femme sont odieux quand ils ne sont point comiques. On dirait que Madame Delmar va plaider sa cause devant son mari, quand on ne doit songer qu'au bonheur de Sophie. Il faut supprimer au moins un acte, les accourcir presque tous, accélérer la marche de l'action, éviter les discussions ingrates, échauffer le dénouement : il y a tant de bonnes choses dans cet ouvrage, qu'avec quelques précautions, il peut avoir un succès très-flatteur, et amener beaucoup de monde à ce théâtre. Les acteurs contribuent beaucoup à produire ces heureux effets ; et pour commencer par Sophie, l'héroïne de la piece, on ne peut pas mettre dans ce rôle plus de grâce, d'ingénuité et de naturel que Mlle. Fleury. Cette jolie actrice, dont le jeu est toujours spirituel et piquant, n'avait point encore eu de rôle où elle eût fait autant de plaisir : elle y a développé un talent très-distingué, et qui ne serait pas même déplacé sur un plus grand théâtre. Madame Henry, encore faible et convalescente, a rendu aussi bien qu'il est possible le rôle très-peu considérable d'Eléonore : elle a chanté la romance du Mariage de Figaro, Mon cœur soupire ; on ne peut lui reprocher que de n'avoir pas assez ménagé sa voix : on a généralement été satisfait du pas du schall qu'elle a dansé avec beaucoup de goût et de grâce. Mlle. Delille, qui ne chante ni ne danse, s'est distinguée dans le petit rôle de Rosalie par la finesse de son jeu. Chazelle est rond et franc dans le jardinier Ambroise. Perroud, chargé du rôle de Florent, y a mis beaucoup de vivacité et de gaieté ; il a brillé comme acteur et comme chanteur dans un petit air où il a été très-applaudi. Mlle. Regnier, qui jouait Jeannette, gasconne très-agréablement, et dialogue avec beaucoup d'enjouement et de chaleur. Dugrand a la noblesse et l'énergie qui conviennent à son rôle de pere ; et Thénard a montré de la sensibilité dans celui d'Edouard.
Seconde Représentation de la Nouvelle Cendrillon.
Quand il y a dans le parterre une grande attente et une vive curiosité, malheur aux pieces qui retardent sa jouissance ! Ce n'est pas toujours rendre service à l'auteur d'une nouveauté, que de la faire précéder d'un de ses ouvrages déjà connus : si l'intérêt y trouve son compte, l'amour-propre est blessé : car l'ouvrage connu est souvent maltraité par l'impatience de voir celui qu'on ne connaît pas. Ainsi, le pere est outragé dans l'un de ses enfants déjà grand et fort, et celui qui est la cause de cet outrage n'a pas encore vu le jour ; il est même aussi près de la mort que de la naissance. Le Jeune Savant et le Mariage de Charlemagne sont deux enfants de M. Rougemont qui se portaient fort bien, et que l'on caressait à l'Odéon ; mais la Nouvelle Cendrillon, en venant au monde, les a sevrés de toutes les douceurs, et leur a même attiré quelques affronts.
La piece est maintenant réduite à quatre actes ; elle a beaucoup gagné en perdant des superfluités qui embarrassaient et attristaient le dénouement : rien ne nuit plus maintenant à l'effet des scenes agréables et piquantes dont l'ouvrage est rempli; son principal mérite est dans la vivacité, l'esprit et les heureuses saillies du dialogue : on y trouve même en ce genre une abondance de bien qui rassasie. La précision est la seule qualité qui manque aux deux auteurs : ils ne savent point finir ; ce qui en poésie, et surtout en poésie dramatique, est un défaut essentiel.
Le succès de cette seconde représentation a donc été complet ; les acteurs, encouragés par la faveur publique, et plus affermis dans leur rôle, se sont livrés à leur verve avec plus de confiance. Perroud et Mlle. Regnier, quoiqu'ils prennent bien peu de part à l'action, en ont pris une très-grande aux applaudissements. Les auteurs out traité cet épisode avec une complaisance particuliere ; ils y ont répandu le sel à pleines mains : ce n'est pas, si l'on veut, du sel attique ; c'est du sel gascon qui a bien son mérite. Les scenes des deux amants sont autant d'assauts d'esprit, de gaieté, d'agréables réparties ; les combattants font merveille ; ils attaquent et se défendent avec une adresse étonnante, et l'accent du pays donne un nouveau prix à leurs saillies. Perroud, par un long séjour à Bordeaux, s'est, pour ainsi dire, naturalisé Gascon ; dans Mlle. Regnier l'art a suppléé à la nature, et elle a paru digne d'être née sur les bords de la Garonne. Mais puisque la scene est à Bordeaux, je demande pourquoi Perroud et Mlle. Regnier s'attribuent le privilége exclusif de gasconner, tandis que le même droit appartient à tous les personnages : pourquoi la mere, les trois demoiselles, l'amant, le jardinier, les domestiques, n'ont-ils pas l'accent de leur pays ? Quant à Dugrand, qui joue le rôle du pere, il n'y a point de reproche à lui faire : né dans les provinces méridionales, il a naturellement un accent qui a beaucoup d'affinité avec celui de la Gascogne.
Madame Henry n'a point chanté ; mais elle a dansé d'une maniere très-agréable ; sa danse a été universellement applaudie : la danse n'est cependant pas un talent qu'elle ait cultivé comme le chant, et dont elle ait donné des preuves publiques. Serait-ce la faiblesse de sa santé qui l'aurait engagée à renoncer au chant ? Cependant sa voix n'a point paru faible le jour où elle a chanté ; au contraire, elle en a trop donné : dans un état de faiblesse, la danse serait encore plus fatigante que le chant. J'imagine donc que Madame Henry ayant des raisons de convenance pour ne plus chanter la romance Mon cœur soupire, et d'ailleurs trop occupée des coupures.et changements qu'il fallait faire à la piece, n'a pas eu le temps de préparer un autre air.
En rendant compte de la premiere représentation, je ne sais quelle distraction m'a fait oublier Madame Molé, qui joue le rôle de la mere : cet oubli est très-injuste ; mais il n'a pu nuire à une actrice dont la réputation est faite et le talent bien connu. Son rôle est peu favorable, et même odieux ; mais elle y a mis tout l'art et toute l'intelligence qu'on avait droit d'attendre d'une artiste qui réunit au mérite de bien jouer les pieces, le talent d'en composer.
Mlle. Fleury réunit tous les suffrages ; elle s'est encore surpassée dans cette seconde représentation : son jeu est un des principaux charmes de la piece ; et comme il ne faut souvent qu'une circonstance favorable pour développer et faire briller le talent, la Nouvelle Cendrilion sera pour l'actrice l'époque d'une vogue qu'elle n'avait pas encore eu l'occasion d'acquérir.
Il y a dans la piece beaucoup de situations qui ne sont pas neuves ; mais c'est un inconvénient presqu'inévitable ; il est presqu'impossible que tant d'auteurs qui tous les jours font tant de pieces, ne se rencontrent en courant la même carriere ; tout ce qu'on peut exiger, c'est que l'auteur s'approprie une situation prise ailleurs, en la plaçant dans un cadre intéressant. Depuis les changements faits à la piece, les sœurs ne sont plus témoins du triomphe de Cendrillon, et le public ne jouit plus de leur punition : c'est un défaut. Il serait à souhaiter qu'on rendît à Madame Henry le chant qu'on lui a ôté : le public s'est contenté de sa danse ; mais elle ne se contente pas elle-même d'un moyen de plaire quand elle peut en avoir deux : elle n'a pas trop du chant et de la danse pour se dédommager d'un rôle assez ingrat. La seconde représentation de la Nouvelle Cendrillon avait encore attiré une foule prodigieuse ; et tout annonce que cet enthousiasme ne sera point passager.
Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 15e année, 1810, tome VI, p. 135-136 :
[1810, année des Cendrillon : c’est par là que commence le compte rendu. L’effet magique du personnage touche les salles qu’elle enrichit, et les auteurs. Ici, la Cendrillon n’a pas de marraine fée (la pièce n’est pas une féerie), mais c’est la gaîté, l’intérêt et un dialogue spirituel qui fait le succès de la pièce. Ses ressemblances avec l’Ecole des mères (la pièce de Desfontaines, créée au Théâtre du Vaudeville en 1795 et jouée régulièrement jusqu’à la fin du siècle) ne va pas jusqu’aux détails, et c’est par eux que la pièce a connu le succès. Le résumé de l’intrigue ramène la pièce dans le giron des pièces à belle-mère et à père parti en Amérique, très classique. Sinon, la pièce a été supérieurement jouée, par l’actrice qui joue le rôle de Cendrillon/Sophie, et par l’acteur qui fait le gascon pour représenter un jardinier. Les auteurs sont nommée.]
ODÉON. THÉATRE DE L'IMPÉRATRICE.
La Nouvelle Cendrillon, comédie en quatre actes et en prose, jouée le 6 novembre.
Le nom de Cendrillon est un talisman qui remplit les salles désertes, garnit les caisses vides, et assure des succès aux auteurs.
La Nouvelle Cendrillon n'est point protégée par une Fée. La seule magie employée par les auteurs, c'est la gaieté jointe à l'intérêt et à un dialogue très-spirituel.
Le fonds de l'ouvrage n'est pas neuf ; il ressemble à l'Ecole des Mères, imitation du conte de Cendrillon, jouée il y a plusieurs années au Vaudeville ; mais les détails qui appartiennent aux auteurs ont plus contribué que le fonds au succès de la pièce.
La pauvre Sophie, persécutée par une belle-mère injuste et par deux belles-sœurs acariâtres et coquettes, protégée par les domestiques de la maison, au rang desquels on la rejette, est dans une situation assez pénible qu'elle supporte avec douceur et résignation. Heureusement pour elle, son père, que l'on croyoit mort en Amérique, revient changer la face dés choses. Il voit tout, sans se faire connoître: ce n'est que lorsqu'on a comblé la mesure, en chassant Sophie de la maison, qu'il se nomme, et qu'il fait paroître sa fille brillante de l'éclat des richesses, augmenté par celui des grâces.
Le rôle de Sophie, plein d'ingénuité et de candeur, a été joué à merveille par Mademoiselle Fleury. Péroud, dans un rôle de gascon, a jeté sur l'ouvrage beaucoup de gaieté; et Chazelles a été plein de rondeur et de bonhomie dans le rôle du jardinier.
Les auteurs de cette comédie sont MM. de Rougemont et René Périn.
L'Esprit des journaux français et étrangers, décembre 1810, tome XII, p. 288-290 :
[La première de cette Nouvelle Cendrillon à l’Odéon a attiré une foule considérable (la moitié des candidats à une place a été refoulée). Le titre qui avait peut-être attiré tout ce monde est toutefois trompeur : la Cendrillon de la pièce n’est pas celle du conte de Perrault, c’est « une nouvelle Cendrillon, comme Julie une nouvelle Héloise ». La pièce transpose dans le monde moderne l’histoire de Cendrillon, jeune fille en proie aux brimades de sa belle-mère et de ses deux fille, le père de Cendrillon étant absent depuis fort longtemps. Modeste et bien éduquée, elle séduit un jeune homme dont on découvre qu’il est riche, et fils d’un ami de son père. C’est naturellement la charmante Sophie qu’il choisit d'épouser plutôt que les méchantes filles de sa cruelle belle-mère. Le jugement porté sur la pièce n’est guère favorable : « aucun mérite d’invention », car « les ressorts d'une telle intrigue ont été mille fois employés à la scène », deux premiers actes applaudis, deux actes suivants « vide et froid », cinquième acte présentant une moralité « sous les formes tristes et monotones du drame ». La pièce a été applaudie, les auteurs nommés. Pourtant, il faudrait assurer la pérennité de ce succès en réduisant la pièce à trois actes, ce qui rapprocherait des jolies scènes et des traits de dialogue bien placés. Cela réduirait l’intrigue sentimentale. Il y a aussi deux gascons dont le rôle est trop éloigné de l’intrigue, et la belle-mère devrait avoir aussi quelques éléments de comique pour la rendre moins odieuse. L’interprétation est peu appréciée, et les auteurs sont invités à améliorer leur ouvrage dans le sens que le public leur a indiqué par ses réactions (le bilan n’est pas fameux pour eux non plus !]
La Nouvelle Cendrillon.
La première représentation de la Nouvelle Cendrillon, donnée à ce théâtre, avait attiré la même affluence que la soixante-quinzième de la Cendrillon de l'Opéra-Comique, c'est-à-dire, un concours extrêmement nombreux. Les habitans du quartier Saint-Germain, usant du privilége que leur donne naturellement le voisinage, occupaient la salle entière dès six heures ; de sorte que ceux de l'autre rive de la Seine, trop souvent accoutumés à trouver cette salle déserte, ont cette fois essuyé des refus auxquels ils ne s'attendaient guères. L'immense enceinte de l'Odéon n'a pu contenir à peine que la moitié des curieux, tant est précieux le talisman d'un titre qu'un grand succès a rendu célèbre, et tant est grande, comme le savait si bien Beaumarchais, l'influence de l'affiche.
La Nouvelle Cendrillon n'est point celle du conte de Perrault : les auteurs de la comédie ne doivent presque rien à l'auteur du fabliau, ni à celui de l'Opéra-Comique ; c'est un malheur; il serait à désirer peut-être qu'ils leur eussent été redevables de beaucoup plus d'idées, déjà justifiées par le succès, soit à la lecture depuis bien des années, soit au théâtre, à ce qu'il paraît, pour beaucoup de temps encore.
Le principal personnage est une nouvelle Cendrillon, comme Julie une nouvelle Héloise : Sophie Delval, placée dans une situation analogue à celle de Cendrillon, reçoit comme une sorte d'épithète caractéristique le nom de la pauvre enfant, dont le malheur nous a tant intéressés dans nos jeunes années Sa belle-mère la méconnaît et la maltraite ; ses sœurs la dédaignent et en ont fait leur servante, et son père, absent depuis quatorze années, ignore la destinée de sa fille : il revient enfin, et l'apprend de la bouche de quelques domestiques fidèles à son nom, à sa mémoire, attachés à sa fille dont ils adorent la bonté naturelle et les qualités acquises : Sophie à laquelle on reproche avec aigreur de ne rien savoir de ce qu'on enseigne à sa sœur, a cependant profité en cachette des leçons qui n'étaient pas pour elle, et un jeune instituteur des deux aînées a facilement appris à la cadette qu'il était aimable, vertueux, et par conséquent fort digne d'être aimé. Ce secret est le premier que surprend le père à son retour. On se doute bien que, selon l'éternelle loi des romans et des comédies romanesques, ce jeune homme se trouve être le fils d'un ami de Delval, son compagnon de malheur et son associé de fortune ; sans cela il n'y aurait pas de mariage pour Sophie, et il en faut un pour terminer la pièce ; mais pour donner à cinq actes l'apparence d'un fond dramatique, il a bien fallu lier une sorte intrigue et d'épreuve : cette épreuve est faite sur les sœurs de Sophie ; elles méprisaient leur instituteur ; elles recherchent en lui le jeune d'Hercourt lorsqu'elles apprennent qu'il est riche ; mais d'Hercourt ne se laisse séduire ni par les graces attrayantes de l'une, par les talens enchanteurs de l'autre ; Sophie seule l'occupe, et l'hymen récompense sa vertu modeste, sa bonté et la piété filiale de Sophie ; rôle très-agréablement tracé, et joué par Mlle. Fleury de manière à le faire très-bien valoir.
Cet ouvrage n'a aucun mérite d'invention ; les ressorts d'une telle intrigue ont été mille fois employés à la scène, et l'Ecole des Mères, vaudeville qui avait le défaut d'être une comédie sentimentale, en offre l'ensemble à un degré de ressemblance très-frappant. Les auteurs ne connaissaient peut-être pas cette pièce : nous n'accusons pas ici leur mémoire, mais nous ne pouvons imposer silence à la nôtre. Les deux premiers actes, l'un fort court, mais agréable ; l'autre plus long, mais gai , et promettant beaucoup, ont été très-applaudis. Le troisième a paru vide et froid ; le quatrième froid et vide ; et quant au cinquième, on a vu la moralité de l'ouvrage présentée par les auteurs sous les formes tristes et monotones du drame. Des murmures se sont élevés ; le sort de pièce a été longtemps incertain ; mais les acteurs ont bien fait leur devoir : une grande partie du public les a secondés, et la pièce a fini au milieu des applaudissemens. Les auteurs ont été demandés et nommés : le succès enfin est régulièrement constaté.
Nous pensons qu'il serait plus durable et plus mérité, si les auteurs réduisaient leur ouvrage en trois actes ; si dès-lors quelques jolies scènes, des traits dialogues spirituels, quelques mots neufs ou d' emprunt, mais bien placés, obtenaient de leur rapprochement tout l'effet qu'on peut en attendre ; si la partie sentimentale de la pièce était de beaucoup allégée ; si les deux rôles de gascons, épisodiques, mais piquans et très-bien joués, étaient mieux rattachés à l'ouvrage, si quelque nuance comique était donné au rôle de la belle-mère, qui est odieux et triste ; si Mlle. Henri, qui dans son rôle fait assaut de talent avec elle-même, et de laquelle les auteurs n'ont pas moins attendu que le jeu de la comédie française, le chant des Bouffons, et la danse de l'Opéra, se gardait de choisir imprudemment un air que la voix de Mme. Barilli a consacré ; si Perroud, qui chante aussi, consentait à dire tout bonnement un petit air, ou à faire des agrémens réguliers et de bon goût, puisqu'il en veut faire : il me semble qu'avec un peu de soins à suivre ces conseils, que les spectateurs donnaient avec autant de bienveillance que d'unanimité MM. Rougemont et René Perrin pourraient assurer le succès de leur ouvrage, et justifier à la représentation le sentiment d'intérêt et de curiosité qu'ils ont désiré exciter en choisissant leur titre. S.
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