Le Quart-d'heure de Rabelais

Le Quart-d'heure de Rabelais, comédie en un acte, mêlée de vaudevilles, de Le Prévost-d'Iray et Dieulafoy.,25 nivôse an 7 [14 janvier 1799].

Théâtre du Vaudeville

Titre :

Quart d’heure de Rabelais (le)

Genre

comédie mêlée de vaudevilles

Nombre d'actes :

1

Vers ou prose ,

en prose, avec des couplets en vers

Musique :

vaudevilles

Date de création :

25 nivôse an 7 [14 janvier 1799]

Théâtre :

Théâtre du Vaudeville

Auteur(s) des paroles :

Prévost d’Iray et Dieulafoy

Almanach des Muses 1800

Une anecdote très-connue a fourni le sujet de cette pièce, qui n'est pas seulement ce qu'on appelle communément un vaudeville ; c'est un très-joli petit acte de comédie, semé de couplets fins, spirituels et piquans.

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez le Libraire au Théâtre du Vaudeville, an VII :

Le Quart-d'heure de Rabelais, comédie en un acte, en prose, mêlée de vaudevilles. Par les CC. Dieu-la-Foy et Prévôt-d'Iray. Représentée, pour la première fois, sur le Théâtre du Vaudeville, le 25 nivôse, an 7.

Courrier des spectacles, n° 693 du 26 nivôse an 7 [15 janvier 1799], p. 2 :

[La pièce est présentée comme l'illustration d'une expression courante, ce fameux « quart d'heure de Rabelais » moment auquel il faut bien payer son écot. L'intrigue, longuement résumée, est censée enfournir l'explication grâce à une anecdote. Elle mêle une petite ruse par laquelle Rabelais espère se faire ramener gratuitement à Meudon, et une rencontre entre Rabelais et Ronsard, Ronsard étant censé détester Rabelais. Les deux auteurs tentent mutuellement de se soutirer de l'argent, leurs bourses étant à sec, et ils font assaut de flatteries pour obtenir de l'autre ce qu'il ne peut donner. Le sort de Ronsard n'est pas très bien éclairé, mais Rabelais s'en tire grâce à ses relations (le cardinal Du Bellay). La pièce a connu le succès, en particulier grâce à deux scènes drôles, dont celle où les deux auteurs se flattent dans un but intéressé. Le critique a apprécié « dans cet ouvrage de fort jolis couplets, des saillies fines et piquantes, de la gaîté et de la philosophie ». Les auteurs ont été nommés, et le critique rappelle leurs œuvres les plus connues. L'interprétation est elle aussi détaillée, en termes élogieux.

L'article attribue la pièce à Dieulafoy et Philippon-La-Madeleine. C'est une erreur : le coauteur de la pièce avec Dieulafoy, c'est bien Le Prévost d'Iray. Lors de l'annonce de la deuxième représentation, le 27 nivôse [16 janvier], le nom des auteurs est correct : Leprévost-d'Iray et Dieu-la-Foy. Philippon-La-Madeleine envoie d'ailleurs au journal une lettre, publiée le 28 nivôse [17 janvier], où il rectifie l'erreur, expliquée (excusée ?) par le fait qu'il a collaboré avec Le Prévost-d'Iray pour les deux pièces citées en exemple dans l'article.]

Théâtre du Vaudeville.

Il n’est personne qui n’ait entendu dire, que lorsqu’il faut payer son écot, on se sert souvent du vieux proverbe, c'est ici le quart d'heure de Rabelais  ; il faut délier les cordons de la bourse. L’étimologie de ce dictum est tirée d'une petite aventure arrivée à Rabelais, et c’est cette aventure qui est la cheville ouvrière du plan du Mauvais quart d'heure de Rabelais, comédie en un acte, donnée hier au théâtre du Vaudeville avec un grand succès.

Le facétieux Rabelais, grand amateur des plaisirs, et calculant fort peu avec lui même, quand il s’agit de les contenter, s’est, à son retour de Rome beaucoup diverti en route, et n’a regardé à aucun frais, tant qu’il a vu sa bourse bien garnie. Mais l’escroquerie d'un aubergiste parvient à la mettre entièrement à sec, et le pauvre Rabelais n’a pas même de quoi retourner à sa cure de Meudon. Que faire ! Comment partir ! II avise au moyen de continuer sa route sans qu’il lui en coûte une obole, et son esprit inventif lui fournit bientôt une idée qui ne pouvoit venir que du cerveau plaisant de l’auteur de Gargantua et de Pantagruel. Il fait trois petits paquets qu’il emplit de cendres, et les étiquette ainsi : Poison pour François Ier., etc., puis il les met dans son bréviaire. L’aubergiste ne tarde pas à les voir, et s’empresse d'aller dénoncer le conspirateur Rabelais au juge du lieu.

Pendant ce tems, arrive à l’auberge un autre poëte, non moins pauvre que Rabelais, et son ennemi déclaré : c est Ronsard. A peine voit-il le facétieux curé ce Meudon, qu’il oublie le rang qu’il occupe au Parnasse ; et voulant bien consentir à descendre jusqu’au trivial Rabelais, il conçoit l’espoir de lui emprunter quelques écus pour continuer sa route. L’auteur de Gargantua, de son côté, forme aussi le dessein d’emprunter à Ronsard.

Un moyen sûr de gagner les bonnes grâces d’un auteur, c’est de louer beaucoup ses ouvrages, aussi nos deux auteurs, quoique s'estimant fort peu, s’encensent mutuellement, et finissent par s’exposer en même-terns leurs besoins urgens. Grande colère de Ronsard ; railleries piquantes de Rabelais, enfin on se sépare ; et Rabelais, aidé, de la bourse de son valet, parvient à s’enfuir et laisse le poëte fonçais aux prises avec le juge, qui l’arrête comme un des conspirateurs. Rabelais est ramené prisonnier , mais il parvient à se justifier devant le cardinal du Bellay, en lui exposant les motifs de sa facétieuse conspiration.

Cette comédie a été généralement fort goûtée ; on a beaucoup applaudi à deux scènes d’un bon comique, et sur-tout à celle où les deux auteurs se louent réciproquement pour s’emprunter de l’argent. On trouve dans cet ouvrage de fort jolis couplets, des saillies fines et piquantes, de la gaîté et de la philosophie.

Les auteurs ont été demandés, ce sont les citoyens Dieu-la-Foy et Philippon-la-Madeleine, déjà connus, le premier par le Moulin de Sans-Soucy, et le second par les Troubadours et Maître Adam.

Le cit. Duchaume a parfaitement joué le rôle de Rabelais, et le cit. Vertpré celui de Ronsard. Les autres personnages ont été bien remplis par les cit. Carpentier , Chapelle, Léger et la cit. Blosseville.

Courrier des spectacles, n° 695 du 28 nivôse an 7 [17 janvier 1799], p. 2 :

[La lettre de Philipon de La Madelaine rectifiant l'erreur de l'article précédent : il n'est pas le coauteur du Quart d'heure de Rabelais.]

AU RÉDACTEUR (*)
du Courrier des Spectacles.

Paris , 26 nivôse.          

Citoyen,

Il me seroit doux de partager les éloges que vous donnez au Quart d'heure de Rabelais  ; mais je n’ai aucune part à cette charmante comédie-vaudeville. Elle est du citoyen Dieu-la-Foy et du citoyen Leprévôt-d’Iray, avec qui j’ai travaillé Maître Adam et les Troubadours.

Cette circonstance a sans doute occasionné l’erreur qui s’est glissée dans votre journal de ce matin. Je vous prie de la rectifier.

Philipon-la-Madeleine.          

L’Esprit des journaux français et étrangers, vingt-huitième année, volume V, pluviôse an 7 [février 1799], p. 218-220 :

[Le premier paragraphe est consacré à présenter Rabelais, considéré comme un personnage cachant sous une enveloppe grossière « sa subtile plaisanterie, sa vive & brûlante imagination, & ce qui doit plus étonner encore dans le milieu du seizième siècle, sa profonde philosophie » (le préjugé sur le XVIe siècle est intéressant). Il est mis en scène dans une anecdote connue, mais peut-être inventée (et cela ne gêne pas le critique). C’est « un petit ouvrage plein d'esprit & de sel, & même de coloris ». L’intrigue résumée ensuite est un immense tissu d’invraisemblances et de coïncidences dans lequel tout finit miraculeusement par s’arranger. Cette intrigue qui nous semble bien improbable constitue un « joli ouvrage » qui a tout du bon vaudeville  « une action, des situations assez comiques, & […] des couplets piquans & spirituels ». Une scène est même mise en avant, celle de Ronsard et du juge, pour lequel le critique emploie même le mot « vraisemblance ». Rien sur le style, ni l’interprétation, juste l’affirmation que la pièce restera longtemps au répertoire.]

THÉATRE DU VAUDEVILLE.

Le Quart-d’heure de Rabelais.

Rabelais fut, comme on sait, le plus facétieux bouffon qu'ait peut-être produit la France littéraire : à travers l'enveloppe grossière dont il se couvre assez souvent, tous les bons esprits ont démêlé sa subtile plaisanterie, sa vive & brûlante imagination , & ce qui doit plus étonner encore dans le milieu du seizième siècle, sa profonde philosophie. Sous plusieurs de ces rapports saisis par Molière, par Lafontaine & par tous les bons observateurs, surtout sous celui de la gaieté, il avoit quelques droits à figurer dans la galerie du Vaudeville.

Les CC. Prévost, d'Irai & Dieu-Lafoi l'ont ainsi considéré, & ont fait d'une anecdote de sa vie, vraie ou fausse, mais très-connue, le sujet d'un petit ouvrage plein d'esprit & de sel, & même de coloris, ce qui est encore plus rare dans ce genre.

Rabelais revenant d'Italie, où il avoit été envoyé comme secrétaire du cardinal Dubelay, séjourne quelque temps à Lyon dans une auberge ; il y marie Panurge, son valet, avec une jeune fille dont l'aubergiste est amoureux, & leur donne pour cela cent écus, croyant avoir assez encore pour achever sa route ; mais l'aubergiste, jaloux & frippon tout à la fois, qui ne connoît Rabelais que sous le nom de Jean-François, & qui veut le ruiner pour l'empêcher de donner les cent écus à Panurge, son rival, comptant d'ailleurs sur l'insouciante gaieté de son hôte, lui produit un mémoire qui le met entièrement à sec : alors Rabelais imagine la facétie de se faire conduire à Paris aux frais du gouvernement, comme tant d'autres, & prépare à cet effet des petits paquets de cendres sur lesquels il écrit : poison pour François Ier., poison pour la duchesse d'Etampes, pour le chancelier. L'aubergiste trouve les paquets, ne manque pas d'en conclure que Jean-François est un conspirateur. Sur ces entrefaites arrive dans la même auberge le fameux Ronsard, si connu par son orgueil & son amour pour ses propres ouvrages.

Rabelais & lui, qui se croyent respectivement à l'aise, cherchent à s'emprunter mutuellement en se donnant de grandes louanges, & finissent par découvrir qu'ils sont tous deux sans le sou. Alors, sans l’en prévenir, Rabelais dénonce Ronsard comme complice de sa conjuration ; il pousse plus loin la facétie : instruit que le juge du lieu va venir pour verbaliser, il fait croire à Ronsard que c'est un magistrat fameux qui vient rendre hommage à son talent, & lui demander lecture de ses vers, ce qui produit un second quiproquo fort comique ; enfin, au moment où le juge va faire porter & reconduire sous escorte les prétendus conspirateurs, le cardinal Dubelay arrive, fait reconnoître Rabelais, & dénoue l'intrigue en moralisant un peu son secrétaire sur un danger de pousser trop loin ses plaisanteries.

Ce joli ouvrage joint au mérite d'avoir une action, des situations assez comiques, & celui d'être rempli de couplets piquans & spirituels. Le quiproquo de Ronsard & du juge est peut-
être un peu long ; mais il fait rire, & le caractère connu du poëte ajoute à la vraisemblance de la scène. Le caractère du juge qui ne prévoit rien , & croit avoir tout deviné, est d'un excellent comique.

En général, l'ouvrage est un de ceux dont le répertoire du Vaudeville s'enrichira sûrement assez long temps.

Annales dramatiques, ou dictionnaire général des théâtres, tome 8 (1811), p. 2-3 :

QUART D'HEURE DE RABELAIS (le), comédie en un acte, en prose, mêlée de vaudevilles, par MM. Dieulafoi et Le Prévost d'Iray, au Vaudeville, 1797.

Quelque répandue que soit une anecdote, elle ne saurait être connue de tout le monde, surtout lorsqu'elle date d'aussi loin que celle qui fait la base de ce vaudeville.

Les auteurs feignent qu'à son retour de Rome, Rabelais s'arrête dans un petit village près de Lyon, où il fait bombance, et passe gaîment son tems. En attendant le cardinal du Belloy, qui devait le suivre sous trois jours, il s'amuse à marier son fidèle Panurge avec une servante d'auberge. Il lui donne cent écus en mariage, sans songer qu'il a cent lieues à faire, et qu'il lui reste à peine de quoi payer sa dépense. Bientôt, l'aubergiste, qui aime Fanchette, et qui a été tant de fois le sujet des plaisanteries du curé de Meudon, vient présenter son mémoire. Il paie, et reste sans le sou. Voilà le Quart d'heure de Rabelais. Cependant, Ronsard arrive dans le village avec beaucoup d'appétit et peu d'argent. O fortune ! il y trouve Rabelais. Celui-ci, de son côté, croit que Ronsard pourra le tirer d'affaire ; mais, au moyen d'une petite explication, ils ont bientôt l'avantage de savoir à quoi s'en tenir. Leur entretien, qui commence d'une manière peu malhonnête, finit très-malhonnêtement.

Voici maintenant le moyen qu'emploie Rabelais pour se tirer de ce mauvais pas. Il fait trois paquets avec de la cendre, sur lesquels il écrit ces mots: Poison pour François premier ; poison pour la duchesse d'Etampes ; poison pour le chancelier Duprat. L'aubergiste, qui les trouve sur sa table, à côté de son bréviaire, s'empresse d'en faire sa déclaration au juge du lieu, qui commence par s'emparer de la personne de Ronsard. Rabelais jouit de son embarras, et se venge ainsi de sa sottise et de son orgueil. On va les conduire en chaise de poste à Meudon, lorsque le cardinal du Belloy arrive, et met fin au quiproquo.

Cette pièce offre des scènes très-gaies; elle obtint un succès mérité.

La base César attribue la pièce au seul Dieulafoy. Elle a été jouée 15 fois au Théâtre du Vaudeville (du 14 au 30 janvier, puis du 14 juin au 9 septembre 1799).

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