Les Projets inutiles, comédie en un acte, par M. Vernes, de Genève, 19 juillet 1810.
Théâtre de l'Impératrice.
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Titre :
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Projets inutiles (les)
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Genre
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comédie
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Nombre d'actes :
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1
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Vers ou prose ?
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en vers
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Musique :
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non
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Date de création :
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19 juillet 1810
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Théâtre :
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Théâtre de l’Impératrice
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Auteur(s) des paroles :
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Vernes (de Genève)
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Almanach des Muses 1811 ;
Point de succès.
Mercure de France, journal littéraire et politique, tome quarante-troisième, n° CCCCLXX (samedi 21 juillet 1810), p. 179-180 :
[Reprise des personnages de Collin d’Harleville dans l’Optimiste (un optimiste et un pessimiste), avec un nouveau nom : c’était inutile. Une intrigue sentimentale d’une parfaite invraisemblance. Le tout pour finir comme tout le monde avait prévu. Même les détails sont sans intérêt. Seul point positif pour l’auteur : la pièce n’est pas tombée.]
Théâtre de l'Impératrice. — Les Projets inutiles, comédie en un acte et en vers, de M. Vernes (de Genève.)
Ce n'était pas la peine d'emprunter à Collin-d'Harleville les deux principaux personnages de son Optimiste, Plinville et Morinval, et de changer leurs noms en ceux de Dorival et d'Oronte, pour faire un petit acte sans vrai comique et sans intérêt. M. Vernes a donné au premier un fils nommé Valère, au second une fille nommée Lucile, qui deviennent amoureux l'un de l'autre pendant le cours même de la pièce, et qui ressemblent à tous les amoureux. Ce sont là tous ses personnages. Son intrigue est plus originale, mais elle est d'une invraisemblance difficile à excuser. Oronte habite Rouen; il est venu à Paris pour affaires. Sa fille, qu'il voulait marier malgré elle, a saisi cette occasion de s'évader. C'est à Paris, chez Dorival, qu'elle vient chercher un asyle, et c'est là que Valère et Dorival lui-même se prennent de belle passion pour ses attraits. Ce qu'il y a de plus original encore, c'est que Dorival s'avise de présenter Lucile voilée au bon homme Oronte, comme une femme qu'il ferait bien d'épouser, et que le vieillard devient à son tour presque amoureux de la taille de sa fille. Nous ne dirons rien du dénouement, car on devinera bien sans nous que c'est Valère qui épouse Lucile ! Quant aux détails, nous en donnerons une idée en disant qu'un des grands griefs du pessimiste Oronte contre les mœurs de son tems, c'est que les badauds de Paris l'ont entouré à son arrivée, pour se moquer de son habit et de sa tournure provinciale. Il était difficile sans doute de lui en donner un plus frivole et moins fondé. Au reste, M. Vernes lui-même ne se plaindra pas de l'accueil qu'a reçu à Paris sa comédie provinciale ; elle n'est pas tombée, et c'est plus qu'il ne devait espérer.
L'Esprit des journaux français et étrangers, année 1810, tome VIII, août 1810, p. 275-279 :
[L’auteur, un Genevois auteur d'œuvres où dominent les (bons) sentiments, a fait jouer à l’Odéon une comédie qui n’a pas fait rire. L’intrigue telle que la raconte le critique est un tissu d’invraisemblances moralisatrices, une histoire sentimentale conduite de façon étrange, et qui finit comme on s’y attendait depuis le début. Tout finit au mieux. On pourrait reprendre bien des choses dans les détails d’une telle pièce. On se demande pourquoi avoir repris l'opposition du bourru et du bonhomme de l’Optimiste (de Collin d’Harleville). Ici, le contraste des caractères n’amène rien. On peut penser que l’auteur ne connaît pas Paris, dont les habitants ne sont pas à l’image de ce qu’il décrit à travers Oronte se plaignant d’y avoir été mal accueilli à cause de son aspect provincial. Il a au contraire à se réjouir de l’accueil que Paris a fait à sa pièce, « malgré le vide de l'action, l'invraisemblance des incidens, la faiblesse du style, l'absence absolue de toute espèce de comique ».]
Les Projets inutiles, comédie en un acte et en vers, de M. Vernes (de Genève).
L'auteur du Voyageur sentimental à Yverdon, d'un Voyage sentimental dans les Alpes, d'un recueil de poésies sentimentales, et de plusieurs autres ouvrages dont j'ai oublié les titres et qui ont aussi le sentiment pour base, vient d'envoyer de Genève et de faire jouer à l'Odéon une comédie nouvelle, en un acte et en vers, intitulée les Projets inutiles. Si le projet de l'auteur est bien réellement, comme je le soupçonne, le même qu'il prête à Oronte, l'un de ses personnages,
D'amener l'heureux temps où l'on ne rira plus ;
on ne peut nier que M. Vernes n'ait tout-à-fait rempli son but. Personne n'a ri, ni n'a été tenté de rire à la représentation ; jamais moralité n'a été plus avidement saisie. Il ne s'agit plus que de faire voir combien la pièce était habilement calculée pour produire son effet. Oronte, vieillard chagrin et ennemi du siècle, est venu loger à Paris chez son parent et son ami Dorival, vieillard dont le caractère est en tout l'opposé du sien.Ce sont là, avec Lucile, fille d'Oronte, et Valère, fils de Dorival, les personnages de la comédie de M. Vernes. Les deux jeunes gens ne se connaissent point au commencement de la pièce. Valère, qui demeure à Paris, n'a jamais vu de sa vie Lucile, qui demeure à Rouen ; mais comme il n'y a pas de comédie sans mariage, qu'il n'y a pas deux autres personnes à marier, et qu'il faut bien, vaille que vaille, que le mariage se fasse à la fin de l'acte, on fait arriver à Paris, comme des nues, mademoiselle Lucile, qui s'est sauvée de Rouen pour échapper à un mari que son père avait voulu lui faire épouser malgré elle. La nouvelle de cette fuite vient un peu déconcerter Oronte au moment où il exalte, auprès de Dorival, ses principes d'éducation. Il entre en fureur et met des gens à la poursuite de sa fille. Lucile lui épargne cette recherche ; elle vient d'elle-même se présenter chez Dorival, qu'elle supplie d'intercéder pour elle auprès de son père. Cependant Valère l'apperçoit, et, malgré son aversion pour le mariage, il en devient épris et veut l'épouser. Lucile, qui n'a d'antipathie que pour les vieux maris, n'est pas moins vivement éprise de Valère. Pour le dire en passant, on ne sait pas trop pourquoi Valère se donne la peine de se déguiser en exempt de police pour aborder Lucile qu'il avait mille occasions de rencontrer. Dorival survient et trouve plaisant de présenter Lucile à Oronte comme une jeune femme qu'il ferait bien d'épouser. Oronte se dispose à lui dire des choses fort galantes, quand Lucile se jette à ses genoux, se fait reconnaître à lui et lui demande pardon de sa faute. On serait un peu surpris de voir un père prendre sa fille pour une étrangère, si Oronte ne nous avait pas averti auparavant qu'il y a cinq ans qu'il ne l'a vue ; reste à expliquer comment il s'y est pris dans l'intervalle pour élever sa fille et lui choisir un mari. Enfin il lui pardonne et consent à l'unir au fils de son parent. Il ne reste plus d'obstacle â lever que de la part de Dorival, qui s'est mis dans la tête d'épouser Lucile, et lui a fait, il y a peu d'instans, une déclaration. Son fils et son ami parviennent aisément à lui persuader de n'en rien faire. La pièce, après avoir cheminé d'invraisemblance en invraisemblance, se termine par le mariage de Valère et de Lucile. On se dit les plus jolies choses du monde, et tout le monde se retire content.
Il y aurait encore mille détails à reprendre dans cet acte, si l'on voulait se donner la peine de les y chercher. Quelqu'un a déjà fait observer avant moi que l'idée du frondeur Oronte et du bonhomme Dorival qui est en tout l'opposé d'Oronte, est empruntée du Morinval et du Plinville de l'Optimiste. Je ne verrais pas grand mal à cela, si la copie était heureuse ; mais rien n'est moins piquant ici que ce contraste d'où il ne résulte rien, ce caractère bourru qui ne produit que d'insipides déclamations contre les mœurs du temps, et qui n'empêche pas Oronte de faire toutes les sottises d'un vieillard imbécille. Le grand motif d'humeur d'Oronte au moment où il arrive, est d'avoir vu les badauds de Paris s'attrouper auprès de lui sur les boulevarts , pour se moquer de son habit et de sa figure provinciale. Il y a toute apparence que l'auteur n'a jamais vu Paris. Le peuple parisien, habitué à voir arriver des étrangers de tous les coins de l'Europe, n'éprouve plus depuis long-temps ni curiosité, ni envie de se moquer à la vue d'un étranger ridicule. Non-seulement on ne rit point à l'arrivée d'un provincial à Paris, mais personne ne le remarque ; et le nouveau venu, qui croit d'abord que toute la capitale a les yeux sur lui, est tout surpris de voir des figures beaucoup plus étranges que la sienne, qui ne font pas même retourner les passans dans la rue. Ce qui domine dans le caractère du public de Paris, c'est bien plutôt une extrême indulgence, une étonnante facilité à se contenter de tout. M. Vernes en a fait lui même l'épreuve autant que personne, et après l'accueil hospitalier qu'on a fait à sa pièce, malgré le vide de l'action, l'invraisemblance des incidens, la faiblesse du style, l'absence absolue de toute espèce de comique, il doit convenir le premier que l'on est à Paris d'assez bonnes gens.
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