La Jeune femme colère (comédie)

La Jeune femme colère, comédie en un acte et en prose, d'Étienne ; 28 vendémiaire an 13 [20 octobre 1804].

Théâtre de l'Impératrice.

Titre :

Jeune femme colère (la)

Genre

comédie

Nombre d'actes :

1

Vers ou prose ,

en prose

Musique :

non

Date de création :

28 vendémiaire an 13 [20 octobre 1804]

Théâtre :

Théâtre de l’Impératrice

Auteur(s) des paroles :

Étienne

Almanach des Muses 1806.

Une jeune femme, naturellement sensible, mais d'un caractère très-emporté, vient de s'unir à celui qu'elle aime. Son nouvel époux entreprend de la corriger : il affecte, à la moindre contrariété, une colère extrême, maltraite ses gens, les congédie, désole tout le monde, et fait sentir ainsi à sa femme combien de tels excès sont honteux. Celle-ci rentre en elle-même, et promet de se corriger.

Ouvrage bien conçu et bien exécuté. Succès brillant.

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez M.e Masson, an XIII (1804) :

La Jeune femme colère, comédie en un acte et en prose. Par C. G. Étienne. Représentée à Paris, sur le Théâtre de l'Impératrice, rue de Louvois, par les Comédiens ordinaires de sa Majesté l'Impératrice, le 28 vendémiaire an XIII. (20 Octobre 1804.)

Courrier des spectacles, n° 2797 du 3 brumaire an 13 [25 octobre 1804], p. 2 :

[Pas de suspens : on va parler d’une « jolie pièce » appelée à un succès durable, le chef-d’oeuvre d’un auteur connu. Et les qualités qu’elle possède sont énumérées : « bien conçu, bien pensé, bien écrit », « d’une justesse et d’une élégance précieuses », « beaucoup d’art, d’esprit et de goût ». Et c’est de surcroît une pièce profondément morale, comme toutes les pièces de l’auteur. Après cet éloge inconditionnel, le sujet est évoqué : c’est un défaut typiquement féminin, d’après le critique, à savoir la colère, pour lesquelles les femmes ont des dispositions particulières, en raison d’une plus grande sensibilité : la colère est « presque toujours l’apanage de la faiblesse », vieillards, enfants, femmes, êtres faibles. Et ses effets sont désastreux dans la vie sociale. La comédie est présentée comme un moyen de la soigner bien plus efficace que la philosophie... Étienne a choisi pour traiter ce sujet un angle intéressant : non pas « une harpie toujours furieuse », mais une femme qui a des qualités qui la rendraient aimable, si elle n’était pas si irascible. Pour l’amener à se corriger, il lui a donné un mari qui choisit de guérir le mal par le mal, et feint d’être lui aussi coléreux. Et il n’a pas surchargé son intrigue de détails inutiles. En résumé, le critique trouve tout parfait dans cette pièce, intrigue, caractères, dialogue,style : « cet ouvrage est la preuve d’un excellent esprit et d’un grand talent ». L'interprétation est elle aussi remarquable : les acteurs principaux ont été parfaits, seule celle qui incarne la « jeune femme colère » est jugée « trop douce » pour le rôle où elle devrait se laisser aller à des emportements. Mais elle progressera.]

Théâtre de l’Impératrice.

La Jeune Femme colère.

Le public reviendra souvent aux représentations de cette jolie pièce. C’est une des plus agréables productions qu’on nous ait données depuis long-tems. C’est le chef-d’œuvre de M Etienne. Tout y est bien conçu, bien pensé, bien écrit ; c’est un charmant tableau de genre dont toutes les parties sont d’une justesse et d’une élégance précieuses. Si les premières idées appartiennent à Mad. de Genlis, l’ordonnance et les couleurs appartiennent à M. Etienne, et il a le mérite de les avoir distribuées avec beaucoup d’art, d’esprit et de goût. Cet auteur s’est déjà fait remarquer par la grâce et la décence qui règnent dans ses écrits. Tout ses ouvrages ont un but honnête et moral; et si le théâtre ne nous donnoit que des sujets pareil, ce seroit une véritable école de bonnes mœurs.

La colère et l’impatience sont des défauts fort communs aux femmes. Comme leurs sensations sont plus vives que celles des hommes, leurs mouvemens ont aussi plus de rapidité et d’emportement. On a remarqué aussi que la colère est presque toujours l’apanage de la faiblesse C’est un moyen de compensation que la nature a donné aux vieillards, aux enfans, aux femmes, aux êtres débiles et impuissans. Ce défaut s’allie souvent avec un très-bon cœur ; mais il est incommode et importun dans la société ; il brouille les amis, il trouble la sécurité des familles, il rend odieux et insupportable celui qui en est atteint. Les remontrances y font peu ; l’austérité de la censure ne sert souvent qu’à aigrir le mal. Il est des travers qu’il faut attaquer par le ridicule, et que la comédie guérit beaucoup mieux que que l’école de Xantippe ou de Zénon.

M. Etienne a présenté sa Jeune Femme colère sous des couleurs intéressantes ; il n’en a point fait une harpie toujours furieuse et hors d’elle-même ; il lui a donné des qualités qui la rendent aimable et qui font désirer qu’elle renonce à son impatience et à ses vivacités.

Il lui a opposé un homme d’un caractère toujours égal, qui se fait chérir par son extrême douceur, et qui sait assez bien apprécier le mérite de sa femme pour entreprendre sa conversion. La manière dont il s’y prend, l’art avec lequel il feint d’être lui-même d’un caractère violent, les scènes qu’il joue pour montrer à sa femme les excès de la colère dans toute leur difformité, tout cela est ingénieux et d’un esprit très-juste. C’est un Lacédémonien qui montre à son fils un homme ivre, pour le mettre en garde contre les défauts de l’ivresse. M. Etienne n’a point chargé son sujet de situations et de traits inutiles ; tout est d’une mesure parfaite ; il a dit tout ce qu’il falloit dire, et rien de plus. L’intrigue, les caractères, les scènes, les pensées, le dialogue, le style, toutes les parties enfin sont tellement d’accord, qu’on reste satisfait sans rien désirer ni regretter. Cet ouvrage est la preuve d’un excellent esprit et d’un grand talent.

Cette pièce est très-bien jouée. Picard et Mad. Pélissier remplissent d’une manière très-originale les rôles de vieux domestiques. Clozel joue avec beaucoup d’intelligence et de justesse celui du jeune Epoux. Il règle bien son ton et ses gestes ; on reconnoît un acteur habile qui sait prendre 1es formes dont il a besoin ; il joue très-bien la colère.

Mlle. Adeline est peut-être naturellement trop douce pour bien rendre 1es emportemens de son rôle ; on voit que cette jeune actrice est obligée de forcer son caractère ; mais avec un peu d’attention et d’art, elle parviendra facilement à couvrir ce léger défaut.

La Revue, ou décade philosophique, littéraire et politique, an XIII, 1er trimestre, n° 4 (10 Brumaire -1er Novembre 1804),  p. 245-247 :

[Article repris dans le Nouvel Esprit des journaux français et étrangers, tome III, frimaire an XIII [novembre 1804], p. 271-274 :

[Quand un compte rendu commence comme celui-ci, on sait que la pièce ne va pas être jugée favorablement. Le premier long paragraphe qui introduit l’article attaque les auteurs dramatiques, présentés comme des gens sans imagination, se copiant les uns les autres. Dès qu’une histoire paraît, on en fait des romans, que les dramaturges transforment en pièces de théâtre en se disant le premier. Le sujet de la pièce nouvelle a suivi ce chemin : fabliau du XIIe siècle, conte de madame de Genlis, pièces, et le premier de la course est Étienne, parce qu’il a ses entrées au Théâtre Louvois, où tout va vite (le mot « vélocifère » vient juste d’apparaître...). Il n’a pas pris trop de peine : il a simplement découpé en scène le matériau de madame de Genlis, déjà riche en dialogues, et son apport est limité, mais plaisant. Le vrai problème est de savoir si le sujet se prêtait à sa mise au théâtre. Le critique ne le pense pas : comment corriger un défaut comme la colère en une demi-heure ? Un réel changement n’est pas vraisemblable. De plus, le critique juge ma pièce « un spectacle peu convenable » : « les familiarités de deux jeunes époux sont fort légitimes et fort douces pour eux ; mais l'usage du monde leur apprend à se priver de cette jouissance devant des témoin ». Les jeunes personnes venues voir la pièce risquent fort d’avoir « de coupables pensées », et ce n’est pas ainsi que le critique conçoit le rôle éducatif du théâtre.]

La jeune Femme colère.

Jamais nous n'avons eu tant d'auteurs qu'à présent, et jamais ils n'ont eu si peu d'imagination. Ils présentent le spectacle d'une nation affamée qui se jette sur les vivres qu'on lui apporte et se les arrachent. Dès qu'un sujet nouveau ou renouvelé vient à se montrer, chaque individu de la peuplade littéraire en veut avoir sa part et en tirer son profit. Est-ce une histoire ? vite deux ou trois femmes en font des romans. Les romans arrivent aux auteurs de théâtre, et aussitôt ils sont manufacturés soit en comédies légères, soit en terribles mélodrames, soit en vaudevilles badins. Le plus grand malheur de tout ceci n'est pas que le goût et le sens en souffrent ; on y est accoutumé ; mais, cela occasionne de terribles discordes dans la république des lettres. On ne voit que réclamations ; chacun veut prouver qu'il s'est le premier emparé du sujet, on prend date, on fournit des certificats :

. . . . . . . . Je l'ai vue avant vous, sur ma vie.
Eh bien, vous l'avez vue et moi je l'ai sentie.

Souvent le public les met d'accord, comme Perrin Dandin fit des plaideurs de la fable.

Cette fois, par exemple, madame de Genlis fait un conte. Elle ne l'invente pas ; car cette histoire de la femme colère, corrigée par un mari qui feint de l'être plus qu'elle, est un fabliau du douzième siècle. Il est raconté avec un peu moins de petits détails. Les traits de naturel n'y sont point indiqués en lettres italiques ; mais peut-être au fond a-t-il plus de vraisemblance. Ce conte est transformé en pièce de théâtre par trois auteurs, non pas réunis, comme on pourrait le croire, mais par chacun de son côté. Heureusement qu'il y a beaucoup de théâtres à Paris, et que chaque auteur peut avoir le sien, sans quoi cela aurait fait des querelles interminables. M. Etienne a gagné les autres de vitesse, et cela devait être ; c'est un habitué du théâtre Louvois, et ce théâtre est vraiment mené comme un vélocifère. Il est vrai que M. Etienne ne s'est pas donné une peine infinie. Il a pris le conte, qui est en grande partie dialogué, l'a coupé en scènes, sans rien changer à ce qui est ainsi disposé, et n'a pas eu grand'chose à ajouter de son propre fonds. Il faut lui rendre justice, ce qu'il y a mis ne dépare point le reste. Il y a de la vivacité et de l'esprit dans le dialogue. On y remarque des mots assez drôles. Quand je songe à la colère où je me suis mis, je suis d'une fureur.... ne laisse pas que d'être plaisant.

Malgré cet empressement de mettre un semblable sujet au théâtre, peut-être est-il permis de croire qu'il n'y était point propre. Corriger une habitude aussi forte que la colère, qui plus que toute autre tient à la disposition des organes, peut bien, dans un conte où on a le tems à sa disposition, se faire d'une manière vraisemblable ; mais quand on ne peut nous montrer la jeune femme que pendant une épreuve d'une demi-heure, il n'y a pas de raison pour que nous puissions croire à sa solide conversion. Lorsque le dénouement arrive, on s'élève contre le genre de Marivaux ; on se plaint de ce que, malgré sa profonde connaissance du cœur humain, cet auteur ne sait point rendre vraisemblables les changemens qu'il suppose dans le cœur de ses personnages. Certes il est encore plus difficile de corriger un défaut que de faire naître une passion. Il y a bien plus de transitions entre un caractère emporté et un caractère égal qu'entre l'indifférence et l'amour. Mais à présent on n'y regarde pas de si près. On trouve un conte agréable, et on se dit : j'en ferai donc une bonne pièce de théâtre.

La pièce de M. Etienne m'a paru de plus offrir, un spectacle peu convenable. Les familiarités de deux jeunes époux sont fort légitimes et fort douces pour eux ; mais l'usage du monde leur apprend à se priver de cette jouissance devant des témoins, et M. Etienne n'aurait pas dû s'imaginer que parce qu'ils sont tête à tête sur le théâtre ces tendresses leur sont permises. Cela fait venir de coupables pensées aux jeunes personnes que leurs mères ont l'habitude de mener au théâtre pour perfectionner leur éducation.               P.

Geoffroy, Cours de littérature dramatique, seconde édition, tome cinquième (1825), p. 77-87 :

M. ÉTIENNE.

LA JEUNE FEMME COLÈRE.

Madame de Genlis est devenue une espèce de professeur dramatique, qui dicte à de jeunes écoliers des matières de comédie. De ses petits contes, nos petits auteurs font de petites pièces au concours ; le public distribue les prix : quelquefois la composition est généralement mauvaise, et personne n'est couronné ; c'est ce qui vient d'arriver à l'Amoureux par surprise, aux Amans sans amour. Le professeur joue à ses disciples des tours perfides ; il tourne si bien ses sujets que chacun d'eux s'imagine y voir la besogne toute faite ; il n'y a que le sifflet qui les désabuse.

Trois ou quatre de ces chercheurs de canevas se sont jetés sur le Mari instituteur de madame de Genlis. Le sujet était heureux et piquant : ils ont travaillé à la hâte dans la crainte d'être gagnés de vitesse, se promettant bien d'escamoter un succès de priorité. Ainsi, jadis les jurés entrepreneurs de traductions, surtout de romans anglais, dépêchaient un ouvrage avec une promptitude admirable ; ce qui n'empêchait pas quelquefois qu'un confrère plus expéditif ne mît au jour la traduction à laquelle ils travaillaient encore.

Les metteurs en œuvre du Mari instituteur ont été consternés, en apprenant qu'on allait jouer la pièce de M. Étienne. Celui-ci avait l'avantage d'être attaché à Louvois, le plus expéditif des théâtres : là, une pièce est représentée, lue, reçue, apprise et jouée en moins de temps qu'il n'en faut ailleurs pour obtenir seulement une audience du semainier. Qu'on juge si les malheureux, qui s'étaient adressés au Théâtre-Français et à l'Opéra-Comique, étaient capables de lutter contre l'heureux Étienne, dont la chaloupe voguait à pleines voiles, tandis que leurs barques engravées dans le sable ne pouvaient faire aucun mouvement.

La ressource ordinaire des derniers venus est de s'inscrire en faux contre l'accusation de plagiat ; ils fixent l'époque de la réception de leur pièce avec plus d'exactitude et de scrupule qu'un historien n'en met à marquer la date d'une bataille, ou bien un géographe la position d'une ville. Quand il s'agirait d'un procès de cent mille écus, ils n'observeraient pas les formes avec plus de rigueur. Vaines précautions ! celui qui réussit est, aux yeux du public, l'auteur légitime ; le plagiaire est celui qui tombe. M. Étienne a commencé par un succès ; c'est un excellent provisoire qu'il s'est fait adjuger : ses confrères tremblans attendent leur arrêt. Il est bon de connaître toutes ces misères de la petite littérature ; on en est moins surpris de la médiocrité de toutes les bagatelles dont nous sommes accablés.

L'idée de corriger un défaut en l'imitant n'est pas nouvelle. Dans une comédie de Térence, intitulée les Adelphes, Déméa fait sentir à son frère Micion le danger d'une aveugle indulgence et d'une folle prodigalité, en faisant à ses yeux des largesses ridicules, en accordant les demandes les plus extravagantes. Dans un vaudeville, dont j'ai oublié le titre, un père corrige son fils de ses emportemens, en affectant devant lui des emportemens plus grands encore. Dans la pièce de M. Étienne, un nouveau marié guérit sa jeune femme de la colère, en faisant éclater en sa présence une colère encore plus furieuse. Sénèque et Plutarque ont composé de beaux traités sur la colère, qui n'ont jamais corrigé personne. La colère est un vice de complexion et de tempérament sur lequel la réflexion a peu de prise ; c'est particulièrement dans la première enfance qu'il faut la réprimer : c'est une espèce de maladie susceptible de guérison, quand la constitution n'est pas encore formée, mais qui résiste à tous les remèdes quand elle est devenue une seconde nature.

Ces premières années, qu'on néglige comme étrangères à la raison et à la moralité, sont précisément celles où l'on peut réformer presque tous les défauts du caractère. Cette éducation de l'enfance, qu'on regarde comme nulle, est peut-être ce qui influe davantage sur le sort de la vie, s'il est vrai, comme je le crois, que les hommes sont heureux ou malheureux par leurs bonnes ou mauvaises qualités. Le système actuel consiste à flatter tous les vices naissans qui se manifestent dès le berceau ; on les regarde comme sans conséquence : ils le sont en effet, tant que la faiblesse de l'individu ne leur permet pas de se développer ; mais ces mêmes vices, dont une mère idolâtre ne fait que rire , causeront un jour la perte de ce fils tant chéri, ou du moins empoisonneront ses jours. On s'amuse de ses petites colères, de sa mutinerie, de ses caprices, de son orgueil, de son opiniâtreté : un enfant violent, emporté et tyran, donne à sa famille des scènes comiques. Un jour ces mêmes vices l'exposeront à des scènes tragiques; il fera expier à ses parens des ris insensés par des larmes amères.

Il est peut-être trop tard pour un mari de commencer l'éducation de sa femme quand il l'a épousée ; il vaut mieux se marier à une demoiselle tout élevée. Le titre et les fonctions d'époux nuisent beaucoup aux devoirs et aux succès de l'instituteur ; et, dans nos mœurs, le mari est plutôt gouverné par sa femme, que la femme par le mari. J'ai déjà observé que cette idée du mari instituteur n'est pas neuve ; mais j'avais oublié de dire qu'elle se retrouve en partie dans Honorine, vaudeville très-connu et très-agréable, qui me paraît supérieur à la Jeune Femme colère. Ce qui choque dans la pièce de M. Etienne, d'abord c'est que l'homme s'est marié, quoiqu'il connût à sa femme ce penchant à la colère : or, l'amour seul peut l'avoir fait passer sur un tel défaut, et l'amour ne permet guère à un mari de faire l'éducation de sa femme. Ensuite il n'est pas naturel que ce mari amoureux songe à faire usage d'un moyen d'instruction aussi étrange, avant d'avoir employé les voies de la persuasion et de la douceur. Presque le lendemain de ses noces, avant d'avoir eu à souffrir de l'humeur altière de sa femme, il prend le parti de lui administrer le remède le plus extraordinaire. Que dirait-on d'un médecin qui, sur les plus légers symptômes de fièvre, prescrirait sur-le-champ à son malade l'émétique et les purgations les plus actives ?

Il n'est pas encore bien décidé qu'une femme emportée soit aisément guérie par les emportemens de son mari : le contraire pourrait bien arriver ; il serait à craindre que l'exemple ne la fortifiât dans ce vice, et qu'elle ne s'applaudît de cette conformité avec celui qui est fait pour la conduire ; peut-être même ne serait-il pas étonnant que, par une noble émulation, la femme se piquât de surpasser encore la colère de son mari. L'on conviendra que si le maître et l'élève disputaient à qui crierait le plus fort, il en résulterait un beau charivari dans la maison, et une éducation très-malheureuse. Fénélon, pour corriger le duc de Bourgogne des excès de fureur auxquels il se livrait, l'environnait de la tristesse et de la terreur ; il ne lui montrait que des visages abattus et consternés, et faisait coucher le prince comme attaqué d'une maladie dangereuse. Je doute fort que Fénélon eût réusssi, s'il eût essayé de prendre un ton plus haut que son disciple, et de s'abandonner devant lui à des excès encore plus terribles.

L'idée ne me paraît donc ni juste ni naturelle ; mais elle est ingénieuse, comique et théâtrale ; c'est assez pour une petite pièce sans conséquence.

C'est assez qu'en passant la fiction amuse ;
Trop de rigueur alors serait hors de saison.

C'est un personnage assez original que celui d'un mari qui montre dans sa personne, à une jeune femme qu'il aime, toute la difformité de la colère, la fait trembler sur les fausses fureurs auxquelles il se livre, et, sans le secours d'aucun raisonnement, d'aucune sentence, lui prouve, par des exemples frappans, combien un vice de cette nature est choquant dans une femme qui n'a d'autres armes que celles de la douceur, puisqu'il est si effrayant et si hideux dans un homme.

Le dénouement est invraisemblable ; car, après quelques heures de ces farces d'emportement, après quelques frayeurs causées à sa femme, comment le mari peut-il raisonnablement se flatter d'avoir réformé son caractère et changé son naturel ? Mais il ne faut pas y regarder de si près. Le dialogue est vif et spirituel, et la pièce est assez bien jugée par Clozel et Adeline. (3 brumaire an 13.)

P. 87, après le compte rendu de La Petite École des pères, du même Etienne, les éditeurs du Cours de littérature dramatique, tome 5, font figurer cette note :

La Jeune Femme colère, mise en opéra comique, en Russie, par M. Boïeldieu, eut un brillant succès en France. Remise au Théâtre-Francais sous les auspices de Mademoiselle Mars, elle fait partie du répertoire courant; et dans ses deux genres, cette comédie obtint dans la province un succès éclatant, qu'elle conserve toujours. (Note de l'Editeur.)

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