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La Fille mal gardée, ou Il n'est qu'un pas du mal au bien (comédie 1814)

La Fille mal gardée, ou Il n'est qu'un pas du mal au bien ; comédie en trois actes et en vers libres, de Charles Maurice Descombes, 11 octobre 1814.

Théâtre de l'Odéon.

Paul Porel et Georges Monval, L’Odéon, Histoire administrative, anecdotique et littéraire... (Paris, 1876), p. 267, décrivent ainsi, en une formule étonnante, l’échec de la pièce :

Le 11 octobre, une comédie en trois actes et en vers libres, la Fille mal gardée ou Il n'est qu'un pas du mal au bien, tirée par Charles Maurice du fameux ballet de Dauberval à l'Opéra, fut sifflée au bénéfice d'un artiste.

La représentation était en effet « au bénéfice de Mlle Délia », l’interprète du rôle principal.

Titre :

Fille mal gardée (la), ou Il n'est qu'un pas du mal au bien

Genre

comédie

Nombre d'actes :

3

Vers ou prose ?

en vers libres

Musique :

non

Date de création :

11 octobre 1814

Théâtre :

Théâtre de l’Odéon

Auteur(s) des paroles :

Charles Maurice

Almanach des Muses 1815.

Un joli ballet du théâtre de la Porte St-Martin mis en action : c'était, disait-on, la mode renversée. Le public, quelque amateur qu'il soit de la nouveauté, n'a pas goûté celle-ci.

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome 10, octobre 1814, p. 277-282 :

[L’article commence bien mal pour la pièce du jour : le critique se demande pourquoi on montre tant de pièces sans valeur, d'auteurs sans talent, sans connaissance des lois du théâtre, sans connaissance même de la langue. Et il rappelle les vers de Boileau invitant à ne pas céder à l’envie d’écrire. La pièce nouvelle est d’un auteur qui a déjà connu bien des échecs (mais on ne donne pas son nom !). Malgré son expérience, il n’a pas compris qu’on ne pouvait pas transposer en comédie les tableaux osés d’un ballet-pantomime : ce que l’oreille entend choque plus que ce que voit l'œil. Or il a habillé sa Fille mal gardée des « vers les plus plats, les plus niais […] les plus ridicules ». L’exemple donné est celui d’une ronde, présentée comme un chef-d'œuvre de mauvaise poésie. De plus, le choix de l’interprète féminin a été mal fait : au lieu d’une ingénue, pleine de fraîcheur et d’innocence, on a choisi une coquette aux airs entendus, loin « de la pudique innocence, des poses et des attitudes » que le public attendait. Sifflets et huées ont souligné cet écart entre le personnage et l’actrice, si bien que la claque a bien été obligée de laisser passer l’orage. L’auteur n’a évidemment pas été nommé.]

THÉATRE DE L'ODÉON.

La Fille mal gardée ou Il n’est qu’un pas du mal au bien, comédie en trois actes et en vers libres.

Quel luxe de pauvreté, quelle fanfaronade d'impuissance que de s'obstiner à entasser pièce sur pièce, à encombrer un théâtre de rapsodies misérables sans parvenir à prouver autre chose qu'une absence totale de talent, une ignorance honteuse des règles et des convenances théâtrales, et même de la langue française ! Il faut qu'il y ait des gens ou tout-à-fait aveuglés par l'amour-propre, ou irrésistiblement entraînés par la manie de se rendre ridicules. Autrement quelle idée aurait-on d'un homme qui dirait : » Je suis dépourvu d'imagination, incapable de combiner un plan et de lier des scènes ; je ne sais écrire ni en vers ni en prose, mais j’attrape quelquefois et comme par racroc un vers bouffon ; eh bien ! je veux être auteur comique malgré la nature et en dépit de Thalie ; je serai sifflé, resifflé ; je me boucherai les oreilles, je tomberai à chaque pas et ne me releverai que plus intrépide. »

Voilà pourtant l'histoire de bien des jeunes auteurs sans mission qui n'ont jamais lu ce sage conseil du législateur de notre Parnasse :

N’allez pas sur des vers sans fruit vous consumer,
Ni prendre pour génie un amour de rimer ;
Craignez d'un vain plaisir les trompeuses amorces,
Et consultez long-temps votre esprit et vos forces.

C'est en particulier l'histoire de l'auteur de la malheureuse pièce sifflée à l'Odéon, moins encore qu'elle ne méritait.

Je ne veux pas lui rappeller le triste souvenir de ses nombreuses mésaventures dont l'expérience a été absolument perdue pour lui ; mais je lui demanderai comment il est possible qu'il ait eu assez peu de goût, de discernement, d'instinct, pour ne pas sentir que les tableaux vifs et presque graveleux du joli ballet de la Fille mal gardée, perdraient toute leur grace et deviendraient indécens, expliqués par la parole. L'œil saisit et transmet gaiement à la pensée l'image rapide d'une situation érotique dont les détails fixés par les mots révoltent la pudeur de l'oreille. L'œil est indulgent, l'oreille est prude.

Le goût et le talent du poëte le plus délicat n'auraient pu réussir à sauver la scabreuse liberté des scènes que la pantomime seule dissimule sans l'affaiblir.

Qu'on essaie donc de se représenter l'effet qu'ont dû produire les vers les plus plats, les plus niais qui aient jamais été débités sur aucun théâtre. Telle est la nouvelle parure dont l'auteur a affublé sa Fille mal gardée.

Les citations se présentent en foule à ma mémoire ; je n'aurais que l'embarras du choix parmi les vers les plus ridicules ; mais, plus charitable envers mes lecteurs, que l'auteur ne l'a été pour le public, je ne veux pas leur imposer une aussi rude corvée. Il faut cependant que je conserve, comme un monument du talent poétique de l'auteur favori de l'Odéon(1), la ronde suivante :

RONDE.

Craignez, craignez, jeunes fillettes,
Et les ruisseaux et les amans ;
Ils sont cause des accidens
Qui, dérangent les collerettes.

Lucas, auprès de son troupeau,
Jouait sur sa flûte amoureuse
Un air si tendre, qu'Isabeau
Oublia qu'elle était peureuse.

Craignez , etc.

On n'était pas loin du hameau.
Pouvait-elle être scrupuleuse
Jusqu'à refuser l'escabeau
Qu'offrait une main généreuse ?

Craignez, etc.

V’là q’tout en tournant son fuseau,
La trop confiante chanteuse
Voit s'enfuir le charmant agneau
Dont elle était si fort soigneuse.

Craignez, etc.

Lucas jette son chalumeau.
Avec l'imprudente fileuse
Il court, en galant damoiseau,
Après cette bête ombrageuse.

Craignez, etc.

Mais tout-à-coup un grand ruisseau
D'une profondeur dangereuse,
Retient, comme au bord d'un tombeau,
Leur course trop impétueuse.

Craignez , etc.

Comment faire ? Point de bateau.
Quelle extrémité rigoureuse !
Pour sauter tous deux, un ormeau
Leur prête sa branche douteuse.

Craignez, etc.

Ils sont à l'autre bord de l'eau ;
Mais que l'aventure est affreuse !
Un pied glisse, et v'là qu'Isabeau
Est depuis c’temps-là tout’ honteuse.

Craignez, etc.

Voilà j'espère de la poésie qui aurait fait le désespoir de maître André, ce perruquier du Parnasse, et qui mettra la corde au cou à tous les Bergers de Syracuse (2).

Ce n'était pas assez que l'auteur eût si cruellement défiguré la Fille mal gardée, l'actrice a semblé prendre à tâche de ne lui laisser aucun trait de sa charmante physionomie. Les échappées un peu vives, les périlleuses imprudences de Lise ne peuvent être excusées que par la naïve ignorance du danger, la fraîcheur presque enfantine des sensations, et l'innocent abandon du premier amour ; le talent de mademoiselle Délia, talent fort aimable d'ailleurs, n'offre, non plus que sa figure et son maintien rien qui ressemble à de la naïveté, à de l'ignorance, à de l'innocence et à de la fraîcheur.

Ce rôle est essentiellement une ingénuité, et mademoiselle Délia a eu grand tort d'écouter l'amour-propre ou le zèle qui lui a conseillé de s'en charger. N'y avait-il donc personne dans la troupe de l'Odéon dont l'extérieur et le genre de talent convinssent mieux à ce personnage ? Mademoiselle Délia a trop l'air d'y entendre malice ; des mines au moins coquettes, un ton tout opposé à celui de la pudique innocence, des poses et des attitudes qui ont provoqué des éclats de rire tant soit peu libertins, sont autant de contresens dans le rôle de la naïve bergerette.

L'actrice a justement partagé la disgrace de l'auteur. Des sifflets et des huées que provoquaient à chaque instant les expressions les plus impropres, ont formé au dernier acte un orage auquel n'a pu résister le zèle le plus vigoureux qu’aient jamais déployé des souteneurs de pièces. Ce n'est ni avec des cris ni avec des menaces qu'on parvient à conjurer une pareille tempête ; il faut y céder. C'est ce qu'ont fait messieurs Claque. L'auteur sera sage en les imitant.

 

(1) On assure que l'administration, pour s'attacher exclusivement un écrivain dramatique aussi précieux que M. M..., a passé avec lui un marché de fourniture, par lequel ledit sieur s'engage à fournir à l'Odéon six pièces au moins par an, moyennant une prime de 1200 francs, indépendante des droits d'auteur. L'événement prouvera à laquelle des deux parties contractantes ce traité deviendra onéreux. Le poëte ne risque au surplus qu'une bien faible portion de son temps, puisqu'il se vante, tandis qu'il devrait s'en accuser, de composer en une semaine une comédie en trois actes et en vers.

(2) C'est le nom académique des troubadours-ménestrels du Pont-Neuf et des carrefours de Paris ; ces poëtes qui, à l'exemple d'Homère, et quelquefois aveugles comme lui, chantent en public les vers qu'ils ont faits, et forment, sous le titre des Bergers de Syracuse, une société lyrobachique. Leurs noms, d'une consonnance plébéienne, sont changés en noms harmonieux ; ils s'appellent Amphion, Daphnis, Lycidas, etc. Cette réunion joyeuse ne diffère de celle du Caveau que par la qualité des chansons qu'on y compose et des vins qu'on y boit. Peut-être aussi la qualité des vins influe-t-elle sur celle des chansons ; pour en acquérir la preuve et voir l'égalité établie entre les deux sociétés, il faudrait que les convives du Caveau dînassent à la Courtille, et les bergers de Syracuse au Rocher de Cancale.

Le Spectateur, ou Variétés historiques, littéraires, critiques, politiques et morales, par M. Malte-Brun, tome II, n° XX, p. 466-467 :

[Pourquoi transformer un charmant ballet en piètre comédie ? Le compte rendu s’attarde gravement sur cette question, sorte de monde à l’envers pour le critique : c’est au ballet d’emprunter à la littérature, pas l’inverse ! Agir ainsi, c’est faire preuve de paresse ou d’impéritie. Il y a encore à glaner dans les grands champs moissonnés par les grands auteurs comiques  l’image est dans le compte rendu ! Ce genre de pièce est écrite à la va-vite par des auteurs « qui se piquent d'écrire avec cette fastidieuse facilité qui doit rendre haïssable la race des impromptus ». Le dernier paragraphe revient à la pièce du jour, pour regretter le traitement subi par «  le charmant ballet de Dauberval » : la comédie n’a pas été achevée.]

La Fille mal gardée, ou Il n'est qu'un pas du mal au bien, comédie en trois actes et en vers libres. Représentation au bénéfice de mademoiselle Délia.

Voici encore une entreprise qui n’auroit point fait de réputation à son auteur, quand bien même le succès l’eût couronnée. Que la chorégraphie dérobe à la littérature les sujets de Vénus et Adonis, de Télémaque, des Noces de Gamache, etc., de semblables larcins enrichissent celui qui les fait, en même temps qu’ils honorent ceux qui en sont l’objet ; mais le magnifique domaine des lettres est-il donc tellement appauvri, qu'elles soient réduites à ne plus vivre que de restitutions ? La paresse ou l'impéritie de quelques écrivains a pu le faire croire ; mais il n’en est rien. Ceux pour qui l'art de Molière et: Regnard en est un véritable, et non point un métier facile, sauront encore glaner où moissonnoient ces grands maîtres : qu’ils étudient les mœurs de leur siècle, qu’ils fixent des nuances nouvelles, qu’ils sondent encore les replis du cœur humain, qu’ils écrivent ensuite ; et si la critique relève des imperfections dans leur ouvrage, du moins elle paiera un tribut d‘éloges aux intentions qui l’ont conçu, aux travaux qui l’ont réparé, Si la gloire échappe à leurs vœux, l’estime de leurs contemporains les dédommagera des rigueurs de la gloire.

Mais il est des gens de lettres qui se piquent d'écrire avec cette fastidieuse facilité qui doit rendre haïssable la race des impromptus. Sur le premier sujet qui s’offre à leur esprit, ils façonnent en dix jours trois actes de vers, fort libres à la vérité ; mais qu'importe ! La pièce a le malheur d’être reçue, apprise, affichée non moins rapidement ; l’heure de la représentation va sonner : c'est gagner à peu de frais le titre de poëte dramatique. Oui ; mais, un instant après, le public, dont on ne se joue pas toujours impunément, accable de mépris et l’œuvre et l'artisan, qui, pour s'en venger, court chez lui, s'enferme, et peut-être improvise trois nouveaux actes en vers libres ou en prose qui ne le sera pas moins.

Telle est l’histoire de la Fille mal gardée. Ce sujet délicat, que tout Paris avoit cependant applaudi dans le charmant ballet de Dauberval, doit l’affront récent qu’il a éprouvé sur une autre scène, à l’étrange métamorphose que lui a fait subir M...... En dépit de mademoiselle Délia, dont le public, ce jour-là, étoit entièrement le tributaire, le rideau s’est abaissé aux acclamations générales, une demi-heure plutôt que ne l’imaginoit l'auteur. Grâce à cet acte de justice, l’Odéon n’a plus de Fille mal gardée. La proposition faite par quelque mécontent de substituer au deuxième titre : Il n’est qu'un pas du mal au bien, cette autre sentence : Il n’est point de degrés du médiocre au pire, nous a fait soupçonner le nom de l’auteur, qui est en effet coupable de plusieurs ouvrages joués au même théâtre.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 19e année, 1814, tome V, p. 414.

La Fille mal gardée, comédie en trois actes et en vers libres, jouée le 11 Octobre 1814.

Cette comédie a été jouée pour le bénéfice de Mademoiselle Délia. Tout le monde connoît la charmante pantomime à laquelle Madame Quériau avoit donné tant de vogue, et le joli petit opéra de Lise et Colin. Est-il concevable qu'un auteur dramatique ait eu l'idée d'en faire une comédie ? Cette entreprise a complètement échoué.

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