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Les Noces de Gamache (ballet-pantomime)

Les Noces de Gamache, folie-pantomime, en un acte ; par le cit. Milon, musique de François-Charlemagne Lefebvre. 28 nivôse an 9 [18 janvier 1801].

Théâtre de la République et des Arts.

Un opéra comique portant le même titre, en trois actes, de Planard, musique de Bochsa, a été créé sur le Théâtre de l'Opéra-Comique le 16 septembre 1815.

Almanach des Muses 1802

Épisode du roman de Don Quichotte.

Basile, aimé de la belle Quitterie que l'on destine à Gamache, feint de se tuer aux yeux des futurs époux, et demande, pour toute grace en mourant, d'emporter au tombeau le nom, le titre, et les droits de mari de Quitterie. Gamache y consent, et signe le contrat, qu'il croit purement fictif ; mais Bazile, qui n'a fait que semblant de mourir, profite de ses avantages. Gamache veut employer la violence ; Don Quichotte se déclare le chevalier des amans, et force le père de Quitterie à consentir au mariage.

Spectacle un peu grotesque pour le théâtre des Arts ; mais de jolis tableaux. Réunion toujours flatteuse des grands talens en ce genre.

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Dondey-Dupré :

Les Noces de Gamache, ballet-pantomime-folie en deux actes, Représenté, pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l'Opéra en Janvier 1801. Par L.-J. Milon, Artiste de ce Théâtre. Musique arrangée par E.-C. Lefebvre, Artiste du même Théâtre.

Les initiales de Lefebvre sont erronées. Il faudrait F.-C. pour François-Charlemagne.

Courrier des spectacles, n° 1422 du 30 nivôse an 9 [20 janvier 1801], p. 2 :

[Le compte rendu s’ouvre sur un éloge dithyrambique du sujet, un épisode de Don Quichotte, qui est pour le critique le meilleur sujet qu’on puisse trouver pour un ballet-pantomime. Il réunit tout ce qu’on aimerait trouver dans les comédies modernes, « un plan régulier, une action suivie, des caractères soutenus ». L’analyse peut commencer, et le critique ne nous épargne aucun détail d’une intrigue visiblement faite pour mettre en valeur les qualités de danse et de mime des interprètes. On y retrouve tous les traits saillants des deux personnages de Don Quichotte, illusions et héroïsme chevaleresque, et de son étrange écuyer; gloutonnerie et maladresse. Le tout se greffe sur le mariage de Quitterie, convoitée par Bazile et Gamache, et que Bazile obtient en faisant semblant de se tuer, ce qui fait qu’on accepte de le marier à l’article de la mort avec sa bien aimée. Bien sûr, il ressuscite aussitôt, et la fête commence. Un seul reproche peut être fait au spectacle, celui d’« avoir trop sacrifié la danse à la pantomime » : l’auteur aurait pu mieux exploiter toutes les occasions de « faire briller la première », mais cela pouvait nuire à l’action, « par elle-même si comique ». Et le critique énumère toutes les occasions perdues de faire briller la danse, en insistant sur ce que les personnages de la pièce pouvaient apporter par une danse qui leur ressemble, grotesque pour Sancho, et un danseur de la troupe est bien adapté pour ce genre de danse, ou montrant le fait que Gamache est une dupe, etc. Mais sinon, que des compliments à faire sur la pièce, « dans son ensemble comme dans ses détails », d’autant qu’elle est servie par des interprètes remarquables, dont le critique fait la liste, avec une série de moments particulièrement réussis. Dernier élément : le nom de l’auteur, le chorégraphe Millon, déjà bien connu et dont le critique rappelle deux titres de gloire.]

Théâtre de la République et des Arts.

Pour développer tous les agrémens de la pantomime, et sur-tout pour éveiller la gaîté, jamais sujet ne fut mieux choisi que celui des Nôces de Gamache. Quand on a vu cette aimable bouffonnerie, on ne peut s’empêcher de se demander par quelle heureuse singularité se trouve dans un ballet ce qu'on cherche vainement dans la majeure partie des comédies modernes ; on veut dire un plan régulier, une action suivie, des caractères soutenus. C’est en effet ce que réunit le joli ballet des Nôces de Gamache. L’analyse seule justifiera facilement cette remarque.

Laurenzo, maître d’hôtellerie, madame Laurenzo, Quitterie, leur fille, Basile, amant de cette dernière, et Gamache, prétendant à la main de Quitterie, sont les personnages de l’intrigue ; Dom-Quichotte et Sancho les personnages épisodiques. L’originalité de ceux-ci, ainsi que leurs carricatures, parfaitement saisies, d’après le célèbre Michel-Cervantes, rendent extrêmement plaisantes les moindres situations.

Gamache prétend à la main de Quitterie, et en offrant une fortune considérable parvient à obtenir le consentement de Laurenzo, qui, d’un autre coté rejette la demande de Basile, amant beaucoup plus aimable. Les amans affligés se séparent, non sans être convenus d’un rendez-vous pour la nuit. Un hasard heureux doit les servir : au moment où les villageois de retour des travaux de la campagne se délassent par des danses et par diffèrens jeux, on voit arriver les deux originaux, l’un sur Rossinante et l’autre sur son âne. Tout à la chimère de la chevalerie, Dom-Quichotte prend l’hôtellerie de Laurenzo pour un château, et les filles d’auberge pour de grandes dames, il entre avec la gravité la plus imperturbable ; mais l’Ecuyer ventru, qui. devient le jouet de toute la jeunesse villageoise, ne peut malgré nombre de tentatives suivre son digne maître. Bien pis, il le voit quelques momens après occupé à un bon repas, il veut y prendre part, et repoussé par-tout il est obligé de se coucher à jeun à la porte de l’auberge pendant que Dom-Quichotte résigné au sort glorieux des Chevaliers, s’endort sur la paille.

Sancho veille cependant, et conduit par l'appétit découvre un garde-manger ; il fait office de ses doigts sur quelques ragouts ; le besoin de se laver la main, pleine de sauce le porte à l’enfoncer dans une cruche; mais il ne peut l’en retirer il n’a d’autre parti à prendre que de casser le vase contre un tronc d’arbre ; mais il fait nuit, et c’est sur la tête de son maître, heureusement couverte d’un casque, que Sancho brise la cruche. Dom-Quichotte se croit attaqué par une année de Géants ou de mauvais Génies ; il frappe et d’estoc et de taille les arbres, la terre, les murs, réveille par ce vacarme tout le village, et fier de sa victoire parce qu’il n’apperçoit plus ses nombreux ennemis, se laisse calmer et conduire aux nôces de Gamache.

Là Sancho s’abandonne à la joie en voyant les mets les plus appétissans ; niais la maligne jeunesse ne lui permet jamais de profiter des offres qu’on lui fait ; là Dom-Quichotte reçoit le spectacle d’un tournois: à peine six Chevaliers ont-ils fait le salut des armes qu’un septième se présente et jette le gant du défi ; Dom-Quichotte le relève et engage le combat. Les deux Ecuyers suivent ce noble exemple, et se battent à coups de poings Sancho accroche son maître, tous deux tombent et entraînent leurs adversaires dans leur chûte. Mais on les tient tous les deux pour vainqueurs, sur-tout Sancho qu’on honore de l’ovation dans un van , et qu’on régale d’un concert de trompettes marines dont il est fort tourmenté.

La danse succède à la pompe triomphale, quand tout-à-coup Basile, en long habit de deuil, s’avance et se plonge un fer dans le sein. Tout le monde frémit, excepté le héros de la Manche, qui tâte avec flegme le poulx du marchand, et annonce qu’il n’y a plus d’espoir d’un retour à retour à la vie.

Bazile obtient pour grace à son heure dernière d’être uni à Quitterie ; ce mariage in extremis est même-consenti par le compatissant Gamache, sûr de reprendre aussi-tôt sa proie. Imprudent espoir ! une fois uni solemnellement à sou amante, Basile jette son lugubre vêtement et le fer dont il a semblé faire usage. Gamache se fâche ; Dom-Quichotte prend la défense des jeunes gens. Nouveau combat où tout le village prend parti ; Gamache cède, Laurenzo suit cet exemple, Basile obtient la main de sa maîtresse , les plaisirs remplacent encore les allarmes, et pour cette fois, Sancho s’en donne, comme on dit, à ventre déboutonné.

Avoir trop sacrifié la danse à la pantomime, ou plutôt n’avoir pas tiré tout le parti convenable des occasions où l’on pouvoit faire briller la première,est le seul reproche qu’on feroit à l’auteur, s’il n’étoit évident que l’action par elle-même si comique en eût souffert, en eût par conséquent été moins gaie. Cependant on regrette de n’avoir pas vu danser Sancho et danser à sa manière ; ce qui n’auroit pas manqué d’être fort plaisant. C’étoit un bon à-propos pour le genre de danse vraiment grotesque du cit. Beaupré, qui rend au surplus le rôle de Sancho avec toute la bonhomie et toute l’originalité que le modèle présente dans le roman. Gamache lui-même n’eut été que meilleure dupe s’il avoit dansé avant la petite aventure qui lui enlève Quitterie. Enfin, pourquoi Laurenzo n’auroit-il pas pris part à la fête, en dansant quelque pas analogue à son caractère.

Sauf ces légères réflexions, le ballet des Nôces de Gamache est digne d’éloges dans son ensemble comme dans ses détails : tout y est charmant, et l’exécution répond à la composition. Les artistes de la danse y sont tous acteurs. Mlle Chevigny joue le personnage de Quitterie avec cette naïveté qui la rend si précieuse à ce théâtre. Le cit Aumer est extrêmement plaisant dans le rôle de Don-Quichotte.

Un pas-de-trois du plus beau dessin, et dans lequel le cit. Deshayes, et Mmes Gardel et Chameroy surpassent encore, ce nous semble, l’idée que jusqu’à ce jour on avoit eu. de leur talent. Plusieurs entrées étonnantes par le cit. Vestris, un menuet espagnol, le Fandango, les Folies d’Espagne, et autres pas charmans qu’il exécute en perfection avec Mlle Chevigny sont autant de richesses particulières à ce ballet dont l’auteur déjà connu par ceux de Pygmalion et de Héro et Léandre, a été demandé, amené, couvert d'applaudissemens. Nous avons nommé le cit. Millon, auquel, pour la troisième fois, le citoyen Lefevre, auteur de la musique, associe son talent et ses succès.

B * * *

La Décade philosophique, littéraire et politique, neuvième année, IIme trimestre, n° 13 du 10 Pluviôse, p. 232-233 :

Théâtre National des Arts.

Les Noces de Gamache, ballet pantomime.

Depuis long-tems les amateurs de l'Opéra et les vrais amis de la gloire des arts, se plaignent de la décadence du goût et de la confusion des genres à ce théâtre. Consacré dans son origine à la réunion de tous les prestiges, aux tableaux gracieux de la mythologie, aux effets merveilleux de la baguette magique, il s'interdisait avec scrupule le genre burlesque et bouffon, et croyait de sa dignité de reléguer les carricatures aux tréteaux des remparts. Depuis que la danse, s'isolant assez maladroitement, a cru pouvoir briller seule, sans le secours de ses sœurs la musique et la poésie, elle s'est vue forcée de s'allier à la pantomime, genre beaucoup plus commode pour se passer d'esprit et d'invention. Mais au moins les tableaux qu'elle choisissait, puisés dans les sujets rians et gracieux, tels que Télémaque, Psiché, le premier Navigateur, ne dérogeaient point à la majesté lyrique, et donnaient à l'imagination comme aux yeux des jouissances délicates et des souvenirs gracieux. Fallait-il donc que le manteau grotesque de Tabarin vînt encore affubler jusqu'aux aimables enfans de Therpsicore ?

Les Noces de Gamache sont la pantomime exacte de cet épisode du roman spirituel et gai de Don Quichotte. Mais on a remarqué que cet Ouvrage, si plaisant à lire, ne supportait pas facilement la représentation, et probablement doit-il être rangé dans la classe de ces objets

                                     Que l'art judicieux
Doit offrir à l'oreille et reculer des yeux.

Par une bizarrerie singulière , on a retranché de cet épisode précisément ce qui paraissait peut-être prêter davantage à des tableaux mythologiques, je veux dire l'assaut du château de la Beauté, par l'Amour et la Fortune. Mais l'Auteur a substitué quelques bouffonneries assez plattes, prises dans un vieux conte. C'est l'embarras de Sancho, qui, après avoir enfoncé ses mains dans une cruche, ne peut plus les en retirer, et pour s'en débarrasser, va la briser sur le casque de Don Quichotte, à genoux, qu'il prend pour un tronc d'arbre. Il faut convenir qu'on ne s'attend guères à trouver sur le grand Théâtre national des Arts, des tableaux aussi peu faits pour lui. Cependant, le genre une fois adopté, le C. Millon mérite des éloges pour Je dessin de son ballet; et la réunion brillante des premiers talens de la danse, fait oublier aux censeurs moins sévères l'inconvenance du genre, pour ne leur laisser que cette admiration légitime, si bien due, au C. Vestris, au C. Beaupré, à mesdames Chevigni, Chameroi, Saulnier, etc.

Par une singularité bien frappante, tandis que le Théâtre des Arts semble se rapetisser jusqu'au genre burlesque, celui de l'Ambigu-Comique s'élève jusqu'au genre lyrico-mythologique, par la pantomime de Tésée et Philomelle. N'est-ce pas un peu l'image du valet et du maître, qui prennent pour se travestir les habits l'un de l'autre ?                L. C.

Geoffroy, Cours de littérature dramatique, seconde édition, tome cinquième (1825), p. 293-297 :

[Le feuilleton de Geoffroy consiste en deux choses, d'abord dire son indignation de voir le noble Théâtre de l'Opéra s'abaisser à de tels spectacles (des pantomimes bouffonnes !) ; puis à dire combien la danse (que Geoffroy n'aime guère : toujours la même chose, des pas, des sauts, des pirouettes...) était réussie, grâce à d'excellents danseurs.

Geoffroy, en bon ancien professeur, ne peut pas ne pas citer les bons auteurs : 

  • Segniùs irritant animos demissa per aurem
    Quàm quæ sunt oculis subjecta fidelibus.

Horace, Art poétique, 179-180.

« Ce qui est transmis à l'esprit par l'organe de l'oreille, fait une impression moins vive que ce qui est placé sous les yeux. » (traduction de B. Gonod, publiée en 1841).

  • gradiensque deas supereminet omnes

Virgile, Enéide, chant 1, vers 501.

« et marchant, elle surpasse toutes les déesses ».

Cette seconde citation s'imposait moins que la précédente...]

]

M. MILON.

LES NOCES DE GAMACHE.

La folie fait de grands progrès : pour l'excuser, il suffit presque de l'afficher. Jusqu'ici la gravité de l'Opéra avait tenu bon contre cette licence ; ce théâtre se souvenait du temps où il exerçait un empire absolu sur les petits spectacles et les tréteaux ambulans : la Foire, il est vrai, dans ses parades, traitait quelquefois assez familièrement l'Opéra, et se donnait même la liberté de l'appeler son cousin : il n'en était pas moins son maître ; c'était de lui qu'elle tenait le privilége de faire et de dire des bouffonneries ; mais l'Opéra n'usait point lui-même de la permission qu'il donnait aux autres ; et tandis que ses subalternes s'enrichissaient par des farces et des balivernes, il aimait mieux rester pauvre, et conserver sa dignité. Il est aujourd'hui moins fier et s'humanise même un peu trop : avec tant de moyens d'exciter l'admiration, il devait laisser à d'autres le soin de faire rire le peuple.

L'Opéra-Comique, le Vaudeville, et une foule d'autres petits théâtres bâtards, sont le domaine de la folie ; les caricatures y sont à leur place. Comment la majesté du premier théâtre de la capitale peut-elle descendre si bas ? Comment concilier le goût du public pour la pompe et le merveilleux avec l'empressement extraordinaire qu'il vient de marquer pour des bouffonneries déjà usées sur les planches mêmes du boulevard ? La plus belle tragédie de Voltaire, dans sa nouveauté, n'a jamais excité plus vivement la curiosité nationale, n'a jamais produit un enthousiasme plus vif que le cheval de don Quichotte et l'âne de Sancho Pança, au moment où ils ont fait leur entrée sur le théâtre de la République et des Arts.

Qui peut concevoir que des femmes qui jouent la délicatesse et la sensibilité, des femmes qui trouvent Molière bêle, Regnard trivial, et qui traitent de farce ignoble le comique le plus naturel et le plus vrai, se fassent étouffer pour rire du gros ventre et de la gourmandise de Sancho Pança ? La seule annonce de ces sottises avait tellement exalté les têtes, que toutes les loges étaient retenues d'avance par la bonne compagnie ; on n'avait laissé au public que l'amphithéâtre et l'orchestre : encore la fraude avait-elle spéculé sur la curiosité ; la moitié des billets s'est agiotée sur la place avant l'ouverture des bureaux. Ce n'était pas, en vérité, la peine de se tourmenter ; on donne tous les jours chez Nicolet de meilleures farces, et il y a place pour tout le monde.

Le charme des danses paraît être le mot de l'énigme, et ce mot cependant ne l'explique pas ; car les danses des Noces de Gamache, quelque agréables qu'elles soient, n'ont rien qui les distingue des autres ballets qu'on a coutume de donner à ce spectacle ; elles sont même plus communes, plus insignifiantes ; Terpsichore ne peut pas déployer toutes ses richesses dans une noce de village. Deux jours auparavant, on donnait le fameux opéra d'Alceste et un ballet; il n'y avait personne. En vérité, toutes les danses de l'Opéra se ressemblent ; ce sont toujours les mêmes figures, les mêmes pas, les mêmes sauts, les mêmes pirouettes : d'où je conclus qu'on ne courait pas aux Noces de Gamache pour la danse, mais pour la singularité d'une farce sur le théâtre de l'Opéra.

Le roman de don Quichotte, si plaisant à la lecture, a toujours été jusqu'ici fort insipide sur la scène ; les rêveries d'un fou sont dépourvues d'intérêt, etles proverbes de Sancho fatiguent très-promptement. Le sujet des Noces de Gamache a déjà été traité sans succès par Fuselier, je crois , sous le titre de Basile et Quitterie1 ; mais de pareilles bagatelles réussissent mieux dans la pantomime que dans le dialogue ; les gestes et les grimaces d'un bouffon sont presque toujours plus comiques que ses paroles ; on rit d'un objet burlesque qu'on voit, beaucoup plus que d'une plaisanterie qu'on entend.

Segniùs irritant animos demissa per aurem
Quàm quæ sunt oculis subjecta fidelibus.

On dira peut-être que l'effet serait plus piquant si l'on réunissait la parole au geste ; souvent c'est le contraire : un méchant mot, une grossièreté choquante gâte le spectacle.

On ne s'est pas contenté de mettre à profit toutes les circonstances de l'épisode des Noces de Gamache, on a encore réuni dans cette pantomime plusieurs autres traits du roman de don Quichotte ; on en a même ajouté qui ne s'y trouvent pas ; par exemple, la cruche que Sancho Pança casse sur la tête de son maître. C'est une invention de la tête du compositeur, ou plutôt empruntée des parades du boulevard.

Don Quichotte est parfaitement représenté par M. Aumer ; son corps sec, sa mine pâle et alongée, son air grave et mélancolique, faisaient reconnaître le chevalier de la triste figure, tel qu'on le voit dans les estampes, et tel que l'a peint l'immortel Cervantes. La caricature de Sancho est peut-être, s'il est possible, plus parfaite encore ; mais lorsque cet écuyer, si digne de son maître, après avoir satisfait son appétit glouton, paraît avec un ventre prodigieusement enflé, ce spectacle dégoûtant me semble sortir des bornes même de la farce : c'est M. Beaupré qui joue ce rôle. L'âne et le grison n'ont pas rempli l'attente des curieux ; ils ne paraissent qu'un instant au fond du théâtre, et ils ne produisent nullement l'effet qu'on se promettait de ces deux personnages. Goyon, qui s'est distingué dans la Dansomanie, représente un aubergiste, et sa femme est mademoiselle Coulon. Le rôle de Basile convenait parfaitement à Vestris ; et mademoiselle Chevigny, dans celui de Quitterie, a paru digne d'un tel amant ; on a beaucoup applaudi un pas qu'ils dansent ensemble au commencement du premier acte, mais surtout l'espèce de fandango qui termine le ballet ; c'est une sorte de menuet espagnol, beaucoup plus vif et plus gai que le menuet ordinaire. M. Deshayes, représentant un troubadour, a signalé ses talens dans un pas de trois avec mesdames Gardel et Chameroi : ce jeune et charmant danseur n'a pas l'étonnante vigueur de Vestris ; mais pour la noblesse et la grâce, il ne reconnaît point de supérieur. Une entrée de villageois, au premier acte, a fait beaucoup de plaisir par la gaîté et la vivacité du caractère de danse. MM. Saint-Amand, Taglioni, mesdames Colomb, Louise, Le Val, y ont déployé à l'envi beaucoup de légèreté, de grâce et d'enjouement. A la fin du ballet, pour laisser aux spectateurs une merveilleuse idée de son talent et de sa grande supériorité, M. Vestris a fait des sauts si périlleux, et a bondi avec tant de vigueur, que sa tête s'élevait au-dessus des autres danseurs, comme celle de Diane au-dessus des nymphes de sa suite.

Gradiensque deas supereniinet omnes.

Il semblait dans ce moment confirmer la plaisante gasconnade attribuée à Vestris le père, à qui l'on fait dire : C'est par pitié pour ses camarades que mon fils consent à toucher la terre.

La pantomime comique et bouffonne convient moins à ce théâtre que la pantomime noble et gracieuse, où les situations sont plus marquées, plus prolongées, où les talens peuvent mieux se développer. Dans la pantomime bouffonne, les objets passent trop rapidement, et sont trop confus ; à force de voir, on ne voit rien ; cette foule de petits incidens ne laisse aucune trace dans l'esprit, et fatigue même les yeux. (3o nivose an 9.)

1 Basile et Quittrie est ou bien une tragi-comédie en vers de Gaultier (13 janvier 1723, ou bien un ballet de Collin de Blamont (7 mars 1740). La comédie de Fuselier est intitulée Les Noces de Gamache et elle a été jouée le 16 septembre 1722 (d'après la base César).

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