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Le Voyageur fataliste
Le Voyageur fataliste, comédie en trois actes et en vers, d'Armand Charlemagne ; 19 août [1806].
Théâtre de l'Impératrice.
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Titre :
Voyageur fataliste (le)
Genre
comédie
Nombre d'actes :
3
Vers / prose
vers
Musique :
non
Date de création :
19 août 1806
Théâtre :
Théâtre de l’Impératrice
Auteur(s) des paroles :
Armand Charlemagne
Almanach des Muses 1807.
Le Voyageur fataliste n'a pu échapper à sa mauvaise étoile : il a borné ses courses à quelques apparitions qui n'ont point excité la curiosité.
Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Barba, 1806 :
Le Voyageur fataliste, comédie en trois actes, en vers ; Par M. Armand Charlemagne. Représentée, pour la première fois, à Paris, sur le théâtre de l’Impératrice, le 19 août 1806.
Courrier des spectacles, n° 3482 du 20 août 1806, p. 3 :
Le Voyageur fataliste a presque vu borner ses courses au Théâtre de l’Impératrice. En général, il a paru froid, bavard et peu intéressant ; mais en homme qui a vu du pays, il s’est tiré habilement de quelques mauvais pas ; on a applaudi à son esprit, et c’est ce qui a prolongé et ce qui probablement prolongera encore son voyage.
L’auteur est M. Charlemagne.
Courrier des spectacles, n° 3483 du 21 août 1806, p. 2-3 :
[La nouvelle pièce de Charlemagne n’enthousiasme pas le critique, qui lui préfère une autre pièce du même auteur, les Deux voyageurs ou les Voyageurs : la nouvelle pièce est bien écrite, mais froide. Ele repose sur le seul personnage principal, le seul à savoir la vérité, qu’on commence seulement à deviner dans le cours du troisième (et dernier) acte. Toute la pièce repose sur ce secret que l’auteur a su ménager. Le secret, c’est celui d’un homme qui arrive chez un baron allemand. Il est mal vêtu, affamé, ans rien. Il est reçu par les lois de l’hospitalité, mais il constitue un mystère bien inquiétant. Pris pour « un prince déguisé », il finit par révéler qui il est, un homme de théâtre, victime de brigands. Le critique ne dit pas ce qui découle de cette révélation. Il se limite à un jugement assez sévère : la pièce ne paraît guère originale, et il a dû couper dans ses sources pour construire sa propre pièce, qui « a encore quelques scènes gaies et des vers marqués au bon coin ». Mais il faudrait « faire quelques corrections dans les endroits qui ont déplu au public ». Jugement positif pour les interprètes, qui ont « joué agréablement ».]
Théâtre de l’Impératrice.
Le Voyageur fataliste.
M. Charlemagne paroit affectionner particulièrement les voyageurs ; il les traite avec beaucoup d’aisance et de gaîté ; mais quelquefois il s’oublie avec eux, et son esprit ne parvient pas toujours à prévenir ou à corriger les travers qu'il prend avec eux. Ses premiers Voyageurs sont encore les plus aimables. Son Voyageur fataliste semble arriver des régions glaciales ; il dit souvent de fort jolies choses en fort jolis vers, mais sa présence ne réchauffe point la scene ; et tandis qu’autour de lui tout s’emeut, tout s’agite, tout se donne de grands mouvemens, lui seul, personnage principal, voit tout, souffre tout et consent à tout sans se déranger. Ce n’est qu’au troisieme acte qu’il commence à donner quelque signe d’existence, en agissant, en s’amusant de la crédulité de ses hôtes ; jusques là on ne s’en étoit apperçu que parce qu’il s’étoit presenté et qu’il avoit parlé pour dire toute autre chose que ce qu’il devoit dire. L’auteur paroit cependant avoir eu un but plaisant dans la maniere dont il a conduit son intrigue. Il a cherché à cacher, durant deux actes et demi, l’état de son héros, et en effet il en est résulté pour les spectateurs un motif de curiosité qui, peut-être, n’a pas peu servi à prolonger l’existence de la pièce. Sous ce point de vue, l’auteur mérite des éloges pour son adresse. Tâchons de l’imiter dans l’analyse. La scène se passe en Prusse, à Berlin.
Un Baron allemand, fier de son mince emploi dans la magistrature, ne rêvant que finances, guerre, projets de réforme, etc., et sur-tout jaloux de sortir de sa sphère, pour paroitre, par quelque moyen que ce soit, sur un plus vaste théâtre, est sur le point de marier sa fille avec Charles, officier que le Roi vient de nommer intendant de ses jardins, avec un revenu de dix mille florins. Déjà les ordres sont donnés pour le mariage, le jour est fixé et l’épithalame doit enflammer le cerveau du poëte du château, espèce de bel-esprit, mielleux et vrai caméléon. Un étranger se présente, on l’admet. Son air, ses habits ne préviennent pas en sa faveur, mais il a besoin de déjeuner, on le restaure. Durant ce tems, le Baron consulte le poëte. Il n’a pas trop bonne opinion de l'inconnu. Si c’étoit un frippon ! Ce mot seul fait frémir le maître du logis et le décide. Le poète est chargé de renvoyer le nouveau venu, et s’acquitte effectivement de sa commission.
L’Etranger part, et entre dans les jardins de Roi. Le Monarque assis près d’une statue, et le voyant venir, le reconnoît, et témoigne assez haut sa surprise de voir ainsi vêtu un homme qu’il a vu plusieurs fois traîné sur un char triomphal et au faîte des grandeurs. Charles qui exerçoit pour la premiers fois sa charge d’intendant des jardins, est frappé de cette réflexion. Soudain il vient faire son rapport à son beau-pere futur, qui ne doute plus que l'Etranger ne soit un prince déguisé, et qui, pour réparer son incivilité, l’envoie inviter à dîner. L’inconnu ne s’y refuse pas. La providence est grande, dit il ; d’ailleurs, à la vue d’une bonne table, il n’a garde de conserver la moindre rancune. Cependant Charles a fait avertir prudemment le tailleur du Roi, qui apporte à l’Etranger un habit magnifique et tout le costume d’un prince. Ainsi caparaçonné, mais cependant sans témoigner ni gêne, ni étonnement, notre héros se met à table. Le Baron qui ne perd pas de vue la Cour, et qui espère tout au moins un ministère, lui parle de ses plans, de ses écrits, de ses commentaires ; le poète bel-esprit lui vante sans affectation ses petits vers, ses bouts-rimés, ses énigmes insérées dans les journaux, la beauté de sa voix et ses succès dans l’opéra comique, où il joue Pierrot. Tous deux se recommandent à sa Grandeur. Le baron fait plus, il oublie ses engagemens avec Charles, et ne soupire qu’après l’honneur d’avoir un grand seigneur pour gendre ; mais l’Etranger dérange un peu son plan, en avouant qu'il est marié. Enfin, pressé de répondre sur sa profession, il demande que le Poëte, que Charles et la fille du Baron soient présents. Alors il se découvre ; c’est tout simplement un directeur de comédie, acteur et auteur, que des voleurs ont dépouillé la veille sur la route, et à qui il» n’ont laissé qu’une méchante redingotte, après lui avoir pris son argent et son cheval, et lui avoir souhaité bon voyage.
Cette pièce ressemble un peu, pour les détails et pour le but, aux Conjectures de Picard, à l’Espoir de la faveur et à l’Habitant de la Guadeloupe. Les coupures que l’auteur a été obligé d’y faire ont sans doute beaucoup affoibli le mérite de sa comédie, mais il y a encore quelques scènes gaies et des vers marqués au bon coin, qui décèlent un homme d’esprit. Il fera bien de faire quelques corrections dans les endroits qui ont déplu au public.
Cet ouvrage est joué agréablement par MM Picard, Barbier, Clozel, Valville, et par Mlle. Adeline.
L’Habitant de la Guadeloupe est une comédie en trois actes, de Louis-Sébstien Mercier, publiée à Neuchatel en 1782, dont la base César donne une longue liste de représentations sur divers théâtres de Paris, à partir de 1786.
Mémorial dramatique, ou almanach théâtral pour l'an 1807, p. 97-99 :
[Une analyse de l’intrigue, suivie d’un jugement positif : idée ingénieuse, bonne versification, une bonne pièce d’Armand Charlemagne.]
Le Voyageur fataliste, comédie en 5 actes , en vers , de M. Charlemagne. (19 août.)
Le voyageur fataliste est un directeur de comédie, acteur et auteur, que des voleurs ont dépouillé sur la route ; il va demander l'hospitalité chez M. Volf, baron allemand ; son air et ses habits ne préviennent pas en sa faveur, mais on lui donne à déjeûner, ensuite on le renvoie sur sa bonne mine ; c'est M. Benoni, précepteur de la maison qui lui signifie son congé. Le voyageur part et entre dans le jardin du roi ; le roi témoigne, en le reconnaissant, sa surprise de voir ainsi vêtu un homme à qui il a vu une couronne sur la tête, et traîné sur un char de triomphe. Charles, jeune officier du roi, ami de M. Volf, et prêt à devenir son gendre, a entendu l'exclamation du roi ; il accourt pour reprocher à son futur beau-père son incivilité à l'égard du voyageur, qu'il soupçonne un grand personnage. M. Volf est au désespoir, il charge Charles de faire au voyageur ses très-humbles excuses, et de l'inviter de sa part à dîner. Le comédien se rend de bonne grâce à cette invitation ; Volf le comble d'honneurs ; il s'imagine que c'est un grand prince voyageant incognitò. Le tailleur du roi apporte un habit magnifique au voyageur ; celui-ci l'endosse sans paraître surpris de la richesse du costume, ce qui persuade davantage au baron que l'étranger est un prince. Volf, plein d'ambition, lui parle de ses plans et de ses écrits sur les finances ; oubliant même ses engagemens avec Charles, il soupire après l'honneur d'avoir un grand seigneur pour gendre ; mais le comédien déclare qu'il est marié.
Enfin, après avoir bien joué la comédie, et avoir pris sa part du repas somptueux, voyant éclater dans tous les yeux le désir de savoir qui il est , il commence d'un ton de héros de théâtre, une pompeuse énumération de tous les titres de sa profession, et finit par dire le grand mot, en se proclamant comédien.
L'idée de cette comédie est fort ingénieuse ; on y remarque une versification aisée et agréable. Le voyage du fataliste a été très-heureux ; le talent de l'auteur l'a mis à l'abri des accidens qui arrivent souvent en pareil cas.
Les principaux rôles sont bien joués.
Succès mérité.
L’Esprit des journaux français et étrangers, année 1806, tome IX (septembre 1806), p. 278-285 :
[Titre trompeur selon le critique, qui fait imaginer qu’on a affaire à une pièce sur le Destin, quand il s’agit simplement d’un « comédien de campagne » mystifiant ses hôtes (mystifier ses hôtes, ce n’est pas nouveau au théâtre en ce temps). Curieusement, ce comédien a l'apparence d’un moraliste triste, d’un pédant sentencieux : le critique l’aurait préféré en personnage à la Gil Blas, « vif et gai », comme le comédien du roman de Lesage. L’intrigue est sans surprise : le comédien arrive chez ceux qu’il va tromper, en leur racontant avoir été agressé et dépouillé. Nourri, il est ensuite mis dehors, mais un malentendu le fait passer pour un grand du royaume, et l’hôte tente de le retrouver pour le traiter selon son rang supposé, et le comédien se laisse bien entendu faire et pousse la complaisance jusqu’à faire la cour à la fille de la maison. Le précepteur de la maison est pour le critique le second comique de la pièce, par sa niaiserie et sa prétention. Mais les meilleures choses ont une fin, et le comédien repart en laissant la fille de la maison épouser un ami de son père. Le critique trouve « l'idée de cette comédie [...] ingénieuse et plaisante », mais il egrette une certaine lourdeur dans les deux premiers actes. Les deux acteurs principaux sont excellents. Pièce bien conduite, bien versifiée : c’est un bon exemple de ce qu’Armand Charlemagne sait faire...]
Théâtre De L'impératrice.
Le Voyageur fataliste.
On a singulièrement abusé ici du privilége qu'ont les poètes dramatiques de donner à des riens des titres pompeux. Le Voyageur fataliste présente l'idée d'un philosophe errant qui, dans de longs voyages, jouet des événemens et du sort, se soumet aux décrets éternels avec une résignation stoïque : il semble que ce voyageur soit une espèce d'Enée, poursuivi par les destins sur la terre et les mers :
Terris jactatus et alto
Vi superum.
Ce n'est point du tout cela. Ce sage vagabond n'est qu'un comédien de campagne, directeur d'une troupe foraine : c'est un histrion ambulant, qui vit sans souci, prend les événemens comme ils viennent et s'amuse à mystifier ses hôtes : il n'y a dans son fait ni fatalité, ni destinée, ni course lointaine. J'ignore par quel motif l'auteur a voulu faire de ce comédien un moraliste très-grave, et par conséquent froid et triste : il ne parle que de la providence, de l'ordre immuable des destinées, de la volonté de l'Etre-Suprême; il abonde en sentences sur le néant des choses humaines, sur la mort qui met tout de niveau, sur la vanité et la sottise des hommes : on dirait qu'il répète, chemin faisant, des passages de mélodrames ; c'est une froide mystification : cette affectation de philosophie répand sur la pièce une teinte un peu sombre, et souvent glace la scène.
Pourquoi n'a-t-on pas donné au comédien une physionomie plus riante ? L'ouvrage ne pouvait qu'y gagner. Ce pédantisme d'un histrion embéguiné de morale, ne paraît point naturel ; j'aurais mieux aimé un homme vif et gai, se moquant de tout, tel que Melchior Zapata, dont Le Sage a tracé, dans son Gil-Blas, une si agréable peinture : ce comédien espagnol a son habit doublé d'affiches de comédie ; il trempe des croûtes de pain dans la première fontaine qu'il rencoutre sur sa route; et ne refuse point un meilleur repas quand le hasard le lui présenté. On vient de le siffler à Madrid ; il n'en fait que rire ; et c'est assurément dans un comédien le dernier degré du stoïcisme. La plus grande fatalité qu'il y ait dans son étoile, c'est la sagesse de sa femme ; il est-étonné, confondu : qui diable, dit-îl, n'y aurait pas été trompé comme moi ; il faut que parmi les comédiennes de campagne, il s'en trouve une vertueuse, et qu'elle me tombe entre les mains ! Cependant il supporte gaiment ce malheur, et vit dans l'espérance que sa femme se corrigera : voilà, certes, un voyageur fataliste de bonne humeur, et bien plus comique que celui de la nouvelle comédies.
Ce dernier entre sur la scène dans l’équipage d'un homme qui sort d'un bois où il a été pillé par des voleurs. A l'entendre, on lui a volé un très-bel habit et deux cents pièces d'or : les directeurs de troupes foraines voyagent rarement avec d'aussi grosses sommes ; quand ils ont payé leurs acteurs, ils se trouvent ordinairement dans un état à pouvoir chanter devant les voleurs :
Cantabit vacuus coram latrone viator.
Cet homme, dont l'extérieur est très-suspect, demande l'hospitalité dans la maison de M. Volf, riche particulier de Berlin. On lui donne bien à déjeûner ; mais ensuite on le renvoie sur sa bonne mine : c'est M. Bénoni, précepteur de la maison , qui est chargé de lui signifier son congé. Le voyageur disparaît, on croit qu'il n'en sera plus question, lorsque tout-à-coup M. Ernest, jeune officier du roi, ami de M. Volf, et prêt à devenir son gendre, accourt tout effaré pour lui reprocher son incivilité à l'égard du voyageur. Il a trouvé cet aventurier dans les jardins du roi, et il a entendu le roi dire, en regardant cet inconnu: Voilà donc l'homme que j’ai vu la couronne en tête, traîné sur un char de triomphe ! De ces paroles il a conclu que l'étranger était quelque grand personnage très-connu du roi.
Tout autre que M. Volf n'aurait fait que rire de ce discours, ou peut-être en eût soupçonné le mystère ; mais M. Volf est un original, un fou possédé de la manie de parvenir et de faire parler de lui à la cour : c'est un homme à système, à rêves creux, infatué de politique et de diplomatie ; il se croit appellé à gouverner l'état, et soupire après l'instant heureux où il pourra révéler au roi toute sa science. Le rapport de son gendre futur le met au désespoir : il prend les paroles du roi au pied de la lettre ; il charge M. Ernest de faire au voyageur de très-humbles excuses, et de l'inviter de sa part à dîner.
Le comédien se rend de bonne grace à cette invitation. Volf s'imagine voir sous la guenille dont il est revêtu, quelque grand prince voyageant incognito : il le comble d'honneurs ; tous ses laquais, bien parés, sont là pour servir l'inconnu. Un changement de décoration qui se fait tout-à-coup dans sa personne, double la folie du politique ambitieux. Le tailleur du roi apporte à l'aventurier un habit tout éclatant d'or ; celui-ci l'endosse sans façon, et ne paraît pas surpris de cette magnificence : c'est alors qu'on ne peut plus douter dans la maison que ce ne soit un prince. On apperçoit ici quelque ressemblance avec la comédie du Portrait du Duc, dont la principale situation est la même, si ce n'est que dans l'une c'est un officier, et dans l'autre c'est un comédien qui passe pour un prince.
Après un dîner somptueux, le comédien, dont la morale s'est un peu déridée, fait quelques complimens à la fille de M. Volf : le vieux fou ne va-t-il pas s'imaginer que le prince est amoureux de sa fille, et pourrait bien l'épouser ? Ce rêve est assez court; car le comédien déclare qu'il est marié : légère réminiscence de Madame Guibert dans la petite Ville. M. Volf est bien forcé de renoncer à l'espoir d'avoir le prince pour gendre ; mais il ne renonce pas à t'avantage de l'avoir pour protecteur auprès du roi : il implore sa faveur ; et pour le convaincre du mérite d'un protégé tel que lui, il présente à son altesse tous ses plans, tous ses manuscrits, et le presse d'en faire la lecture. Le comédien se garde bien d'y toucher, dans la crainte de faire une fort mauvaise digestion d'un excellent dîner ; il aime beaucoup mieux s'égayer de la ridicule crédulité de M. Volf, et sur-tout de l'imbécillité du précepteur Bénoni.
Il faut dire un mot de ce précepteur, le second personnage comique de la pièce.
Nous avons vu que M. Volf avait ordonné à ce précepteur de congédier l'étranger ; mais depuis que dans son esprit l'étranger est devenu prince, il veut, en grand politique,que le précepteur prenne sur son compte cette violation dé l'hospitalité, et contrefasse l’imbécille pour rendre l'aveu moins odieux. Le précepteur, qui est un bel-esprit, un faiseur de petits vers, un espèce de Trissotin, est étrangement scandalisé de la proposition ; mais il se soumet de peur d'être chassé. M. Volf, pour donner au prétendu prince une satisfaction éclatante, assemble devant lui tous ses domestiqués dont le précepteur fait partie : il les interroge, et tous s'obstinant à nier, le poids de l'accusation tombe sur le malheureux précepteur. Volf l'accable d'invectives : Bénoni s'excuse comme un niais, et ne joue pas mal son rôle ; mais pour prendre sa revanche, il vient après le dîner faire la cour au prince dramatique, et le divertit beaucoup par les efforts qu'il fait pour montrer de l'esprit.
Enfin après avoir assez joué la comédie, l'histrion ambulant juge qu'il est temps de se démasquer et d'abdiquer sa principauté. Voyant éclater dans tous les yeux une vive curiosité de savoir qui il est, il consent, en bon prince, à satisfaire la compagnie. Après avoir débité, du ton d'un héros de théâtre, une longue et pompeuse énigme, où tous les attributs de sa profession sont décrits en haut style, il dit le mot, le grand mot, attendu avec impatience : au grand étonnement des auditeurs, il se proclame comédien, et. offre au précepteur une place de Gilles ou de Pierrot dans sa troupe. M. Volf, qui avait fait mettre les chevaux à son carrosse neuf pour reconduire le prince, les fait ôter sur-le-champ, sous prétexte qu'ils ne se portent pas assez bien pour reconduire un comédien. (Nouvel emprunt fait à Madame Guibert.) Le comedien s'en retourne à pied; M. Ernest épouse la fille de M. Volf; et M. Volf attend une meilleure occasion de se produire à la cour.
L'idée de cette comédie est ingénieuse et plaisante ; l'exécution le serait davantage si le Voyageur fataliste était moins empesé et moins sentencieux dans les deux premiers actes : il s'humanise dans le dernier, et devient beaucoup meilleur. Les rôles de M. Volf et de Bénoni sont très-chargés, mais ils font rire ; et ce qui les fait valoir, c'est qu'ils sont parfaitement joués, le premier par Picard aîné, le second par Clozel. On sera moins surpris de la supériorité de Clozel dans les niais, si l'on fait attention à l'extrême affinité que j'ai déjà observé entre un niais et un fat : la différence n'est que dans certaines formes ; au fond c'est la même chose. La pièce est bien conduite ; on y remarque cette versification facile, et souvent heureuse, qui distingue les productions de M. Armand Charlemagne.
L’Esprit des journaux français et étrangers, année 1807, tome I (janvier 1807), p. 296 :
[Il s’agit de représentations au Théâtre de Bruxelles.]
Le Voyageur. fataliste, jolie comédie en 3 actes de M. Charlemagne, a été jouée pour la première fois. Elle est écrite avec esprit et facilité, et n'est point au-dessous du talent connu de son auteur.
M. Folleville joue bien le voyageur. M. Lagarenne à qui le rôle appartient y aurait encore été mieux.
Je ferai la même réflexion au sujet de M. Huet, chargé du personnage d'un financier. M. Dubreuil ou M. Paulin y auraient été plus à leur aise.
Mlle. Morland et M. Bourson jouent bien les deux amoureux. Les deux rôles saillans de la pièce sont le voyageur et le financier qui, riche et heureux, ne rêve que politique et diplomatie, et veut devenir ministre, non par cupidité mais par ambition. Ce caractère est vrai, et je l'ai souvent rencontré dans différentes sphères.
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