Sélico ou les Nègres généreux ; drame en quatre actes et en prose de Guilbert de Pixerécourt, 1793.
Sélico ou les Nègres généreux figure en tête de la longue liste des oeuvres que Pixerécourt a établie pour la publication de son Théâtre choisi (tome 1), p. xliv :
Sélico ou les Nègres généreux, drame en quatre actes et en prose.
Vendu à forfait au Théâtre Molière, le 8 janvier 1793, moyennant 600 fr. non joué à paris. Non imprimé.
Curieusement, il ne signale pas (oubli ou lapsus) Sélico ou le Triomphe de l’amour filial qui ne figure pas dans la liste des œuvres que Guilbert de Pixerécourt a établie. Et cette pièce, la même sous un autre titre ou une nouvelle version, quelques mois après, a bel et bien été jouée
Guilbert de Pixerécourt, Théâtre choisi, tome 2, Souvenirs de la Révolution, p. xvi-xx :
[Le grand auteur évoque ses débuts dans la carrière du théâtre. Ses souvenirs sont évidemment à prendre pour ce qu’ils sont...]
J'en étais là quand mon camarade Michel me prêta les Nouvelles de Florian, qui venaient de paraître et obtenaient un grand succès.
Je n'ai jamais vu Florian, mais il a été l'auteur favori de mon enfance; il m'a toujours inspiré un sentiment de prédilection. Dans ces temps orageux, il m'a procuré de doux moments et l'oubli de mes dangers ; enfin, il a déterminé ma vocation pour la carrière dramatique. Sélico, surtout, me plut infiniment, et je conçus l'idée d'en faire un drame. Une semaine me suffit et au delà pour composer une pièce en quatre actes, intitulée Sélico, ou les Nègres généreux. Je la portai à Baptiste aîné, qui jouait alors au théâtre du Marais, le rôle de Robert, chef de Brigands. Il lut mon ouvrage, m'en parla avec toute la supériorité que semblait admettre la différence de notre position respective, et finit par m'indiquer de nombreux changements, au moyen desquels il me garantit la réception et le succès de ma pièce, puisqu'il voulait bien se charger du rôle principal.
« Bon ! me dis-je, en le quittant, cet homme-là ne s'y connaît pas : parce que je suis jeune, il a cru pouvoir prendre envers moi ce ton doctoral ; mais j'en sais plus que lui, certainement : ma pièce telle qu'elle est, vaut pour le moins toutes celles que l'on joue sur son théâtre et même sur beaucoup d'autres. »
Ces phrases ridicules, je les ai entendu répéter cent fois depuis. Il n'est pas un écolier, s'intitulant homme de lettres, parce qu'il a fourni son quart dans un vaudeville, qui ne crie à l'injustice quand il est refusé. Dans cette carrière périlleuse, on ne doute de rien en débutant ; mais à mesure que l'on ayance, les difficultés se présentent, on découvre les écueils, et l'on sent alors le besoin et le prix des conseils. Depuis cette époque, j'ai souvent employé plusieurs mois à la composition d'un drame, et j'ai fait mon profit de plus d'une réflexion pleine de bon sens, adressée par un garçon de théâtre à son camarade.
Tout en applaudissant à mon chef-d'œuvre et en caressant ma jeune vanité, je me trouvai devant le théâtre Molière, où l'on représentait alors le Château du Diable. Je m'arrête, et jetant sur l'affiche un sourire dédaigneux, dont la traduction la plus modeste signifiait que ma pièce valait infiniment mieux que celle-là, j'entre et demande à voir le directeur, M. Villeneuve. On m'introduit.
Singulièrement fortifié par le demi-suffrage de Baptiste et par les fumées d'amour-propre qui m'avaient accompagné depuis le Marais, je présente mon manuscrit avec cette noble assurance qui semble dire : C'est du bon !
Le directeur le prend et me remet au lendemain ; j'y retourne. Il m'annonce qu'il a trouvé dans ma pièce beaucoup d'intérêt et surtout un beau rôle ; puis il m'invite à déjeûner avec l'élite de la troupe qu'il avait réunie pour entendre mon drame. J'accepte ; on déjeûne, on se place, et je me dispose à écouter, car j'avais prié le directeur de lire pour moi. Il faut que j'en convienne, le cœur me battait violemment, toute ma confiance avait disparu. Modestement blotti dans un coin, la tête et les oreilles basses, je voyais alors dans mon ouvrage d'énormes défauts qui avaient échappé à la perspicacité de Baptiste, et je m'en voulais beaucoup d'avoir lancé mon enfant dans le monde ayant de l'avoir châtié.
« Si par hasard j'étais reçu, me disais-je, je m'estimerais fort heureux d'obtenir mes entrées et une centaine de francs ; ce serait encore de l'argent bientôt gagné. »
On commence; un murmure flatteur accompagne la fin du premier acte.
« Bon ! me dis-je : d'après ce début, il me semble que je pourrai bien demander deux cents francs. »
Le deuxième et le troisième actes sont accueillis par des applaudissements ; et vite, mes prétentions s'augmentent successivement de cent francs par acte.
Enfin, au quatrième acte, les dames tirent leur mouchoir ; je vois couler des larmes.
« Des actrices qui pleurent ! oh ! pour le coup, cela doit valoir six cents francs au moins. »
La pièce finie, et après les compliments de l'auditoire, le directeur m'emmène sur le théâtre. – Votre ouvrage est reçu, me dit-il. Vous le voyez, il a fait le plus grand plaisir, et nous allons le monter incessamment ; mais quel prix y mettez-vous ? – Vingt-cinq louis, répondis-je sans hésiter. – Soit, passons à la caisse , nous dresserons un petit traité, et vous recevrez votre argent. Je ne demandais pas mieux ; tout fut bientôt terminé, et nous nous séparâmes.
Rentré chez moi, je brochai, en trente-six heures, un opéra en un acte, sur une autre Nouvelle de Florian, intitulée Claudine, et je le fis recevoir au théâtre Favart. Le métier me semblait doux et facile ; en un mot, j'étais lancé, et par Florian, à qui j'en ai mille fois depuis adressé des actions de grâces.
Je ne voyais plus de raisons pour m'arrêter quand des intérêts majeurs me rappelèrent en Lorraine et me firent négliger le théâtre. Quelques années plus tard, je m'y livrai de nouveau, et le public a daigné, par une faveur constante, me témoigner que mes efforts pour lui plaire ne lui étaient point désagréables.
Quant à ce drame de Sélico, je l'ai relu depuis, et je n'y ai trouvé de passable que la charpente ; il n'a pas été imprimé.
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