Roméo et Juliette, tragédie lyrique en 3 actes, précédée d'un prologue, de Moline et Cubières-Palmézeaux. Musique de Porta.
Pièce à ne pas confondre avec le Roméo et Juliette de Ségur jeune, musique de Steibelt (1793).
Il n'y a pas eu de représentation de ce Roméo et Juliette à l'Opéra, et sans doute pas non plus sur d'autres théâtres.
Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Allut, 1806 :
Roméo et Juliette, tragédie lyrique en trois actes, précédée d'un prologue, Par MM. Moline et Cubières-Palmézeaux, Musique de Porta ; Destinée pour le Théâtre de l'Académie Impériale de Musique. Dédiée à son Altesse impériale Stéphanie Napoléon, Actuellement Princesse Electorale de Bade.
Le texte de la pièce est précédée d'une dédicace et d'une préface. On verra dans la dédicace la façon dont des auteurs s'adressent à une personne de la famille impériale, même si elle n'est qu'adoptée par « le plus grand Prince de l'univers ». Quant à la préface, elle fait très classiquement par le rappel de l'histoire du « sujet de Roméo et Juliette ». Tous les théâtres ayant eu leur Roméo et Juliette, il est temps d'en proposer une à l'Académie Impériale de Musique, avec la musique de Porta, dont certains morceaux ont été entendus avec succès « dans diverses sociétés lyriques ». La fin de la préface pose une question importante aux yeux des auteurs : le sujet n'est-il pas « un peu trop sévère pour une scène où Quinault a soupiré si tendrement » ? On a là une certaine image de l'opéra au début du 19e siècle...
A SON ALTESSE IMPÉRIALE
STÉPHANIE-NAPOLÉON,
Actuellement Princesse Electorale de Bade.
MADAME,
Par l'adoption qu'a fait de vous le plus grand Prince de l'univers, vous êtes destinée à régner sur un peuple doux, éclairé et tranquille, sans doute que vous en ferez le bonheur ; mais vous n'oublierez point que vous êtes issue d'une famille amie des arts et des lettres. M. de Beauharnais, votre père, les protège,et Mad. Fanni de Beauharnais les cultive. Celle-ci est une des femmes les plus aimables et les plus célèbres que nous ayons en France ; l'autre est un des membres les plus distingués de notre Sénat-Conservateur. Vous n'oublierez point, Madame, que les talens, sont héréditaires dans votre famille, et que les vertus en ont toujours fait l'ornement C'est à ces titres, Madame, que nous osons vous dédier l'opéra de Roméo et Juliette : heureux s'il peut sous vos auspices obtenir, malgré ses défauts, le succès
que doivent le plus ambitionner les gens de lettres, c'est-à-dire, l'approbation des cours sensibles et le suffrage des honnêtes gens !
Nous avons l'honneur d’être, avec un profond respect,
de votre Altesse Electorale ,
Madame,
les très-humbles et très-obéissans serviteurs,
Moline et Cubieres-Palmézeaux,
PREFACE.
Le sujet de Roméo et Juliette a été traité par Lopès-de-Vega, sous le titre des Castelvins et des Montèses ; il l'a été par Sakespeare [sic]. Le choix qu'en ont fait ces deux grands hommes, presque en même tems, prouve que ce sujet est extrêmement heureux, et nous pourrions à cette preuve victorieuse ajouter des preuves nouvelles, si nous voulions entrer dans quelques détails. Les contrastes en général sont l'ame du théâtre, c'est par les contrastes que vivent les comédies, les tragédies, les opéras, tous les ouvrages dramatiques enfin, c'est par eux qu'ils arrivent à la postérité la plus reculée ; et quel plus beau contraste que celui des caractères de Montaigu et de Capulet, que celui de Roméo et du Comte Paris ! Quelle sensibilité ! quelle délicatesse ! d'ailleurs, quelle tendresse pure dans le caractère de Juliette ! Juliette est à la fois le modèle des amantes et des épouses. Juliette est le chef-d'œuvre de la nature.
M. Ducis, notre ancien ami, Membre de l'Institut, et le seul peut être de nos poëtes tragiques, qui soit digne d'occuper une place au théâtre français après Corneille, Racine et Voltaire, M. Ducis a traité avec beaucoup de succès le sujet de Roméo et Juliette. Rival du Dante dans sa belle tragédie, il a nationalisé, pour ainsi dire le terrible épisode d'Ugolin. M. Mercier a eu le même bonheur, et nous osons dire le même courage dans son drame intitulé : les tombeaux de Vérone. Il n'est pas jusqu'au théâtre de l'Opéra-comique qui n'ait voulu s'enrichir de ce sujet. M. Steibel l'a embelli des charmes de sa musique, et M. de Ségur des charmes de sa poésie. M. Weiss auteur Allemand a publié aussi un drame de Roméo et Juliette. Le théâtre de l'Opéra était le seul jusqu'à présent qui eût ignoré la gloire que pourrait lui procurer l'admirable sujet de Roméo et Juliette, et nous avons eu la noble audace de le traiter pour le théâtre de l'Opéra. Le compositeur Porta, auteur de la Musique des Horaces, a déjà mis Roméo et Juliette en musique, et plusieurs morceaux de son ouvrage, exécutés dans diverses sociétés lyriques,ont obtenu le plus grand succès. Le théâtre de l'Opéra étant celui des Amours et des Grâces, l'on trouvera peut-être le sujet de Roméo et Juliette un peu trop sévère pour une scène où Quinault a soupiré si tendrement. Mais la Divinité de l'Opéra n'ouvre-t-elle point également ses portiques à Thalie et à Melpomène, et n'y voit-on pas réussir également Œdipe à Colone et Panurge ? Dans nos anciens ballets même, dans les ballets de la Motte, de Fuzelier, de Roy, de Danchet, etc., ne trouve-t-on pas quelquefois des caractères vraiment tragiques et des situations qui appartiennent entièrement au génie de Melpomène ? Le tyran Phorcas n'est-il pas puni de mort par Jupiter dans l'acte de Niobé et Calisto du poëte Fuzelier, et le poignard ne se montre-t-il pas deux fois, même dans l'Europe galante ?
Mercure de France (série moderne), volume 91, 1911, « Anciennes adaptations françaises de Roméo et Juliette », p. 40 :
[Article de A.-Ferdinand Hérold, p. 28-43.
Après avoir parlé de l'adaptation de Ségue (1793), l'auteur parle rapidement du livret de Moline et Cubières-Palmézeaux, dont il signale utilement qu'il n'a pas été reçu à l'Académie Impériale de Musique, en suggérant que c'est peut-être la musique de Porta, « paraît-il, le plus ennuyeux des musiciens » qui en serait la cause. Si le style du livret n'est pas jugé « shakespearien », les auteurs sont les premiers auteurs à avoir respecté « le drame de Shakespeare », en particulier en acceptant de faire mourir Roméo, puis Juliette.]
Un autre livret, dû à Moline et à Cubières-Palmézeaux, fut mis en musique par Porta. L’œuvre avait été écrite pour l’Académie Impériale de musique, mais les auteurs ne réussirent pas à la faire recevoir, et ils la publièrent en 1806. Le livret de Moline et Cubières est beaucoup meilleur que celui de Ségur, mais Porta était, paraît-il, le plus ennuyeux des musiciens.
Les premiers, Moline et Cubières ont, dans leur Roméo et Juliette, suivi avec quelque scrupule le drame de Shakespeare. Leur pièce commence par la fête chez Capulet ; on y assiste au duel de Roméo et de Thybalt. Puis vient la scène des adieux, Juliette prend le narcotique, et le dénouement est tragique : Roméo s’empoisonne et Juliette se tue. Certes, le style de Moline et Cubières est loin d'être shakespearien, mais enfin ils ont eu le mérite, grand pour leur époque, de moins dénaturer que d’autres le scénario original.
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