Le Rocher de Leucade

Le Rocher de Leucade, opéra en un acte, de Marsollier, de musique de Dalayrac. 25 pluviôse an 8 [14 février 1800].

Théâtre de l'opéra comique national, rue Favart

Almanach des Muses 1801

Sujet pris dans les Opuscules de Parny et dans les Voyages d'Antenor.

Représentation très-orageuse. Marques d'improbation données au poëme. Applaudissemens donnés à la musique.

Le poème en prose de Parny qui inspire la pièce, le Promontoire de Leucade, appartient aux Poésies érotiques publiées en 1778. L'œuvre de ce poète, plutôt oublié aujourd’hui, jouit au début du 19e siècle d’une grande popularité.

Les Voyages d’Anténor en Grèce et en Asie, avec des notions sur l'Égypte ; Manuscrit grec trouvé à Herculanum, traduit par E.-F. Lantier, a été publié en 1798 et a connu de nombreuses éditions (en 1809, on trouve une dixième édition), gages de son succès. Bien entendu, il n’y a pas d emanuscrit trouvé à Herculanum, et Lantier n’est pas traducteur, mais auteur.

Courrier des spectacles, n° 1078 du 26 pluviôse an 8 [15 février 1800], p. 2 :

[Une représentation orageuse ! Le critique ne dit guère ce qui motivait les réactions violentes du public contre la pièce.]

Théâtre Favart.

Le Rocher de Leucade a été très-fréquemment applaudi et très-vivement sifflé. Les auteurs ont été demandés : on s’est opposé fort long-tems à ce qu’ils fûssent nommés ; peu s’en est fallu qu’on ne se battît dans le parterre pour soutenir le droit de siffler un ouvrage qui nous a paru déplaire à la majorité, et par ses situations prolongées, et par les longueurs de style. Les auteurs sont les cit. Marsollier et Dalayrac.

Courrier des spectacles, n° 1080 du 28 pluviôse an 8 [17 février 1800], p. 2 :

[Nouvelle représentation, nouveaux troubles, bien plus marqués que lors de la première. Il faut faire intervenir la garde qui veille sur les théâtres. Puisque cette pièce fait tant de bruit, il faut bien en donner un aperçu. La pièce se place à ce fameux promontoire de Leucade, lieu du suicide de Sapho. On y voit deux jeunes gens venus sur le site de Leucade « pour aller mourir ou oublier un infidèle ». Mais ils s’éprennent l’un de l’autre, et au lieu de mourir se marient. La question posée ensuite est de savoir si un tel sujet est susceptible de fournir une pièce, et la réponse du critique est sans ambiguïté : c’est non, parce qu’elle est « dénuée de tout intérêt », que toutes les scènes contiennent des longueurs, que la situation des personnage est d’une ennuyeuse uniformité, et que ni le luxe de la mise en scène, ni la musique ne rachètent ces défauts. Il y a certes un fort beau morceau, mais il ne suffira pas à faire réussir la pièce.]

Théâtre Favart.

Quoique la seconde représentation du Rocher de Leucade eût attiré hier beaucoup moins de monde que la première, elle a été infiniment plus tumultueuse : on s’est battu jusqu’à trois fois dans le parterre, savoir deux fois pendant la pièce, qui a été interrompue, et une fois après que la toile a été baissée.

Le rétablissement de l’ordre a été dû en grande partie aux soins d’un administrateur du départe ment, le citoyen Sabathier, qui a quitté sa loge aux secondes, pour se transporter au milieu du parterre, où il est resté jusqu’à la fin du spectacle.

Les applaudissemens d’une part, et les sifflets de l’autre, ont été la cause du désordre. Les premiers applaudissemens donnés à outrance et très-gratuitement, ont d’abord fait rire la partie des spectateurs moins prompte à s’enthousiasmer. De nouveaux ont enfin excité des murmures, même des sifflets : alors les cris ordinaires de : A la porte ! à la porte ! ont été le signal pour se précipiter sur ceux qui avoient eu le malheur de ne pas suivre le torrent. La garde est entrée et est parvenue avec peine à ramener le calme. Le bruit que cette pièce a fait à la seconde représentation nous engage à en donner un appercu.

On sait que Sapho, trahie par Phaon, se précipita du Promontoire de Leucade. A son exemple les amans malheureux se rendoient à ce rocher pour y trouver ou la mort, ou la guérison réservée à ceux que l’on parvenoit à repêcher. Phanor et Aglaé ont quitté, l’un Samos, et l’autre Athènes, pour aller mourir ou oublier un infidèle. Mais ils éprouvent bientôt l’un pour l’autre ce sentiment vainqueur qui triomphe des plus fortes résolutions ; au moment de se précipiter ils avouent leur faiblesse, et leur hymen est, d’après les lois du pays, la suite nécessaire d’un tel aveu.

Un semblable sujet pouvoit-il fournir la matière d’une pièce ? nous sommes très-loin de le croire ; aussi pensons-nous que celle-ci est dénuée de tout intérêt, que toutes les scènes en sont longues qu’il y a dans la situation de Phanor et d’Aglaé une uniformité fatiguante [sic], que ces défauts ne peuvent être rachetés ni par la pompe que l’on a cherché à mettre dans cet ouvrage, ni par la musique savante du citoyen Dalayrac. L’Invocation à Vénus offre sans doute un superbe morceau exécuté par les citoyens Elleviou et Martin, et la citoyenne St-Aubin ; mais plus le compositeur et les acteurs ont déployé de talens, plus nous regrettons que ce soit dans une pièce que nous ne croyons pas pouvoir rester au répertoire.

Le Pan.          

Courrier des spectacles, n° 1083 du 1er ventôse an 8 [20 février 1800], p. 2 :

[Petite réflexion ironique sur le bon usage de sifflets au théâtre, et de la répression policière pour les faire cesser. Il n’est pas obligatoire de croire que cette lettre, est l'œuvre d’un véritable lecteur. Elle permet surtout de se rendre compte de l’ambiance qui préside à certaines représentations.]

AU RÉDACTEUR.

Les Inconvéniens des sifflets dans un pays bien policé.

Parfois vous daignez être le confident de ces adeptes qui, publiant leur ignorance, trouvent dans votre feuille une réponse paternelle et satisfaisante à leurs bévues. Voici la mienne. J’ai lu qu’autrefois :

Un clerc pour quinze sols, sans craindre le holà,
Du parterre pouvoit attaquer Attila.

à fortiori, moi, nourrisson du Pinde, j’ai cru pouvoir siffler un nouveau roi barbare pour mes deux francs et mes vingt centimes 5 mais , ô fatal usage d’un si b au privilège, mon sifflet rouillé par les Précepteurs, par l’Abbé de l’Epée, par les Deux Journées, par M. Guillaume, se réperfora tout-à-coup à la pointe du Rocher de Leucade.

Tranquillement assis au milieu du parterre, je m’évertue à droite et à gauche pour imposer silence aux cabaleurs de l’un et de l’autre bord qui m’empêchent d’entendre ; j’écoute et j’entends cependant. Le rideau tombe ; ma foi c’étoit le cas ou jamais. Ma clef forée s’élance donc à l’instant ; je suis pris sur le fait, atteint et convaincu. Mais on siffla Corneille, mais on siffla Racine, qui n’eurent point recours au lieutenant de police. Moins heureux que les clercs de ce temps-là, on me prouva, coup-sur-coup, que la pièce étoit bonne ; obligé d’en convenir, je rentrai chez moi tout aussi étonné que le Mysantrope d’avoir été forcé par ordre exprès du Roi, d’applaudir le sonnet d’Oronte.

Un déshabitué du parterre.          

La Décade philosophique, littéraire et politique, an VIII, 2e trimestre, n° 17, du 20 Ventose, p. 496

Théâtre de l'Opéra-Comique.

Nous avons négligé de parler la décade dernière d'un ouvrage intitulé le Rocher de Leucade : ses premières représentations avaient été si orageuses, il s'était élevé une lutte si vive entre ses partisans et ses détracteurs, qu'il était difficile de prononcer alors sans avoir l'air de se ranger de l'un des deux partis, et par conséquent sans être suspects de partialité.

L'auteur des paroles avait essayé de mettre sur la scène un joli petit poëme de Parny, intitulé le Promontoire de Leucade, et d'y coudre quelques détails du roman agréable d'Anténor. Mais nous pensons qu'il n'avait pas tout-à-fait assez réfléchi son plan, ni assez soigné ses détails, ils nous ont paru froids, et sur-tout sans couleur, ce quj frappe beaucoup dans les sujets de ce genre ; il résulte que si les improbateurs ont témoigné un peu trop durement leur opinion, les partisans ont donné dans l'excès contraire, en voulant forcer le suffrage public.

La jolie et très-aimable musique de Dalayrac n'a pu soutenir long-tems un ouvrage dénué totalement d'action et de coloris.

L. C.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, Ve année (an VIII-1799), tome sixième, p. 252-253 :

Theatre Favart

Le Rocher de Leucade.

Cet opéra, représenté le 25 pluviôse, a excité la plus violente rumeur ; les uns siffloient, les autres applaudissoient, et chacun a fini par soutenir son opinion à coups de poings ; en un mot, on s'est battu jusqu'à trois fois dans le parterre.

Le sujet de cette pièce ne pouvoit réussir : ce sont des amans brouillés qui viennent pour se précipiter dans la mer, de dessus le rocher de Leucade, célèbre par la mort de Sapho, et qui se réconcilient au lieu de se donner la mort.

Une longueur et une monotonie fatiguante, n'ont pu être rachetés par la pompe du spectacle, par une musique très-savante, et par le jeu des acteurs.

Les auteurs, les CC. Marsollier et Daleyrac, ont de quoi se consoler de la chute de cet ouvrage, par leurs productions passées et à venir.

Nicole Wild et David Charlton, Théâtre de l'Opéra-Comique Paris : répertoire 1762-1972, p. 391, attribuent 8 représentations à la pièce. La date donnée p. 59 est inexacte : le 14 février 1800 ne correspond pas au 14 ventôse an 8, mais au 25 pluviôse an 8. Et l’erreur est reproduite dans le livre de Robert Ignatius Letellier, Opéra-Comique : A Sourcebook, p. 21.

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