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Camilla ossia il Sotteraneo

Camilla ossia il Sotteraneo, opéra (dramma seria per musica) en trois actes, de Carpani, musique de Paër, représenté à Vienne en 1801, 5 novembre 1804.

Opéra italien de Paris (Théâtre de l'Impératrice, rue de Louvois).

Courrier des spectacles, n° 2809 du 15 brumaire an 13 [6 novembre 1804], p. 2 :

[Bref compte rendu de la représentation de cette Camilla, présentée comme une quasi traduction (pour le texte sans doute) de la Camille de l'Opéra Comique. Beaucoup de monde, une représentation très longue, puisqu'elle dure jusqu'à minuit, mais sans lasser le public, en raison de la qualité de la musique qui a tous les mérites : « riche, variée », mais surtout « vraiment dramatique parce qu'elle est « adaptée à un sujet régulier et intéressant ». Et chaque adjectif compte  la musique doit servir le sujet, et pas l'inverse. Les « acteurs » sont félicités, pour leur chant comme pour leur jeu (et les deux aspects sont importants).]

Camilla, drame héroïque, joué hier au Théâtre de l’Opéra-Buffa, est une traduction presque littérale de notre Camille de l'Opéra-Comique. La représentation de cette pièce avoit attiré un grand nombre de spectateurs. Elle a duré jusqu’à minuit sans fatiguer les auditeurs ; effet remarquable d’une musique riche, variée, et vraiment dramatique, adaptée à un sujet régulier et intéressant.

Les acteurs se sont distingués par l’excellence de leur chant, et souvent par la justesse et le mérite de leur jeu.

Courrier des spectacles, n° 2810 du 7 novembre 1804, p. 2-4 :

[Après le court article de la veille, un long compte rendu, qui développe les mêmes idées. La pièce nouvelle est la preuve d'une adaptation de l'opéra italien au goût du public français : c'est fini de faire de l'opéra un concert, au lieu d'en faire un spectacle dramatique. Les Français veulent au théâtre « une action ou comique, ou touchante, ou pathétique ». La prise en main de l'Opéra Buffa par Picard (qui est le directeur du Théâtre de l'Impératrice, où les Italiens jouent) fait que le soin des livrets (des « poëmes », comme on dit alors) est confié à un authentique poète et traducteur (Giuseppe Luigi Balocchi, 1766-1832, qui n'est d'ailleurs pas l'auteur du livret de Camilla). La pièce italienne est considéré comme «  une traduction presque littérale de » la pièce homonyme de Marsollier, musique de Dalayrac, de 1791. Le critique regrette la longueur de la pièce nouvelle, dont il rend responsable « le fastidium du récitatif (dans un opéra comique français, pas de récitatif, les dialogues sont parlés). La musique de la Camilla est de Paër, un jeune compositeur plein de promesses, dont la Camilla est le chef-d'œuvre. Bien reçue partout, elle a été également applaudie à Paris. On y a apprécié « le jeu des acteurs ». En France, on attend « des pièces régulières et composées avec soin » (ce que les opéras italiens ont la réputation de ne pas être !). La Camilla fait justement exception : la musique est « une musique de situation », et elle est « aussi riche en mélodie qu'en harmonie ». Le critique prend un exemple important à ses yeux de la qualité de la musique, le trio de la cloche, un moment important de la pièce de Marsollier et Dalayrac. Paër a bien sûr conscience de l'importance de ce moment, même si le critique lui reproche d'avoir transformé un moment qui devait être « grave et austère » en « une sorte de coquetterie légère et moderne », jugée en opposition avec la situation. L'article enchaîne sans transition avec le jugement des divers interprètes, madame Fédi, grâce, finesse, intelligence, mais son rôle est trop court ; Alliprandi, « acteur sensible et intelligent » ; Nozzari et Martinelli, remarquables tous deux dans le duo du second acte, « un chef-d'œuvre » ; madame Strina-Sacchi, qui a montré « son talent ordinaire dans un air fort beau – mais dans un autre air, la musique n'était pas en accord avec « l'état de Camille : c'est une faute, dont Paër a toutefois su se racheter « par le mérite et le charme de la phrase musicale. Le critique cite un bon nombre de morceaux, dont il loue tantôt l' « harmonie très savante », tantôt les paroles. Un dernier interprète a su « rendre avec beaucoup d'originalité » son « rôle de paysan », ce qui fait naître une réflexion sur la capacité des Bouffons de faire autre chose que chanter (ce dont on doute généralement), et de jouer « très-bien », à condition seulement que les ouvrages représentés soient « capables d'exciter leur intérêt ». La pièce était très attendue, et elle avait attiré le public. Succès complet : le critique parie que son illustre confrère saura en dire beaucoup de mal ! Faut-il nommer cet « illustre confrère ?]

Théâtre de l'Opéra-Buffa.

Camilia, dramma eroi-comico.

Les Italiens ont enfin senti qu’il ne suffisoit point en France d’offrir au public de la très-belle musique, qu’il falloit encore, pour obtenir des succès, l’attacher à un sujet raisonnable et intéressant. On peut, en Italie, convertir un théâtre en vaste salon de compagnie, et se contenter d’un concert, au lieu d’une représentation dramatique. Mais en France, on va au spectacle pour jouir de l’imitation d’une action ou comique, ou touchante, ou pathétique. Il sera toujours très-difficile de persuader à un peuple accoutume à des compositions ingénieuses, et qui n'épargne pas ses propres auteurs quand ils manquent aux règles de l’art et du goût, il sera difficile de lui persuader qu’il ne vient point au théâtre pour y voir jouer une pièce, et qu’il doit se contenter de quelques airs brillans, perdus dans un récitatif mortel, chargé d’inepties de tous les genres.

Ce qui pouvoit arriver de plus heureux à l’Opéra Buffa, c’étoit de tomber entre les mains de M. Picard. Ce poète-directeur, en homme habile, a pense qu’il falloit tenter une réforme, et pour l’opérer avec succès, il a confie la direction des poëmes lyriques à M. Balocchi. Ce choix heureux nous promet des compositions soignées et agréables. M. Balocchi est musicien et homme de lettres distingué ; nous lui devons des traductions, en vers italiens, de nos meilleures poésies modernes, et notamment des poèmes de M. Legouvé. Ses compatriotes lui auront bientôt l’obligation de connaître dans leur langue le poème célèbre des Saisons de Thompson, dont il s'occupe en ce moment.

Le sujet de la Carnilla est connu : c’est une traduction presque littérale de la pièce françoise, à l’exception néanmoins des deux premières scènes. Mais la représentation paraît beaucoup plus longue, parce qu’il faut essuyer tout le fastidium du récitatif. La musique de la Camilla a été composée à Vienne par le célèbre Per, né en Italie, et auteur de la Griselda, ainsi que de plusieurs autres opera serie et buffe très-estimés. Celui de nos journalistes qui a dit que Per n’étoit connu de personne, n’a rien prouvé contre Per, il n’a prouvé que contre ses propres connaissances. Ce jeune compositeur n’avoit guères que trente ans quand il fit la Camilla, que l’on regarde comme son chef-d’œuvre. Cette belle production a été jouée dans toutes les grandes villes de l’Europe, et a réuni tous les suffrages. Il convenoit enfin de la monter sur le théâtre de Paris. Elle y a été accueillie avec les mêmes applaudissemcns, et, ce qui n’arrive jamais, on a pris intérêt au jeu des acteurs. Tant il est vrai qu’il faut aux françois des pièces régulières et composées avec soin. Le mérite général de la Camilla est d'offrir dans toutes ses parties une musique de situation, et d’être aussi riche en mélodie qu’en harmonie.

Le trio de la Cloche est d’un faire gracieux et plein de charmes. Mais la Cloche ne nous a pas paru savoir suffisamment son rôle. C’est une cloche antique, qui doit parler d’une manière grave et austère ; elle a oublié son âge pour se livrer à une sorte de coquetterie légère et moderne qui ne s’accommodoit point avec sa situation. Mais l’artiste, son interprète, n’en a pas moins donné des preuves honorables de son talent pour le carillon.

Les trois parties du trio sont liées et réunies avec un art admirable ; ce qui n'empêche point que nous ne devions nous souvenir de celui de M. Daleyrac, dont Per lui même ne pouvoit assez admirer les beautés. Mad. Fédi a porté dans son rôle cette grâce, cette finesse et cette intelligence qui la rendent si intéressante ; mais ce rôle étoit trop court, et l’on aime à la voir long tems sur la scène. On assure que ce plaisir nous est réservé incessamment dans l’opéra di Zingari, où elle doit jouer le rôle principal. Le costume de Mad. Fédi étoit élégant ; trop élégant peut-être pour une jeune | paysanne qui se trouve dans un lieu isolé et sauvage. Cette jeune actrice a-t-elle cru que la parure lui étoit nécessaire ? ce seroit méconnaître les grâces qu’elle a reçues de la nature. Alliprandi a bien saisi l’esprit de son rôle, et a joué en acteur sensible et intelligent. Il a chanté avec beaucoup de justesse et de goût sa grande scène. Le finale du premier acte et les effets du chœur sont d’une grande beauté ; ils sont dignes du plus habile compositeur. Le duo du second acte est regardé comme un chef d’œuvre. Il est d’une expression et d’une vérité admirables. On y remarque quatre mouvemens qui se croisent alternativement, et rendent avec le plus heureux succès les sentimens du courage et de la peur ; il en résulte des oppositions et des contrastes dont on a senti tout le charme. Ce duo a été bien exécuté par Nozzari et Martinelli. Nozzari s’est surpassé  ; jamais son organe n’a eu plus de force, d’étendue, de grâces et de développemeus. Le public, charmé, a voulu entendre ce morceau une seconde fois.

Martinelli est un acteur plein d’originalité ; il suffit de le voir pour deviner son rôle, il sait si bien donner à sa figure, à ses gestes, à sen ton l’expression, convenable, que ceux-mêmes qui n'entendent pas l’italien devinent ce qu’il dit. Il a très-bien exécuté l’air du rêve, et par une combinaison qui n’appartient qu’à lui, il a eu l'art de nous amuser beaucoup en nous faisant bâiller.

Mad. Strina-Sacchi a développé son talent ordinaire dans l’air : O momento fortunato ; c’est un morceau d une compétition très-belle, mais où l’auteur s’est oublié, et a négligé la situation. La phrase : è gioja , è diletto, est exprimée par des sons gais et sautillans, qui ne sont nullement d’accord avec l'état de Camille. La musique adaptée à la répétition de cette phrase convient beaucoup mieux, parce qu’elle est naturelle et juste ; mais cette faute est rachetée par le mérite et le charme de la phrase musicale. On trouve peu d’auteurs capables de commettre des fautes de ce genre, et l’on est trop heureux quand on ne peut leur reprocher que ces piccoli nei. On admire dans le quatuor du second acte : Zio amato, une harmonie très-savante. Le finale n’est pas moins beau. Quel talent dans ces paroles du chœur : Povera madre, etc.

Crucciati, chargé d’un rôle de paysan, l’a rendu avec beaucoup d’originalité, et les Bouffons, qu’on suppose communément n’avoir d’autre talent que celui de chanter, ont prouvé qu’ils joueront très-bien quand les ouvrages qu’ils auront à représenter seront capables d’exciter leur intérêt.

La réputation de la Camilla avoit attiré un concours nombreux d'auditeurs ; jamais la salle du théâtre Louvois n’a renfermé une plus belle réunion. Enfin, son succès a été si complet, les beautés qu’il renferme sont si évidentes, que tout fait présumer qu’il sera fort décrié demain dans le célèbre feuilleton d’un de nos confrères.

 

Journal des débats du 23 brumaire an 13 [13 novembre 1804], p.

[Après avoir rendu compte de « deux folies », l'Irato et une Folie, représentée sur le Théâtre de l'Opéra-Comique, le critique du très sérieux Journal des débats dit tout le mal qu'il pense de l'opéra bouffon italien, en s'en prenant à l'Irato dont il pense pis que pendre (et qu'il juge bien mal). Et il arrive à Camilla, dont il veut simplement montrer qu'elle est une mauvaise traduction de la pièce française de Marsollier. Et Paër, et à travers lui tous les musiciens italiens écrivant pour le théâtre, est accusé de ne pas avoir la moindre idée de ce qu'est le théâtre lyrique tel qu'on l'entend en France, pays de l'esprit et de la raison.]

Il n'est pas à souhaiter qu'il réussisse souvent des pièces telles que l'Irato ; de tels succès désohonorent le théâtre sans honorer beaucoup la musique : il faut croire, pour l'honneur de la musique, que son objet n'est pas d'exprimer des niaiseries et de parer des sottises. Nous devons rester attachés à l'art dramatique, qui a fait la gloire de la France : prenons garde de laisser dégénérer notre opéra comique français, on opéra bouffon italien. Nous ne pourrions jamais gagner du côté de la musique ce que nous perdrions du côté de l'esprit et de la raison : nous finirions même par avoir tout à-la-fois de mauvaises pièces et de mauvaise musique dramatique ; car il y a une affinité naturelle qui lie tous les arts, et quand les poëtes ne savent plus composer que des farces insensées, les musiciens ne peuvent plus faire entendre que de vains fredons et des modulations insipides.

Voyez ce que font les compositeurs d'Italie depuis que leurs auteurs n'ont plus le sens commun ; voyez même quelle espèce de musique ils adaptent aujourd'hui à des pièces françaises traduites dans leur langue. Les Bouffons représentent actuellement Camille ou le Souterrain, ouvrage de Marsollier, qui a obtenu beaucoup de succès sur notre théâtre. La musique est d'un compositeur nommé Paër, qui a perdu beaucoup de sa célébrité depuis qu'il est connu parmi nous. Cet artiste n'a su peindre aucune des situations que la pièce présente, parce qu'il étoit accoutumé à mettre en musique des pièces qui ne signifient rien. Aussi savant que l'on voudra dans toutes les autres parties de la musique, Paër et la plupart de ses confrères, ignorent absolument la partie la plus essentielle, la partie dramatique, qui consiste à peindre les mœurs, les passions, les caractères, à faire des scènes, à saisir l'esprit et le ton qui convient à chaque personnage, à chaque situation. Voilà comment, avec beaucoup de talent et d'érudition musicale, on réussit à ne donner au théâtre que des ouvrages monotones, ennuyeux et assommans. Tous les compositeurs soi-disant célèbres ont besoin de refaire leurs études, s'ils sont jaloux de plaire à une nation familiarisée avec les chefs-d'œuvre dramatiques, qui a plus d'esprit encore que d'oreille, et qui veut que la musique dise toujours quelque chose.

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