Le Trente et Quarante ou le Portrait

Le Trente et Quarante ou le Portrait, comédie mêlée d’ariettes en un acte, d’Alexandre Duval, musique de Tarchi. 17 Floréal an 7 [6 mai 1799].

Opéra-Comique, Théâtre de la rue Favart

Titre :

Trente et Quarante (le), ou le Portrait

Genre :

comédie avec ariettes

Nombre d'actes :

1

Vers / prose

prose (ariettes en vers)

Musique :

oui

Date de création :

17 floréal an 7 (6 mai 1799)

Théâtre :

Opéra-Comique, Théâtre de la rue Favart

Auteur(s) des paroles :

Alexandre Duval

Compositeur(s) :

Tarchi

Almanach des Muses 1800

Valcour arrive de l'armée, et se rend chez madame Derval sa tante, dont il doit épouser la pupille. Il s'arrête dans une auberge, y joue tout ce qu'il possède, y compris des chevaux et les brillans qui entourent le portrait de sa future. Saint-Firmin, autre militaire, amant sensible, amant aimé de la pupille, vient dans cette même auberge. Désolé de voir le portrait de sa maîtresse dans les mains d'un rival si peu digne d'elle, il lui propose de l'acheter ; mais le joueur veut que le trente et quarante consomme le marché. On apporte des cartes, et Saint-Firmin, loin de gagner le portrait, perd tout ce qu'il peut perdre. Dans cette situation, il rencontre madame Derval, qui ne le connaît pas plus que son neveu. Elle sait que Valcourt a perdu son argent au jeu ; elle entend Saint-Firmin se désoler pour la même cause, elle le prend pour Valcourt, le console, et le présente comme époux à sa pupille. Celle-ci reconnaît son amant, elle va lui appartenir, lorsque Valcourt, qui s'était enivré à la suite du gain qu'il avait fait, paraît et se nomme. C'est lui qui devait épouser la pupille ; mais ses propos ont bientôt révolté sa tante, et Saint-Firmin est préféré.

Des scènes bien dialoguées, du comique, un rôle de valet très-plaisant.

Musique qui a fait généralement plaisir.

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Barba, an xi (1803) :

Le Trente et quarante, ou le Portrait, comédie en un acte, prose et ariettes. Par le C. Alexandre Duval. Représenté, pour la première fois, sur le théâtre de la rue Feydeau, le 29 floréal an VIII.

Dans ses Oeuvres complètes, tome V (à Bruxelles, de l’Imprimerie de M. Hayez, 1824), p. 243-251, Duval fait précéder le texte de sa pièce d’une notice :

[Justification du succès de la pièce, description du public de l’Empire (on y voit bien des éléments essentiels de cette société, incroyables comme fournisseurs, rôle essentiel des femmes dans la défense des convenances. Et curieux jugement envers Napoléon Bonaparte, qu’il faut évidemment lire en pensant qu’il a été écrit sous la Restauration : comme bien d’autres, Duval a sa place dans le dictionnaire des girouettes...]

NOTICE SUR LE TRENTE ET QUARANTE.

Elleviou me priait depuis long-temps de composer pour lui le caractère d'un militaire mauvais sujet. Comme je n'avais pas de motif de pièce, je fus plusieurs mois avant de le satisfaire. A la fin je créai cette fable du trente et quarante, bien légère et bien romanesque, mais qui remplissait en partie mes vues, puisqu'elle me donnait la possibilité de développer le caractère qu'on m'avait demandé. Cependant, j'étais si peu content de mon ouvrage, que je ne l'aurais pas livré au public si Elleviou n'eût voulu absolument le jouer et ne m'eût répondu de son succès. Il en fit faire la musique par Tarchi, compositeur très-estimable que la mort nous a ravi il y peu d'années, et qui avait obtenu de très-grands succès en Italie, mais qui ne savait point assez notre langue pour lui conserver sa prosodie. On s'aperçoit aussi dans ses ouvrages d'un certain décousu d'idées qui nuit beaucoup à ses chants, d'ailleurs vifs et comiques. Il faut que l'acteur qui chante ses compositions ait beaucoup d'adresse, pour faire disparaître ces fautes de prosodie qui reviennent à chaque instant. En dépit des défauts de cet ouvrage tant de la part du poète que du compositeur, il eut un très-grand nombre de représentations très-suivies. La première ne satisfit pas le public ; mais Elleviou se montra si vrai et si comique dans ce rôle de mauvais sujet, que tout Paris voulu l'y voir.

La contrariété que la pièce éprouva à la première représentation, tenait moins à ses défauts qu'à l'absence d'un prétendu bon ton, que la nouvelle bonne compagnie réclamait alors sans le connaître. Aussi le bruit ne vint-il point du parterre, mais seulement des loges, qui trouvèrent du plus mauvais genre que j'eusse osé mettre sur la scène un militaire qui s'enivrait avec du vin de Champagne, et un domestique qui parlait..... comme un domestique doit parler. Le lendemain , après la première représentation, je me trouvai dans une société, le rendez-vous de nos jolies femmes à la mode, où l'on ne craignit point de me dire, du ton d'une pitié protectrice, que je m'étais tout-à-fait trompé, qu'on ne reconnaissait point là mon bon ton ordinaire , et que je n'avais employé qu'un langage d antichambre et de corps - de-garde. Chose vraiment très-étonnante ! j'avais mis en scène des militaires et leurs valets.... Mais je fus bien vengé ; car dès la seconde représentation l'ouvrage reprit une faveur extrême, qui s'est soutenue au-delà même de son mérite, qui se borne à la vérité du caractère qui m'avait fait composer ce petit opéra.

On ne sera point étonné de ce que les loges aient blâmé la pièce à la première représentation ; cela tenait aux nouvelles manières qui venaient de s'introduire dans la société. Elle n'était alors composée que de femmes nouvellement enrichies par les spéculations de leurs maris, qui étaient presque tous des fournisseurs. Leur fortune subite, le luxe nouveau qu'elles déployaient, en avaient fait à leurs propres yeux des personnages très-importants ; et comme elles savaient par tradition, ou par quelques exemples vivants de quelques grandes dames du faubourg Saint-Germain, qu'il était du meilleur air de trouver toutes nos productions modernes du plus mauvais goût, elles ne se firent point faute de ce genre de ridicule, et croyaient devoir, en blâmant tout, se donner des manières de femmes de qualité. Cette manie d'être un personnage à la mode s'était étendue jusqu'aux jeunes gens, qui ne se donnaient plus même la peine de prononcer . Ma parole suprême, que l'on articulait ma paole supême, était le mot en faveur, et qu'un jeune homme à bonne manière se fût bien gardé de ne pas dire trois ou quatre fois dans une conversation de cinq minutes.

La société offrait vraiment à cette époque des mœurs singulières ; elles réunissaient à-la-fois le luxe et la parcimonie : rien n'égalait la richesse des appartements, les fêtes superbes que l'on y donnait, les repas somptueux où se réunissaient tous nos nouveaux parvenus, qui se connaissaient à peine de nom : on traitait les affaires au milieu des plaisirs ; et ce qui ajoutait quelque charme à cette liberté de mœurs, c'est l'égalité qui existait dans toutes les classes. On ne trouvait vraiment de supériorité qu'à celui qui pouvait avoir une bonne table, réunir beaucoup de monde, et donner des fêtes. Quant aux moyens dont il s'était procuré cette fortune, c'est la chose à laquelle on songeait le moins ; et l'on était toujours très-honnête homme lorsqu'on avait beaucoup d'argent.

Les artistes nécessairement faisaient partie de cette société, et portaient dans les fêtes le genre de délicatesse et d'élégance qui appartient à leurs talents. C'était dans les maisons où ils étaient reçus que l'on s'amusait le plus, d'une manière plus décente et de meilleur goût. Comme, après nos grands malheurs, tous les hommes qui y avaient survécu étaient très-disposés au plaisir et à la gaieté, on ne négligeait aucune occasion de rire : c'est à cela sans doute que l'on doit ce genre d'amusement que l'on appelle mystification. Il n'était point de société qui n'eût son plaisant, son mystificateur ; et quelque important que fût un homme, quelque place qu'il eût dans le gouvernement, on trouvait le moyen de le mystifier tout comme un autre.

Ce genre d'amusement, qui est passé de mode aujourd'hui, consistait, de la part du mystificateur, à se faire passer pour un homme tout autre qu'il n'était, et à dire, à l'abri de son rôle, s'il jouait un personnage naïf ou mal élevé, des mots piquants à tel ou tel convive, qui se mystifiait lui-même en voulant se moquer du plaisant qui le jouait. Il n'y a pas encore long-temps que la mort vient de nous ravir le meilleur de tous nos mystificateurs (M. Mulson). Il jouait son rôle si naturellement, et il y mettait tant de mesure que celui même qui était victime de sa plaisanterie ne pouvait lui en vouloir de mal. Tout le monde se l'arrachait, et sa perte a été universellement regrettée, moins encore parce qu'il était fort amusant que parce qu'il était un excellent homme plein de délicatesse et de probité.

Ce jeu de mystification était porté à un tel excès, que l'on ne pouvait arriver dans une maison sans que le maître ne vous fit signe de ne pas faire connaître le mystificateur. Tous mes amis s'en donnaient à cœur-joie de ce genre d'amusement, et donnaient en même temps d'excellents dîners, que tout le monde mangeait avec beaucoup d'appétit, tout en riant du mystifié. Ce serait une question de savoir si celui qui faisait les. frais du dîner s'était autant amusé que celui aux dépens duquel on riait ! mais dans ce temps on ne songeait guère à l'économie, et certains hommes gagnaient l'argent avec tant de facilité, qu'ils n'avaient pas tout-à-fait tort d'en faire part à leurs amis.

L'un des créateurs de ce genre de plaisir, et qui réussissait le mieux à en tirer parti, était M. Lenoir, alors agent de change, l'ami des artistes de tous les genres, qui aimaient sa personne et la gaiete aimable de son esprit. Sa maison offrait souvent la réunion des femmes les plus distinguées et les plus jolies, et tout ce que nous avons eu de célèbre parmi les personnes recommandables de ce temps. Là, on voyait près de mesdames Tal...., Beauh..., mesdames Re... ,Ch. A. Ham..., Hing..., etc., enfin tout ce qui composait la haute et la grande société tant en femmes qu'en hommes. Si je ne parle pas de ces derniers, c'est que la plupart vivent encore, et qu'ils ont joué un rôle trop brillant pour que j'ose les juger légèrement. Seulement il me sera permis de parler de cet homme-phénomène, qui occupera les siècles futurs de sa mémoire, comme il a fatigué le siècle présent de ses succès, de sa gloire et de ses malheurs, suite funeste de son insatiable ambition. C'est dans la maison de M. Lenoir que je l'ai vu pour la première fois. Il se fit remarquer à moi et à mon frère, par l'air de dédain dont il voyait les mystifications dont un homme à talent, trop crédule, était la victime. Il avait l'air de dire aux convives : Mais vous vous amusez d'une niaiserie, et celui que vous mystifiez vaut mille fois mieux que vous. Resté seul avec nous dans un coin, il ne cacha point ses sentiments sur ce genre de plaisir, et nous répéta ce que ses yeux nous avaient déja dit. Une fois engagés dans la conversation, nous eûmes bientôt quitté ce sujet ; et venant à la politique, nous fûmes enchantés de nous trouver avec un jeune homme qui, à la vérité, n'était encore connu que par son treize vendémiaire ; mais qui nous montra les sentiments du plus grand ami de la liberté. Nous aurions tort, mon frère et moi, de dire que nous prévîmes ce qu'il serait un jour : non ; il nous laissa seulement cette idée que pour un jeune homme qui n'avait pas quitté les camps, il avait un sens droit, une raison forte, et qu'il se distinguerait à coup sûr dans sa carrière. Que l'aurore de cet homme extraordinaire est différente de son couchant ! Est-il donc de la nature du pouvoir de nous enivrer, et de nous faire voir les objets sous une forme qui ne leur appartient pas ! Eh quoi ! cet homme si sensé, qui apprécie avec tant de justesse d'esprit les droits d'un citoyen; à qui le ciel a donné le génie de la guerre; qui doit à la seule liberté ses succès et son avancement ; qui ne trouve dans les hommes qui le servent dans les armées et dans les conseils, que des appuis et des admirateurs, finit par enchaîner ces mêmes hommes, et colore l'excès de sa tyrannie de l'odieux prétexte qu'ils n'ont mérité que son mépris ! — Oui, sans doute, dans l'opinion de tout homme sage, les hommes qui t'environnaient l'ont mérité, en ne t'éclairant pas sur tes propres intérêts, en te vendant pour des titres et des honneurs ce peuple privé d'une liberté qu'il avait conquise sans toi. Mais cette grande nation qui fit ta gloire, qui te sacrifia ses trésors, ses travaux et son sang, pour l'accroître de plus en plus, le méritait-elle ce mépris ? Méritait-elle que tu prisses tous les moyens que l'hypocrisie et l'audace peuvent inventer, pour détruire l'égalité, pour créer des majorats, pour faire un camp d'une nation agricole et industrielle, et la précipiter dans une longue série de guerres, de malheurs et de rapines ? Cette nation généreuse n'a dû d'avoir échappé à la honte d'être enchaînée pour toujours, qu'au souvenir qu'elle avait laissé de son courage et à la noblesse de son caractère. Oh ! qu'elles seront éloquentes les pages de l'historien qui, après avoir pesé tes droits à l'immortalité, prononcera la sentence ! On t'appellera, comme on t'appelle déjà, l’homme extraordinaire ; mais je doute que la postérité libre t'appelle le grand homme. Si j'en juge d'après le sentiment qui me domine, l'historien sans haine et sans passion te jugera comme je le fais ici. J'ai souvent rendu justice à tes grandes qualités, à tes rares talents ; je t'ai admiré dans les combats. Mais dès que je fus convaincu de ton insatiable ambition ; dès que je te vis substituer le sceptre du monarque aux faisceaux consulaires, et l'aigle des Césars au vieux coq des Gaulois, j'aurais appelé de tous mes vœux ta chute, si je n'eusse craint qu'elle n'entraînât la ruine de ma patrie.

Courrier des spectacles, n° 805 du 18 floréal an 7 [7 mai 1799], p. 2 :

[Le critique commence son article en s’interrogeant sur la cause du succès incomplet de la pièce, et il formule toute une série d’explications (le plan, les caractères, les allées et sorties non motivées, l’absence d’intérêt du dénouement). Chacun est censé trouver la réponse dans l’analyse qui suit. L’intrigue qu’il résume ne brille pas par l’originalité : une pupille que l’on veut marier au neveu de la tutrice, mais qui se révèle un joueur invétéré, qui perd toute sa fortune en un soir, y compris les diamants qui entouraient le portrait de sa fiancée. Il va même jusqu’à donner ce portrait à celui qu’aime la jeune pupille sa fiancée, comme une consolation d’avoir été ruiné à son tour. Il n’est pas surprenant que la tutrice, à qui il a tenu des propos inconvenants, choisisse finalement de ne pas lui donner sa pupille en mariage : elle épousera celui qu’elle aime et qui s’est tout de même mieux tenu que son rival. La pièce montre des personnages fort peu convenables. D’abord le neveu; qui tient des propos scandaleux, et qu’on voit à moitié ivre, ce qui a fait naître des murmures, tout comme les plaisanteries déplacées d’un valet (mais ces plaisanteries sont faciles à supprimer). On retient surtout de la pièce une scène de jeu, « en effet assez piquante ». L’interprétation est remarquable, les rôles masculins comme les rôles féminins, moins importants, étant remplis par les vedettes du théâtre de l’Opéra-Comique. Quant à la musique, elle est un peu facile, mais on lui reconnaît de la vivacité et de la délicatesse. Les auteurs des paroles et de la musique ont été nommés.]

Théâtre Favart.

La nouvelle piece représentée hier à ce théâtre sous le titre du Trente et Quarante, quoique soutenue d’une musique généralement agréable, n’a eu cependant qu’un succès incomplet. Quelle en est la cause ? est-ce la foiblesse du plan, ou l’imperfection des caractères, ou le peu de motif de l’entrée et de la sortie des personnages, ou enfin le peu d’intérêt que présente le dénouement ? c’est ce que le détail suivant fera voir ?

Mad. Derval veut marier Jenny, sa pupille, à Valcour son neveu, qu’elle attend de l’armée, qu’elle n’a jamais vu, mais dont on lui a dit beaucoup de bien, et auquel elle a fait parvenir le portrait de Jenny, enrichi de diamans. Valcour doit arriver, et descend en effet dans une auberge peu distante du château. Malheureusement il est joueur et vient de perdre la nuit même au jeu de trente et quarante, sa fortune, ses chevaux, les bijoux qu’il apportoit à sa future, et jusqu’aux diamans qui entouroient le portrait, seul effet qui lui soit resté. St-Firmin, également capitaine d’une compagnie de hussards, amant aimé de Jenny, descend dans la même auberge que Valcour, qu’il reconnoit et qui lui raconte son aventure de la nuit, en lui montrant ce portrait, objet peu intéressant pour lui, mais auquel l’autre, comme on le présume aisément, attache un grand prix.

Sur le refus que fait Valcourt de céder ce portrait, St.-Firmin lui propose de le jouer. Il consent à le voir mettre en jeu contre vingt louis. St.Firmin perd à son tour, non seulement les vingt louis, mais toute sa fortune, il n’ose plus se présenter chez Mde Derval ni paroitre aux yeux de Jenny. Toutes deux cependant étonnées du retard de l’arrivée de Valcour sont venues au-devant de lui à l’auberge ; mais à la suite de la partie il a été boire à la santé du perdant. Il arrive étourdi par le champagne, et vis-à-vis de sa tante, qu’il ne connoit point, plaisante assez immodestement sur le projet que l’on avoit eu de le marier. Tant de légéreté dans son neveu étonne Mme. Derval : elle redoute déjà d’unir sa fille à un jeune homme qui, de son aveu, n’attend que la fin des cérémonies pour emporter la femme, la dot sur-tout, et courir le monde. Généreusement, il fait cadeau à St.-Firmin du portrait que celui-ci a payé si cher, mais la cause de son infortune lui donne nécessairement un mérite de plus aux yeux de Jenny, dont il obtient la main du consentement de la tante.

L’immoralité du caractère de Valcourt n’est pas le moindre défunt de ce personnage, qu’on a vu néanmoins avec indulgence jusqu’au moment où les propos les moins dignes d’un homme délicat, et le tableau d’un joueur à moitié ivre ont commenté à jeter de la défaveur sur le rôle en lui-même. Les plaisanteries déplacées de Michel, valet de St-Firmin, ont également excité quelques murmures ; mais il est facile de rectifier ce rôle, qui n’est pas sans agrément. En général il y a peu de situations dans cette piece, où tout paroit avoir été sacrifié à la scene en effet assez piquante du jeu.

On conçoit que les rôles de Valcourt, de SaintFirrnin et de Michel, confiés aux cit. Elleviou, Gavaudan et Martin, sont parfaitement remplis à tous égards, et qu’on doit en dire autant de ceux moins marquants de Mad. Derval et de Jenny, occupés par les cit. Crétu et Bouvier.

La musique a quelqu’uniformité, même quelques vuides ; mais elle est vive, délicate, et elle brille sur-tout dans le trio de la scene du jeu et dans un duo mieux caractérisé encore, qui suit d’assez près ce joli morceau. Les auteurs ont été demandés, on a nommé les cit. Duval et Tarchi, déjà connus par différens ouvrages.

L’Esprit des journaux français et étrangers, vingt-huitième année, tome IX, prairial an 7 [mai 1799], p. 187-190 :

[Les temps sont tristes, et les occasions de rire trop rares pour qu’on les néglige : partant de ce point de départ morose, le critique analyse ensuite une intrigue assez convenue (une tante, sa pupille et les deux amants de celle-ci). Il y voit le « canevas léger », mais avec « un dialogue plaisant & des caractères aussi bien tracés que le comporte ce genre de composition » (réticence tout à fait intéressante). Il a fallu retirer « quelques mots hasards », mal reçus par le public. Sinon, beaucoup de choses drôles. Mais le critique déplore qu’il devient de plus en plus difficile de faire des plaisanteries sans choquer un public de plus en plus délicat (mais d’une « fausse délicatesse »). La musique de Tarchi a plu (en particulier un trio et un duo, chanté par deux des chanteurs vedettes du théâtre, Martin et Elleviou).]

Le Trente & Quarante.

Il est si difficile de faire rire, par le temps qui court , qu'on doit savoir bon gré à ceux qui nous montrent, au moins sur le théâtre, des personnages plaisans & des situations-comiques. Le C. Duval, auteur du Prisonnier, du Vieux-Château, de l'Oncle Valet, vient encore d'enrichir le répertoire de l'opéra-comique d'un joli acte, embelli d'une excellente musique.

Un mauvais sujet, nommé Valcour, venant de l'armée & allant chez une de ses tantes pour épouser la pupille de cette tante, s'arrête dans une auberge sur la route, y joue tout ce qu'il possède, & le perd, tout, jusqu'à ses chevaux & aux brillans qui entouroient le portrait de sa future.

Arrive dans la même auberge un autre militaire, amant sensible & honnête de la pupille, & amant aimé. Celui ci désolé de voir le portrait de sa maîtresse dans les mains d'un rival indigne d'elle, lui offre de l'acheter, mais le joueur, qui veut de nouveau tenter la fortune, propose de le jouer au trente & quarante. Le valet, personnage plaisant , apporte des cartes, & dans un trio charmant & supérieurement exécuté, Saint-Firmin (c'est le nom de l’amant honnête), non seulement ne gagne pas le portrait, mais perd tout ce qu'il possède.

Dans cette situation, il rencontre la tante de sa bien aimée, madame Derval, qui ne l’a jamais vu, non plus que son neveu Valcour, Madame Derval ayant su que son neveu avoit perdu tout son argent au jeu, & entendant Saint-Firmin se désoler pour la même cause, le prend pour Valcour, le console, lui offre de réparer ses pertes, & le présente comme époux à sa pupille. Celle-ci reconnoît en lui son amant : ils vont être au comble de leurs vœux, lorsque le véritable Valcour, qui vient de s'enivrer avec l’argent qu'il a gagné, paroît & découvre l'erreur. C'est à lui que la demoiselle est promise ; mais il fait tellement parade de son inconduite, qu'il dégoûte la tutrice ; & l'on donne la préférence à Saint-Firmin, qu'on excuse en faveur de son motif d'avoir joué sa fortune.

Tel est le canevas léger sur lequel le C. Duval a brodé un dialogue plaisant & des caractères aussi bien tracés que le comporte ce genre de composition. Quelques mots hasardés qui avoient déplu à la première représentation, ont été effacés aux suivantes. Le rôle du valet de Saint-Firmin, très bien joué & très bien chanté par C. Martin, est rempli de traits comiques. C'est un valet crédule, & qui propose à son maître de tirer les cartes pour savoir quelle sera l'issue de ses amours. Son maître se moque de lui : allez, lui répond le valet, je vois bien que vous êtes un impie. Ce mot est fort applaudi ; mais nous remarquerons en passant, que le cercle dans lequel nos auteurs comiques peuvent puiser les traits d'un dialogue plaisant, se retrécit tous les jours, grâces à la fausse délicatesse des spectateurs. La plupart des mots qui jettent tant de gaieté dans le dialogue de Molière, de Regnard, de Dufrény, de Dancourt, seroient maintenant envoyés aux Boulevards. Il faut que nous soyons devenus des gens de bien bon goût, puisque nous nous formalisons dans les occasions où nos pères se seroient laissés rire tout bonnement.

La musique du Trente & Quarante est de Tarchi, compositeur italien, dont nous avons déjà parlé en rendant compte du Cabriolet jaune, la seule pièce qu'il ait donnée en France avant celle-ci. Ce dernier ouvrage soutient sa réputation & a fait généralement plaisir. On a particulièrement applaudi le trio de la scène du jeu, & un très beau duo chanté par les CC. Martin & Elleviou, qui continuent à jouir des faveurs du public & à les mériter.

D’après la base César, la pièce a été jouée 32 fois en 1799 au Théâtre de la salle Favart, à partir du 27 mai 1799. Et sa carrière ne s’arrête pas là : elle est reprise le 26 novembre 1801 (théâtre Feydeau), et elle est représentée jusqu’en 1813 (Nicole Wild et David Charlton, Théâtre de l’Opéra-Comique, répertoire 1762-1972, p. 424).

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