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Un jeu de la fortune, ou les Marionnettes
Un jeu de la fortune, ou les Marionnettes, comédie en cinq actes et en prose, de Picard, 14 mai 1806..
Théâtre de l'Impératrice.
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Titre :
Un jeu de la fortune, ou les Marionettes
Genre :
comédie
Nombre d'actes :
5
Vers / prose
prose
Musique :
non
Date de création :
14 mai 1806
Théâtre :
Théâtre de l’Impératrice
Auteur(s) des paroles :
L. B. Picard
L'Almanach des Muses de 1807 signale la pièce et en donne un court aperçu, en inversant titre et sous titre : Les Marionnettes, ou un Jeu de la Fortune.
Les Marionnettes, ou un Jeu de la Fortune, comédie en cinq actes et en prose, par M. Picard.
Plusieurs personnages dont la fortune semble se jouer, en les élevant et les abaissant successivement, servent à développer ce principe, « Que les idées et le caractere des hommes dépendent des circonstances, et qu’ils ont tous été jetés dans le même moule. »
Il serait trop long de suivre cet ouvrage dans ses nombreux incidens, qui sont riches de comique, et frappans de vérité. Cette comédie a été jugée une des meilleures de M. Picard, et a obtenu un brillant succès.
Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Martinet, 1806 (seconde édition) :
Un Jeu de la Fortune, ou les Marionnettes, comédie en cinq actes et en prose, par L. B. Picard ; Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l'Impératrice, le 14 Mai 1806 ; et à Saint-Cloud, devant leurs Majestés Impériales et Royales, le 22 du même mois.
Duceris ut nervis alienis mobile lignum
Horat.
L’annonce de la première dans le Courrier des spectacles donne comme titre Un jeu de fortune, ou les Marionnettes. Le lendemain, pour le compte rendu, le titre et le sous-titre sont inversés.
Courrier des spectacles, n° 3387 du 15 mai 1806, p. 2 :
[La pièce nouvelle est un grand succès, et le journal y reviendra.]
Théâtre de l’Impératrice.
Première représentation des Marionnettes, ou Un Jeu de fortune.
Les Marionettes ont véritablement un Coup de fortune pour le Théâtre de l’Impératrice. La première représentation en a été très brillante. On attendoit depuis long-tems cet ouvrage, dont on disoit beaucoup de bien d’avance, et qui n’a pas vu le sort de tant d’autres, prônés dans les coteries et sifflés à la scène. Le premier acte sur-tout a paru extrêmement riche eu détails piquans ; les autres se soutiennent par un comique franc, par l’habileté avec laquelle les caractères sont tracés, par la liaison des scènes et par l’enchaînement de l’intrigue.
L’auteur a été généralement demandé, et a été amené sur le Théâtre au bruit des applaudissemens les plus unanimes : c’est M. Picard.
Nous reviendrons sur cette comédie, qui va rehausser les actions du Théâtre Louvois.
Courrier des spectacles, n° 3389 du 17 mai 1806, p. 2 :
[Le critique déclare d’emblée que la pièce est morale, puisqu’elle montre « en action » une « vérité incontestable » / les hommes sont des marionnettes que la fortune manipule à son gré. Les deux protagonistes en conviennent, mais l’un d‘eux, Marcelin, est persuadé de n’être pas sensible aux sirènes de l’argent. Mais quand il hérite de façon inattendue, il change radicalement et non seulement il montre des goûts de luxe, mais il méprise maintenant sa cousine qu’il devait épouser. Il faut que son ami lui donne une bonne leçon. Ayant étudié le testament qui a enrichi Marcelin, il en exploite les ambiguïtés et fait croire à Marcelin que l’héritage ne lui revient pas, mais à sa cousine. Marcelin est anéanti, il se voit abandonné de tous, sauf de sa cousine, qui ne le repousse pas. L'ami peut alors révéler qu’il a trompé Marcelin, que c’est bien lui qui hérite, et que sa cousine n’a qu’un legs important. La pièce finit par le mariage de Marcelin avec sa cousine. La pièce est jugée de façon positive : « bien conduite », avec une action vive, mais surtout dans les trois premiers actes. Et le dialogue est spirituel et rempli de traits comiques. Un seul reproche : le choix de la classe sociale des personnages (le critique les aurait voulus d’une meilleure origine). Mais cela n’empêche pas cette nouvelle pièce d’être parmi les meilleures de Picard (ce n’est pas un mince compliment). Les acteurs ont bien joué, avec une mention spéciale pour l’acteur jouant Marcelin.]
Théâtre de l’Impératrice.
Les Marionnettes, ou Un Jeu de fortune, comédie en 5 actes.
Picard, en écrivant cette comédie, s’est proposé un but moral ; il a voulu nous montrer en action cette vérité incontestable et prouvée chaque jour, que ce sont les inconstances qui conduisent les hommes, et que, semblables à des marionnettes attachées à des fils que la fortune fait mouvoir à son gré, leurs sentimens, leurs manières d’être éprouvent les mêmes vicissitudes que les événemens qui tantôt les élèvent au haut de la roue, et tantôt les précipite [sic] aux derniers rangs. C’est sur ce texte que raisonnent deux amis, Gaspard et Marcelin, le premier, directeur forain de Marionnettes, le second, magister du lieu, qui se croit un grave philosophe, et parce qu’il possède peu, prétend que la richesse, qu’il ne désire pas, n’influeroit en rien sur sa manière de voir et d’agir. Mais le moment de l'épreuve arrive ; une faillite ruine le propriétaire du château voisin, et le testament d’un Colon rend Marcelin possesseur d’une fortune immense. A l’instant, l’homme qui ne raisonnoit naguères que sur l’avantage de la médiocrité, ne voit plus qu’en pitié ce qu’il prônoit avant. Sa cousine Georgette, qu’il aimoit, n'est plus à ses jeux qu’une petite paysanne. Le château, dont il fait l’acquisition, lui paroît mesquin ; il veut aller à Paris, il projette des réformes, des embellissemens, en un mot, il a hérité avec beaucoup d’argent, de toute la sottise et de la prétention d’un nouveau riche. Gaspard, qui n’a pas comme lui, à se vanter d’une grande succession, n’a pas changé d’idées, et quoiqu’un moment il ait sacrifié comme les autres à l’idole, il veut corriger son ami en le soumettant à une épreuve dont il espère le plus grand succès.
Il s’est offert de lui-même au garde-note pour vérifier les papiers du Colon dont l’héritage est échu à Marcelin. Il y trouve une lettre dans laquelle le défunt exprime quelques regrets sur son premier codicile.
Muni de cette pièce, il va trouver Marcelin, et lui fait croire qu’il n’est pas l’héritier. L’effet de la foudre n’est pas plus rapide ; le Maître d’école est anéanti ; sa cour est désertée par les parasites, qui vont se ranger près de Georgette que Gaspard a proclamée l’héritière ; mais celle ci a su résister à la contagion générale ; elle se croit riche, mais elle est loin de rendre la pareille à son cousin le Magister, en le méprisant parce qu’il n’est plus opulent. Elle n’oublie pes son amour ; et lorsque Gaspard voit que son épreuve a réussi, il rend à Marcelin sa fortune, en faisant, d'après les dispositions d’une partie du testament, conserver trente mille francs à Georgette, qui unit ce legs à la fortune de Marcelin, et devient son épouse.
Cette pièce est bien conduite : l’action marche, sur-tout dans les trois premiers actes ; les incidens s’y succèdent avec rapidité, et le dialogue étincelle de saillies et de traits comiques qui sont amenés naturellement et par la situation ; cependant on a regretté encore que l’auteur, eût choisi ses personnages dans la même classe où il a déjà pris ceux de ses ouvrages précédens, mais ici il a si bien distribué ses couleurs, il a fait un tableau si frappant de vérité , que l’on doit regarder cette comédie comme une des meilleures qui soient sorties de sa plume. Chacun des acteurs est parfaite ment pénétré de son rôle ; mais Vigny sur-tout soutient dans le rôle de Marcelin sa réputation d’excellent comédien.
Geoffroy, Cours de littérature dramatique, tome quatrième (1819), p. 387-392 :
[Article daté du 17 mai 1806]
LES MARIONNETTES.
Cette idée est vraiment morale et philosophique. Les hommes sont en effet des marionnettes, que la fortune fait mouvoir à son gré par les fils de l'intérêt et de la vanité, les deux plus fortes passions du cœur humain. On a vu dernièrement à ce théâtre des enfans marionnettes, imitant par un instinct naturel les gestes et les actions des hommes ; dans la pièce nouvelle, ce sont des hommes qui n'ont pas plus de raison que des enfans, et que leurs passions font agir comme des marionnettes.
Le caractère particulier à Picard, est de se mettre à la portée de tous, de choisir ses portraits dans la vie commune, et de peindre au théâtre les mœurs du jour et les ridicules dominans dans la société : on lui fait quelquefois un reproche de ce qui chez lui est un mérite. Quoi de plus ordinaire dans le monde que des gens qui s'enrichissent et des gens qui se ruinent ? On n'a jamais vu une circulation plus rapide de richesses, de plus grands déplacemens, des reviremens de parties plus singuliers : chaque jour voit éclore des révolutions en ce genre ; autant l'état est solidement organisé, autant les fortunes sont mobilisées. Picard était donc sûr de nous attacher, en nous montrant un pauvre subitement enrichi, et un riche non moins brusquement appauvri ; les sottises et les extravagances du parvenu, les bassesses et les platitudes de l'homme ruiné, voilà les deux pivots sur lesquels roule la pièce.
Un magister de village, nommé Marcellin, espèce de philosophe, qui affecte de mépriser ce qu'il ne peut posséder, hérite tout à coup d'un certain Ducoudrai, son cousin germain, qui lui laisse cinquante mille écus de rente. M. Dorvillé, seigneur du même village, éprouve une banqueroute qui, dans un instant, détruit toute sa fortune. Le maître d'école est prêt à mourir de joie ; le seigneur est en proie au plus affreux désespoir : l'un et l'autre ne tardent pas à s'arranger, d'après leur situation nouvelle. Marcellin achète le château de M. Dorvillé ; M. Dorvillé veut faire épouser sa sœur à Marcellin, qui dans ce moment a bien d'autres affaires.
La peinture d'un homme à qui des richesses soudaines font tourner la tête, est toujours d'un vif intérêt et d'une grande instruction. Dufresny, poëte observateur, avait déjà saisi cette idée précieuse dans une petite pièce en trois actes, qui a pour titre le Lot supposé, ou la Coquette de village : on la jouait souvent autrefois ; elle est aujourd'hui parfaitement inconnue. Il y a dans cette pièce un paysan nommé Lucas, à qui l'on fait accroire, parle moyen d'une fausse liste, qu'il a gagné à la loterie cent mille francs. Le paysan, aussi fou que le maître d'école de Picard, fait le gros dos, ne rêve qu'acquisitions, veut acheter le château du seigneur, et même tout ce qui est à vendre : il prétend partir pour Paris ; mais comme il n'est pas aussi instruit et aussi philosophe que Marcellin, il est beaucoup plus dur et plus insolent. Picard a taillé et mis en œuvre ce diamant enfoui dans les œuvres de Dufresny.
A côté de ces deux principales marionnettes de l'homme enrichi et de l'homme ruiné, qui toutes les deux sont dans un grand mouvement, on en voit une troisième de moindre grandeur et très-subalterne ; c'est un plat-pied et un fourbe en sous-ordre, nommé Valber, caricature de M. Dorvillé, qui lui a fait avoir un petit emploi de receveur de l'enregistrement : c'est un pédant sentimental, une espèce de tartufe affichant les plus belles maximes d'honneur et de probité, au fond, lâche égoïste, vil flatteur de l'opulence. Picard s'est donné la peine de bien établir ce caractère, mais il agit peu dans la pièce et ne produit rien. A peine instruit de la disgrâce de Dorvillé, il se tourne vers l'acquéreur de son château, et sachant que M. Dorvillé a des vues pour marier sa sœur au nouveau riche, il va aussi chercher la sienne qui est plus jeune et plus jolie, et se flatte de la préférence.
Ainsi Marcellin se trouve entre deux femmes qui lui font la cour, et dont il ne se soucie guère ; et, en outre, il est tourmenté par la fille du jardinier, nommé Georgette, qu'il aimait avant sa fortune, et qu'il n'aime plus guère. Il ne sait à laquelle entendre; aucune femme ne veut du pauvre ; toutes veulent du riche : c'est donc le riche qui, en mariage, est le plus embarrassé.
Marcellin ne songe point à se marier ; son premier désir est d'aller se faire voir à Paris : ce désir le presse pendant toute la pièce, et il ne l'exécute point ; on y met bon ordre. Ce parvenu a un ami, un camarade d'études qui fait métier de montrer des marionnettes ; et, ce qui est fort au-dessus de son métier, qui raisonne sur les marionnettes, en philosophe profond, et qui ne voit dans tous les hommes que des marionnettes, dont il ne fait guère plus de cas que des siennes. Cet ami, qui s'appelle Gaspard, rougit de voir Marcellin, comme une marionnette, au milieu de trois femmes qui le font tourner à droite et à gauche : sa philosophie lui dit que Marcellin doit épouser l'innocente et naïve Georgette, son premier amour. Mais comment faire consentir un nouveau riche à épouser une paysanne ? en sa qualité de riche, Marcellin n'est plus philosophe ; il n'a plus besoin de l'être, puisque la philosophie d'aujourd'hui n'est bonne que pour s'enrichir, et ne vaut plus rien dès qu'on est enrichi.
L'ingénieux Gaspard imagine donc un tour de passe-passe digne d'un directeur de marionnettes : il commence par faire tourner à son gré le notaire du village, honnête, mais imbécille, lequel lui remet une lettre trouvée dans les papiers du cousin Ducoudrai : dans cette lettre le cousin ne paraît pas trop content d'avoir Marcellin pour héritier.. Muni d'une pareille pièce, le sage Gaspard fait accroire à M. Dorvillé et à sa sœur, à M. Valberg et à sa sœur, au jardinier et à sa fille, que M. Marcellin est déshérité par un second testament. Ce secret
Change tout, donne à tout une face imprévue.
Marcellin, l'objet de toutes les adorations, ne rencontre plus que des visages glacés : on fuit à son approche, on le regarde en pitié. Enfin, Gaspard lui révèle à lui-même sa prétendue exhérédation ; il lui lit la lettre fatale, et cette pauvre marionnette de Marcellin est si troublée, qu'elle ne songe pas même à se faire représenter l'acte qui le déshérite ; ce qui est une grande absence d'esprit. Il ne songe pas aussi qu'il a toute la succession en poche dans un gros portefeuille, et qu'étant si bien nanti, il est très-difficile à déshériter : ce qui me paraît une distraction encore plus forte. Il se croit bonnement redevenu pauvre ; prend son parti en brave, ne pense qu'à retourner à son échoppe d'écrivain, que pendant son rêve il voulait faire abattre, et qu'il est fort heureux de retrouver. Dans cette disposition, il est très-touché de voir Agathe lui conserver toujours son cœur, tandis que tout le reste l'abandonne. Quand on juge que la leçon a produit son effet, on lui découvre le mystère : Marcellin apprend qu'il n'y a point d'autre changement dans sa fortune qu'un legs de trente mille francs qu'il doit payer à Georgette, et qui lui revient eu l'épousant.
Il y a beaucoup de naturel et de vérité dans cette pièce, des peintures fidèles du cœur humain, une foule de traits saillans, de mots heureux et de bon comique ; un dialogue vif, enjoué, sans aucune recherche, que tout le monde entend bien, et qui plait à tout le monde. La première scène a paru longue ; elle amène péniblement l'exposition du sujet : il y a peu de mouvement dans l'intrigue ; quelques répétitions, quelques détails uniformes ralentissent le dialogue. On a remarqué une certaine ressemblance entre le stratagème de Gaspard pour faire réussir un mariage, et celui qu'on emploie pour en faire manquer un dans la comédie des Voyageurs, en faisant accroire séparément aux deux amans qu'ils sont ruinés.
Le succès a été complet, et tout annonce qu'il sera constant. La pièce est jouée dans l'esprit de l'auteur, et avec un grand ensemble. Les premiers sujets du théâtre y réunissent les suffrages : Vigny joue Marcellin ; Picard aîné, M. Dorvillé ; Picard cadet, Gaspard ; Clozel, Valberg ; et Valville, le notaire. Les rôles de femmes ne sont pas si importans ; mais ils sont rendus par des actrices qui savent en faire valoirde plus considérables : Melle. Adeline est chargée du personnage de Georgette : Melle. Delille est la sœur de M. Dorvillé ; Melle. Emilie Levert, celle de Valberg. On convient généralement que cette comédie est une des meilleures que Picard ait fait paraître dans ces dernières années. (17 mai 1806.)
L’Esprit des journaux français et étrangers, tome VI, juin 1806, p. 279-287 :
[Le critique tient à montrer que la pièce de Picard a une portée plus grande qu’il pourrait paraître, et il la rattache à de bien belles questions philosophiques. La pièce est une nouvelle preuve de la capacité de l’auteur d’observer les caractères des hommes, qui n’agissent qu’à la recherche d’une sorte de récompense. Après la pièce d’Etienne et Nanteuil qui fait de la faveur le moteur du monde, Picard nous propose une pièce qui montre uen société mue par le désir de fortune, et il emploie pour cela l’image des marionnettes que seraient tous les hommes : au lieu d’un personnage principal, c’est toute une galerie de personnages qu’il montre payant « un tribut égal à l'intérêt et à la vanité ». Le critique analyse ensuite l’intrigue qui montre la transformation que produit chez un homme une fortune aussi inattendue qu’imméritée. Le public a saisi le sens de cette peinture un peu effrayante des hommes, qui enlève un peu de sa gaîté à la pièce. Le critique souhaite d’ailleurs que le rôle symbolique du directeur des marionnettes soit encore plus valorisé, que tout passe par ses mains manipulatrices. Si on peut discuter la construction de la pièce, on en peut que reconnaître la qualité remarquable du dialogue, « naturel, vif et facile », et rempli de traits d’esprit. L’interprétation est elle aussi remarquable.
La pièce d'Etienne et Gaugiran-Nanteuil citée dans l'article s'intitule en fait l'Espoir de la faveur, et devient les Effets de la faveur par contamination avec le titre de la pièce de Dieulafoy, Chazet et Gersin, Thomas Muller ou les Effets de la faveur.]
Un Jeu de fortune, ou les Marionettes.
Le chapitre où Montaigne devise sur l'inconstance de nos actions et ce vers d'Horace,
Ducimur, ut nervis alienis mobile lignum,
doivent avoir donné à M. Picard l'idée de sa comédie nouvelle, intitulée : Un Jeu de Fortune, ou les Marionettes. La première représentation de cette comédie, en cinq actes et en prose . a obtenu hier un succès complet au Théâtre de l'Impératrice.
L'auteur, fidèle au système auquel il doit tous ses succès, c'est-à-dire s'attachant toujours à peindre les hommes tels qu'ils sont et tels qu'il les voit, a mis en action cette vérité, que les circonstances, l'intérêt et les passions sont des mobiles qui influent presqu'également sur la conduite et les opinions de tous les hommes ; que celui qui se croit le plus libre de cette influence, est souvent le plus près d'y céder : nous n'allons pas, dit Montaigne, on nous emporte ; nous changeons, dit-il encore, comme cet animal qui prend la couleur du lieu où on le fait coucher. Il ne s'agissait pas de démontrer cette vérité qui est de tous les temps et de tous les jours ; mais son application et son développement pouvaient être le sujet d'une bonne comédie. M. Picard l'a senti, et il ne lui fallait qu'appercevoir ce sujet pour en tirer le parti le plus heureux.
Si cependant nous connaissons bien sa manière de voir, ses idées sur la nature des choses et le caractère de l'homme en général, nous croyons qu'on serait injuste à son égard, si on pressait trop les conséquences de son système, et si on l'accusait ici d'un rêve philosophique, tandis qu'il n'a voulu que peindre ce qui est. Cet auteur a trop bien observé l'homme et la société, pour ne pas savoir que cette influence des événemens, cet intérêt qui nous indique telle ou telle conduite, cette passion qui nous entraîne vers tel ou tel objet, sont les ressorts nécessaires à l'action et à l'existence du corps social. Quel homme travaillerait sans l'espoir de la richesse ? Quel soldat combattrait sans l'amour de la gloire ? Qui serait époux et pere, s'il n'avait été vivement épris ? Supposez une réunion d'hommes impassibles, étrangers à l'influence de tout événement, de tout intérêt et de toute passion, elle sera l'image du genre humain en léthargie. L'auteur ne nous veut donc ni insensibles, ni désintéressés, ni sans désir, ni sans ambition même ; mais en offrant le tableau fidèle de ce que l'homme est presque toujours, quand son intérêt ou sa vanité sont vivement excités, il croit avoir atteint son but, si, parmi ses nombreux spectateurs, un seul peut sortir avec plus de fermeté d'ame dans la bonne ou mauvaise fortune, avec une plus solide résolution de ne lier son intérêt qu'à l'intérêt de tous, avec plus de force pour combattre toute passion qui ne serait pas noble et généreuse.
MM. Etienne et Nanteuil, dans une comédie intitulée les Effets de la Faveur, ont déjà peint l'influence qu'exerce sur tous les hommes un changement dans leur position ou dans celle de leurs semblables : dans leur pièce, l'idole était la faveur ; ici elle est la richesse : c'est avec la richesse que changent ici tous nos personnages l'un après l'autre ; c'est autour d'elle qu'ils se grouppent ; c'est elle qu'ils encensent, qu'ils flattent avant de la posséder ; c'est elle qui leur fait tourner la tête quand ils l'ont obtenue. L'auteur a intitulé sa pièce les Marionettes : il établit en effet, en commençant, que nous sommes tous plus ou moins marionettes, et sa piece n'est autre chose qu'un véritable jeu de marionettes, une de ces Sablière sur le petit théâtre de laquelle paraissent successivement, montent et redescendent certaines grotesques figures. Ici la mécanique consiste dans la roue de fortune. On voit tous les personnages s'approcher d'elle successivement, en suivre tous les mouvemens, s'y attacher sans trop de précaution, monter et disparaître avec elle. Ainsi chacun d'eux, à chaque échelon de la roue, a la même physionomie qu'y montrait son prédécesseur ; tous tiennent successivement le même langage dans la même position ; tous sont pauvres et modestes, ambitieux et flatteurs, riches et vains tour-à-tour : c'est à-peu-près ainsi qu'un célèbre voyageur moderne établit que la végétation est égale dans les degrés de la même latitude , et que par-tout le sol dans des positions semblables donne à-peu-près les mêmes fruits.
On ne trouve donc pas dans cette comédie le portrait d'un personnage principal, mais celui d'un assez grand nombre d'individus qui, tous dans une situation commune, paient un tribut égal à l'intérêt et à la vanité. L'auteur semble les conduire , l'un après l'autre à la prospérité, comme pour les soumettre à une pierre de touche. On ne pouvait prouver avec plus d'art combien cette épreuve est difficile, mettre plus de variété dans la répétition d'une même expérience, et choisir avec plus de talent, suivant les divers états, le ton de couleur qui leur était propre.
Dans le court espace accordé par la loi dramatique à l'auteur d'une comédie en cinq actes, celui d’un Jeu de fortune ruine un nouvel enrichi, et fait de son voisin, misérable écrivain de village , le légataire universel d'un millionnaire, mort dans l'Inde. Ce pauvre hère se croyait l'homme d'Horace, le stoïcien par excellence ; il s'en vantait du moins devant un sien camarade de collège, devenu directeur de marionnettes après avoir fait autant de métiers que de voyages : mais sa philosophie ne résiste pas au caprice heureux de la fortune : la fumée de l'ambition et de l'orgueil monte à sa tête ; il achette le château et courtise la sœur du voisin ruiné ; il devient infidèle à une petite paysanne, sa cousine ; bientôt il veut arrondir sa fortune par un grand mariage et une grande place ; il protégera les lettres et les arts, distribuera des travaux, des pensions et des récompenses ; on le méprisait hier, on le flatte aujourd'hui, et il a vu passer de son côté, avec les domestiques et les chevaux qu'il a achetés, les amis du château, selon l'expression comique de l'un d'eux. L'enrichi ruiné veut rétablir sa fortune en devenant son beau-frère ; un aigrefin au langage sentimental lui tend le même piége, enfin le directeur des marionnettes s'oublie lui-même ; il cède à l'influence commune, et après lui avoir emprunté dix mille francs pour acheter des comédiens qui ne soient pas de bois, il finit par lui proposer sa fille, qui, dans six ans, sera d'âge à se marier..... Notre légataire est sur le point de succomber aux séductions de ses nouveaux amis intimes , lorsque le directeur des marionettes imagine de le désabuser par une ruse de comédie. Il présente une lettre du colon défunt, qui donne lieu de craindre un codicile défavorable è l'héritier reconnu , et avantageux à la jeune paysanne, oubliée et trahie. L'héritier ouvre alors les yeux, reconnaît ses torts, se plaint d'avoir été riche un moment, et d'avoir perdu , avec ses biens d'un jour, l'estime de ses amis et la sienne propre. Le château et les amis, qui en sont inséparables, sont déjà à la disposition de la petite Georgette, dont le père va rendre mépris pour mépris à ceux qui l'ont insulté ; mais la jeune paysanne fait exception à la règle commune ; son ame est naïve et pure : son cousin fut ingrat , mais elle est bonne, et lui donne sa main et sa fortune avant d'apprendre que la nouvelle du codicile était une épreuve et une leçon.
Le publie a paru reconnaître, dans cet ouvrage, tous les défauts que l'on a reprochés jusqu'ici à son auteur, mais aussi plus de force, un talent plus mûri et un but plus moral, et non moins comique que de coutume. La pièce serait extrêmement gaie, si elle n'était pas effrayante de vérité, et si, au moment de rire, le spectateur, frappé de l'exactitude du tableau, n'était pas forcé de faire sur lui-même un retour qui suspend un peu ce premier mouvement de gaîté : l'auteur est fait pour apprécier à sa juste valeur cette sorte d'éloge bien rare au théâtre, et que les maîtres de l'art ont seuls obtenu : il conviendra facilement, au surplus, que la conduite de sa pièce est un peu précipitée ; que les incidens. s'y entassent plus encore qu'ils ne s'y pressent ; qu'il y a plus d'indications que de développemens, plus de mouvement de que de scènes, et plus d'abondance que de choix et d'originalité dans les movens d'intrigue Peut être aussi le personnage le plus neuf de la pièce, le directeur des marionettes ne fait il pas assez son métier : il semble que cet homme étant mis en scène , pour prouver que tous les autres sont des marionettes et qu'il en est une lui-même, personne ne devrait faire un mouvement sans qu'il n'eût remué un fil ; or, il n'attache réellement ses fils qu'au cinquième acte ; et pendant les quatre premiers les grandes marionettes jouent toutes seules.
Quelle que soit au surplus la diversité des opinions sur la contexture de l'ouvrage, il n'y en aura qu'une sur le mérite du dialogue : il est naturel, vif et facile, et étincelle, on peut le dire, de traits d'un comique excellent, de mots qui feront fortune, de réparties fines et naïves si bien amenées par la situation, si conformes au ton de chaque rôle, que jamais l'auteur ne s'y montre derrière le personnage, et ne brille aux dépens de la vérité.
La pièce est jouée avec l'ensemble, la rapidité et la chaleur qu'elle exige : Vigny y remplit sur-tout le rôle de l'héritier avec ua naturel inexprimable : Picard et lui marquent avec beaucoup d'habileté, d'acte en acte, la gradation, l'un de son humiliation dans l’infortune, l'autre de son insolence dans la prospérité. Picard, jeune , et Clozel, méritent aussi beaucoup d'éloges, et sont très-bien secondés par les autres acteurs : mais en empruntant le titre de la pièce , et en pensant à ce qu'elle veut prouver, pourrait-on demander lequel a le plus à se féliciter, ou de telles marionettes d'avoir un si excellent directeur, ou du directeur d'avoir de si bonnes marionettes ?
Rapports et discussions de toutes les classes de l'Institut de France sur Les Ouvrages admis au Concours pour les Prix décennaux (Paris, novembre 1810), p. 26-27 :
Un Jeu de la fortune ou les Marionnettes, comédie en prose, par M. Picard, représentée en l'an 1806.
Cette comédie est une des meilleures qu'ait données M. Picard, dont le talent s'est montré aussi fécond que naturel. Elle a un but moral, développé dans une action comique et gaie. Ce but s'annonce dès la première scène : c'est de montrer que les hommes ne sont que des espèces de marionnettes, dont la fortune fait mouvoir les fils à son gré. On voit, dès le début, que l'auteur dispose tous les incidens de la pièce de manière à mettre en évidence cette idée morale. Marcellin, maître d'école du village, qui s'est fait écrivain public et s'est établi à la porte d'un château, se trouve tout-à-coup, par le testament d'un oncle mort dans les colonies, héritier de cinquante mille écus de rente ; et, dans le même instant, le maître du château apprend qu'il vient de perdre toute sa fortune. Marcellin achète sur-le-champ le château et tous les meubles, et les amis du premier passent subitement au nouveau seigneur. Marcellin, malgré un fonds de bon sens et de bonhomie, s'enivre de sa fortune ; il prend un peu de l'insolence qui, dans l'ancien seigneur, a déjà fait place à des manières très-humbles, et il est près de renoncer à Georgette, jolie et sage paysanne qu'il aime véritablement, dont il est véritablement aimé, et qu'il étoit sur le point d'épouser. Gaspard, directeur de marionnettes, qui se trouve là par hasard, est un ancien ami de Marcellin, qui se pique de philosophie, et imagine un stratagème pour corriger son ami de sa folie. Il produit un second acte testamentaire qui prive Marcellin de la succession, et la fait passer à Georgette. Celle-ci, plus généreuse que son amant, lui offre de partager sa fortune ; mais on produit un troisième acte qui rend tout l'héritage à Marcellin, en léguant seulement 30,000 francs à Georgette, et ils s'épousent.
Cette pièce est fondée, comme on le voit, sur des événemens très-romanesques, que l'auteur n'a pas même pris 1a peine d'expliquer suffisamment. Depuis le deuxième acte jusqu'au dénouement, l'action est vague, décousue. Les mouvemens des personnages n'y sont pas motivés, et l'intérêt, comme le comique, va en décroissant. La supposition des testamens opposés n'a aucune vraisemblance, et c'est d'ailleurs un moyen trop usé dans les comédies.
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