Marguerite de Waldemar

Marguerite de Waldemar, opéra-comique en trois actes, par MM. Saint-Félix (livret) et Gustave Dugazon (musique), 12 décembre 1812.

Théâtre de l’Opéra Comique.

Titre :

Marguerite de Waldemar

Genre

opéra-comique

Nombre d'actes :

3

Vers / prose

prose, avec couplets en vers

Musique :

oui

Date de création :

12 décembre 1812

Théâtre :

Théâtre de l’Opéra-Comique (rue Feydeau)

Auteur(s) des paroles :

M. Saint-Félix

Compositeur(s) :

M. Gustave Dugazon

Journal de Paris, politique, commercial et littéraire, n° 348, dimanche 13 décembre 1812, p. 1-2 :

[Ce premier article parle d’un orage, mais bien tardivement, et impute le froid de l’accueil de la pièce au climat de la Norvège, bien que les auteurs aient été demandés et nommés. Et il ne dit pas comment cette nomination a été accueillie...]

Théâtre de l’Opéra-Comique.

Ire représentation de Marguerite de Waldemar, opéra en trois actes.

Cette reine, que son courage et la vigueur de ses lois firent surnommer la Sémiramis du Nord, fut destinée par la nature à faire par-tout des mécontens, à combattre toujours des factions, et à triompher de tous les complots formés contre elle.

Sa turbulente étoile l’a suivie jusqu’au théâtre de l’Opéra-Comique. Eprise d’un duc de Bonnerson, elle a secrètement ordonné la mort de son épouse ; mais elle a été mal servie, elle retrouve sa victime dans un château de la Norwège où elle vient pour offrir sa couronne à son amant ; ce projet soulève contre elle les seigneurs norvégiens, on décide sa mort, la généreuse duchesse, témoin caché du complot, se précipite aux pieds de sa souveraine et lui révèle ses dangers. Le duc, de son côté, combat pour Marguerite. Cette reine, vaincue par ses remords et par la reconnaissance, abjure son amour et réunit les deux époux.

Cet ouvrage se ressent un peu du froid climat où la reine est établie. Si les auteurs eussent choisi un ciel plus tempéré, ils n’auraient pas rencontré ces vents aigus qui plus d’une fois ont failli à renverser leur barque. Mais les jeunes pilotes voguent imprudemment, et le succès justifie souvent leur témérité.

Marguerite s’est sauvée avec eux de tous les obstacles qu’on leur a opposés, une ouverture brillante et noble, quelques motifs aimables, des aperçus dramatiques sur lesquels nous reviendrons, et sur-tout le jeu animé de Gavaudan, de son épouse, de Mme Belmont et de Mlle Regnault, ont déterminé le public à connaître les auteurs de cet ouvrage. On lui a nommée MM. Saint-Félix et Gustave Dugazon.

Au moment où nous terminons cet article, nous apprenons que l’orage qui a grondé à Feydeau s’est répandu sur le Théâtre-Français. Talma, paraissant dans le rôle de Rhadamiste, a été acueilli par de vifs applaudissemens ; mais des sifflets nombreux ont troublé ce doux accueil, une voix a crié : Talma en prison. La même joie, et la même douleur l’ont salué à la fin de la pièce. Que penser de ce partage ? Honneur aux lettres ! égards au talent !               M.

Journal de Paris, politique, commercial et littéraire, n° 350, mardi 15 décembre 1812, p. 2-3 :

[Deuxième article, à deux jours d’écart : un article bien plus long, plus détaillé, et qui se montre nettement plus critique, y compris contre la musique.]

Théâtre de l’Opéra-Comique.

Marguerite de Waldemar.

Il n'eût tenu qu'à l'auteur de cet ouvrage de faire de sa Marguerite une belle et bonne tragédie, un mélodrame bien bruyant, une comédie spirituelle, et. même un malin vaudeville ; car en littérature, comme dans le monde, on fait ce qu'on veut d'une jolie femme qui a la manie de l’héroïsme et du bel esprit, de la dévotion et des galantes aventures. D'ailleurs, nous ne partageons pas l’opinion de ceux qui sont étonnés de trouver tel ou tel personnage sur tel ou tel théâtre. Le théâtre et le personnage ne font rien à l'affaire ; l'essentiel est le talent. qui dispose de l'un et de l'autre, qui assortit le choix de l'action avec le genre dans lequel il veut la traiter, et. qui, en peintre de bon goût, ajuste son dessin aux dimensions qui lui sont données. Voilà la mesure qu'il convient. d'observer, et non celle des planches d'un théâtre avec la réputation plus ou moins haute d‘un individu. Les esprits plus brillans que profonds, les imaginations fluettes, les jeunes littérateurs s’effrayent aisément de ces prétendues disparates, ils ne conçoivent pas les ressources du démon dramatique ; cependant Henri IV et Sully, Vendôme, Soliman Il, Henri V, Frédéric, Amphitrion et Jupiter lui-même les ont cent fois divertis dans les cadres facétieux qu'ils occupent à la scène française ; c'est le fait du goût et du talent. de tout proportionner, et l'on ne doit pas être plus ébahi de voir Catinat et Bayard figurer au Vaudeville, auprès de Colbert, de Malesherbes et du maréchal de Saxe, qu'on ne l'est de rencontrer ailleurs le sévère Boileau à côté de Jocrisse et de Pataques.

Ainsi Marguerite de Waldemar, grace au caractère que l'histoire lui a donné, pouvait fournir matière â toute sorte de tableaux ; nous pouvions la voir détrônant le matin un roi de Suède, et le soir courant le bal soux la figure de l'ange Gardien, violant ses promesses et fondant une église, instituant une société savante et un colifichet; dictant à Calmar le contrat d’union de trois royaumes ou bin chantant et faisant l’amour. M. Saint-Félix a préféré la prendre dans ses dernières fonctions, comme plus rapprochées de sa qualité de jolie femme : il a bien fait ; il a même cherché à rendre Marguerite intéressante : c’est encore louable ; mais pour cela, il lui a mis un crime atroce sur la conscience, il a eu tort : les assassins n’intéressent personne ; il n’y a ni chansons, no jolie figure, ni prestance, ni dignité, qui fassent passer de tels péchés : aussi Marguerite a-t-elle trouvé tous les cœurs froids aussitôt qu’elle a paru. la générosité de sa victime, de cette duchesse de Bonnerson, qu’elle a voulu faire mourir, a faiblement touché les spectateurs. On eût desiré que cette générosité fût au moins établie sur quelque base vraisemblable, par exemple sur une amitié des plus vives qui aurait précédé le crime de Marguerite. Mais encore pourquoi des crimes, surtout à l’Opéra-Comique ? Voilà un défaut de proportion justement répréhensible. La duchesse de Bonnerson, indignée de l’inconstance d’un époux ambitieux tout près de sacrifier à la faveur de son amour et ses sermens, ne pouvait-elle avoir fui d’elle-même et s’être réfugiée dans un château de la Norwège, et avoir fait courir le bruit de sa mort ? Dès-lors, plus de meurtre, plus d’assassinat, tout devient innocent et doux dans ce château, où on le rencontre ; l’amour, les regrets, les surprises, les romances et les grands chœurs roulent sur un fonds honnête, et l’on a un opéra-comique aussi amusant pour le moins qu’Elisca, Roméo et l’Enfant prodigue.

Plaisanterie à part, ce forfait gratuit et mal conçu a nui infiniment au succès de l’ouvrage. L’intérêt a été forcé de se replier sur la jeune duchesse ; mais combien il est faible et passager ! tout l’univers semble avoir oublié cette victime, elle ne court plus aucun danger, on ne soupçonne pas même son existence. le duc lui-même est défavorablement présenté ; il se mêle sans motif à une conspiration formée contre sa souveraine. Puisqu’il a retrouvé l’objet qu’il aime encore, pourquoi vouloir détrôner sa bienfaitrice ? Et puisqu’il a donné sa parole aux conspirateurs, pourquoi les combat-il lorsqu’ils viennent le délivrer des fers de Marguerite ? Cet homme ne sait qu’être ingrat envers tout le monde. Ces fêtes de sens ont le malheur de rendre plus frappant le défaut d’art qui circule dans la charpente de l’ouvrage. Quoique les actes soient bien coupés, l’action marche avec peine. Cet embarras naît de ma profusion des monologues que l’auteur a répandus dans sa pièce ; il est tel acte entier, ou du moins telle moitié d’acte qu’un acteur diligent, au moyen de quelques habits disposés dans la coulisse, pourrait jouer seul.

A tant de défauts sont toutefois mêlés, comme nous l’avons dit avant-hier, quelques traits dignes d’éloge. L’aperçu extrêmement plaisant d’un page et d’un écuyer qui disputent ensemble de suprématie, de zèle et de talent pour le cérémonial, semblait nous annoncer beaucoup de gaieté, le mauvais guet-apens l’a soudain étouffée ; on a regretté de voir ce mouvement comique perdu dans le brouhaha d’une conspiration ; l’apparition de la duchesse aux yeux de Marguerite au moment où cette reine se reproche sa cruauté, n’est pas sans effet ; le dénouement en eut produit beaucoup plus s’il n’eut pas trop rappelé les Ruines de Babylone ; enfin, le style n’a ni cette boursoufflure, ni cette exagération que la nature du sujet semblait trop bien appeler. Il faut jouer de bonheur ou bien être armé d’un goût bien solide pour s’être défendu d’écrire ridiculement Marguerite de Waldemar.

Nous dirons peu de choses de la musique, non pas parce qu’elle-même a fort peu dit au public, mais parce qu’elle est l’ouvrage d’un commençant qui mérite une grande indulgence. Le tort le plus grave du jeune compositeur est d’avoir embrassé un sujet trop vaste et trop sérieux. Le petit air du page, chanté d’une manière charmante par Mme Gavaudan, a prouvé que M. Gustave doit exceller dans le genre léger. On a trouvé de l’originalité dans le motif du chœur des conspirateurs : sa forme trop rapprochée de l’entrée des mécontens dans Aline a empêché que ce morceau n’obtint tous les applaudissemens qui lui étaient dus ; mais rien n’en a gêné l’essor ni la fréquente reprise pendant son ouverture : cette partie de sa composition a paru très-bien écrite et merveilleusement dialoguée, mais malheureusement elle absorbe à elle seule toute la noblesse du sujet, si bien qu’un de nos voisins qui ne retrouvait qu’un professeur de piano dans le reste de l’ouvrage, s’est écrié à la fin de la pièce : « J’ai bien peur que l’ouverture de ce jeune homme ne soit qu’une porte dérobée.

A Dieu ne plaise que nous pensions comme ce méchant voisin ; nous adoptons plus volontiers ses réflexions au sujet du rôle de Marguerite confié à Mme Belmont. Comment se figurer un tyran sous des traits aussi doux, sous une physionomie aussi gracieuse ? Les héroïnes de son espèce ont été formées par la nature pour tyranniser les coeurs bien plutôt que les nations.                            M.

Journal des sciences, des arts et de la littérature, onzième volume (1812), n° 193 (troisième année), 15 décembre 1812,p. 366-368 :

[Ce qu’on retiendra, c’est qu’un opéra-comique peut avoir un très mauvais livret, et une excellente musique. Tant pis pour l’auteur de la musique, et pour le public, qui a écouté jusqu’au bout un opéra-comique pour le seul plaisir de la musique.]

THÉATRE DE L'OPÉRA-COMIQUE,

Première représentation de Marguerite de Waldemar, paroles de M. Saint-Félix, musique de M. Gustave Dugazon.

Malheureusement pour l'auteur et pour le public, la pièce est en trois actes ; malheureusement encore pour les théâtres du boulevard, Marguerite a manqué sa vocation. A l'Ambigu, à la Gaîté, elle eût passé pour un chef-d'œuvre ; à Feydeau, on l'a regardée comme un mélodrame.

Il y a dans l'ouvrage de belles imitations ; mais ces imitations ne réussissent pas sur toutes les scènes : une femme que l'on croit morte, et qui reparaît tout à coup, une reine amoureuse et barbare, un vieil écuyer dont on a fait un sot ; enfin des scènes de nuit, des conspirations, des assemblées de mécontens, des invocations au ciel, trois sermens solennels que les figurans du théâtre prononcent sur leurs épées ; il y avait bien là de quoi tourner toutes les têtes, émouvoir tous les cœurs : cependant le parterre est resté calme; peut-être aussi le grand-froid a-t-il beaucoup contribué au mauvais succès de l'opéra.

Quant à l'action, elle est assez simple, et M. de Saint-Felix aurait pu se dispenser de tant d'accessoires. Marguerite, reine de Danemarck et de Norwege, est éprise du duc de Bonnerson, l'un des plus aimables seigneurs de sa Cour. Le cœur du duc n'est pas libre, Bonnerson chérit la jeune Emma qu'il vient d'épouser, et la reine, quoique fort impérieuse, ne l'est pas encore assez pour établir la polygamie dans ses états. Mais la tendresse est toujours ingenieuse ; Marguerite trouve le moyen de faire périr Emma ; elle détourne les soupçons du duc, et lui offre à la fois sa main et sa couronne, quand il revient de l'armée. Bonnerson ébloui, tombe aux pieds de sa souveraine ; il accepterait même le trône, sans plus de réflexion, si peu de temps après, Emma que l'on a soustraite aux coups de ses ennemis, et qui reparaît tout à coup devant lui, ne changeait ses résolutions. Bonnerson alors renonce à la main de la reine. Marguerite irritée va le punir d'une telle offense ; mais un parti de Norwégiens révoltés vient investir le château, et la reine est forcée d'oublier l'amour pour songer aux intérêts de sa couronne. Bonnerson, aussi généreux que brave, accourt près de Marguerit  ; il fait voler de tous côtés des têtes et des bras, disperse au loin les ennemis de la reine, comme la poussière du désert, et obtient aux pieds du trône son pardon et celui d'Emma.

Le public doit en vouloir beaucoup à l'auteur de la musique : car sans lui on n'aurait pas été obligé de connaître jusqu'à la fin les aventures du duc de Bonnerson. Mais ses airs étaient si gracieux, les motifs étaient si bien choisis, qu'il a fallu tout entendre. L'ouverture a été vivement applaudie : elle est noble, harmonieuse, animée : quelques passages ont paru d'un effet neuf ; enfin l'ensemble a plu généralement : il est vrai que l'auteur des paroles n'y était pour rien.

La reine de Norwège était enrhumée, ce qui n'étonne pas dans un pays où il gèle à 3o degrés ; mais quelquefois elle a chanté faux, ce qui n'est guère permis à madame Belmont ; madame Regnault a mis beaucoup de grâce et d'expression dans le rôle romanesque d'Emma ; Gavaudan a rendu avec autant d'art, le désespoir et les agitations de Bonnerson ; enfin le jeu des acteurs et la musique ont fait arriver la pièce au dénouement. J'oubliais de dire que madame Gavaudan a donné beaucoup d'esprit à un petit rôle de page qui n'en avait pas : on doit lui savoir gré de cette métamorphose.

Les auteurs ont été demandés après la représentation. Des sifflets ont répondu au nom de M. Saint-Félix ; mais le nom de M. Gustave Dugazon a été accueilli avec les plus vifs applaudissemens. Son opéra fait concevoir d'heureuses espérances : si M. Dugazon continue, il deviendra un de nos plus agréables compositeurs, et je suis persuadé que pour avoir le plaisir de l'entendre, le public prendra sur lui d'aller voir quelquefois Marguerite de Waldemar.                            M.

Magasin encyclopédique, ou Journal des sciences, des lettres et des arts, 17e année, 1812, tome VI, p. 404 :

[Compte rendu rapide, et qui privilégie nettement le travail du compositeur.]

THÉATRE DE L'OPÉRA COMIQUE.

Marguerite de Waldemar, opéra en trois actes, joué le 12 décembre.

Cette reine, que son courage et la vigueur de ses lois firent surnommer la Sémiramis du nord, vient de paroître à l'Opéra-Comique. Eprise d'un duc de Bonnerson, elle a secrètement ordonné la mort de son épouse ; mais elle a été mal servie, elle retrouve sa victime dans un château de la Norwège, où elle vient pour offrir sa couronne à son amant ; ce projet soulève contre elle les seigneurs norwégiens, on décide sa mort ; la généreuse duchesse, témoin caché du complot, se précipite aux pieds de sa souveraine, et lui révèle ses dangers. Le duc de son côté combat pour Marguerite. Cette reine, vaincue par ses remords et par la reconnoissance, abjure son amour, et réunit les deux époux.

Cet ouvrage se ressent un peu du froid climat où la scène est établie. Une ouverture brillante et noble, quelques motifs aimables ont été remarqués dans la musique de M. Gustave Dugazon.

Le poème est de M. Saint-Félix.

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome I, janvier 1813, p. 272-280 :

[Le compte rendu s’ouvre sur un curieux débat, sur la légitimité d’un titre digne d’un mélodrame (donc voué au Théâtre de la Gaîté) pour un opéra-comique. Et ce titre qui donnait à attendre un mélodrame de pure invention, voilà qu’un jeune homme à l’érudition toute fraîche nous apprend qu’il parle d’une souveraine des pas nordiques du 14e siècle. Suit l’analyse du sujet, pleine de commentaires ironiques montrant le caractère factice d’une intrigue faussement dramatique et aussi riche en clichés qu’en rebondissements. Le rapprochement avec la Sémiramis de Voltaire sert plus à se moquer de la pièce nouvelle que d’en montrer le manque d’originalité (mais les deux effets ne sont aps contradictoires). La fin de la pièce est annoncée avec une fausse joie : elle est fort éloignée de la fin d’une tragédie tout autant que d’un mélodrame (personne ne meurt !). L'ironie est également mise en œuvre pour tenter faussement de distinguer cette pièce de ce qu’est un mélodrame, les différences indiquées étant largement des ressemblances. Encouragement pour l’auteur des paroles : il réussira s’il choisit un meilleur sujet. Le sort du compositeur est moins rude : sa musique évoque celle de Mozart, ce qui est valorisant, mais le compliment cache aussi un important reproche, celui de ne pas être « à la hauteur » de son maître. Comme souvent pour un débutant, il lui est reproché « une sorte d'abus de moyens et d'effets ». Certains morceaux sont charmants, mais il fallait être proche d ela scène pour els entendre (critique du peu de voix de l’interprète ?). Malgré un troisième acte mal accueilli, les auteurs ont été cités, et le compositeur a été mieux accueilli que le librettiste.

On sent dans tout l'article le peu d'estime dans lequel le critique tient le mélodrame, et sa réprobation de voir ce genre inférieur conyaminer l'opéra-comique.]

THÉÂTRE DE L'OPÉRA - COMIQUE.

Marguerite de Waldemar.

A ce nom de Marguerite de Waldemar, combien d'habitués du boulevart du Temple auront pris plaisir à se rappeller Marguerite d’Anjou, Marguerite de Provence, Jacqueline d’Olzebourg, Léonore de Portugal, et autres aimables productions des génies de cet heureux quartier ! « C'est par erreur sans doute, se seront-ils écriés, que la nouvelle Marguerite a pris la route du théâtre Feydeau ». Mais que messieurs les familiers des spectacles du boulevart nous montrent un privilège exclusif qui leur assure la jouissance première et non partagée de tout mélodrame composé intra et extra muros ? N'y a-t-il qu'au théâtre de la Gaîté que l'on puisse effrayer ou endormir son monde ? Et l’Opéra-Comique, pour faire valoir les mêmes droits, n'a-t-il pas à sa disposition un Château de Montenero, une Tour de Neustadt, une Rose rouge et une Rose blanche, des Ménestrels, un Enfant prodigue, etc., etc. ? Cet axiôme de jurisprudence théâtrale est si bien reconnu par tous les amateurs doués de quelqu'expérience, que dans la foule immense qui combattait, dernièrement, sous le portique du Théâtre-Feydeau, pour s'en frayer l'entrée, on n'aurait point trouvé dix individus qui ne fussent dans la parfaite conviction que c'était un mélodrame de race pure que l'on allait soumettre à leur jugement. On entendait les plus curieux demander à leurs voisins s'ils soupçonnaient ce que pouvait être cette Marguerite de Waldemar ? Si les affiches de la capitale avaient, comme celles des départemens, l'attention délicate d'offrir aux passans, au dessous du titre de la pièce nouvelle, un petit abrégé de la vie des principaux personnages, l'indication fidèle du temps où ils ont vécu, et enfin la description géographique des lieux où se passe la scène, un des plus anciens habitués du balcon n'aurait pas compromis, en une minute, quarante ans de réputation et de crédit, en déclarant à haute voix que Marguerite de Waldemar se trouvait dans les Contes de Perrault, entre Jean de Calais et Geneviève de Brabant. Il n'eut pas plutôt proféré ces malheureuses paroles, qu'un jeune agréable, le toisant avec un air de dédain qui perça le cœur de tous les assistans, lui offrit de parier un déjeûner au Rocher de Cancale, pour tout le balcon, que Marguerite n'était pas un conte, mais une histoire bien véritable ; que vers la fin du 14e. siècle, elle avait réuni les trois couronnes de Danemarck, de Norwége et de Suéde ; que dans la crainte de partager son autorité, elle n'avait jamais voulu prendre d'époux ; qu'elle s'était assurée d'un successeur dans la personne de son petit neveu Eric ; que cette altière princesse avait été surnommée lmiramis du nord ; que... L'ouverture de Rose et Colas vint interrompre le flux de science de l'aimable adolescent : il se rassit, en disant à sa voisine qu'il fallait être bien effronté pour oser lui tenir tête, à lui qui avait lu tout exprès, ce matin-là même, l'article de la reine Marguerite dans le Dictionnaire des Femmes Célèbres.

Sans posséder toute l'érudition de cet étonnant jeune homme, on peut savoir que Marguerite de Waldemar avait placé toute sa confiance dans un jeune seigneur suédois, appellé Bronerson, dont le mérite le plus saillant était une fort belle figure. L'auteur de l'opéra nouveau a cru devoir mieux traiter ce beau cavalier : ce n'est pas en changeant son nom de Bronerson en Bolers ou Bonerslon ( l'un vaut bien l'autre), mais en lui prêtant des exploits si rares, qu'il éclipse tous ses rivaux de gloire. Il a uni sa destinée à celle de la jeune Emma qui, de son côté,. est un prodige de vertus et d'attraits. La fière, mais sensible Marguerite, voit avec peine et bientôt avec fureur qu'une de ses sujettes ait des droits publics sur le cœur d'un héros digne de fixer les regards d'une reine. La jalousie lui suggère l'affreuse idée de commettre le péché de David : elle s'autorise d'une dénonciation calomnieuse pour faire disparaître à jamais Emma et s'emparer de son époux. Un ami du duc de Bonerston trouve le moyen d'enlever la malheureuse duchesse et de la conduire en Norwège, où il la confie au comte Eric, gouverneur de ce royaume. Pour que le secret de sa retraite soit mieux gardé, on en fait un mystère au mari lui-même, qui la croit morte, et la pleure du fond de son ame.

Mais voilà que la reine Marguerite, faisant la tournée de ses états, passe en Norwège, et vient descendre précisément au château du comte Eric. Son arrivée y est annoncée par un page, qui se dit, de plus, chargé des préparatifs de-sa réception. L'écuyer du-comte regarde cette prétention comme un- attentat à ses droits; et il s'engage, à ce sujet, un combat d'amour-propre où le pauvre écuyer a toujours le dessous, comme étant un peu niais de son métier. Cette querelle tient une place honorable dans le premier et le second acte. Mais les spectateurs avaient bien d’autres soucis : ils tremblaient tous pour la pauvre petite duchesse, qu'ils regardaient comme la proie certaine de sa terrible rivale. Emma n’a. pourtant point l’air de souffrir beaucoup de sa triste position : elle vient sur la scène, en grande parure, raconter au gouverneur une foule de choses qu'il doit savoir par cœur. Mais on sent bien qu'il faut une exposition quelconque : chacun la fait à sa manière. La fidèle Emma, en apprenant que la reine va venir, et que son tendre Bonerston l'accompagne, éprouve mille fois plus de plaisir que de frayeur. Son gardien ne fait nulle difficulté de la laisser paraître en présence du petit page : mais cet aimable enfant est d'un naturel honnête et discret : il n'y a rien à craindre de sa part.

A force de parler de la reine Marguerite, elle arrive. On lui chante un beau chœur, selon la coutume ; mais comme elle est en habit de voyage, elle passe dans sou appartement pour aller faire sa toilette. Elle reparaît effectivement, au second acte, dans le costume le plus brillant et la couronne en tête. Mais on ne quitte pas impunément une pelisse fourrée en Norwège pour une robe plus légère ; et la reine s'est trouvée saisie d'un enrouement subit ; ce qui a paru la gêner un peu pour prononcer, du haut de son trône, un discours en musique, par lequel S. M. a déclaré à sa cour et à ses soldats, que, fatiguée de porter le sceptre toute seule, elle voulait que le plus fidèle et le plus brave de ses sujets en partageât le poids. Ce héros, cet époux, ce monarque est Bonerston, Sémiramis agit et parle à-peu-près ainsi, dans une tragédie que nous connaissons tous ; mais les personnes que cette ressemblance pourrait étonner, sont priées de se souvenir que Marguerite était elle-même la Sémiramis du Nord. Les courtisans ne reçoivent pas mieux la confidence de la flamme amoureuse de leur souveraine, qu'Assur ne reçoit l'aveu des projets de la reine de Babylone. La cérémonie terminée, chacun s'en retourne chez soi : mais Bonerston reste pour causer avec son ami Eric, qui n'a pas l'air plus content que les autres. Il déclare nettement au duc qu'il ne doit point profiter d'une faveur odieuse à la nation ; l'ambitieux Bonerston se montre, au contraire, disposé à parer son front de la triple couronne de Danemarck, de Suéde et de Norwège , et déjà il parle en maître. Eric voit qu'il est temps de frapper les grands coups ; il révèle au nouveau roi que son Emma vit encore. Pour qu'il n'en puisse douter, Emma, elle-même, qui était aux aguets, se précipite dans les bras de son époux ; et, sur-lechamp, ce miracle d'amour conjugal renonce à tous ses rêves de grandeur et de puissance. Loin de conserver, quelque gratitude pour les bienfaits et les sentimens de Marguerite, il n'aspire plus qu'à venger son Emma de la cruauté dont elle a été la victime. C'est alors qu'éclate dans tout son jour la vertu surnaturelle de cette incomparable duchesse : elle fait jurer à sou époux que la vie de la reine sera respectée, et aussitôt elle s'en va pour ménager un coup de théâtre. Bonerston, resté seul avec ses sombres pensées, est surpris, au milieu de la nuit, par Marguerite en personne, qui lui crie avec vérité : Tu ne m'attendais pas ! Elle le somme, pour la dernière fois, d'accepter sa couronne et son cœur : Bonerston, déchiré par ses combats intérieurs, joue ici avec Marguerite une scène qui pourrait encore remettre en mémoire celle de Sémiramis et d'Arsace, mais qui n'en est pas moins touchante pour cela. S'il s'échappe tout-à-coup, c'est encore pour donner lieu à un coup de théâtre inattendu. La reine commence à peine à chercher le mot de l'énigme qu'elle vient d'entendre, lorsqu'elle apperçoit dans l'ombre la belle duchesse, qu'elle prend pour un fantôme. Celle-ci lui démontre son existence, en lui faisant voir l'abîme ouvert sous ses pas. Surprise, attendrissement de Marguerite : elle pardonne aux deux époux, les rends l'un à l'autre, et leur promet une affection à l'abri de tout événement.

On voit que les envieux, qui avaient eu la malice de répandre le bruit que l'opéra nouveau n'était qu'un mélodrame, ont été bien attrapés. Certes, la différence est grande ! D'abord, dans tout mélodrame bien constitué, il faut un tyran persécuteur : ici, nous n'avons qu'une reine persécutrice. Il faut un proscrit : ici, c'est une proscrite. Il faut enfin un niais qui fasse rire : ici, le niais ne fait pas rire un seul instant. Tout le monde sait d'ailleurs que les mélodramistes ont une langue à part, et l'auteur de Marguerite de Waldemar s'est contenté d'écrire sa pièce dans l'ancien français clair, simple et naturel que parlaient nos pères. Il pense sûrement, comme eux, qu'un opéra-comique ne doit point ressembler à une tragédie manquée ; et il ne tiendra qu'à lui que son second ouvrage ne laisse rien à désirer. Il lui suffira de mieux choisir son sujet.

La musique est d'un jeune homme qui porte un nom cher aux arts. Les amateurs ont dû y distinguer plusieurs morceaux qui annoncent une étude approfondie des ouvrages regardés comme classiques, et spécialement de ceux de Mozart. Mais un musicien qui veut s'approprier la manière de ce grand maître, ne doit jamais cesser de l'envisager sous un double aspect : ce n'est point seulement par la richesse et l'expression de son orchestre, que l'auteur de Don Juan et du Mariage de Figaro s'est élevé à la hauteur où il est parvenu : la grace, l'esprit, et la vérité de ses chants ont contribué plus efficacement encore à imprimer à toutes ses productions ce charme,- qui les rend si chères aux personnes douées d'une ame sensible et d'un goût délicat. Peut-être, comme dans tous les premiers ouvrages des jeunes gens, pourrait-on reprocher au compositeur du nouvel opéra une sorte d'abus de moyens et d'effets. Son ouverture est à-la-fois brillante et gracieuse : un trio du premier acte offre un style du meilleur genre ; les couplets du petit page sont charmans, et les spectateurs placés assez près du théâtre pour entendre Mme. Gavaudan , affirment qu'elle les chante à ravir.

Malgré quelques signes d'improbation qui ont troublé le troisième acte, le public a demandé les auteurs : on est venu nommer, pour les paroles, M. de Saint-Félix, et pour la musique, M. Gustave Dugazon. Le nom de ce dernier a été accueilli avec une bienveillance toute particulière.                        S.

D’après Nicole Wild et David Charlton, Théâtre de l'Opéra-Comique Paris: répertoire 1762-1972, p. 319, la pièce n’a connu qu’une représentation.

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