Pierre et Paul, ou Une journée de Pierre-le-Grand

Pierre et Paul, ou Une journée de Pierre-le-Grand, comédie en trois actes et en prose, de Lamartellière, 3 novembre 1814.

Théâtre de l’Odéon.

Titre :

Pierre et Paul, ou Une journée de Pierre-le-Grand

Genre

comédie

Nombre d'actes :

3

Vers ou prose ?

en prose

Musique :

non

Date de création :

3 novembre 1814

Théâtre :

Théâtre de l’Odéon

Auteur(s) des paroles :

Lamartellière

Journal des Arts, des Sciences et de la Littérature, volume 19, n° 330 (cinquième année) du 10 novembre 1814, p. 181-182 :

[Le critique est manifestement satisfait de trouve rune vraie comédie, une pièce qui fait rire. Cette comédie repose sur Pierre le Grand auquel l'auteur fait jouer le rôle inhabituel de « mystificateur », mêlé à une affaire matrimoniale dans laquelle l'empereur sert d'intermédiaire. Le critique regrette que la pièce ait un dénouement « trop prévu » (mais c'est un reproche qu'on pourrait faire souvent). La pièce fait naître un rire parfois un peu osé, mais le Théâtre de l'Odéon n'est pas coutumier de ce genre de pièce. Les acteurs sont jugés positivement, mais l'actrice chargée du rôle de « la sœur espiègle » est accusée de se laisser trop aller à des «  traits un peu hasardés » : elle devrait jouer son rôle de façon moins insistante.]

Première représentation d'une Journée de Pierre-le-Grand, ou Pierre et Paul, comédie en trois actes, en prose, de M. Lamartelière.

A la bonne heure ! voilà une comédie à laquelle on ne peut contester son titre, car on y rit, et l'on est désarmé, malgré les nombreuses invraisemblances de l'intrigue.

Pierre le Grand, que nous ne sommes pas trop accoutumés à nous représenter comme un mystificateur, s'amuse néanmoins dans cette pièce à en jouer le role vis-a-vis d'un brave capitaine hollandais, nommé Paul, gendre du constructeur de vaisseaux chez lequel, trois ans auparavant, Pierre a appris le métier de charpentier. Voyageant alors en Amérique, Paul n'a pu connaître ce souverain. Instruit d'avance de son arrivée à Pétersbourg, celui-ci a quitté son palais pour habiter une maison d'apparence plus modeste. C'est là qu'il fait conduire Paul, qui se croit chez M. Barlow, négociant, auquel il est recommandé, et dont le fils doit épouser une sœur passablement espiègle que le capitaine amène avec lui. La succession de surprises qu'il éprouve en voyant que tout le monde, dans cette maison, connait sa femme Gertrude, qu'il a laissée à Sardane, est variée d'une manière fort plaisante pendant deux actes, le troisième est plus faible, parce que le dénouement, qui ne peut consister qu'en une explication, est nécessairement trop prévu. Comme il fallait un mariage pour le completter, il se trouve, par un de ces hasards si communs chez nos auteurs, que Gollowin, capitaine des gardes de l'Empereur, dont on a fait choix pour représenter le prétendu de la jeune voyageuse, est précisément le mortel que Mlle. Paul avait distingué parmi ceux dont Pierre s'était fait suivre à Sardane : il n'a pas de peine à obtenir la préférence.

Le rire que cet ouvrage excite est franc ; mais il pourrait quelquefois être réprouvé par le goût, si, en fait de gaité, on ne devait pas être indulgent pour un théâtre qui ne nous a pas accoutumés à le voir passer le but.

Clozel joue avec noblesse le rôle de Pierre, et Bourdais, dans celui de Paul, soutient la réputation qu'il s'était faite à la Porte St.-Martin. Mlle. Fleury, qui remplit le personnage de la sœur espiègle, appuie trop sur quelques traits un peu hasardés qu'une actrice habile devrait jeter légèrement, et sans avoir l'air de les indiquer au public.

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome XI, novembre 1814, p. 267-272 :

[Deux nouveautés en un seul soir, on pourrait penser que l’Odéon est très actif. Mais le critique y voit l’activité des acteurs pour les représentations au bénéfice de l’un d’entre eux : l’administration n’y trouve sans doute pas son intérêt. La première pièce, Charlotte Blondel, ou le Hameau de Sainte-Colombe, est la triste histoire d’une pauvre orpheline qui se lamente sur la disparition de son ami Gervais, aveugle, qui revient bien sûr guéri et qu’elle épouse malgré le père de Gervais et le seigneur du village qui le soutient. Le critique trouve que c’est à tort que l’auteur a présenté sa pièce comme une comédie : c’est un drame, « qui ressemble en laid à Nina » qui n’a fait naître de signes de mécontentement qu’à la fin. Les acteurs ont joué assez bien qu’on leur souhaite de meilleurs rôles que ceux de cette pièce sans grande valeur. La seconde pièce, une vraie comédie, a mieux réussi. C’est une anecdote de la vie de Pierre-le-Grand, qui s’amuse à tromper un marin hollandais qui amène une jeune fille à marier avec le fils d’un boyard révolté, que Pierre, qui se fait passer pour ce boyard, dit ruiné. Tout s’arrange bien sûr quand Pierre paraît avec le faste de son rang. La pièce a le grand mérite d’être amusante, et elle a été applaudie, mais elle emprunte beaucoup à d’autres pièces sur le même genre de sujet. Il suffirait de quelques coupes pour lui assurer un succès durable et l’auteur a été nommé.]

THÉATRE DE L'ODÉON.

Pierre et Paul, ou Une journée de Pierre-le-Grand, comédie en trois actes et en prose ; et Charlotte Blondel, comédie en un acte.

C'est à tort, vont dire quelques personnes, c'est à tort qu'on accuse de paresse la troupe française de l'Odéon. Voyez quelle prodigieuse activité, quel luxe de nouveautés ; deux premières représentations le même jour  !

Il serait peut-être facile de prouver que cette preuve ne prouve rien. On jouait hier au bénéfice d'un acteur qui a le don de se faire aimer de ses camarades comme du public, et l'on a fait en sa faveur un effort que l'administration aurait en vain commandé.

Ce théâtre a d'ailleurs conservé le provincial usage (et ce n'est pas le seul trait de ressemblance qu'il ait avec les théâtres des départemens) de donner dans le cours de l'année des représentations au bénéfice de ses principaux acteurs ; il ne faut donc pas s'étonner si dans ces circonstances d'un intérêt personnel, les comédiens montrent un zèle qu'ils auront à leur tour le droit de réclamer ; ils fertilisent le champ du voisin dont le secours leur sera nécessaire pour rendre leur moisson féconde ; ils prêtent, bien sûrs qu'on leur rendra. Qu'une administration paternelle sache attacher à son intérêt l'intérêt des acteurs, et tous se piqueront alors d'une laborieuse émulation ; le devoir obtiendra ce qu'on n'accorde aujourd'hui qu'à l'amitié qui promet la réciprocité, et, l'Odéon comptera beaucoup de recettes aussi pécunieuses que celle qu'il a faite hier, malgré la concurrence de deux théâtres dont les affiches annonçaient aussi des nouveautés.

On a commencé par celle des deux pièces sur laquelle sans doute on comptait le moins.

Charlotte Blondel, jeune orpheline, est livrée à la plus sombre mélancolie. La mort de ses parens n'est pas le seul sujet de sa douleur ; elle pleure l'ingratitude de l'ami de son cœur, de l'aveugle Gervais, auquel elle a prodigué les plus tendres soins ; de Gervais, qui a témoigné tant de peine à quitter Charlotte pour aller implorer les secours de l'art, et qui depuis son départ n'a pas daigné donner de ses nouvelles. La triste Charlotte n'a pour consolation et pour appui que sa tutrice, la bonne Catherine ; rien ne peut la distraire, ni les soins amoureux de Lucas, le garçon le plus gai du village, ni les témoignages d'intérêt du seigneur de l'endroit. Gervais seul pourrait sécher ses larmes : reviendra-t-il ? oui ; il arrive, il a recouvré la vue et s'est échappé de la maison de ses parens pour se soustraire à un mariage qui l'aurait rendu ingrat envers son Antigone. Le bonheur de ces amans est bientôt troublé par les épreuves auxquelles les soumet le seigneur du village, qui exécute les intentions du père dé Gervais dont il est l'ami. L'amour sort vainqueur de toutes les épreuves, et le plus doux hymen dédommage de leurs souffrances ces deux modèles de tendresse et de fidélité.

C'est à tort que l'auteur de Charlotte Blondel a intitulé sa pièce comédie. C'est un petit drame bien conditionné, qui ressemble en laid à Nina. Il a été cependant écouté avec indulgence, et ce n'est qu'à la fin qu'on a entendus quelques signes de mécontentement, que le nom de l'auteur, M. Paccard, n'a pu faire cesser. Armand, Dugrand et Mlle. Desbordes ont montré dans cette pièce un talent digne de meilleurs rôles.

La comédie de Pierre et Paul a été beaucoup plus heureuse.

La scène se passe à quelques lieues de Pétersbourg, dans la maison appelée la Chaumière de Pierre, où l'empereur s'occupe du projet d'établir une marine dans ses états. C'est là qu'on annonce au czar l'arrivée d'un navire hollandais. Ce bâtiment, le premier qui ait remonté le canal de la Néva, est commandé par le capitaine Paul, gendre du négociant Kalf, de Sardam, chez qui l'empereur a été parfaitement traité, lorsque sous le nom de Petersvas il faisait en Hollande son apprentissage de charpentier.

Paul amène avec lui la plus jeune des filles de son beau-père, l'espiègle Lisbeth, qui est promise à l'un des frères Barloff, fils, d'un boyard rebelle que l'empereur a fait emprisonner.

Le czar veut se procurer un divertissement, et met dans sa confidence Catherine son épouse, et Lefort, son ministre et son ami ; il fait conduire le capitaine Paul dans la Chaumière de Pierre, et se présente à lui comme l'aîné des frères Barloff ; c'est Gollowin, un de ses officiers, qui joue le rôle du prétendu. Lisbeth, qui avait d'abord montré beaucoup de répugnance pour le mariage projeté, devient tout-à-coup d'une docilité charmante, quand elle reconnaît dans Gollowin un des compagnons de Petersvas dont elle a conservé un tendre souvenir.

Pierre s'amuse des épreuves auxquelles il met la jalousie du marin hollandais ; il n'est bruit que de la beauté et des grâces de Gertrude, sa femme, qu'il a laissée en Hollande. Le pauvre mari trouve que M.me Paul est beaucoup trop connue. Le czar lui envoie des présens pour lui et pour Gertrude : on le charge en outre de commissions délicates et de complimens pour elle : en un mot la mystification est complète. Paul apprend que les Barloff sont à-peu-prés ruinés par la perte de deux bâtimens richement chargés ; cependant Pierre a parlé de donner 100,000 roubles en mariage à l'époux de Lisbeth ; et Paul, par désintéressement, ne veut plus les accepter ; mais Pierre (qu'il ne connaît toujours que sous le nom de Barloff) ordonne que cette somme lui soit comptée. Paul lui promet sa protection auprès du czar, pour obtenir la grâce de Barloff le père. Pierre parait enfin précédé de sa cour, et lui explique alors qu'il a pris le nom de Barloff pour bannir toute contrainte avec un ami ; il dissipe ses soupçons jaloux. Il accorde la liberté du vieux Barloff, et marie Lisbeth à Gollowin, qu'il fait capitaine de ses gardes.

Catherine joue un rôle secondaire dans cet ouvrage ; elle semble n'être là que pour entendre les confidences que fait Lisbeth sur. la galanterie de Pierre pendant son séjour à Sardam.

Cette comédie, qui a le mérite très-rare aujourd'hui d'être amusante, a été fort applaudie, sur-tout par ceux qui ne se rappelaient ni le Dormeur éveillé [opéra-comique en quatre actes, de Marmontel, 1784], ni le Calife de Bagdad. Quelques coupures suffiront pour assigner à cette pièce un rang distingué dans le répertoire de l'Odéon. L'auteur, nommé au milieu des témoignages de la satisfaction publique, est M. de Lamartelliére, connu par quelques ouvrages beaucoup moins gais. Le caractère décidé de la jeune Lisbeth, très-savante pour une demoiselle, a paru démentir l’idée généralement répandue de la réserve des dames hollandaises.

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