Les Préventions d'une femme, vaudeville en trois actes, de Radet, 27 brumaire an 11 [18 novembre 1802].
Théâtre du Vaudeville.
La France littéraire, de Joseph Marie Quérard, tome 7 (1835), p. 432, fait de madame Kennens le coauteur de Radet, comme pour le Dîner au pré Saint-Gervais et Ida ou Que deviendra-t-elle ? Elle n'est connue, semble-t-il, que par la brève mention qu'en fait madame de Genlis dans ses Mémoires [Paris, 1857], p. 337 : « Madame Kennens, dont l'esprit, la douceur, la sensibilité et le talent d'écrire rendent le commerce si agréable et si sûr ».
Almanach des Muses 1804
Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Barba, an XI (1803) :
Les Préventions d'une femme, comédie en trois actes et en prose, mêlée de vaudevilles, Par J. B. Radet. Représentée, pour la première fois, sur le théâtre du Vaudeville, le 27 brumaire an 11.
A la suite de la liste des personnages figure la note suivante :
Nota. Voici encore une pièce dont le sujet est tiré d'un conte de madame Ducret-Genlis, inséré dans la Bibliothèque des Romans, sous le même titre. La réussite d'Ida avait encouragé l'auteur, et ce nouveau succès lui a prouvé qu'il ne pouvait puiser en meilleure source.
Courrier des spectacles, n° 2083 du 28 brumaire an 11 [19 novembre 1802], p. 2-3 :
[Le critique pense que trois actes au Théâtre du Vaudeville, c’est trop : il n’y a souvent que la matière d’un acte pour une pièce comme celle du jour, inspirée d’un conte de madame de Genlis. Pour en tirer trois actes, il faut reprendre tous les détails du conte, et ce qui est supportable à la lecture devient fastidieux au théâtre. L’intrigue est résumée ensuite de manière un peu confuse (on ne voit pas bien ce que le jeune Léon vient faire là, on ne comprend qu’à la fin qu’il y a mariage en vue entre madame de Nelford et Luzi). La pièce détaille des scènes certes charmantes, mais il y a aussi trop de discours, trop de détails pour susciter l’intérêt du spectateur, alors qu’il y a bien peu d’action. La pièce est spirituelle, on y trouve « des pensées fines et délicates », mais comme « autant de morceaux détachés ». Un seul rôle « mérite d’être applaudi », celui de Léon, qui est un enfant. Même celui de Justin, le comique de la pièce, « n’offre que des inepties ou des trivialités ». D’acte en acte, le public a montré plus d’impatience, jusqu’à des sifflets, l’auteur a cependant été nommé. C’est Radet, ce qui surprend fort le critique, qui a besoin d’imaginer un collaborateur pour accepter que la pièce soit de lui.]
Théâtre du Vaudeville.
Première représentation des Préventions d’une Femme.
Une pièce en trois actes à ce théâtre est une chose rare : le Vaudeville doit se contenter d’un acte ; et lorsqu’il s’en permet davantage c’est une incursion sur le territoire de la Comédie, dont le succès est bien souvent contraire à ses espérances. Témoin l’ouvrage en trois actes représenté hier sur ce théâtre. Malgré la prière des auteurs dans le couplet d’annonce, le public prévenu d’abord en faveur de l’ouvrage, n’a pas vu justifier ses préventions, et les a condamnées lui-même. Il y a reconnu le même fonds que présente un des Contes de mad. de Genlis dans la Bibliothèque des romans. Mais quelle différence ! Il y avoit bien le sujet d’une pièce dans ce Conte, mais le sujet d’une pièce en un acte : et en faire trois, c’étoit vouloir offrir le Conte entier avec tous les détails, qui sont supportables à la lecture et fastidieux à la représentation.
Mad. de Nelford arrive à une maison de campagne qu’occupent Dolban et sa sœur, mère du jeune Léon. Dans leur société est admis chaque jour Luzi, jeune seigneur des environs, qui partage avec Léon tous les plaisirs de la campagne. Luzi ne jouit pas dans le monde d’une réputation bien pure, et à sa vue mad. de Nelfort témoigne beaucoup de répugnance de se trouver en société avec lui, et elle en dit si vertement sa pensée à Dolban et à sa sœur, que ceux-ci se trouvent très-embarrassés lorsqu’elle leur déclare qu’elle se propose de repartir sur-le-champ si Luzi reste plus long-tems dans la maison. Elle ordonne même les préparatifs de son départ. Mais Luzi, qui s’est apperçu qu’il déplaisoit, a commandé lui-même des chevaux et se dispose à partir, lorsque mad. de Nelfort vaincue par les sollicitations de ses hôtes consent à adoucir sa rigueur et engage elle-même Luzi à demeurer au château. Dolban veut faire voir à mad. Nelford son jardin son pavillon chinois, etc. C’est-là qu’il a fait préparer un déjeuner auquel elle se rend, ainsi que Luzi.
Après le repas, Léon avance indiscrètement qu’il sait trois couplets que Luzi a composés pour mad. de Nelford, et il les lui chante. Elle est émue, embarrassée, elle se met à un ouvrage de broderie. Léon, qui s’est offert pour l’aider à dévider la soie, brûlant de lui montrer les couplets, s'échappe et laisse à sa place Luzi, qui prend pour cet emploi l’attitude la plus conforme à sa situation. Il est à genoux et n’ose déclarer sa flamme.
Cependant Léon apporte ses couplets, et Dolban vient chercher madame de Nelford pour visiter le parc ; ce qui sauve une explication embarrassante.
Cette dame attend son homme d’affaires, qui doit lui acheter une terre près celle de ses amis. L’intendant a précisément fait marché pour celle d’Urville, qui appartient à M. de Luzi. Mad. de Nelford revenue de sa rigueur contre lui, ne refuse pas de conclure. Une seule chose l'inquiète dans le contrat : c’est une rente de dix mille francs dont la terre est chargée en faveur de la jeune Agathe, fille du fermier de la terre.
Mad. de Nelford croit que Luzi n’a constitué cette rente que pour payer quelques extravagances de jeunesse ,ou quelq’outrage envers cette paysanne ; mais une lettre écrite par le père à l’intendant, la rassure ; et au moment où elle étoit prête à condamner Luzi, elle lui pardonne. Elle renonce à ses préventions contre lui, et l’accepte pour époux. La pièce se termine par une fête en l’honneur de Luzi à qui elle est offerte pat le jeune Léon dont il a sauvé les jours au moment où il étoit près de périr dans les eaux.
Ce fonds ne comportait qu’un seul acte ; et ainsi réduit, nous pensons qu’il feroit plaisir ; mais comment entendre sans ennui trois grands actes, qui réunis, n’offrent qu’une scène agréable et piquante : celle de Léon laissant la soie aux mains de Luzi près de mad de Nelford occupée à broder. Le reste est froid, rempli de discours longs et superflus. Ce sont des à-propos continuels, des hors d’œuvres insipides. On parle beaucoup dans cette pièce, on y agit très-peu ; ce ne sont que des détails la plûpart étrangers à l’action.
Il y a sans contredit de l’esprit ; souvent on rencontre des pensées fines et délicates exprimées dans quelques couplets gracieux : mais ce sont pour ainsi dire autant de morceaux détachés, et qui par cela même perdent de leur prix. Chaque rôle est froid ; ceux des deux amans sont assez en scène ; celui du jeune Léon est bien tracé, c'est la gentillesse, la grâce et l’étourderie d’un enfant de cet âge ; mais ce rôle excepté, quel est celui qui mérite d’être applaudi ? Justin, Suzette et la mère de Léon sont des personnages insignifians ; et ce qui a paru étonnant, c’est que le rôle de Justin , rôle de paysan qui est le comique de la pièce, et que l’on a soigné sans doute , n’offre que des inepties ou des trivialités qui ont surtout excité les murmures.
Le premier acte avoit été écouté froidement, on avoit improuvé le second, le troisième n’a pu échapper aux sifflets qui n’ont cependant pas empêché de finir l’ouvrage et de nommer l’auteur : c'est le cit. Radet ; nous en avons douté jusqu’à ce qu’on vint l’annoncer. On disoit tout bas qu’il avoit un collaborateur; nous avouerons qu’il faut un grand effort de courage pour se charger ainsi seul de toute responsabilité dans une cause qui n’est pas des meilleures, sur-tout lorsqu’on a à soutenir une réputation justement établie.
F. J. P. B. G***.
Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, VIIIe année, tome IV (an XI-1802), p. 247-248 :
[Après le constat de la difficulté de faire une comédie (en fait un vaudeville) en trois actes, le critique donne un résumé assez clair de l'intrigue : comment toute une maison va tenter de venir à bout des préventions de madame de Nelfort contre Luzy dont la réputation est si mauvaise (et bien sûr elle y arriver). Comme il se doit la pièce s'achève par un mariage. L'article finit par des compliments aux interprètes, et particulièrement à celui qui joue un rôle d'enfant, dont le compte rendu ne dit pas à quoi il sert.]
THÉATRE DU VAUDEVILLE.
Les Préventions d'une Femme.
Une comédie en trois actes est une chose assez rare au Vaudeville. Le C. RADET est, jusqu'à présent, le seul qui ait réussi complétement dans ce genre d'ouvrage. Sa nouvelle pièce n'a eu, à la première représentation, donnée le 27 brumaire, qu'un succès contesté. Des suppressions heureuses et quelques changemens, en rendant plus vive la marche de la pièce, l'ont fait entendre plus favorablement. Le sujet est tiré d'un conte de M.me DE GENLIS, inséré dans un des derniers volumes de la bibliothéque des romans.
M.me de Nelfort, femme très-aimable, mais un peu prude, et très-prévenue contre les jeunes gens du jour, vient passer quelque temps chez M. Dolban, son oncle ; elle y trouve Luzy, jeune homme, qui a fait autrefois bien des étourderies, et qui s'est fait connoître dans le monde par plusieurs aventures galantes. M.me de Nelfort ne croit pas pouvoir décemment rester dans la même maison qu'un tel homme ; et elle déclare à son oncle, qu'elle partira le lendemain, si Luzy reste chez lui. Ce jeune homme, qui est revenu de ses erreurs, est chéri de toute la maison. On emploie tout pour faire changer de résolution M.me de Nelfort : elle consent enfin à rester. Peu-à-peu elle revient de ses injustes préventions ; et après s'être assurée de la Conversion parfaite de Luzy, elle consent à lui donner sa main. Tous les moyens employés par l'auteur, pour faire revenir de ses préventions M.me de Nelfort, ne sont pas également heureux : quelques-uns, pourtant, sont neufs ; entre autres, la scène charmante où Luzy, prenant des mains d'un enfant, la soie que devide M.me de Nelfort, se trouve ainsi à ses pieds, et lui fait sa déclaration. Le dénouement n'est pas sans défaut ; mais la pièec est en général fort agréable, et une des meilleures données depuis quelque temps au Vaudeville.
M.me Belmont joue parfaitement le rôle de M.me de Nelfort, et le petit Blosseville est charmant dans un rôle d'enfant, qu'il joue avec un aplomb et une intelligence au dessus de son âge.
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