Roméo & Juliette, opéra en trois actes, livret de Ségur jeune, musique de Steibelt, 10 septembre 1793.
Théâtre de la rue Feydeau.
A ne pas confondre au Roméo et Juliette de Moline et Cubières-Palmézeaux (1806), publié, mais jamais joué.
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Titre :
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Roméo et Juliette
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Genre
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opéra
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Nombre d'actes :
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3
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Vers / prose ?
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en prose, avec des couplets en vers
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Musique :
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oui
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Date de création :
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10 septembre 1793
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Théâtre :
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Théâtre de la rue Feydeau
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Auteur(s) des paroles :
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Ségur jeune
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Compositeur(s) :
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Daniel Steilbelt
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L’Esprit des journaux français et étrangers, 1793, volume 10 (octobre 1793), p. 325-328 :
[Le théâtre français a bien du mal avec Roméo et Juliette (et plus généralement avec le théâtre shakespearien). La pièce de Ségur jeune n’échappe pas à la règle : elle transforme profondément l’intrigue de la pièce anglaise, pour tenter de la faire entrer dans les schémas de notre théâtre national. Le résultat ne convainc pas le critique, mais ce n’est pas parce qu’il souhaiterait que la pièce soit conforme à son modèle anglais. Il suggère en effet que la pièce nouvelle s’inspire moins de Shakespeare que de la parodie faite sur la pièce de Monvel, Tout pour l’amour, ou Roméo et Juliette. C’est que, dans le souci de sauver Juliette, elle absorbe un somnifère au lieu d’un poison, ce qui change profondément le dénouement (et le rend parfaitement prévisible, ce qui est un grave défaut, puisqu’il devient impossible, aux yeux du critique, de montrer de l’intérêt pour les personnages. Le verdict est sans appel : « Ce poëme offre quelque mérite dans sa conduite : mais les moyens qui amenent le dénouement sont invraisemblables. Le coup de théatre du réveil de Juliette est beau ; mais il est attendu, & frise même le comique ». Il faut un autre dénouement, tout en soignant plus le style. Les autres éléments de la pièce sont jugés de façon positive : la musique, très bien exécutée, est « remplie de verve, de force & de chaleur ; ses accompagnemens sont pleins d'harmonie, de goût ». Les décorations ? « superbes ». Trois acteurs sont mis en avant pour l’excellence de leur interprétation.]
THÉATRE DE LA RUE FEYDEAU.
Roméo & Juliette, opéra en trois actes.
Voilà la cinquieme fois qu'on met au théatre le sujet de Roméo & Juliette, que tout le monde connoît ; & sans doute il est trop ingrat pour y rester d'une maniere éclatante. Côme de la Gambe, dit Châteauvieux, valet-de-chambre d'Henri III, fut le premier qui tira ce sujet de Baridel, pour le mettre sur la scene : il ne fît, pour ainsi dire, qu'imiter Shakespeare, qui l'avoit traité avant lui sur un théatre étranger, & sa tragédie fut jouée en 1580. Chatelus a fait un Roméo & Juliette en prose, qui n'a jamais été imprimé, mais qu'on vit avec quelque plaisir en 1770, sur le théatre de la Chevrette. En 1772, il parut un Roméo & Juliette de M. Ducis, qui l'emporta sur ses aînés, mais qui ne fut pas regardé comme le meilleur ouvrage du Shakespeare François. Ce dernier ouvrage donna lieu à une parodie fort plaisante, en vers burlesques, intitulée Roméo & Paquette, & que son auteur n'avoua point. M. Monvel a donné, l'année derniere, au théatre de la rue Favart, Roméo & Juliette, opéra en trois actes, qui a fait naître aussi une parodie assez comique, jouée sur le petit théatre de Mlle. Montansìer, sous le titre de Tout par l'opium. Nous ne répéterons point ici tout ce que nous avons dit, lors de ces dernieres pieces, sur l'historique de Roméo & Juliette, & sur les tragédies anciennes & nouvelles faites sur ce fond bizarre. Nous y renverrons nos lecteurs, pour ne nous occuper que du cinquieme opéra de ce nom, donné naguere, avec succès, sur le théatre de la rue Feydeau. L'auteur de cet ouvrage s'est écarté de la route battue par ses prédécesseurs ; il a voulu faire une tragédie sérieuse & privée de ces scenes comiques qui coupent quelquefois si agréablement un ouvrage lyrique ; mais aussi il semble qu'il ait tiré son sujet de la parodie de Tout par l'opium, & non du véritable Roméo ; c'est un tour de chymiste qui noue l'intrigue ici, & qui en prépare le dénouement. De-là, point d'intérêt; car dès l'instant que le public est prévenu de ce qui doit arriver, les événement qu'il a prévus ne peuvent plus l'attacher.
La haine qui divise les Capulet & les Montaigus, éloigne pour jamais Juliette de son amant Roméo; ce dernier a même fait tomber sous ses coups le frere de Juliette : Juliette va épouser dom Fernand. Quel parti prendra cette infortunée ?... Une inspiration subite la détermine à mourir, &, par la même inspiration, qui n'est point assez préparée, Sébas, son confident, & le vieil ami de son pere, lui propose de lui donner la mort. Sébas est chymiste : il lui fait prendre un somnifere. Juliette s'endort, & Capulet, la croyant morte, la fait inhumer dans la sépulture de ses ancêtres. Alors Sébas fait venir Roméo dans ces tombeaux, en l'assurant qu'il y trouvera le bonheur : ce bonheur, qui l'attend, c'est la vue de Juliette sur son lit de mort. Capulet arrive avec dom Fernand. Le vieillard se bat avec Roméo ; Juliette se réveille à point nommé pour les séparer ; puis Sébas fait accroire à Capulet que sa fille n'est plus à lui, qu'elle appartient au tombeau, qu'elle va mourir tout de bon, s'il ne la donne à Roméo. Le vieillard, qui croit apparemment Sébas magicien, reste frappé de terreur : dom Fernand acheve de le gagner, en abandonnant Juliette à Roméo; & les deux amans sont unis.
Ce poëme offre quelque mérite dans sa conduite : mais les moyens qui amenent le dénouement sont invraisemblables. Le coup de théatre du réveil de Juliette est beau ; mais il est attendu, & frise même le comique, si l'on pense à l'opium qu'elle a pris : en un mot, 1'auteur peut en faire un meilleur ouvrage, s'il veut chercher un autre dénouement, imaginer quelques oppositions, & châtier un peu son style, qui souvent est négligé. Cette piece d'ailleurs peut piquer 1a curiosité. La musique de Steibelt, jeune compositeur, connu par différens ouvrages pour l'orchestre & pour le piano, est remplie de verve, de force & de chaleur ; ses accompagnemens sont pleins d'harmonie, de goût, & écrits en homme qui connoît à fond son art & les effets de tous les instrumens : c'est un artiste qui peut se faire la plus haute réputation dans le genre lyrique. Les artistes qui composent l'orchestre de ce théatre, ont exécuté sa musique avec cette perfection de talent qu'on connoît à chacun d'eux.
Les décorations de cette piece sont superbes ; la derniere sur-tout est du plus grand effet : on a demandé MM. Gothi, freres, décorateurs, & M. Boulet, machiniste, qui s'est seul présenté. Mlle. Scio a parfaitement joué & chanté le rôle de Juliette. M. Gaveaux a tiré tout le parti possible du rôle peu saillant de Roméo, & M. Valiere a joué le rôle de Sébas avec la sensibilité, la force & l'énergie dont certaines scenes de ce rôle singulier étoient susceptibles.
César : auteurs, le vicomte de Ségur, dit Ségur jeune. Musique de Daniel Steilbelt.
Problème de date : alors que le compte rendu date de 1793, César indique que la première a eu lieu le 10 septembre 1794 (« 10 septembre (v. st.), l'an deuxième de la République, une & indivisble », dit la brochure). Sans doute faut il calculer autrement : l’an II, c’est toute l’année 1793, à un moment où le calendrier révolutionnaire n’est pas encore entré en vigueur (il ne le sera que le 6 octobre 1793, 15 vendémiaire an II). Et le 10 saptembre an II devient le 10 septembre 1793.
Reste à savoir que faire de toutes les dates de représentation proposées par César, qui découlent de ce point de départ mal compris : 12 représentations sur la fin de l'année 1794, 20 tout au long de 1795, 22 en 1796, 24 en 1797, 17 en 1798, 16 en 1799. Presque toutes au Théâtre Feydeau (1 au théâtre du Marais en 1796, 1 au théâtre de l'Odéon en 1798, 4 au théâtre Molière en octobre 1799).]
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