Malice pour malice, comédie en trois actes et en vers, de Collin-Harleville. 18 pluviôse an 11 [7 février 1803].
Théâtre Français, rue de Louvois
Almanach des Muses 1804
Une famille retirée à la campagne, et qui cependant a conservé les goûts de la ville, s'amuse, pour tuer le temps, à mystifier les sots que le hasard lui adresse. Un jeune homme, nommé Raymond, d'un caractère doux et confiant, doit épouser Mlle Dolban. Il n'est jamais venu dans le château, et ne connaît pas même celle qu'on lui destine. On se propose de rire un moment à ses dépens. M. Gelon, campagnard et grand mystificateur, distribue à chacun son rôle. Raymond arrive accompagné d'un seul domestique. Il ne tarde pas à s'appercevoir qu'on se moque de lui, et s'apprête à rendre malice pour malice. Il persuade à une vieille tante qu'elle est dangereusement malade, la met au régime, et l'envoie faire un tour de jardin. Sa prétendue est déguisée en soubrette. Il engage son valet à lui faire la cou, et Mlle Dolban se voit forcée de souffrir la familiarité insultante d'un valet, sans oser se plaindre. M. Gelon se fait passer pour le fameux Paswan-Oglu. Raymond se dit offensé par ce Tartare, et fait une telle peut au mauvais plaisant, qu'il finit par avouer son nom : enfin, Raymond devient amoureux d'une jeune orpheline, qui joue le rôle de sa prétendue. Elle est promise au fils de la maison. Raymond fait courir les champs à ce dernier, sous différens prétextes, et finit par lui enlever sa maîtresse.
Des invraisemblances, et des détails charmans. Succès un peu contesté.
Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Huet, chez Charon, an 11 :
Malice pour malice, comédie en trois actes et en vers, Par J. F. Collin-Harleville, de l'Institut national ; Représentée pour la première fois sur le Théâtre Louvois, le 18 Pluviôse an 11.
Courrier des spectacles, n° 2165 du 19 pluviôse an 11 [8 février 1803], p. 2 :
[Le compte rendu débute par une énumération de qualités et de défauts prêtés à la pièce et dont le mélange rendait la chute inéluctable. L’auteur n’a pas été demandé, même si on a feint de dire qu’il souhaitait ne pas être nommé. Le sujet de la pièce, c’est celui d’une mystification dont Raymond est victime de la part de ses hôtes. Mais Raymond, annoncé comme « simple et bon » va se révéler plus malin que ceux qui veulent le tromper, il comprend ce qu’on lui a préparé, et oblige son ami à lui dire la vérité. Il décide alors de retourner la mystification contre les mystificateurs, et il réussit à tromper tout ce petit monde : il épouse finalement la jeune orpheline que la famille héberge, au lieu de la fille de la maison (le critique ne dit pas explicitement qu’il était venu pour cela, mais on peut le conjecturer). Des longueurs, comme souvent. Et une petite indélicatesse, le rappel d’une anecdote concernant Mlle Clairon, alors qu’elle vient tout juste de décéder (le 18 janvier 1803).
L’histoire du revenant dont Mlle Clairon se croyait tourmentée figure dans une lettre à M. Meist... qui figure en effet à la fin de la première partie de ses mémoires, p. 78-90 de l’édition parue en 1822.]
Théâtre Louvois.
Première représentation de Malice pour Malice.
Titre piquant, entreprise ambitieuse, plan trop hasardé, exposition obscure, traînante, mais faite pour attacher, traits surprenans, détails comiques, plusieurs scènes plaisantes, d’autres inutiles et longues, moyens trop recherchés, voilà ce que nous avons remarqué dans cette pièce, dont la chûte étoit inévitable.
Nous n’avions point entendu demander l’auteur : on est venu dire qu’il desiroit n’être pas connu.
M. de St-Firmin s’est retiré au milieu de sa famille, composée de madame Dolban, sa sœur, de Florimène et de Elyse, fils et fille de cette dernière. Une jeune orpheline nommée Eusébie partage leur société et s’est concilié le cœur du maître de la maison par sa candeur et la douceur de son caractère. Madame Dolban et ses en fans n’ont d’autre plaisir que de railler et de mistifier (c’est leur terme) toutes les personnes qu’ils voient. Chacun brûle de s’essayer sur le jeune Raymond, dont St-Firmin leur annonce l’arrivée. Comme on le dit d’un caractère simple et bon, nos méchans se proposent de le jouer de toutes les manières. Pour y mieux réussir ils te distribuent des rôles. Mad. Dolban, qui sera représentée par une bonne femme sensée malade au lit des effets de la foudre, jouera elle-même le personnage d’une gouvernante de la maison ; Elise passera pour une soubrette sous le nom de Marton, et la modeste Eusébie est obligée d’accepter le rôle d’Elise et de passer pour sœur de Florimène. C’est sous les habits et avec le ton convenables à ces différents personnages, que ces dames et le jeune homme reçoivent Raymond. Ils ont mis de la partie un certain Gelon, dont les dispositions s’accordent parfaitement avec les leurs, et qui par ses taleus en ce genre jouit parmi eux d’une grande considération.
Les libertés de Marton, la gène de la prétendue gouvernante frappent Raymond, qui est séduit au premier coup-d’œil par la modestie d’Eusébie. Seul avec son ami St-Firmin, il lui fait part de ses doutes et tire de lui l’aveu de ce qui se passe. Raymond informé du tour qu’on veut lui jouer, se propose de rendre malice pour malice. Il apprend de St-Firmin que Florimène est un hâbleur, Gelon un poltron, mad. Dolban une malade imaginaire ; mais de ces renseigaemens il attend les attaques.
Elise la plus coupable est aussi la plus punie. Les mortifications qu’elle éprouve sous l’habit de Marton répandent sur cette pièce un comique qui l’eût préservée de la chûte, si les défauts du plan ne l’eussent pas entrainée. Qu’on s’imagine cette jeune personne embrassée par Lubin, laquais de Reymond, et taxée par ce dernier d’avoir fait des avances à ce domestique trop timide pour avoir sans cela pris une pareille liberté ; qu’on se figure la fausse Gouvernante au moment où elle dresse des embuches au jeune étranger prise elle-même par son foible, et tremblante pour ses jours, sur l’avertissement qu’il lui donne, d’après ses connoissances en médecine, qu’elle est menacée d’apoplexie ; qu’on se représente enfin Gelon, cet ami de la maison, qui après avoir fait un rôle long et inutile d’officier allemand, vient assez ridiculement trouver Reymond sous le nom de Passwan-Oglou et lui offrir une sous-lieutenance, qu’on se le représente, dis-je, effrayé devant celui qu’il vouloit jouer, et qui feignant de le prendre effectivement pour ce chef de parti, veut venger sur lui la mort de six frères péris sous ses coups. En vain notre railleur poltron invoque pour sa justification que son personnage n’est qu'une plaisanterie, cette plaisanterie même offre à Reymond un juste sujet de vengeance. Le reste de la société accourt aux cris du mauvais plaisant qui prend la fuite. Un valet de la maison battu à son tour par Lubin, mad. Dolban guérie, par la peur de la maladie, du désir de railler, tout force les mistificateurs à avouer leurs desseins, et Reymond offre sa main et sa fortune à Eusebie qui n’a pu se défendre de prendre pour lui des sentimens pareils à ceux qu’elle lui a inspirés.
Indépendamment des longueurs du personnage de Passwan-Oglou, de celui de l’Officier allemand, etc., nous avons remarqué avec peine que trois jours au plus après la mort de Mlle Clairon on ait d’une manière trop frappante rappelé sur la scène l’histoire de revenant qui est à la tète de ses Mémoires.
La Décade philosophique, littéraire et politique, onzième année, IIme trimestre, n° 15, 30 pluviose, p. 377-379 :
[Le critique suppose (avec vraisemblance) que l'auteur de la pièce a voulu dénoncer un travers social banal, le petit jeu des « mystificateurs » qui consiste à se moquer « de quelques esprits confians » et d'en faire la risée du cercle. Il est légitime pour l'auteur dramatique de s'en prendre à un travers que la loi ne réprime pas. Collin d'Harleville montre une famille où chacun veut s'amuser aux dépens d'un jeune homme qu'on croit naïf, mais qui se révèle un habile manipulateur le critique énumère toutes les mystifications que celui qu'on croyait manipuler réussit à manigancer aux dépens de ceux qui se croyaient plus malins que lui. La pièce vaut plus par les « détails piquans et comiques » plus que par « la fable de cette comédie [qui] n'est pas sans reproche » (mais le critique ne formule pas ces reproches). Pièce à tiroirs, « les scènes prises à part » rappellent le talent de l'auteur de plusieurs tragédies remarquables par leur style e tla qualité de leur versification. Et reprocher à Collin d'Harleville d'écrire une pièce plutôt légère, c'est vouloir que les auteurs ne produisent que d'« immortelles conceptions ».]
Malice pour Malice, en trois actes, en vers.
IL était d'un bon esprit et d'un cœur loyal de s'élever contre cet indécent amusement devenu trop à la mode dans quelques sociétés blasées et corrompues, et qui consiste à se jouer de l'inattention ou de la crédulité de quelques esprits confians, pour les rendre les objets de la risée d'un cercle. Il est, comme on le sait très-bien, quelques individus qui n'ont même d'arme caractère et d'autre existence dans le monde que le caractère et l'existence de Mystificateurs. Ce vice social, ainsi que le ridicule de ceux qui le protègent, n'étant pas répressibles par les lois, sont des travers que l'auteur comique a droit de dénoncer, de poursuivre et d'immoler au ridicule. Ce fut sans doute l'intention du C. Collin-Harleville.
Il suppose dans sa comédie que toute une famille légère et frivole, se propose un grand plaisir de s'amuser aux dépens d'un jeune homme dont la candeur et l'ingénuité sont connues. Ils se partagent leurs rôles en conséquence, et confient la partie la plus essentielle de la mystification au grand coryphée de la troupe joyeuse : mais le jeune homme que l'on croit si candide,.s'aperçoit très-bien de la comédie qu'on veut jouer, fait semblant d'en être la dupe, et en mystifie tour à tour tous les personnages, en faisant tourner contre eux leurs propres stratagèmes.
C'est ainsi qu'à la jeune élégante, qui s'est déguisée en soubrette, il décoche un valet insolent et goguenard qui l'embrasse malgré elle et lui parle le langage de la familiarité la plus cavalière , sans qu'elle ose et puisse s'en formaliser.
C'est ainsi qu'à la vieille tante, qui se dit malade, il persuade qu'elle l'est véritablement.
Qu'au jeune fat, qui croit rire à ses dépens, il fait faire une promenade forcée et lui souffle sa maîtresse.
Enfin qu'au grand mystificateur, qui veut se faire passer pour Passwan-Oglu, il fait une peur effroyable en se disant offensé par ce tartare, et voulant venger sa famille massacrée dans les combats de ce rébelle contre le grand-seigneur.
Si l'on est forcé de convenir que la fable de cette comédie n'est pas sans reproche, on est au moins dédommagé par une foule de détails piquaus et comiques.
Il est bien certain que la mystification préparée contre le jeune homme, n'est pas d'un genre assez probable et ne présente pas un amusement réel à cette famille mystifiante : il est certain qu'on ne voit pas quel serait le but de ces déguisemens qui n'ont rien de saillant : il est encore certain que ce sont des scènes à tiroir, détachées, qui n'ont pas ensemble la liaison dramatique et la gradation d'intérêt qu'on exige. dans une comédie ; mais il est certain aussi que les scènes prises à part et isolément, pétillant de gaîté et d'esprit, et qu'on retrouve dans le style et dans la versification, la manière élégante et ingénieuse de l'auteur de l'Inconstant, des Châteaux en Expagne, de l'Optimiste, du Vieux Célibataire, et de l'École des mœurs.
Ceux qui lui reprocheraient d'avoir tracé une comédié moins. forte que les ouvrages dont nous venons de rappeler les titres ne savent-ils donc pas qu'un très-grand talent ne dédaigne pas toujours de traiter des sujets légers ; que Raphaël a plus d'une fois fait des croquis, et que le génie vigoureux qui produisit les immortelles conceptions du Tartuffe et du Misantrope, laisse quelquefois échapper, par manière de délaissement, des Médecin malgré lui, des Georges Dandin, des Fourberies de Scapin ?
Le grand tort de la critique est toujours de comparer ce qui n'a aucune identité, aucun rapport ; son devoir est de juger. non pas si l'ouvrage est ou non-au-dessous des autres du même auteur, mais si son sujet est rempli dans la mesure qu'il comportent ; c'est ce qu'oublient toujours nos Aristarques.
Cette comédie ne saurait donc nuire à la réputation du C. Collin-Harleville : si elle est d'un ordre inférieur à plusieurs de ses autres productions, elle serait encore assez bonne pour faire la réputation d'un auteur qui n'aurait pas atteint sa ligne. Le public, plus juste par réflexion, a donc en raison de modifier la sévérité de son. premier arrêt. L. G.
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