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Le Chevalier d'industrie, comédie en cinq actes
Le Chevalier d'industrie, comédie en cinq actes, en vers, par M. Duval ; 13 avril 1809.
Théâtre Français.
Pièce qu’on ne confondra pas avec l’éphémère Chevalier d’industrie, opéra comique en un acte, joué une seule fois en 1804.
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Titre :
Chevalier d’industrie (le)
Genre
comédie
Nombre d'actes :
5
Vers ou prose ?
en vers
Musique :
non
Date de création :
13 avril 1809
Théâtre :
Théâtre-Français
Auteur(s) des paroles :
Alexandre Duval
Almanach des Muses 1810.
Sujet déjà mis plusieurs fois sur le théâtre sans aucun succès. Le héros de la piece nouvelle est un fripon, qui, comme le Tartuffe de Moliere, s'introduit dans une maison honnête pour y trouver des dupes : il y trompe, non pas un Orgon, mais une veuve de quarante ans qui a cent mille livres de rentes, et qui le croit un honnête homme.
Le rôle principal, dégoûtant de bassesse, a particulièrement nui au succès de cette comédie, dans laquelle, à travers des défauts, on a remarqué des traits spirituels et comiques, et reconnu un écrivain exercé.
Sur la page de titre de la brochure :
Le Chevalier d'industrie. Comédie en cinq actes et en vers, Par M. Alexandre Duval, de l'Académie française. Représentée sur le Théâtre-Français le 13 avril 1809.
Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, année 1809, tome II, p. 394-396 :
[Après une tentative un peu confuse de dire ce qu’est un chevalier d’industrie, entre Crispin et Begears, le compte rendu s’applique à analyser une intrigue assez compliquée, avec une « riche veuve » qu’un aventurier et escroc tente d’épouser. L’affaire échoue et le suborneur est congédié. Le dénouement est jugé « brusque et peu adroit », ruinant l’effet produit par les quatre premiers actes. « Les acteurs ont fait de leur mieux pour soutenir la pièce », qui donc en avait bien besoin. Les changements effectués avant la deuxième représentation ont eu un effet positif.]
Théâtre français.
Le Chevalier d'industrie, comédie en cinq actes et en vers, jouée pour la première fois le jeudi 13 avril 1809.
Les ruses des chevaliers d'industrie ne sont pas plus rares au théâtre et dans les romans que dans le monde. Crispin rival de son maître est un chevalier d'industrie qui a le mérite d'amuser par un travestissement bouffon. Begears, de la Mère coupable, est un chevalier d'industrie d'un genre plus noble, si toutefois on peut établir de semblables distinctions entre les différens genres de bassesses des escrocs. Qu'importe le vernis qui les couvre, quand le fonds est le même. Lorsqu'un valet veut escroquer une dot, on rit de sa dupe qui ne peut être qu'un Géronte crédule ; quand un homme décoré veut tromper une femme et lui voler cent mille francs, on n'éprouve que de l'indignation : c'est ce qui a nui à la comédie nouvelle.
Un aventurier, après avoir fait le métier d'escroc à Londres, revient en France, s'introduit chez Madame Franval, riche veuve, sous le nom du chevalier de Saint-Remi, et se donne pour être d'une illustre famille. La veuve, éprise du chevalier, ne prend pas d'informations sur la naissance et la qualité de cet inconnu, et veut en faire son mari. Elle a cent mille livres de rente, et quarante ans. Cette amoureuse surannée a contre elle toute sa famille : son frère surtout, bon négociant, extrêmement riche, jette feu et flamme contre l'escroc ; mais ce frère, plus honnête qu'adroit, se livre aveuglément aux transports de sa haine : il attaque mal l'intrigant, et ne fait que le mieux établir dans le cœur de la veuve. Son zèle va jusqu'à offrir cent mille écus à cet aventurier, s'il veut lâcher prise ; mais la veuve arrive au moment du marché. Le chevalier, qui étoit sur le point de conclure, aperçoit la dame, fait éclater à ses yeux le plus profond mépris pour cette proposition injurieuse, et s'acquiert par là une grande réputation de délicatesse. C'est la meilleure situation de la pièce; elle termine le quatrième acte. Les trois premiers ne se soutiennent que par quelques tirades où l'on remarque des vers bien faits, qu'on a justement applaudis. Il y avoit un personnage qui pouvoit servir grandement à l'intrigue, qui connoissoit bien le caractère de Saint-Remi, ses vils projets et sa mauvaise conduite. Ce personnage est l'amant de la sensible fille de Madame de Valmont, de la jeune Adèle : il devoit parler ; il vient brusquement apporter le dénouement, et sa déclaration à qui son repentir et ses aveux servent seuls d'appui, amène d'une manière précipitée le triomphe de l'oncle, éclaire Madame de Valmont, et fait congédier Saint-Remi.
Ce dénouement est brusque et peu adroit. Il a fait oublier ce qu'il y avoit de bon dans les quatre premiers actes, et le cinquième a été traité par le public avec sévérité.
Les acteurs ont fait de leur mieux pour soutenir la pièce ; on doit surtout des éloges à Fleuri et à Damas.
A la deuxième représentation, M. Duval a fait des changemens qui ont amélioré le cinquième acte ; il y a transporté la scène du quatrième qui avoit produit de l'effet : l'ouvrage a été jugé moins sévèrement. L'indisposition de Madame Talma, l'a cependant arrêté quelques jours ; son rôle a été joué par Mademoiselle Emilie Leverd.
L’Esprit des journaux français et étrangers, tome VI, juin 1809, p. 270-277 :
[Avant d’analyser le sujet, le critique doit expliquer comment le directeur d’un théâtre fait jouer sa pièce dans un autre. C’est que la pièce nouvelle est une comédie en cinq actes, en vers, et que seul le Théâtre-Français peut accueillir ce genre de pièce dont il signale la difficulté en des termes assez convenus (« la conception d'une comédie en cinq actes, les profondes méditations qu'elle exige, le travail auquel elle condamne, le mérite de versification qui en est presqu'inséparable). Il donne ensuite une série d’exemples empruntés à des comédies destinés à éclairer ce qu’est un chevalier d’industrie. Il peut ensuite se livrer à l’analyse attendue : présentation du personnages, de son intention d’épouser une riche veuve dont il a tourné la tête. La suite d el’intrigue, c’est le combat de cet escroc contre tous ceux qui veulent empêcher ce mariage, combat dans lequel « il ests eul contre tous. Au cours de cette analyse, le critique laisse transparaître les reproches qu’il fait à la pièce : le principal, c’est que le public, comme tous les personnages sauf un (la veuve), sait à quoi s’en tenir, il n’y a plus rien à deviner dès le premier acte. La suite de l’analyse énumère les tentatives de l’entourage de la veuve pour démasquer le chevalier d’industrie, ce qui ne va pas sans mal, paraît plutôt compliqué, et aboutit bien sûr, par la ruse, à la révélation aux yeux de la veuve de qui est vraiment celui qu’elle allait épouser. Manifestement, le critique se meut avec facilité dans toutes ces péripéties liées à des mœurs qui nous sont devenues étrangères. Le jugement porté sur la pièce est peu enthousiaste : le dénouement est sévèrement critiqué parce qu’il est à la fois incomplet (le méchant n’est pas puni : c’est difficilement supportable !), peu satisfaisant (le chevalier finit par des menaces qui peuvent se réaliser) et facile (l’apparition fort opportune de documents qui prouvent qui est vraiment le chevalier). On est loin du vrai et du naturel dans ce dénouement. L’étude des rôles privilégie celui du chevalier, plutôt bien fait, même si le critique y trouve des manques (il s efait donneur de conseils !). Les autres rôles sont moins bien traités, entre un personnage « pas assez franchement dessiné » (mais c’est peut être la faute de l’acteur qui le joue) et des rôles féminins secondaires nuls. Quant à la veuve, (« l’écueil du sujet »), il est jugé peu réussi : la veuve n’a qu’un ridicule, celui de vouloir être aimé, et cela paraît invraisemblable au critique : « il lui faudrait d'autres ridicules ». Le cours de la pièce est aussi critiqué : deux premiers actes faibles, un troisième acte qui donne des espérances, un quatrième acte qui semble promettre une fin forte, et un cinquième acte qui conduit au naufrage (puisque c’est cette métaphore que le critique file pour décrire le destin de la pièce). Il espère que l’auteur saura faire les corrections que le parterre lui a suggéré par ses réactions. C’est l’occasion de mettre en cause le mode de sélection des pièces : la lecture ne donne guère d’indications que pour le style, et ici il est assez sévèrement jugé (il « paraît manquer d'élégance et d'harmonie ; la rime y est peu soignée, et le ton peu poétique », défauts compensés par la force la chaleur, des tirades excellentes et un bon nombre de ces fameux vers « qui appartiennent à la bonne comédie »).]
Théâtre Français.
Le Chevalier d'Industrie, comédie en cinq actes et en vers.
Le Chevalier d’industrie donné dernièrement sur ce théâtre, est une comédie en cinq actes et en vers , de M. Duval, directeur du théâtre de l'Odéon : avant de parler de sa pièce, il sera permis peut-être de répondre à beaucoup de gens qui demandent assez naïvement pourquoi le directeur de l'Odéon la donne eu Théâtre-Français ? Ici le succès était douteux, là il était certain : l'événement l'a prouvé ; mais s'il y avait peu de danger à l'Odéon, il y avait aussi moins de gloire. Entre l'intérêt de son théâtre et celui de sa réputation et de sa carrière littéraire, M. Duval est non-seulement excusable, mais très-louable de n'avoir pas balancé. La conception d'une comédie en cinq actes, les profondes méditations qu'elle exige, le travail auquel elle condamne, le mérite de versification qui en est presqu'inséparable, n'ont qu'un prix digne d'un si pénible effort, la représentation au Théâtre-Français. Un théâtre secondaire est celui de l'émulation et de l'encouragement : le Théâtre-Français est celui de la renommée et des récompenses. Y échouer même n'est pas sans gloire. tant il faut avoir eu de mérite pour y être admis.
Le Montcade de Dalinval, le Dorsigni de l'Ecole de Pères, le Villefontaine de Dancourt, le marquis de Turcaret, celui du Bourgeois Gentilhomme, et sur-tout le Bégears de Beaumarchais, sont des chevaliers d'industrie ; Tartuffe est un dévot d'industrie. Ces personnages ont le caractère et le rôle sans le nom. M. Duval a donné au sien le rôle et le nom à-la-fois ; nom excellent qui a dû devenir proverbe, qui est une épigramme à-la-fois et une moralité, qui fait image et peut être entendu dans son véritable sens dans toutes les langues et dans tous les pays.
Son chevalier d'industrie, St.-Remy, se disant de la famille de d'Orfeuille, n'est plus de la première jeunesse : la sienne a été très-orageuse : la fortune a refusé de lui sourire, peut-être parce que souvent il a cherché à usurper ses faveurs et à les obtenir malgré elle. En Angleterre il paraît qu'il a été un escroc de pharaon. De retour à Paris, il s'est fait officier du palais d'un prince allemand qu'il ne nomme pas ; il s'est décoré d'un ordre et revêtu d'un uniforme qu'il a tort de montrer, car enfin c'est donner une adresse véritable, ce que ses pareils ne font jamais, ou en donner une fausse, ce qui est imprudent.
Un mariage avec une veuve très-riche qui toucha à la quarantaine, et qui a une grande fille à marier, n'est pas pour notre Saint-Remy le parti le plus agréable, mais ce serait le plus sûr, le plus solide, et c'est à celui-là qu'il s'est arrêté. Il s'est emparé de l'esprit et du cœur de Mme. de Franval ; il a flatté l'ambition secrette et la vanité habituelle d'une bourgeoise riche ; il a séduit l'imagination d'une veuve qui croit pouvoir aimer encore. Par malheur ou par mal-adresse, chez Mme. de Franval, il n'a séduit qu'elle ; la soubrette l'a deviné, la jeune fille de Mme. de Franval le déteste, le frère de cette dama le soupçonne, et un jeune homme jadis sa dupe va le dévoiler. Il est donc seul contre tous. Seul, c'est beaucoup ; Tartuffe au moins a Mme. Pernelle ; en engageant ainsi la lutte, l'auteur s'exposait, ce me semble, à condamner son aventurier à un état de contrainte, d'efforts et de combats qui excède les forces humaines : dès le premier acte cette lutte est engagée, Saint-Remy est démasqué pour le public ; il l'est pour tous les personnages, excepté pour la veuve ; dès la premier acte on l'a nommé par son nom : le spectateur n'a donc plus rien à deviner, rien à soupçonner, il n'est plus que le témoin du combat qui va s'engager entre la faiblesse et l'intrigue. Le frère de Mme. de Franval est un riche capitaliste, excellent homme ; ce personnage est mis en opposition avec Saint-Remy ; le ressort, l'instrument de l'intrigue, l'arme dont se servent tour-â-tour les deux ennemis, est un jeune homme vertueux, mais faible, mais amoureux, qui à Londres fut ruiné par Saint-Remy, et qui, devenu amoureux de la fille de Mme. de Franval, fait chez celle-ci rencontre du chevalier.
Saint-Remy juge d'un coup-d'œil la position de Belman ; c'est le nom du jeune homme : en flattant son amour, il étouffe un moment en lui la voix de l'honneur ; et achète quelque temps son silence sur leur affaire à Londres, en promettant de servir l'union que Belman désire. A cet effet, le chevalier fait passer son jeune protégé pour le fils du baronnet Lowel. qu'il a beaucoup connu en Angleterre. Quel est cependant ce faux Lowel, ou plutôt ce Belman ? Par une conception assez romanesque, qui jette sur quelques situations de l'obscurité , et dont on ne voit pas assez l'intérêt et le motif, ce Belman est un orphelin adopté dès son enfance par le frère de Mme. de Franval, par l'excellent ami M. Dumont. Dans ses voyages il s'est dérangé ; il a dissipé ses ressources ; St.-Remy a été cause de sa ruine.
St.-Remy a trouvé un appui dans Belman, intéressé à se taire : Dumont cherche aussi un second dans le même Belman. Quelques mots de repentir surpris au jeune homme le conduisent à une entière confidence ; il promet de servir Dumont. Par suite de cet accord, une lettre anonyme est opposée au chevalier ; mais c'est un trait qu'il ne fallait pas lancer, car il doit être et il est sans force. Le chevalier le repousse avec un avantage trop facile, et les honnêtes gens qui ont employé cet indigne artifice pour perdre un fripon, en sont moins avancés que jamais : la veuve est plus que jamais séduite et décidée à nommer St-Remy son époux.
Une nouvelle batterie se dresse : excité par Dumont à valoir un peu plus qu'il ne vaut en effet, car enfin pendant deux actes il a servi un fripon, Belman élève la voix et dénonce le chevalier ; la partie est encore trop mal liée, et Saint-Remy a trop d'avantage ; le jeune homme parle sans garantie, accuse sans preuve celui qu'il défendait tout-à-l'heure ; il est facile à Saint-Remy de le confondre, en dévoilant l'amour des deux jeunes gens et en présentant Belman comme l'instrument intéressé de Dumont. La scène est bonne, le moyen de défense ingénieux et naturel à-la-fois, seulement il est trop facile ; Saint-Remy a trop beau jeu, et l'on ne sait pourquoi l'auteur fait sortir Belman au moment où Saint-Remy va se défendre et l'accuser à son tour ; la scène serait bien plus brillante, si en présence même de Belman, Saint-Remy sortait victorieux de l'accusation et même la faisait retomber sur la tête de l'accusateur. Cette scène replaça encore une fois les parties en présence, et suspend le combat jusqu'à un nouvel engagement, c'est-à-dire, jusqu'au quatrième acte.
Ici l'affaire devient naturellement plus sérieuse ; Dumont, comme l'original placé par l'auteur de Médiocre et Rampant en opposition avec un diplomate d'industrie, est las d'accuser sans preuve et d'être repoussé dans une attaque de front : il commence à sentir qu'avec un tacticien tel que Saint-Remy, il faut manœuvrer, et il se dispose à le tourner : ce n'est plus à son honneur qu'il s'adresse, c'est à son intérêt : dans une scène imitée de l’Ecole des Pères, mais filée avec un art digne des plus grands éloges, et traitée dans toutes ses parties avec le talent le plus distingué, Dumont fait entendre à Saint-Remy qu'il est sans fortune, que pour soutenir sa noblesse antique cent mille écus lui pourraient être de quelque utilité ; les voilà , ils sont dans ce portefeuille : ils vont passer dans la main de Saint-Remy, si cette main signe un billet qui rende à Mme. de Franval la foi qu'elle a donnée : le cas est difficile, les momens sont chers, et, comme dit Dumont,
..... Cent mille écus valent beaucoup d'amour.
Cette affaire est sûre, le mariage ne l'est pas encore ; un moment de calcul, et Saint-Remy accepte, il va prendre à-la-fois la plume et les billets ; la veuve paraît, écoute, Saint-Remy l'a vue ; sa métamorphose subite est un trait du génie de l'intrigue ; il s'élance sur les billets pour les repousser avec indignation, et pendant que Dumont stupéfait les ramasse, Saint-Remy l'accuse d'avoir tenté de le corrompre ; et cette fois, ce qui n'est pas heureux, c'est en disant la vérité qu'il se justifie.
Cette scène chaude, animée, pressante, écrite avec infiniment d'art, et jouée d'ailleurs comme elle est écrite, a excité le plus vif intérêt, et l'on a dû croire le spectateur dédommagé de la froideur des deux premiers actes et du peu de chemin que fait l'action pendant le troisième : on a pu croire un moment l'auteur payé de ses travaux ; il touchait à un grand succès ; qui n'eût dit en effet que la veuve frappée de cette victoire éclatante, de cet avantage incontesté, incontestable, à l'instant remporté par l'homme de son choix sur un parent obstiné à le combattre, ne montrerait ici autant de caractère et de fermeté qu'elle a montré jusqu'alors de faiblesse et de nullité ? Si, dans ce moment, l'auteur eût fait paraître le notaire et signer le contrat en présence de tous, il offrait peut-être un des tableaux les plus frappans de la scène, et se réservait un cinquième acte qu'on eût attendu avec une vive impatience ; mais non, c'est à d'autres combinaisons qu'il s'est livré ; au sortir de cette scène qui a dû convaincre la raison d'une femme que son amour a persuadée, cette femme hésite, s'allarme d'un mot de sa fille qu'elle écoute pour la première fois, et parle de différer son hymen; Saint-Remy a besoin de recourir à des lieux communs de tendresse, à des larmes, à des génuflexions ridicules, enfin à la menace d'une rupture ; à ce mot, la pauvre veuve est rendue à tout son aveuglement ; elle va se perdre, quand enfin Belman revient muni de pièces authentiques qui confondent Saint-Remy comme usurpateur d'un nom illustre. Il s'éloigne, la rage dans l’ame et la menace & la bouche; et défiant Belman, il le nomme et le fait reconnaître de son père adoptif.
Le dénouement a été peu entendu, mais assez pour laisser voir qu'il est incomplet en ce que Saint-Remy n'est pas puni ; peu satisfaisant, car Saint-Remy est sorti en proférant des menaces terribles que son courage peut réaliser le lendemain contre Belman. L'invention des moyens y paraît pénible, la reconnaissance sent trop l'artifice ; et en général ce dernier défaut, l'artifice, la combinaison forcée des effets dramatiques, le jeu des ressorts de l'intrigue se font trop apercevoir : on reconnaît trop que cette action est arrangée, disposée, calculée par son auteur, que dans la réalité elle eût pris une autre tournure : c'est souvent un tableau frappant par son effet et la hardiesse de la composition, ce n'est pas un tableau attachant par le naturel qu'on y admire, et frappant de vérité.
Le rôle de chevalier a des beautés réelles, des traits de main de maître : quand il se peint lui-même à ses ennemis, quand il se retrace ses combats, ses souffrances, ses désirs, ses craintes, quand il réalise ce mot connu : ma vie est un combat, il s'élève vers le but de la comédie à un degré très-éminent : dans ses défenses d'acte en acte, il est trop bien servi par la faiblesse d'un assaillant, par l'indécision de l'autre, par la prévention de son juge, de ce juge qu'il a séduit sans nous faire assez connaître comment il est aimable, quelles graces a son esprit, de quelles qualités brillantes il est pourvu ; aucune scène n'est consacrée à cet emploi nécessaire ; cependant il eût été agréable pour le spectateur d'être un moment non pas trompé, mais indécis, de regarder un peu le dehors avant de connaître l'intérieur du personnage, d'étudier la physionomie avant de voir se développer le caractère.
Le rôle de Dumont n'est pas assez franchement dessiné, ou peut-être Fleury ne lui a-t-il pas donné cette première fois l'unité de physionomie que le rôle comporte ; le fait est que la nuance des premiers actes était assez éloignée de celle des derniers. Le personnage de Belman offre une intention assez neuve et comique, sur-tout dans les première actes, celui de la jeune personne et de la soubrette sont presque nuls.
L'écueil du sujet était le rôle de la veuve, et cet écueil n'a point été évité, tant il est difficile de mettre une femme raisonnable dans une situation qui ne l'est pas, et de faire tenir une conduite ridicule à un personnage qu'on annonce comme de bon ton et de bon sens. Nos comiques l'ont senti, Mme. Patin est une folle, Mme. Abraham une vieille usurière, Mme. Turcaret une caricature, Araminte des Précepteurs, tire les cartes; le trait est excellent, on peut proposer à une femme qui tire les cartes, tous les maris que les cartes auront désignés ; mais Mme. de Franval est sage, vertueuse, sensible, raisonnable, elle est même bonne mère ; de quel amour la peint-on aveuglée ? Pour excuser ce ridicule amour, il lui faudrait d'autres ridicules, et malheureusement elle n'a que celui-là.
Les deux premiers actes ont fait peu de sensation ; on attendait encore : le troisième a fait concevoir des espérances, le quatrième conduisait hardiment le vaisseau à bon port : au cinquième il a touché un écueil et a eu de la peine à se relever ; on l'a sauvé cependant du naufrage, et nous le croyons désormais en sûreté. Il est probable que quelques réparations faites avec habileté le mettront promptement en état de voguer de nouveau sans craindra un nouvel orage.
On sait que l'auteur a noté avec sagacité tout cet que le goût sévère, mais judicieux, d'un parterre éclairé a pu lui indiquer de défectueux. On parle quelquefois du grand jour de la lecture ; ce jour jette souvent un faux éclat : le jour véritable d'une pièce de théâtre est celui de la représentation : demandez-le à un auteur, à la première représentation de son ouvrage, et lorsqu'il le remet sur le métier, dans l'intervalle de la première à la seconde. La lecture ne laisse juger sûrement que le style : celui de la pièce nouvelle paraît manquer d'élégance et d'harmonie ; la rime y est peu soignée, et le ton peu poétique ; mais il y a de la force, souvent une raison vigoureuse, de la chaleur, des tirades excellentes, et un assez grand nombre de vers qui appartiennent à la bonne comédie. S....
D’après la base La Grange de la Comédie Française, la pièce d’Alexandre Duval, comédie en cinq actes et en vers, a été créée le 13 avril 1809, et elle a été jouée 29 fois, jusqu’en 1832.
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