La Petite maison

La Petite maison, opéra en trois actes, parole de Dieulafoy et Gersin, musique de Spontini. Le 23 floréal an 12 [12 mai 1804].

Théâtre de l'Opéra Comique

Titre :

Petite maison (la)

Genre

opéra-comique

Nombre d'actes :

3

Vers ou prose ,

en prose, avec des couplets en vers

Musique :

oui

Date de création :

23 floréal an XII (12 mai 1804)

Théâtre :

Théâtre de l’Opéra-Comique

Auteur(s) des paroles :

Dieulafoy et Gersin

Compositeur(s) :

Spontini

Almanach des Muses 1805

Tableau un peu libre des amours des jeunes seigneurs d'autrefois. Musique fraîche et gracieuse. Représentation très-orageuse.

Courrier des spectacles, n° 2633 du 23 floréal an 13 [13 mai 1804], p. 2 :

[Premier article sur la première représentation de cette Petite maison, qui est l’occasion d’une sorte d’émeute, que le critique prend soin de raconter par le menu. C’est l'occasion pour le lecteur moderne de voir comment se déroule une représentation, de se faire une idée du comportement du public. La lecture de cet article est fort instructif, comme la découverte des causes estimées par le critique de la colère du public. En vrac, des acteurs qui ne semblent pas maîtriser leur rôle, du bruit lié aux spectateurs qui s’installent, l’amateurisme des musiciens qui partent sans attendre si la représentation est bien finie. On aperçoit un personnage aussi important qu'impuissant, « l’officier de police » dont la présence s’explique par la fréquence relative d’incidents de ce genre. Les dégâts sont considérables, et d’autant plus regrettables que la musique, évoquée à la fin de l’article, est jugée de qualité. Spontini est présenté comme un musicien plein d’avenir, mais on peut redouter qu’il préfère travailler ailleurs qu’en France. L’opéra devrait être revu, mais il faut corriger bien des choses : « engager les acteurs à savoir leurs rôles et à se faire entendre, les auteurs à retrancher ce qui a déplu, et l’orchestre à attendre patiemment jusqu’à la fin la décision prononcée par le parterre » (un parterre qui a donc beaucoup de pouvoir !]

Théâtre Feydeau.

Première représentation de la Petite Maison, opéra en 3 actes.

Je ne me rappelle pas avoir vu de représentation aussi orageuse. Le premier acte fut assez bien accueilli ; le second essuya quelques désagrémens, mais le troisième ne-put aller jusqu'à la fin, et on n’entendit pas le dénouement. Une des premières causes du mécontentement du public fut la manière dont les premières scènes, les plus curieuses, celles d’exposition furent jouées et écoutées. Les acteurs parloient vite et bas, et l’on ouvroit ou l’on fermoit les loges ; il résulta delà que le spectateur attentif voyant entrer en scène tel ou tel personnage dont il n’avoit pas entendu annoncer l’arrivée ou la qualité, n'étoit point au courant des scènes, Quelques-longueurs, des mots hazardés, et dans les momens d’humeur toujours interprétés en mauvaise part, augmentèrent le tumulte qui éclata enfin de manière à ne pouvoir plus rien entendre.

L’opposition qui s’étoit manifestée au deuxième acte réussit au troisième à faire quitter la place aux acteurs qui étoient en scène ; et malgré le vœu de la majorité qui vouloit que la pièce fût continuée, le rideau fut baissé ; bientôt on insista pour que la représentation fût continuée ; la toile fut levée de nouveau mais par un contretems inattendu, les musiciens avoieut plié bagage, et il fut impossible de satisfaire la-volonté des curieux.

Il étoit à peine dix heures un quart ; le lustre que l’on descendit resta suspendu à une certaine hauteur, parce que le parterre menaça de le briser. Les uns crioient : Continuez la pièce nouvelle ; les autres demandoient Maison à vendre ; quelques uns l’ouverture du Jeune Henri, et d’autres un Solo de Blasius.

Durant ce tumulte, l’officier de police se promenoit sur le théâtre ; il avoit tenté envain de faire entendre raison au public ; quelques orateurs du parterre avoient été lui porter les vœux de la multitude, mais il ne fut point écouté, et l’on jetta de quelques loges des planches sur le théâtre.

Alors le désordre devint général, les chaises de l’orchestre et les pupitres furent renversés, les bancs du parterre enlevés et jettés les uns sur les antres ; tout en ce moment présenta l’image d’une confusion complette. Il étoit onze heures et demie lorsque les vainqueurs abandonnèrent le champ de bataille jonché de débris et méconnoissable.

Je me vois obligé de remettre à demain les détails sur cet ouvrage où l’on rencontre des scènes adroitement amenées, de l’esprit dans le dialogue, et dont la musique devoit assurer le succès, car l’ouverture est neuve et piquante, le duo du premier acte, entre Lambert et Germain, les couplets de Lambert au second, et les chœurs qui les terminent tous deux annoncent un compositeur plein de grâce, et ont mérité de nombreux applaudissemens. Tout le monde en connoissoit l’auteur, M. Spontini, jeune musicien qui a donné il y a quelque tems à l'Opéra-Buffa la Finta Philosopha. La Petite Maison étoit son coup d’essai dans l’opéra français, et la proscription dans laquelle il a été enveloppé n’est pas propre à lui faire concevoir l’idée de travailler de nouveau pour notre scène.

Il n’a pas eu sans doute à se louer de ce premier accueil du parterre, mais il faut en convenir, il doit aussi un peu s’en prendre à l’orchestre, qui, après avoir attendu quelques minutes que le tumulte cessât, abandonna tout-à-coup la partie, sans qu’il fût possible d’en rappeler les membres, que le public redemandoit à grands cris

Nous croyons que cet opéra aura encore d’autres représentations, mais si elles ont lieu, nous ne pouvons qu'engager les acteurs à savoir leurs rôles et à se faire entendre, les auteurs à retrancher ce qui a déplu, et l’orchestre à attendre patiemment jusqu’à la fin la décision prononcée par le parterre.

Courrier des spectacles, n° 2634 du 24 floréal an 13 [14 mai 1804], p. 2 :

[Deuxième article, presque totalement consacré à résumer l’intrigue, ce qui n’est pas une mince affaire : l’histoire est d’une grande complexité, et sa vraisemblance ne saute pas aux yeux. Inutile de faire la liste des éléments convenus d'une telle intrigue, où l’auteur semble avoir eu soin de compliquer à l’envi les ressorts habituels des livrets d’opéra comique. Le seul point nouveau dans cet article, c’est la mise en avant d’un nouveau mobile pour expliquer les incidents de la première représentation : le public aurait été choqué du « titre d’homme marié » de Lambert le séducteur. cette situation serait inacceptable pour le public, qui une fois choqué, ne change plus d’avis sur le spectacle. Encore une fois, c’est la morale qui est mise en avant.]

Théâtre Feydeau.

Un seigneur époux d’une femme aimable et vertueuse, épris de la beauté naïve de la jeune Lucie, fille de M. Duplan, maître bonnetier de Paris, a sçu, sous le nom supposé de Lambert, et en se faisant passer pour médecin, gagner la confiance et l’amitié du père, dont il seconde d’ailleurs les vues mercantiles par de fréquens achats. Lucie e été envoyée chez une de ses tantes à quelque distance de la capitale, et Lambert pour se rapprocher d’elle, a acheté dans le plus grand incognito une petite maison peu éloignée du village, dont il a laissé le soin à une vieille gouvernante. La jeune personne instruite que sous deux jours on doit la marier à un homme qu’elle déteste, à qui elle préfère Armand, s’échappe un dimanche de la maison de sa tante, et Germain, valet de Lambert, parvient à la conduire jusqu’à la petite maison. Le hazard veut que M. Duplan, qui en allant se promener aux Champs Elysées, a rencontré la demi fortune du docteur, a profité de l’occasion, et s'est fait transporter ainsi jusqu’à la maison de campagne de son ami. Son arrivée déconcerte Lambert, qui voulant dérober Lucie aux regards de son père, la fait passer dans un pavillon éloigné avec la vieille gouvernante. Pour écarter cet importun, il feint d’avoir beaucoup d’opérations à faire, ce qui ne promet pas beaucoup d’amusement au bonhomme. Mais comme il ne veut pas le gêner, il prend le parti de continuer sa route, pour rendre visite à sa sœur et embrasser sa Lucie. Lambert et Germain, que ce départ déconcerte, charchent à le retenir, lorsque de jeunes Seigneurs arrivent à la petite Maison Leur indiscrétion va le trahir, il prend le parti de les faire passer, aux yeux de Duplan, pour des comédiens qui viennent contribuer aux plaisir de la fête qui se prépare. Une fête ! s’écrie Duplan, j’en serai, j’y jouerai la comédie, j’y danserai ; et en effet ils entrent dans la maison, où ils se mettent à table Durant ce tems le village se rassemble, et accompagnent jusques là deux Dames qui parcourent les environs, dévastés par la grêle, et répandent leurs bienfaits sur tous les infortunés qu’elles rencontrent. A leurs chants de reconnoissance se joignant les chants des joyeux convives enfermés dans la Petite Maison ; et cette idée heureuse et bien exécutée n’a pas peu servi à décider le succès du premier acte.

Au second, Lambert, qui n’a pu encore faire l’aveu de ses sentimens à Lucie, trouve l’occasion d’éloigner ses amis et le père Duplan, en 1eur disant qu’il y a dans le village deux dames qui ne veulent pas être connues, et les convives en belle humeur se quittent pour aller à cette galante expédition. Lucie, toujours enfermée dans le pavillon, en sort avec la gouvernante, que Lambert fait retirer : alors il a avec elle une scene où il cherche à la séduire en flattant son amour-propre et son ambition. Lucie est émue. Lambert lui peint l’amour avec ardeur et est sur le point de se jetter à ses pieds, lorsqu’Armand, qui est venu à la recherche de Lucie, se présente à la grille du jardin. Lui ouvrir, le gronder, le faire passer pour coupable aux yeux de son amante, tout cela est l’affaire d’un moment, et Armand est éconduit sans avoir pu se justifier aux yeux de Lucie. Cependant les deux dames à qui le village donnoit une petite fête, ont cherché à se dérober aux poursuites curieuses des amis de Lambert, qu’elles savent être de jeunes seigneurs de la cour, et se sont réfugiées dans la Petite Maison, où elles sont accueillies par la Gouvernante. Elles ne savent pas chez qui elles sont, et les questions qu’elles font à Lucie, qu’elles y rencontrent, ne peuvent fixer leur incertitude à cet égard. Mais l’arrivée de Germain leur fait voir la vérité. Il reconnoit l’épouse et la sœur de son maître, et cherche en vain à leur faire prendre le change sur les projets qu’il médite en se cachant ainsi sous le nom de Lambert. La Comtesse lui défend de faire part à son maître de leur arrivée, et se retire dans un appartement voisin, d où elle peut entendre tout ce que le valet va dire à son maitre.

Ici le bruit a augmenté et s’est prolongé à tel point que les acteurs ont abandonné la scène, et que l’on n’a pu voir le dénouement. Mars il est à présumer que la pièce se termine par une bonne leçon donnée par la Comtesse à son mari, et par l’union de Lucie avec Armand.

Tel est en substance le fonds de cet opéra, où il paroît que le titre d’homme marié, que porte Lambert, a blessé davantage le public, et du moment qu’il reçoit mal la première impression, il juge défavorablement tout le reste. Nous ne reviendrons pas sur les scènes indécentes qui ont interrompu et suivi cette représentation, nous en avons assez dit dans le numéro d’hier.

Mercure de France, n° CLI du 29 floréal an 12 (samedi 19 mai 1804), p. 420 :

[La première de cette Petite maison a été plus proche de l’émeute que de la représentation dramatique. Le compte rendu décrit une violence contre le théâtre et les acteurs qui nécessite l’intervention de la police. Cette violence ne tient pas aux acteurs, qui ont tenté de jouer leur rôle, puis, devant l’impossibilité de calmer les esprits, de satisfaire aux exigences du public déchaîné (le critique compare le parterre à des fous). Elle découle (mais ce n’est pas une excuse) du sujet de la pièce, montrer le fonctionnement de « ces anciens asiles de la volupté ». Le résumé de l’intrigue montre qu’elle est fort loin d’être édifiante, même si le dénouement que l’on n’a pas pu connaître aurait sans doute rétabli la situation « de la manière la plus édifiante ». En particulier, le discours d’un valet est présenté comme « une dégoûtante profanation des mystères de la galanterie ». La musique est mieux traitée, sans être au niveau de ce qu’on attendait d’un musicien comme Spontini. Le nom des auteurs, que personne n’avait demandé, a été inscrit sur les affiches de la deuxième représentation, qui s’est mieux passée.]

Théâtre Feydeau.

La Petite Maison, opéra en trois actes, paroles de MM. Dieu la foi et..., musique de M. Spontini.

Je n'ai pu rien découvrir de risible dans la scène de cabaret, dans l'effroyable vacarme dont j'ai été le triste témoin à la première représentation de cet opéra, que j'aurais bien cru devoir être la dernière. Je n'ai pu trouver plaisans les accès de fureur d'un parterre en délire, qui ne savait ni ce qu'il disait ni ce qu'il voulait ; qui insultait des acteurs, et, qui pis est, des actrices, et prétendait qu'ils lui demandassent pardon de ses outrages et de ses impertinences ; qui brisait des bancs, et, de leurs débris, fracassait des pupitres et renversait les lumières, au risque d'incendier la salle et l'immense galerie où elle est située. Quel sera le résultat de cette scandaleuse démence ? la police interposera son ministère pour que la tranquillité et même la sûreté publique ne soient pas compromises ; l'image de la contrainte attristera le sanctuaire des plaisirs, et le parterre perdra justement une liberté dont il n'est pas digne, puisqu'il ne sait qu'en abuser.

On a cherché des torts aux acteurs ; ils n'en ont aucun. L'orage a commencé au second acte. Madame Scio, qui n'a pas les moyens de dominer les cris d'un parterre forcené, lui a cédé l'honneur de la victoire. Elle s'est retirée avant d'avoir achevé sa scène. Elleviou, ne voulant pas cependant abandonner la partie, a paru avec Martin : à chaque phrase, à chaque mot on les interrompait ; il était impossible de rien entendre. Après avoir long-temps soutenu ce combat trop inégal, l'un d'eux, Elleviou, s'est avancé d'un air très-décent, a salué l'assemblée, et demandé si elle souhaitait que la pièce fût continuée. — Oui. — Non ; et des cris, des hurlemens affreux. Comme la réponse de l'assemblée, ou plutôt du parterre,était équivoque, les deux acteurs ont quelque temps joué encore au milieu du tumulte, des sifflets, et ne se sont enfin retirés qu'après de longs et d'inutiles efforts pour se faire écouter. La toile étant baissée on a demandé, par dérision, l'auteur des paroles. Le spectacle était fini, on évacuait la salle, et beaucoup de monde était déjà sorti, lorsqu'il a pris fantaisie à ceux qui avaient interrompu la représentation de la pièce d'en voir la fin. L'orchestre, qui n'avait pas dû prévoir ce caprice despotique, était parti. Les mutins n'ont pas voulu se payer de cette raison. Madame Scio, leur a-t-on dit, dont la santé n'était pas très-bien rétablie, est hors d'état de jouer. On répond par des invectives. Un commissaire de police, en écharpe, veut parler ; on ne l'écoute pas. On demande Elleviou avec rage. Il se montre avec une modeste fermeté. « Vous pensez bien, messieurs, a-t-il dit, que nous ne demandions pas mieux que de finir, mais vous avez manifesté une volonté contraire avec tant d'énergie..... » Le parterre n'ayant rien à répondre, a continué de hurler, et quand la voix lui a manqué, il a saccagé tout ce qui s'est trouvé sous sa main. On aurait pu croire que c'étaient les Petites-Maisons qui étaient venues voir la Petite Maison.

Celle-ci, à la vérité, pouvait excuser l'humeur du parterre, mais non pas ses extravagances ; on avait eu la maladresse de la prôner d'avance. La génération naissante, qui ne connaît que le nom de ces anciens asiles de la volupté, se faisait une fête d'y être admise ; elle a été stupéfaite de se trouver entourée d'une cohue assez insipide. Un seigneur de la cour, époux d'une femme aimable et vertueuse, est tenté de la fille d'un bonnetier de Paris, de Lucile, espèce de niaise qu'il veut souffler à son amant. Il a commencé par s'établir dans le voisinage du père, se déguiser sous un habit de médecin, et changer son nom en celui de Lambert ; puis a pris une petite maison, où il se propose d'amener Lucile par ruse. Son valet de chambre, Germain, est chargé d'exécuter cette bonne œuvre. Lucile avait passé quelques jours chez sa tante, qui demeure à la campagne, dans le voisinage de la petite maison : Germain fait en sorte qu'une voiture qui la ramenait à Paris, se brise en chemin, et il se trouve là tout à propos pour lui proposer de la mener chez le docteur Lambert, chez l'ami de son père ; ce qu'elle accepte sans défiance. Le corrupteur, pour entretenir d'abord ce sentiment, la remet entre les mains d'une vieille et honnête gouvernante. Aussitôt arrive le bonnetier, qui a su par hasard que son ami Lambert avait une maison près de celle de sa sœur: Le docteur essaie de s'en défaire, en lui persuadant qu'il traite des fous très-dangereux. Le bonnetier dit qu'il va voir sa femme et sa fille, qui sont dans le village prochain. Lambert, encore plus embarrassé, veut le retenir ; bientôt trois ou quatre libertins de ses amis le rencontrent près de sa maison, y entrent avec lui, et augmentent l'imbroglio ; cependant ils sont utiles au séducteur, parce qu'ils l'aident à retenir le bonnetier, qu'ils font passer dans l'esprit des villageois pour le prince de Perpignan, à qui ils doivent des secours inconnus, qu'ils ont reçus dans une calamité récente dont ils ont été affligés. Enfin, comme si tout le monde s'était donné rendez-vous dans un réduit qui doit être mystérieux et secret, l'amant de Lucile y arrive aussi. Il a glissé quelque argent dans la main du jardinier pour qu'il le laissât entrer. Lambert lui fait accroire que c'est un crime énorme, et fait adopter la même idée à l'idiote Lucile, qui, là-dessus, adresse une verte remontrance à son. amant. Ces deux pauvres dupes se fâchent, se querellent. Quand 1'amant est parti, le docteur offre ouvertement à Lucile de l'entretenir. Mais ne voilà-t-il pas que sa femme et sa sœur arrivent aussi ! Tandis qu'il se dérobe à leurs regards, elles rencontrent Germain, puis la bonnetière, et se doutent de la petite espièglerie qu'on veut faire à la jeune innocente. Germain qui a été mis à la question par ces dames, et qui s'en est tiré comme il a pu, est interrogé par son maître sur cet entretien. Là, le parterre a voulu qu'on s'arrêtât. Il est bien visible que l'honneur de la bonnetière devait être sauvé par la femme du séducteur ; que les deux époux se seraient réconciliés, et que la pièce aurait fini de la manière la plus édifiante : mais le parterre n'a pas voulu être édifié ; il s'est retiré au milieu du scandale qu'il a reçu et donné.

Une des choses qui m'ont le plus choqué, est un long monologue du valet de M. Lambert, qui invoque le Dieu du mystère. Qu'un jeune amant fasse cette invocation pour son compte, à la bonne heure ; mais un vil proxénète, un misérable agent de débauche ! c'est une dégoûtante profanation des mystères de la galanterie.

Sans réunir tous les suffrages, la musique a été beaucoup moins mal accueillie que les paroles. On est convenu que le musicien a fait preuve de talent ; et l'on ne s'étonne point que son début n'ait pas été un chef-d'œuvre.

Les auteurs, voyant que personne ne se souciait de les connaître, et voulant néanmoins être connus, ont fait tout bonnement mettre leurs noms sur l'affiche. La pièce s'est redonnée au grand étonnement de ceux qui ont vu sa chute. La musique a, dit-on, fait un peu tolérer les paroles, quoiqu'on s'accorde à dire qu'elle n'a point assez d'analogie avec le poëme.

Le Nouvel Esprit des journaux français et étrangers, tome dixième, messidor an XII [juin 1804], p. 273-275 :

[Le compte rendu s’ouvre par un long paragraphe qui va s’avérer hors sujet, consacré à attaquer violemment la musique italienne, rendue responsable des difficultés des théâtres quand ils présentent des pièces françaises. On sent un nationalisme marqué dans ces lignes. Pour passer à la pièce nouvelle, le critique souligne que ce qu’il vient de dire ne s’applique pas à elle, puisque, œuvre d’un compositeur italien, elle a subi un échec retentissant. Il nous fait le récit d’une véritable scène d’émeute, qu’il ne peut que comparer aux violences qui se produisent souvent sur les théâtres de Londres (un peu d’anglophobie n’est pas mal venue en 1804). La réaction du public, si elle est excessive, n’est pas inattendue : « Les paroles et la musique ne méritaient point d'être applaudies », et les défauts ne manquent pas (pas de régularité dans le plan, scènes mal amenées), mais les beautés ne sont pas pour autant absentes (détails agréables, gaieté). Et la seconde représentation a permis aux acteurs de le montrer. Et « un ou deux morceaux exceptés », la musique est faible et anti-dramatique : «  les Italiens ne font pas toujours des chef-d'œuvres ».

THÉATRE FEYDEAU.

La Petite-Maison.

Qu'un compositeur français présente un chef-d'œuvre, à moins qu'il n'ait une vieille réputation, il éprouvera un refus mortifiant des comédiens ; ou si son étoile veut qu'il en soit accueilli, il verra la salle déserte aux représentations de son ouvrage : ce n'est qu'à la longue qu'il pourra espérer que l'on appréciera ses talens ; et encore, pour y parvenir , combien faudra-t-il qu'il éprouve de dégoûts ; à combien de jalousies sera-t-il en butte ; combien aura-t-il de noirceurs à essuyer, de trames à déjouer ! Qu'un compositeur fraîchement arrivé d'Italie , se présente, au contraire, avec une plate production, pourvu que son nom se termine en a, en i, ou en o, les comédiens l'accueilleront comme un nouvel Orphée ; on préconisera d'avance l'œuvre inimitable de son cerveau, et le public viendra niaisement en foule s'extasier d'admiration, en dormant, ou pour le moins en bâillant, aux interminables roulades que le grand homme aura imposées au gosier complaisant des chanteurs. Ce n'est qu'un ridicule, un travers que je relève ici, j'en conviens ; mais ce ridicule ou ce travers, tient à un esprit qui n'est pas très-national, qui marque peu d'estime de soi-même, et qui , malgré tous les encouragemens du gouvernement pour le progrès des arts, tend non-seulement à empêcher ceux de la musique en France, mais encore nous réduit à l'humiliation de devoir à des étrangers des jouissances que des compositeurs français nous procureraient aussi bien qu'eux, si l'on savait enflammer leur génie, par l'assurance de recevoir de leurs concitoyens l'accueil auquel le talent a de justes droits.

On n'a pas à faire le reproche, dont je parle, au public qui a assisté à la première représentation de la Petite-Maison, opéra-comique en trois actes, paroles de MM. Dieu-la-Foi et Gersaint, musique du compositeur italien Spontini. Cette fois le grand enthousiasme des italianomanes a disparu ; une véritable insurrection a eu lieu : passant d'un extrême à l'autre, les spectateurs ne se sont pas bornés à témoigner leur mécontentement par des sifflets, des murmures, des cris et des huées, ce qui était déjà beaucoup trop ; ils ont poussé l'oubli de toutes les bienséances jusqu'à insulter et menacer des acteurs estimables, jusqu'à s'élancer sur le théâtre, briser les banquettes du parterre, les chaises, les pupitres, et brûler les cahiers de musique épars dans l'orchestre. Cette conduite barbare est si loin de s'allier avec l'urbanité française, qu'en la racontant on croit parler, de ces grossières et repoussantes luttes qui s'élèvent si souvent aux spectacles de Londres, entre les porte-faix ivres de porter, et les acteurs.

Les paroles et la musique ne méritaient point d'être applaudies, j'en conviens ; mais si la muse de MM. Dieu-la-Foi et Gersaint ne s'est pas fort attachée aux lois de la décence ; si leur ouvrage offre peu de régularité dans le plan; si les scènes en sont mal amenées et incohérentes, si enfin, pour l'ensemble de leur Petite-Maison, ils se sont montrés faibles architectes, on ne peut nier qu'elle ne renferme des détails agréables ; que la gaieté ne soit venue s'y loger avec quelques originaux, et qu'elle ne fournisse aux acteurs l'occasion de déployer beaucoup de talent. Tout cela a été senti à la seconde représentation par le parterre, plus calme qu'à la première, et Gavaudan dans un petit rôle de marquis, Juliet dans celui du bonnetier, et Mme. Gontier dans celui de gouvernante, ont été vivement applaudis. Quant à la musique de M. Spontini, cette musique réputée divine, avant que l'on en eût entendu une seule note, elle a paru aussi faible, aussi anti-dramatique, un ou deux morceaux exceptés, que le jour où le parterre en brûla les partitions. Cela prouve que les Italiens ne font pas toujours des chef-d'œuvres.

Nicole Wild et David Charlton, Théâtre de l'Opéra-Comique Paris : répertoire 1762-1972, p. 362, attribuent le livret à Michel Dieulafoy et N. Gersin, la musique à Gaspare Spontini. La petite Maison a connu 3 représentations.

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