Berthilie, mélodrame en trois actes et à grand spectacle, paroles de Louis [L. B. F. von Bilderbeck], musique de Quaizain et Lanusse, ballets de Millot, 12 mai 1814.
Théâtre de l'Ambigu-Comique.
Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Barba, 1814 :
Berthilie, mélodrame en trois actes et à grand spectacle; Paroles de M. Louis ; Musique de MM. Quaizain et Lanusse. Ballets de M. Millot. Représenté, pour la prmeière fois, à Paris, sur le Théâtre de l'Ambigu-Comique, le 12 Mai 1814.
Journal des arts, des sciences, et de la littérature, n° 295 du 15 mai 1814, p. 209-210 :
[Traduction de l'allemand (ou adaptation ?), la pièce nouvelle est compliquée, et il faut remonter loin en arrière pour comprendre l'intrigue. Le critique se lance donc dans le résumé d'une authentique intrigue de mélodrame, avec tout ce qu'il faut de trahisons, de mystères, de rebondissements. Après l'avant-scène, très embrouillée, il passe à ce que la pièce montre, et ce n'est pas simple. L'accusation d'inceste portée contre l'héroïne et son mari disparaît quand la mère de Berthilie, folle, révèle la vérité de la naissance de sa fille : plus d'inceste, il n'y a plus qu'à punir ceux qui ont colporté de fausses informations. Tout est bien qui finit bien, sauf pour eux. La conclusion de l'article est rapide : la pièce a du succès, et le critique a versé sa larme comme les autres.]
AMBIGU-COMIQUE.
Berthilie, mélodrame en trois actes, par M. Louis; musique
de MM. Lanusse et Quaizin; ballet de M. Millot.
Cet ouvrage est une traduction de l'allemand ; le sujet en est compliqué et exige que l'on fasse connaitre l'avant-scène avec quelques détails. C'est un roman tout entier.
La sœur du farouche-Odoard, la trop sensible Emma, a épousé secrètement Maurice, écuyer de son frère, et bientôt un enfant a été le fruit de cet hymen. Odoard ayant découyert cette intrigue, a immole Maurice à sa fureur, il a fait enfermer Emma dans un couvent, s'est emparé de la fille de cette infortunée (Berthilie), et l'a déposée chez un paysan nommé Bertrant, en lui disant que cet enfant est le sien ; il lui a recommandé le secret, lui a ordonné de l'élever comme s'il lui appartenait, et est parti pour la Terre-Sainte, où il a terminé ses jours. Théobard , son fils, s'est fait aimer de ses nombreux vassaux : mais les vandales en ont emmené un grand nombre dans une de leurs incursions, et parmi ces victimes est Bertrant. Berthilie, abandonnée et sans secours, a inspiré une grande passion à Théobard qui, sans calculer la distance de leurs rangs, l'a épousée et en a eu un fils. A une époque de sa vie, Bertrant, croyant sa fin prochaine, a déclaré à un religieux que Berthilie était la fille d'Odoard, et l'ermite, en mourant, a confié ce secret à son successeur qui se trouve être le digne accolite d'un amant rebuté par Berthilie, d'un ambitieux qui convoite et la femme et les richesses de Théobard. Ici commence la pièce, dont l'intérêt croit à chaque acte. L'ermite pervers suppose que Théobard a épousé sa sœur, et fait part de sa découverte au scélérat dont il seconde les projets. Sur ces entrefaites, Bertrant, mis en liberté par les vandales, revient ; son effroi, son désespoir en voyant Berthilie l'épouse de Théobard, confirment tous les doutes ; l'inceste parait prouvé. L'ermite appelle la vengeance de Dieu sur ces époux coupables, lance sur eux l'anathểme, délie les vassaux de leur serment de fidélité, et leur commande le meurtre de leurs souverains. Bertrant fait de vains efforts pour sauver ces deux infortunés, eux-mêmes sont déterminés à mourir.
Un personnage mystérieux (et dont les différentes apparitions annoncent qu'il n'est point étranger à l'action), dénonce enfin celte intrigue : ce personnage est Emma elle-même, dont la raison est aliénée par le malheur. Elle s'est échappée du couvent où elle était renfermée. Les mots qui lui échappent de loin en loin conduisent au dénouement, dont le pathétique a fait répandre bien des larmes. Berthilie, reconnue pour la fille d'Emma et de Maurice, peut sans crime aimer Théobard ; les seuls coupables doivent trembler ; ils sont punis en effet.
Berthilie a obtenu un succès complet, et ne peut manquer d'attirer la foule à l'Ambigu ; on la critiquera peut-être, tout en l'applaudissant ; quant à moi, j'ai pleuré, me voilà désarmé.
Sarrazin.
Journal de Paris politique, commercial et littéraire, n° 146 du 26 mai 1814, p. 2-3 :
[Dans un feuilleton permettant à Martainville de rattraper son retard dans la critique théâtrale, après Vive la Paix ! et avant l'Heureux hasard, compte rendu d'un mélodrame, Berthilie, un mélodrame un peu particulier, puisqu'il ne montre pas « le spectacle hideux de voleurs, de brigands que la Grève réclame et que le théâtre doit rejeter ». Martainville lui trouve bien des qualités (c'est rare quand il s'agit de parler d'un mélodrame) : beaucoup d'événements, mais « liés avec art », un « intérêt bien gradué »; et des situations qui « excitent le plus vif attendrissement ». Suit le classique résumé de l'intrigue, passablement touffue, peu surprenante pour un mélodrame : une fillette confiée à un paysan par un oncle qui a tué le père de l'enfant et enfermé la mère, avant de mourir en Palestine. Le dénouement ne surprend gère : le paysan révèle qui est Berthilie, Emma s'enfuit du couvent, et la vérité triomphe... Le critique insiste sur la qualité de la pièce : elle est fort bien jouée (chaleur et ensemble, deux caractéristiques remarquables). Elle s'inspire d'une pièce allemande. Les auteurs sont nommés.]
Berthilie, qui, depuis quelque temps, attire une grande affluence à l'Ambigu, n'est pas un de ces mélodrames qui n'inspirent que l'horreur, et souvent le dégoût, par le spectacle hideux de voleurs, de brigands que la Grève réclame et que le théâtre doit rejeter.
Quoique cette pièce soit chargée d'évènemens nombreux, et un peu romanesques, comme ils sont liés avec art, ils se développent avec clarté ; l'intérêt bien gradué se soutient et s'accroît jusqu'à la fin, et plusieurs situations excitent le plus vif attendrissement.
Le farouche Odoard, l'effroi de la Thuringe, furieux du mariage, inégal que l'amour a formé entre sa sœur Emma et un simple écuyer, assassine son beau-frère, enferme Emma dans un couvent, et confie à un paysan la petite Berthilie, seul fruit de cette union, en la faisant passer pour sa propre fille. C'est par de telles actions qu'Odoard se prépare au saint voyage de la Palestine. Il y trouve la mort. Son fils Theobard rencontre Berthilie ; l'amour fait taire l'orgueil ; il l'épouse. Le paysan, qui a élevé Berthilie, déclare à l'article de la mort qu'elle est fille d'Odoard. Ce secret se répand par les soins d'un hermite dévoué au chevalier Amalabergue, qui brûle pour Berthilie d'un coupable amour. Les malheureux époux, qui se croient eux-mêmes incestueux, deviennent l'objet de l'horreur publique ; se séparer et mourir, voilà le triste sort auquel ils sont résignés. Mais un être miraculeux éclaircit cet horrible mystère et prouve l'innocence de leur hymen. Emma, dont la douleur a égaré la raison, s'est échappée du couvent dans lequel on la retenait. Après avoir long-temps erré dans les forêts, elle arrive au château, dont les moindres détours lui sont connus. C'est à elle qu'on doit et de précieuses révélations et la découverte de plusieurs papiers de famille, qui font triompher la vérité et l'innocence.
Ce mélodrame, qui est joué avec beaucoup de chaleur et d'ensemble, ne peut manquer de se placer avec distinction dans le nombreux répertoire de l'Ambigu. Le sujet est, dit-on, emprunté d'une pièce allemande : son mérite et son succès le rendent de bonne prise.
L'auteur des paroles est M. Louis, déjà connu par plusieurs ouvrages ; la musique est de MM. Quaisain et Lanusse, et les ballets de M. Millot.
Le Spectateur, ou Variétés historiques, littéraires, critiques, politiques et morales, par M. Malte-Brun, n° 5 p. 235-237 :
[Deux temps dans cet article : d'abord une réflexion sur l'avenir de la tragédie, concurrencée par le mélodrame : si elle reste enfermée dans des règles étroites, elle est vouée à disparaître. Puis le résumé de l'intrigue de Berthilie, que le critique présente comme « un nouvel exemple de l'attrait qu'offre ce genre » du mélodrame. Cette deuxième partie est fort inspirée de l'article de Sarrazin.]
Théâtre de l'Ambigu. Berthilie, mélodrame.
Madame de Staël, dans son livre Sur l'Allemagne, dit avec raison que si la tragédie française continue à rester soumise aux règles étroites et de pure convention auxquelles le siècle de Louis XIV l'a assujétie, elle finira par ne plus acquérir aucun bon ouvrage nouveau ; car toutes les peintures de grandes passions, de malheurs illustres et de situations pour ainsi dire royales, étant épuisées par nos trois grands auteurs tragiques, il ne reste qu'une source vierge où nous pourrions puiser des beautés nouvelles ; c'est la peinture complète, vraie et naïve, de caractères et de mœurs. Or, tant que subsistera le code actuel de notre Parnasse, ces peintures, admises sur le théâtre allemand, seront bannies du nôtre, à cause de leur incompatibilité avec la règle des trois unités. Alors on sera réduit à jouer continuellement nos anciens chefs-d'œuvres, en y mélant de loin en loin quelque foible et languissante imitation, comme, par exemple, Ulysse. Cet état de choses n'auroit peut-être rien d'alarmant pour le goût, si notre théâtre tragique étoit sûr de vieillir dans une tranquille léthargie, sans rival et sans concurrence. Mais il n'en sauroit être ainsi : le rival existe; l'ennemi est dans les murs; l'audacieux mélodrame n'attend que l'impulsion d'un Shakespeare, d'un Schiller, pour usurper le sceptre de Melpomene. L'ambitieux qui tenteroit cette révolution auroit beau jeu. Si à l'art de produire des effets de théâtre, il joint l'art de peindre le cœur humain, de retracer les mœurs et les caractères historiques, comment les auteurs de tragédies. régulières pourroient-ils soutenir la lutte ?
Berthilie, qu'on vient de donner à l'Ambigu, quoique très-éloignée de ce type d'un mélodrame perfectionné, fournit un nouvel exemple de l'attrait qu'offre ce genre.
La sœur du farouche baron Odoard, la belle et sensible Emma, a épousé secrètement Maurice, écuyer de son frère. La naissance d'une fille a resserré ces tendres liens. Mais le secret est trahi; Odoard immole Maurice à son orgueilleuse rage: il fait enfermer Emma dans un couvent, et fait élever l'enfant (Berthilie) chez un paysan, auquel il fait accroire qu'il en est le père. Puis, saisi par ses remords, il prend la croix, et va mourir les armes à la main dans la Terre-Sainte. Son fils lui a succédé dans ses terres et domaines ; il est aimé de ses vassaux, et digne de l'être. Mais voici que tout-à-coup un désastre vient déranger sa prospérité. Les Vandales, peuple éteint dès le sixième siècle, par conséquent quatre cents ans avant les croisades, sont ressuscités par l'autorité de notre mélodramaturge ; ils dévastent la seigneurie, et emmènent Berthilie prisonnière. Les malheurs, la beauté de cette orpheline, inspirent une vive passion à Théobald ; il la voit, il la délivre, il l'épouse. Elle lui donne un fils. Le paysan Bertrand avoit, dans un moment de frayeur, confessé à un ermite que Berthilie étoit fille d'Odoard et cet ermite a confié son secret à un autre religieux, qui se trouve par malheur être le vil complice d'un amant dédaigné par Berthilie, d'un ambitieux qui à présent voudroit arracher à Théobald et sa baronnie et sa femme. Tout ceci s'est passé dans l'avant-scène. Le méchant ermite et le scélérat dont il a épousé la cause, répandent partout que Théobald et Berthilie sont frère et sœur : ils appellent les foudres de l'Eglise sur le couple incestueux ; une révolte éclate, la guerre civile s'allume. Bertrand, rendu à la liberté par les Vandales, voit avec effroi Berthilie devenue épouse de celui qu'il croit son frère. Mais un personnage mystérieux, un être qui semble revenu de l'autre monde, dénoue ce nœud qui sembloit devoir amener une catastrophe tragique. C'est Emma qui, échappée de son couvent, où elle a perdu la raison, vient enfin reconnoître sa fille. Dès-lors plus d'inceste, plus d'excommunication, plus de révolte. Les honnêtes gens sont heureux, et les criminels sont punis.
Cette pièce, remplie de situations touchantes, a obtenu un grand succès. Elle est imitée de l'allemand.
…..N.
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