La Queue de lapin, mélodrame-arlequinade-féerie-comique, en trois actes, à grand spectacle, de Frédéric [Dupetit-Méré] et Ribié, musique de Lanusse, ballets de Hullin, 21 novembre 1807.
Théâtre de la Gaieté.
Almanach des Muses 1808.
Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Barba, 1808 :
La Queue de lapin, mélodrame-arlequinade-féerie-comique, en trois actes, à grand spectacle ; Par MM. Frédéric et Ribié. Musique de M. Lanusse. Ballets de M. Hullin. Représenté, pour la première fois, sur le théâtre de la Gaîté, le 21 novembre 1807.
J'ai ri, je suis désarmé.
Journal de l’Empire, 24 novembre 1807, p. 3 :
[Après la première représentation, qu’il qualifie d’orageuse, peut-être à la suite de la difficulté d’accéder à la salle, Geoffroy se mue en défenseur d’un spectacle pourtant éloigné de ce dont il parle habituellement. Il insiste sur tout ce qu’il y a de spectaculaire dans cette Queue de lapin, machines, décors, multitude des changements, tant dans le décor que chez les personnages, sans oublier les ballets de Hullin. « pleins d’invention, de grace, d’originalité, et très-dignes de la réputation du compositeur ». Et il accuse les « mécontens » de se tromper de spectacle : on leur avait promis une parade, pas à une comédie, et c’est bien ce qu’ils ont vu. Des bêtises, bien sûr, mais des bêtises drôles, qui faisaient rire même les siffleurs, et non des « bêtises insipides et ennuyeuses ». Geoffroy affirme sa conviction que la Queue de lapin connaîtra un succès comparable à celle du Pied de mouton, et ce n’est pas peu dire.]
Théâtre de la Gaieté.
La Queue de Lapin.
La première représentation de la Queue de Lapin a été orageuse ; ce qu’il faut attribuer en partie à la prodigieuse foule qui s’étoit portée à ce spectacle, et à la peine que les curieux avoient éprouvée pour entrer : cependant les machines sont merveilleuses ; les décors, les métamorphoses, les changements à vue ont de quoi satisfaire la curiosité la plus avide. Assurément, une montagne changée en éléphant, un cygne en fée, des têtes à perruques en nymphes ; Gilles, tantôt dans un four où il fait la guerre aux petits pâtés, tantôt dans une marmite, d’où il sort chargé de dépouilles opimes, c’est-à-dire de jambons et de cervelas ; tantôt dans un mortier à bombes, d’où il est chassé par la poudre et lancé dans les airs ; une foule d’autres prodiges dont le détail seroit infini, suffiroient, je crois, pour désarmer l’envie et conjurer les sifflets. Ajoutez à tous ces enchantemens les ballets de M. Hullin, pleins d’invention, de grace, d’originalité, et très-dignes de la réputation du compositeur ; il y avoit bien là de quoi fixer agréablement l’attention. Mais les mécontens, qui cherchaient à mordre, se sont jetés sur la pièce et sur le dialogue, très-injustement sans doute ; car on ne leur avoit pas promis une bonne comédie : les noms même des personnages annonçoient une parade. On ne peut pas trouver mauvais que Cassandre, le beau Léandre et Gilles ne soient des gens d’esprit : l’essentiel est que leurs bêtises réjouissent et fassent rire ; c’est là leur passeport. Il y a que les bêtises insipides et ennuyeuses qui soient proscrites, même au Boulevard : or les beaux esprits qui siffloient cette parade ne pouvoient eux-mêmes s’empêcher de rire. L’orage ne sera donc que passager, et n’aura fait qu’irriter le desir de voir la Queue de Lapin. Ceux qui ont tiré l’horoscope de cette féerie, lui présagent des destins encore plus brillans que ceux du Pied de Monton. L’événement décidera si les astrologues sont de mauvais prophètes.
Journal de l’Empire, 8 décembre 1807, p. 2-3 :
[Retour sur la Queue de lapin, pour justifier son article précédent : Geoffroy reprend le même discours que la semaine précédente, pour dire que son article ne sonnait pas la mort du théâtre, mais qu’il s’agissait de parler d’un spectacle du Boulevard, auquel il serait absurde d’appliquer les mêmes critères de jugement que pour les pièces jouées au Théâtre Français. Il s’agit de distinguer entre les diverses sortes de bêtises, celles qui ne font que provoquer le rire, et « les bêtises ambitieuses qu’on donne pour de l’esprit ». Les bêtises des Gilles et des Arlequin « ne peuvent tromper personne », et elles ne veulent qu’amuser. Et il faut ajouter qu’il y a dans la pièce « de fort jolies danses », « des décorations, des machines, des métamorphoses capables de fixer l'attention des savans ». Ce n’est peut-être pas, finalement, un spectacle si naïf.]
Théâtre de la Gaieté.
La Queue de Lapin.
J'ai déjà dit les raisons qui m'empêchent de dédaigner les petits théâtres et les bouffonneries qu'on y représente ; mais il y a des gens qui ne veulent point entendre raison, Toujours prêts à me condamner comme s'ils ne m'avoient point entendu : ces gens-là se mêlent aussi d'écrire pour le public ; probablement ils n'ont point de pratiques, car ils ne sont occupés que de ce que j'écris. Je les remercie de l'importance qu'ils veulent bien me donner : ils s'imaginent se faire plus valoir en attaquant mes idées qu'en exposant les leurs ; peut-être n'ont-ils pas tort.
Quoique je n’écrive point pour eux, c'est pour eux que je répète que je parle des petits théâtres en historien et non pas en littérateur. Loin d'approuver les farces qu'on y joue, je ris de la curiosité qu'elles excitent, et je n'annonce leurs succès que pour observer la marche de l'esprit public, dont je dois compte à mes lecteurs. Il n'y a donc que les Pharisiens en littérature qui puissent se scandaliser lorsque j'exalte les merveilles du Pied de Mouton, de la Queue du Diable, de la Queue de Lapin, etc. Il faut être de bien mauvaise foi, ou d'une intelligence bien bornée, pour prendre au sérieux ces tournures ironiques : « Il prône les parades du Boulevard, s'écrient ces rigoristes, et il dénigre les pièces du Théâtre Français. » Ce seroit être pédant que d'appliquer les règles de l'art à des féeries : c'est pour le Théâtre Français que la critique doit être réservée ; c'est dans l'examen des ouvrages qui peuvent influer sur le goût, qu'il convient d'être sévère : il ne faut parler qu'en badinant des bouffonneries sans conséquence.
Il y a bêtises et bêtises, comme fagots et fagots ; c'est le cas plus que jamais de faire cette distinction. Il y a des bêtises qu'on donne pour telles : celles-là ne font aucun mal ; on les tolère quand elles amusent, on en rit sans y songer ; elle ne peuvent jamais corrompre le goût. Les bêtises dangereuses, les bêtises dont il faut faire justice, les bêtises qui précipitent la décadence des lettres, sont les bêtises ambitieuses qu'on donne pour de l'esprit, qu'on applaudit souvent comme des traits ingénieux : de ce nombre sont les idées bizarres et entortillées qui veulent être fines ou profondes, les niaiseries précieuses et sentimentales, les rapprochemens forcés, les antithèses recherchées, les comparaisons fausses, les jeux de mots, tout l'attirail, toutes les pretintailles d'un style maniéré; en un mot tout ce qui choque la nature et la raison. Ce sont, il est vrai, des bêtises titrées : des bêtises de qualité, que la mode consacre, et dont les badauds sont dupes : elles n’en sont pas pour cela plus estimables ; mais elles en sont bien plus redoutables. Les naïvetés de Gilles et d'Arlequin, toutes simples, toutes grossières, valent mieux, parce qu'elles ne peuvent tromper personne. Il y en a beaucoup de cette espèce dans la Queue de Lapin : on s'en moque et l'on s'en amuse; la salle est toujours pleine ; Gilles et Arlequin se soucient fort peu de la critique ; ils ont les rieurs de leur côté.
Je ne dois pas oublier de dire, qu'outre les bêtises, qui sont en très-grand nombre, la Queue de Lapin offre de fort jolies danses, qui peuvent plaire aux gens d'esprit ; des décorations, des machines, des métamorphoses capables de fixer l'attention des savans.
Mémorial dramatique ou Almanach théâtral pour l'an 1808, p. 192-193 :
La Queue de lapin, mélodrame-férie en 5 actes, de M. Frédéric, musique de M. Lanuse, ballets de M. Hullin. (21 Novembre).
Cassandre, Arlequin, IsabeIle, Léandre et Gilles, voilà les principaux personnages de la pièce. Arlequin aime Isabelle, qui partage ses sentimens ; Cassandre ne veut point d’Arlequin pour gendre, il lui préfère le beau Léandre. Arlequin doit donc avoir recours à quelque puissant génie ; une fée se charge de ses intérêts : cette fée avait été métamorphosée en cygne, un chasseur qui l'avait apperçue l'avait démontée du premier coup, et s’apprêtait à l'achever du second , lorsque le sensible Arlequin obtint sa grace. La fée, reconnaissante de cet acte de générosité, reprend sa premiere forme, et se dévoue pour jamais au service d‘Arlequin ; elle lui donne un talisman, qui consiste en une queue de lapin, qu’elle attache elle-même au bonnet d’Arlequin : comment nombrer les prodiges opérés par cette queue ? Les décors, les métamorphoses, les changemeus à vue ont de quoi satisfaire la curiosité la plus avide : une montagne changée en éléphant, un cygne en fée, Gilles tantôt dans un four, où il fait la guerre aux petits pâtés , tantôt dans une marmite, puis après dans un mortier à bombes, d'où il est chassé par la poudre et lancé dans les airs ; enfin une foule de merveilles dont le détail serait infini. Ajoutez à tous ces enchantemens les ballets de M. Hullin, pleins d’invention et dignes du talens du compositeur ; il est vrai que le poëme n’est pas digne de toutes ces féeries, mais comme tout dans cette pièce est réservé au charme des yeux, il serait injuste de chicanner l'auteur, qui n’a pas prétendu faire un chef-d’œuvre, mais seulement une vraie parade.
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