Le Siège de La Rochelle, mélodrame en trois actes, de Béraud, de La Rochelle, 23 brumaire an 11 [14 novembre 1802].
Théâtre de la Cité.
Le Courrier des spectacles n° 2078 du 23 brumaire an 11 [14 novembre 1802] annonce ainsi le programme du Théâtre de la Cité :
Théâtre de la Cité.
Aujourd. par la nouvelle administration, la première représ. du Siège de la Rochelle, mélodrame en 3 actes, suivi de la première représ, de Drelindindin, ou le Carillonneur, parade en 1 acte
Deux nouveautés le même soir, c'est pour célébrer la renaissance du théâtre sous une « nouvelle administration ».
Courrier des spectacles, n° 2079 du 24 brumaire an 11 [15 novembre 1802], p. 2-3 :
[Le compte rendu de la représentation inaugurale de cette « nouvelle administration » n'est pas équilibré : il est consacré aux trois quarts à la démolition systématique du Siège de La Rochelle, avant de parler rapidement de Drelindindin. Démolition systématique : une pièce « sans plan, sans conduite, et dans lesquels la langue et le goût sont tour-à-tour offensés », mais sans les habituels ornements « de ces sortes de production », spectacle magique, ballets élégants, beaux costumes et combats hardis c'est ce qu'on attend en effet du mélodrame (mais le critique n'écrit pas le mot...). Il faut aussi dire tout le mal possible des scènes, jamais intéressantes, des caractères, « ou faux, ou faiblement tracés », des amours de Gustave et Célestine, dont on ne sait pas à quoi ils servent, du style, riche de « ces phrases boursoufflées, ces expressions amphigouriques » incompréhensibles. « Le sujet de l'ouvrage » est ensuite résumé de façon détaillée, pour en souligner l'incongruité (le critique semble peu convaincu de l'histoire d'amour ancienne entre Richelieu et la femme du maire de La Rochelle, comme de l'incroyable coïncidence qui fait arriver « à point nommé » l'ordre de ne pas massacrer les vaincus). La représentation a été houleuse : ris, murmures,et même applaudissements. L'auteur a été nommé, mais au milieu des rires : c'est un certain Béraud de La Rochelle. Les acteurs ne sont pas sans responsabilité dans les « contradictions » dont la pièce a été l'objet : celui qui jouait Richelieu ne savait pas se tenir et portait un costume impropre à son rôle. D'autres acteurs portaient une tenue étonnante (un « vieux pantalon large » pour l'un, « des bottes fortes de postillon qui ne paroissoient pas très-propres » pour un autre. Et le jeune acteur qui jouit l'enfant du maire ne semblait pas à son aise sur la scène. Après ce long réquisitoire, il restait un peu de place pour parler moins durement de la seconde pièce, une bluette qui a bien fait rire, mais cette fois parce qu'elle était vraiment drôle...]
Théâte [sic] de la Cité.
C’étoit hier l'ouverture de ce théâtre par une nouvelle administration. Les pièces nouvelles étoient le Siège de la Rochelle, mélodrame et Drelindindin, comédie burlesque mêlée de couplets.
La première de ces pièces est un de ces ouvrages sans plan, sans conduite, et dans lesquels la langue et le goût sont tour-à-tour offensés ; pour pallier les vices de ces sortes de productions , on a soin ordinairement de frapper les yeux au moins par la magie du spectacle, par l'élégance des ballets, par la beauté des costumes et par la hardiesse des combats. Ici, rien de tout cela, quelques décorations soignées, et voilà tout.
Quant à la pièce elle-même, on attend à chaque instant quelque scène intéressante ; mais l’auteur paroit s’être défié de la sensibilité du public, il lui a épargné les émotions violentes, mais en revanche il a fait débiter à ses personnages de belles sentences, dont quelques-unes ont été entendues, et quelques autres ont manqué leur effet.
Les caractères sont ou faux ou foiblement tracés. Par exemple, quelle apparence que le cardinal de Richelieu ait lui-même arraché un enfant des bras de sa mère, pour le lui rendre ensuite, et pour le lui enlever de nouveau. N’est-ce pas un forcené , ce maire de Larochelle, qui lève le poignard sur des femmes tremblantes et désarmées ?
A quoi servent les amours de Gustave et de Célestine ? On croiroit en les voyant au premier acte qu’ils vont opérer merveille ; dans les deux derniers on ne les revoit presque plus.
Le style, ah ! c’est ici qu’il faudroit un article étendu. Comment en effet entendre sans gémir ces phrases boursoufflées, ces expressions amphigouriques qui remplissent la bouche de l’acteur et l’oreille d’un public qui se dit tout bas : ça doit être beau, car je n'y entends rien. . . Mais passons au sujet de l’ouvrage :
Larochelle, assiégée par le cardinal de Richelieu, est défendue par son gouverneur Guyton, qui oppose un courage invincible aux horreurs de la famine, aux ravages de la peste, aux cris séditieux de quelques assiégés et aux menaces des assiégeans. Sa femme n’a plus qu’un fils, elle veut au moins le sauver : elle sort de la ville emportant ce jeune enfant dans ses bras et est conduite devant Richelieu. Celui-ci reconnoit celle qu’il a aimée dans un voyage fait à la Rochelle quelques années auparavant. Il sent sa flamme renaitre à la vue de cette femme, mais elle repousse ses offres et brave sa colère. Il lui enlève son fils et la fait surveiller par ses gardes comme otage.
Mais Bassompierre, qui commande sous les ordres du cardinal, la fait reconduire à la Rochelle et lui promet de lui rendre son fils.
Au moment où Guyton demande à sa femme ce qu’elle a fait de son fils, on le voit amené sur la brèche par les assiégeans, sur qui une pièce de canon va tirer, lorsque l’épouse du maire arrête le soldat prêt à y mettre le feu , et sauve son fils.
Cependant l’assaut se donne, Richelieu est vainqueur : il ordonne le massacre, mais un ordre de la cour qu’il reçoit à point nommé, suspend les glaives ; les vaincus se relèvent, les vainqueurs leur fournissent du pain et leur accordent le libre exercice de leur religion.
Cette représentation a été plusieurs fois interrompue par les ris, les murmures et les applaudissemens. On rioit encore quand on a demandé l’auteur, qui a été nommé et présenté au public : c’est le citoyen Beraud de la Rochelle.
Si cet ouvrage a essuyé ces contradictions, il faut aussi en accuser un peu les acteurs. Deux à peine, les citoyens Villeneuve et Gallimar savoient tenir la scène ; les deux actrices aussi ont assez bien dit leur rôle, mais celui qui faisoit Richelieu avoit l’attitude d'un danseur et le costume d’un Tyrcis.
Gustave avoit je ne sais quel vieux pantalon large qui répondoit bien peu à son habit galonné ; Bassompierre avoit des bottes fortes de postillon qui ne paroissoient pas très-propres. Mais celui qui fit rire davantage c’est le malheureux enfant de Guyton, honteux, dans un coin, grelotant de froid, et fagoté de la manière la plus plaisante. Il eût servi de modèle à Téniers peignant une de ses fêtes flamandes.
[Après le long compte rendu négatif du Siège de la Rochelle, le critique consacre quelques lignes à Drelindindin, sur un ton peu sérieux : « une bluette »...]
F. J. B. F. G***.
Abondamment annoncé depuis le 19 brumaire an 11 [10 novembre 1802], le Siège de La Rochelle semble avoir disparu après le 24 brumaire [15 novembre], jour où paraît l'article du Courrier des spectacles qui en rend compte.
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