Le Solitaire de la Roche Noire, mélodrame en trois actes, à grand spectacle, de Guilbert de Pixerécourt, musique d'Alexandre Piccinni, ballets d’Aumer, 14 mai 1806.
Théâtre de la Porte Saint-Martin.
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Titre :
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Le Solitaire de la Roche Noire
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Genre
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mélodrame à grand spectacle
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Nombre d'actes :
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3
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Vers / prose
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prose
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Musique :
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oui
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Date de création :
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14 mai 1806
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Théâtre :
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Théâtre de la Porte Saint-Martin
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Auteur(s) des paroles :
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R. C. Guibert de Pixerécourt
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Compositeur(s)
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Alexandre Piccinni
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Maître(s) de ballet
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Aumer
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Almanach des Muses 1807.
Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Barba, 1806 :
Le Solitaire de la Roche Noire, mélodrame en trois actes, à grand spectacle, par R. C. Guilbert de Pixerécourt. Représenté, pour la première fois à Paris, sur le théâtre de la Porte St.-Martin, le 14 mai 1806. Musique de M. A. Piccinni, attaché à la musique particulière de l'Empereur. Ballets de M. Aumer, artiste de l'Académie Impériale. Décorations de MM. Matis et Desroche.
Courrier des spectacles, n° 3587 du 15 mai 1806, p. 2 :
[Un article assez bref au lendemain de la première, pour mettre en appétit. Le bilan est tout à fait positif : le nouveau mélodrame reprend des éléments d’une pièce plus ancienne, l'Hermite de Saverne de Dumaniant et Thuring, mais en les utilisant dans un cadre plus vaste. Le succès est indiscutable, et la pièce a tout ce qui garantit un succès durable : beaucoup d’intérêt, des scènes pathétiques et des situations théâtrales, des accessoires, ballets et décors, très flatteurs. Il n’y a que les redites du dialogue à « faire disparoître ». Le plus bel acte est le second. Et on a nommé les auteurs. Suite au journal du lendemain.]
Théâtre de la Porte St-Martin.
Première représentation du Solitaire de la Roche Noire.
Le sujet de ce mélodrame paroît avoir été puisé à la même source que celui de l’Hermite de Saverne, mais l’auteur en a tiré un tout autre parti ; son action est moins compliquée, ses moyens moins petits, ses développemens plus vastes et mieux adaptés à la grandeur du cadre où il place ses personnages.
Le succès a été très-favorable et mérité. Le Solitaire de la Roche Noire inspire trop d’intérêt pour qu’il n’attire pas long-tems une société nombreuse. Les amateurs trouveront près de lui de quoi satisfaire tous les goûts ; les uns des scènes pathétiques, des situations théâtrales, enfin un intérêt puissant ; les autres des décorations toutes plus belles les unes que les autres, des ballets charmans, des costumes très-riches, tout ce qui peut flatter et éblouir les yeux. Il y a peut-être dans le dialogue des redites et des longueurs ; mais si l’on s’en est apperçu, ce n’est que foiblement, et l’auteur saura les faire disparoitre à une seconde représentation.
Le second acte de ce mélodrame est, sans contredit, le mieux tracé, le plus riche en situations, aussi à-t-il réuni tous les suffrages.
Les auteurs ont été vivement demandés. M. Philippe qui a beaucoup contribué par la chaleur de son jeu au succès de cette représentation , est venu nommer M. Guilbert Pixérécourt pour les paroles, M. Alexandre Piccini pour la musique, et M. Aumcr pour les ballets.
Demain nous reparlerons de cet ouvrage.
Courrier des spectacles, n° 3588 du 15 mai 1806, p. 2-3 :
[Heureusement que l’article de la veille avait prévenu les lecteurs : une intrigue « moins compliquée » que celle de l’Hermite de Saverne, du même auteur. Avant de nous entraîner dans les dédales de l’action, le critique croit bon de plaider, sérieusement ou ironiquement, en faveur du mélodrame, genre mal aimé, dont il tient à dire que ce n’est pas du tout le genre facile qu’on croit : une longue comparaison avec la stratégie montre le « mélodramaturge » à la recherche du cadre idéal pour son intrigue, et qui doit faire tenir sur le minuscule espace de la scène des événements dispersés, et des « armées entières ». Dans ce périlleux exercice, Guilbert de Pixerécourt est un maître à qui une riche expérience a permis de cumuler dans les actes 1 et 3 de sa pièce nouvelle une foule d’incidents « dont tous ne sont pas très-utiles à l’action » (mais tous ne sont tout de même pas inutile : faut-il prendre le critique au sérieux ?). Comment ensuite le résumé de l’intrigue, un véritable florilège de tout ce qui est indispensable dans un mélodrame. Un proscrit devenu ermite, sa fille disparue (on la retrouvera, ne nous inquiétons pas), celui qui a spolié le proscrit, et qui détient en otage le fils d’un seigneur voisin, un mariage proposé indigne, un homme arrêté injustement et délivré habilement par le seigneur dont le fils était otage, etc. Les rebondissements sont incessants, jusqu’à ce que tout rentre dans l’ordre on retrouve la fille de l’ermite, qui retrouve aussi ses possessions, et on punit les méchants (le mélodrame ne plaisante pas avec la morale la plus rigoureuse). Reste à juger la pièce. Plus d’imagination que de qualité dans l’expression (« Plusieurs expressions impropres déparent les scènes les mieux conçues. »). L’enlèvement de la jeune fille se fait par un « moyen trop puéril ». Et le ballet final, peu utile (à quoi peut servir un ballet ?), est aussi « une inconvenance » : il met en scène des paysans qui viennent « punir les ravisseurs de Clotilde », et voilà qu’ils se mettent à danser au rythme des « tambours de basques », dont le critique se demande d’où ils les sortent. Il y a là matière à quelques corrections. Sinon, à part quelques acteurs connaissant mal leur rôle, la distribution est à la hauteur. Belle prestation aussi des danseurs. La musique, évoquée en une phrase, « est une des plus agréables qu’ait composées M. Piccini », tandis que les décors, un par acte, « offrent tour à-tour le coup-d'œil le plus rare et le plus pittoresque ».]
Théâtre de la Porte St-Martin.
Le Solitaire de la Roche Noire.
Le mélodrame est un genre que l’on se plait à critiquer sans cesse, et que tout le monde veut voir : on le regarde comme peu important, et il faut quelquefois six mois pour en monter un passablement ; on croit ce travail facile, et si l’on en juge par mille incidens qui s’y multiplient et s’y succèdent sans cesse, il doit coûter beaucoup de veilles et de peines à l’auteur qui veut remplir sa tâche d’une manière honorable et lucrative. Celui qui se voue à ce genre de pièces ressemble assez à un general qui fait la guerre dans un pays ennemi. Maître d’une montagne, d’un vallon, il étudie les positions, examine les endroits foibles ou forts ; il n’est pas un sentier, quelque petit qu’il soit, il n’est pas un arbre, pas un buisson qu’il ne connoisse ; tout lui sert dans l’occasion ; tel est le mélodramaturge ; il s’établit dans une plaine entourée de hautes montagnes ; il cherche une caverne, un arbre, il s’y tapit avec son personnage ; une branche ou un vieux mur lui servent de cachette ; enfin souvent, dans un espace de cent pieds quarrés, il cumule des événemens qui se passent à dix lieues à la ronde, rassemble des armées entières qui souvent ne se voient point, malgré le voisinage. Voilà ce qui s’appelle connoître bien le terrein.
M. Guilbert-Pixéréconrt est celui de tous les auteurs de mélodrames dont l’imagination ait le mieux mis à profit tous ces petits riens d’où naissent quelquefois des effets surprenans pour la multitude. Cette adresse, que l’on a remarquée dans ses diverses productions, telles que la Femme à deux Maris, la Forteresse, et sur-tout dans les Mines de Pologne, l’a tiré de plus d’un embarras dans le Solitaire de la Roche noire. Les premier et troisième actes fourmillent d’incidens, dont tous ne sont pas très-utiles à l’action ; mais dont plusieurs amènent des résultats très-intéressans.
Le Comte Edmond de Morvan, proscrit depuis dix-huit ans, a échappé au fer des assassins, et est revenu depuis quelques moi» à une lieue de ses domaines, sous l’extérieur d’un hermite. Là il pleure la perte d’une fille chérie qu’il avoit emmenée avec lui dans sa fuite, et qu’il n’a pu sauver étant lui-même percé de coups, qui l’ont renversé mourant.
Le hazard le conduit devant la porte de son château, dont le possesseur actuel est sir Romuald, fils de celui qui l’a forcé autrefois de s’exiler. Sir Romuald, qui connoît l’illégitimité de ses droits sur le domaine de Morvan, a fait de vaines recherches pour découvrir le Comte. Il a près de lui le jeune Eginhard, fils d’Ulric, seigneur voisin et son vassal. Eginhard est en ôtage près de Romuald ; mais celui-ci, sensible à l’amitié du jeune homme, et voulant se réconcilier entièrement avec Ulric, lui ramène lui même son fils, et le lui livre sans rançon, en demandant néanmoins son consentement pour l’union de Sir Eginhard, avec Clotilde, que l’on croit fille de Gontran, métayer du château de Morvan. Le fier Ulric se révolte à telle proposition, et faisant éloigner son fils, il arrête Sir Romuald contre tous les droits de l’honneur et de l'hospitalité.
Romuald seul et sans défense, appelle Eginhard ; Eginhard paroit, arrête les satellites de son pere ; mais bientôt désarmé lui-même, il voit son ami entraîné par les gardes, et Ulric sourd à toutes ses prières et à ses menaces. Bientôt caché derrière un faisceau d'armes, il entend son père donner à Hugo, l’un de ses serviteurs, l’ordre de choisir un soldat fidèle pour accompagner Romuald dans son exil. Il profite d’un moment où il est seul avec ce soldat pour lui faire part de ses projets et de l’injustice que l’on veut lui faire commettre. Enfin il 1e décide à lui céder sa place. Là, il attend qu’on lui livre la victime. Tout-à-coup le solitaire se présente. Eginhard qui ne le connoit pas, se défie de lui ; mais à un anneau que lui donne Edmond, il le reconnoît pour un envoyé de sa chère Clotilde. L’hermite lui apprend qu’il a surpris le secret de Gontran qui, de concert avec ni Chevalier perfide nommé Roger, veut livrer Clotilde à ce dernier. L’enlèvement doit se faire à minuit, et Edmond vient réclamer le secours d’Eginhard. Celui-ci est au désespoir : abandonnera-t-il son ami pour son amante ?
Entraîné par l’amour, retenu par l'honneur
il reste ; il veut sauver Romuald, et bientôt l’occasion se présente. Hugo et un autre garde ainsi qu’Eginbard déguisé, escortent le prisonnier ; il part. Cependant Edmond est allé à la métairie de Gontran. Clotilde qui a entendu dire à ce monstre qu’elle n’étoit point sa fille, s’est échappée de la maison pour se soustraire à son ravisseur Roger. Elle a rencontré le solitaire, qui l’amène à sa grotte au moment même où Roger et Gontran venoient d’y passer. Tandis qu’il va rassembler les paysans pour le défense de sa jeune compagne, Romuald est amené par Hugo sous la Roche noire. Hugo a des instructions qui lui permettent de se défaire du prisonnier ; il en fait part à celui qu’il prend toujours pour un de ses complices. Eginhard se découvre ; sa vue pétrifie le criminel, qui bientôt trouve une occasion de se venger, en emmenant la crédule Clotilde de la grotte du solitaire ; mais celui-ci arrive : il délivre Clotilde. Gontran et Roger veulent la lui ravir ; Romuald et Eginhard se présentent ; Gontran s’explique ; il ordonne à Clotilde d’obéir à la voix de son père. Edmond lui impose silence, et le force d’avouer qu’elle n’est point sa fille. Gontran la réclame alors comme la personne à qui appartient le titre d’héritière du Comte de Morvan, et il convient que son nom u’est point Clotilde, mais Emma. A ce nom, le Solitaire retrouve l’enfant qu’il regrettoit ; Gontran est anéanti, mais il veut envain pallier son crime. Les titres des Comtes de Morvan qu’il a entre les mains, il les a trouvés sur Edmond, dont il a été l’assassin et dont il n’attendoit point la résurrection. Il veut en vain nier les faits ; Roger son complice, à qui il avoit fait espérer la main de Clotilde et les grands biens de la maison de Morvan, mérite son pardon par un aveu sincère. Gontran est puni, Romuald rend à Edmond toutes ses possessions, et Eginhard se trouve heureux au sein de l’amour et de l'amitié.
Ce mélodrame riche en effets d’imagination, auroit pu l’être davantage en style. Plusieurs expressions impropres déparent les scènes les mieux conçues. La situation de Clotilde enlevée par Hugo n’est pas heureuse. Le moyen est trop puéril ; le ballet de la fin n’est pas d’une grande utilité, et d’ailleurs il offre, selon moi, une inconvenance qui n’a sans doute pas échappé au compositeur.
C’est une danse de paysans,qui sont venus dan» ce désert avec des fourches, des haches, etc. pour punir les ravisseurs de Clotilde. Comment se fait-il qu’ils aient tout de suite sous la main des tambours de basques, sur lesquels ils s'accompagnent en dansant ? Quelques petites corrections de ce genre ne peuvent qu’assurer à ce mélodrame plus de faveur encore, quoique le succès ait répondu a l’attente de l’auteur. Il a eu à se louer de tous les acteurs en général. Quelques-uns, cependant, pouvaient être plus sùrs de leurs rôles. Philippe a le plus beau, et il y met beaucoup de feu. Adnet représente avec noblesse Sire Romuald, personnage assez passif. Dugrand a quelques scènes de sensibilité, qu’il a bien rendues, et dans quelques autres, il a forcé son organe, et produit moins d’effet. Dugy dit bien le rôle d’Ulric ; Bourdais et d’Herbouville donnent à ceux de Gontran et de Roger une couleur sinistre, et Talon excite le rire dans le personnage de Galoubet, par sa gaîté naïve, Il ne faut part oublier Mlle. Adèle, qui a mis beaucoup d'expression dans le rôle de : tous les personnages principaux sont bien joués Clotilde. La danse offre ce que ce théâtre possede de mieux. C’est annoncer que les ballets y sont bien exécutés. Cette composition fait honneur au talent déjà reconnu de M. Aumer. La musique est une des plus agréables qu’ait composées M. Piccini. Les décorations, qui représentent au premier acte la vue d’un lac au pied des montagnes, au second, l'intérieur du château d’Ulric, et au troisième, la Roche noire, avec un paysage éclairé par la lueur de la lune, offrent tour à-tour le coup-d'œil le plus rare et le plus pittoresque.
Dans la chronologie de ses œuvres, qu'il fait figurer dans le tome 1 de son Théâtre choisi (Nancy, 1841), Pixerécourt évoque la pièce: elle est la 56e de la liste, a été jouée sur le Théâtre de la Porte Saint-Martin, à partir du 14 mai 1806 et a eu 47 représentations à Paris et 18 en province (p. lxv).
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