Ziméo
Ziméo, opéra comique en trois actes, en vers, de Lourdet de Santerre, musique de Johann Paul Aegidius Martini. 24 vendémiaire an 9 [16 octobre 1800].
Théâtre Lyrique rue Feydeau
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Titre :
Ziméo
Genre
opéra
Nombre d'actes :
3
Vers / prose
vers
Musique :
oui
Date de création :
24 vendémiaire an 9 [16 octobre 1800]
Théâtre :
Théâtre Lyrique rue Feydeau
Auteur(s) des paroles :
Lourdet de Santerre
Compositeur(s) :
Johann Paul Aegidius Martini
Almanach des Muses 1802
Ziméo, Mexicain, veut venger son pays de l'invasion et des barbaries de la nation espagnole, et ignore que le nouveau gouverneur de la colonie, qu'il veut attaquer, est un homme vertueux et bienfaisant : il brûle, dévaste les habitations, et menace celle du gouverneur ; il a déjà fait son gendre prisonnier ; mais il retrouve chez ce gouverneur son père Télasco et son épouse Zulimé, sauvés l'un et l'autre par les soins de l'Européen généreux.
Sujet tiré d'une nouvelle de Saint-Lambert. Des défautx mais de l'intérêt, et une musique pleine de charme et d'énergie. Succès.
Sur la page de titre de la brochure, à Paris, au magasin de pièces de Théâtres, an IX :
Ziméo, opéra en trois actes, Représenté pour la première fois, au Théâtre Feydeau, le 24 vendémiaire an IX. Les paroles sont du cit. Lourdet de Santerre. La musique est du citoyen Martini.
Sous la liste des personnages :
Nota. Les Directeurs des Théâtres où l’on a pas les moyens de mettre sur la Scène les ouvrages à grand spectacle, trouveront chez le citoyen Frameri, rue Vivienne, ZIMÉO arrangé pour être joué en opéra comique.
Courrier des spectacles, n°1822 du 25 vendémiaire an 9 [17 octobre 1800], p. 2 :
[Compte rendu rapide : le critique promet un article plus complet pour le lendemain. Sinon, autant la musique est louée, autant le livret, pourtant bien écrit, est défaillant : action vicieuse, longueurs, invraisemblance grave au troisième acte et dénouement raté (« amené sans gradation, conduit sans intérêt, achevé sans effet ». Mais le public a sans doute voulu entendre à nouveau la musique de Martini, mais après que l’on aura amélioré le livret. Parce que cette musique est excellente : « sa musique est exactement la peinture des mœurs du pays où la scène est placée », il ne lui manque « que des morceaux d’ensemble », et tout le reste est digne de l’auteur (chœurs, marches, airs, accompagnements). Même jugement positif sur les décors et les costumes. Le nom du compositeur a été vivement applaudi.]
Théâtre Feydeau.
Si le poëme de l’opéra qui vient d’être donné pour la première fois à ce théâtre, sous le titre de Ziméo, avoit répondu à la musique, aux décorations, nous annoncerions un très-bel ouvrage, et sur-tout un succès tout autre que celui dont nous avons à rendre compte.
On ne pourroit toutefois, sans une véritable injustice, refuser à ce poëme le mérite d’un style assez correct et d’une poésie facile, mais la marche entière de l’action est vicieuse, quelques longueurs jettent du froid dans le premier acte, plus d’une invraisemblance assez grave dépare le troisième, et le dénouement, amené sans gradation, conduit sans intérêt, achevé sans effet, ajoute encore aux autres défauts. Le sujet cependant attache par lui-même ; il présente des situations qu’avec du travail et quelques sacrifices il est facile de faire ressortir davantage.
Si le public a été sévère dans son jugement, il nous a paru que c’étoit dans la seule intention de voir cet ouvrage reparoître plus digne de la musique, qui seule étoit bien faite pour le garantir d’une chûte : si l’auteur se décourageoit, s’il n’usoit du précepte de Boileau : Polissez-le sans cesse et le repolissez, le théâtre Feydeau perdroit l’une des meilleures productions du cit. Martini ; sa musique est exactement la peinture des mœurs du pays où la scène est placée. On n’y regrette que des morceaux d’ensemble; mais les chœurs, les marches, les airs dans tous les genres d'expression, et la distribution savante et pittoresque des accompagnemens soutiennent dignement la haute célébrité de ce compositeur.
Les décorations sont d’un effet admirable, et les accessoires de costume ou de pantomime sont traités avec une grande exactitude.
Le public a désiré n'entendre cette fois que le nom du compositeur : le citoyen Fay, qui avoit très-bien joué l'un des principaux rôles, a prononcé le nom du citoyen Martini, et les plus vifs applaudissemens se sont aussi-tôt fait entendre. Nous sommes obligés de remettre à demain l’analyse de la pièce et le complément de nos observations.
B * * *.
Courrier des spectacles, n°1823 du 26 vendémiaire an 9 [18 octobre 1800], p. 2-3 :
[Deux parties très claires dans ce deuxième article. D’abord, le résumé de l’intrigue, aussi compliquée que nécessaire dans un opéra-comique qui ressemble fort à un mélodrame. Tout repose sur l’opposition entre les Espagnols et les Indiens qu’ils oppriment. On assiste à la manière cruelle dont ces Indiens sont traités. Après un premier acte qui se déroule chez les Espagnols, l’acte deux transporte le spectateurs chez les Indiens, au moment où Ziméo va sacrifier Valcourt, son ennemi. Comme de bien entendu, au troisième acte, les Espagnols arrivent pour délivrer Valcourt, et tout finit par s’arranger : Ziméo retrouve son père et sa femme, qu’il croyait perdus, victimes des Espagnols. Les jeunes gens peuvent se marier, et la paix semble devoir être durable. La deuxième partie de l’article est consacrée à porter un jugement, plutôt sévère, sur le « poëme », très insuffisant aux yeux du critique. Il faudrait d’abord faire disparaître les longueurs du premier acte ; il y a ensuite un bon nombre d’invraisemblances dans ce premier acte (le critique en énumère trois). Le début de l’acte deux est jugé « habilement conçu », et le critique en détaille les qualités. Mais on retombe ensuite dans les invraisemblances, toute une série de faits « dont nous n’avons pu concevoir les motifs ». Il ne reste plus que le dénouement, trop rapide, et trop invraisemblable (comment admettre que des gens que tout oppose et qui ont « tant d’intérêts contraires » pourraient se raccommoder si vite ?). Le public a bien marqué tous les points à revoir, et l’auteur n’a qu’à répondre à son attente « s’il veut améliorer son ouvrage ». Mais l’article s’achève par la promesse d’une suite... qui sera publiée le 30 vendémiaire.]
Théâtre Feydeau.
Dom Carlos, gouverneur du Mexique pour l’Espagne, n’a pu maintenir dans l’obéissance ce peuple jaloux de sa liberté et plein du ressentiment des massacres commis par Fernand-Cortès sans-livrer différens combats ; parmi les prisonniers qu’il a faits, se trouve Velasco, l’un des Caciques, et Zulma, épouse de Ziméo, fils de Velasco. Ce vieillard pleure la perle de son fils, et croit qu'il a péri dans un combat ; sa douleur contraste avec les chants de joie que font entendre les autres Esclaves indiens, et bientôt toute la suite du gouverneur qui vient d’ordonner une fête pour célébrer le retour de Valcourt, jeune officier français aimé de sa fille Amélie. Velasco croit cette circonstance favorable pour attaquer les Espagnols ; mais dans le fond de leurs demeures, les Mexicains ne laissent point sommeiller leurs ressentimens ; ils vont attaquer leurs ennemis à l’instant même où ils se livreront à la joie. Dom Carlos en est informé ; il veut engager Velasco à guider les Espagnols dans les défilés qu’il faut franchir pour prévenir les Indiens ; le Cacique, qui ne respire que pour son pays, rejette cette proposition avec dédain. Cependant un combat s’est livré : les Espagnols ont triomphé ; mais Valcourt, entraîné par son courage, s'est laissé envelopper par un gros de Mexicains et a été fait prisonnier. Le désespoir d’Amélie est extrême ; Velasco, cette fois, s’offre généreusement à se rendre auprès de ses compatriotes, pour leur redemander Valcourt, et Amélie veut le suivre.
Du palais du Gouverneur, la scène se transporte au centre de la peuplade que Ziméo commande, car c’est lui qui est le maître des jours de Valcourt, et ces jours vont être sacrifiés en expiation d’une partie des maux que les Espagnols ont fait souffrir aux Mexicains. On invoque le Dieu du pays, on se livre à des chants d’allégresse ; Valcour est amené comme une victime ; Ziméo le fait attacher à un autel, et va lui-même convoquer les chefs de sa nation qui doivent assister à ce supplice. Amélie cependant a surmonté les obstacles, les fatigues et les dangers, elle arrive au lieu même où Valcourt va recevoir le coup mortel, et se précipite dans ses bras. Les chefs et Ziméo tardent à revenir, les Mexicains s’éloignent, il ne reste que des femmes qui plus humaines, plaignent le sort du couple infortuné, et l’accompagnent hors du champ où Valcourt doit périr. (Cet incident finit le second acte.)
Dom Carlos cependant veut lui-même aller délivrer Valcourt. Il conduit ses troupes, on est sur les frontières du pays que va ravager encore une fois le fer espagnol; Ziméo se présente ; il reconnoît Velasco, son père, il apprend que Zulma respire, et même qu'elle a été traitée avec générosité, avec bonté, par Dom Carlos. Il apprend encore que ce Gouverneur n’a point hérité de la férocité de Cortès. Il croit à la sincérité de la paix que lui offre Dom Carlos, il l’accepte, et Valcourt dégagé de ses fers, accompagné d’Amélie, vient partager l’allégresse qu’inspire au[x] deux nations désormais amies, un pacte aussi solemnel.
Telle est la marche du nouvel opéra dont le sujet, comme on le voit, est susceptible d'attacher, et dont les situations doivent acquérir un degré d’intérêt plus marqué, si l’on fait disparoitre les longueurs qui déparent le premier acte ; on considéroit comme une invraisemblance les instances de Dom Carlos auprès de Velasco, pour l’engager à guider les troupes espagnoles contre ses compatriotes. Les regrets de Zulma sont peut-être aussi un peu trop prolongés dans cette première partie, consacrée à l’exposition, jusqu’au moment où l'on annonce que Valcour a été fait prisonnier. Il ne paroît pas non plus vraisemblable que le gouverneur laisse sa fille suivre Velasco, quand ce vieillard va redemander Valcourt aux Mexicains.
Tout le commencement du second acte a paru habilement conçu ; dans l’appareil dont on environne les apprêts du supplice de Valcourt, dans les scènes où se peint la joie des Mexicains à la vue de leur victime, dans les menaces qu'ils profèrent, et dans la scène où Ziméo écoute sans pitié les dernières paroles de l’officier français, l’intérêt est ménagé avec beaucoup d’art, et toute cette situation est vraiment dramatique ; mais que Ziméo tarde à convoquer les chefs pour être présens à l’exécution ; qu’il aille lui même les rassembler ; que les Mexicains ensuite laissent-là leur prisonnier avec son amante, et entouré de quelques femmes ; que celles-ci emmènent ce couple loin du lieu où le sang de Valcourt devoit couler ; c’est ce dont nous n’avons pu concevoir les motifs.
Quant à la manière dont [?] a pressé, accumulé, amalgamé les incidens qui amènent le dénouement, et à l’invraisemblance du rapprochement subit de tous les personnages, divisés un instant avant par tant d'intérêts contraires, c’est ce qui a principalement indisposé le spectateur. Ce dénouement a paru semblable à tous les dénouemens de la plûpart de nos pantomimes héroïques, et tout aussi peu ménagé. Les improbations ont marqué avec exactitude tous les endroits défectueux sur lesquels l’auteur portera la plume, s’il veut améliorer son ouvrage.
Nous reviendrons sur cet opéra dans un autre Numéro..
B * * *.
Courrier des spectacles, n° 1327 du 30 vendémiaire an 9 [22 octobre 1800], p. 2-3 :
[Quelques jours ont passé, les auteurs ont travaillé. L’auteur du « poëme » a enlevé beaucoup de ce qui nuisait à l’opéra, manque de clarté de l’exposition et incidents invraisemblables. Une des victimes, c’est « beaucoup de ces récitatifs » que le critique trouve peu adapté à « une pièce mêlée de chants et de déclamation », ce qui profite aussi à la musique (on sent que les récitatifs sont peu appréciés de façon générale). Elle gagne en rapidité et on y voit mieux l’opposition que la pièce présente de « deux genres, deux caractères très-distincts, et traités avec une égale profondeur ». Sous cette forme, la pièce se voit promettre un bel avenir.]
Théâtre Feydeau.
L’opéra de Ziméo a subi des changemens considérables ; le citoyen Santerre, auteur du poëme, a retranché de son premier acte tout ce qui ôtoit, à l'exposition, la clarté nécessaire. Les deux autres sont également dégagés, en grande partie, de ce qui nuisoit à la vraisemblance des incidens et à l’intérêt de l’action en général. On a supprimé beaucoup de ces récitatifs qui convenoient peu au sujet ; ils ne peuvent être employés que sobrement dans une pièce mêlée de chants et de déclamation ; la musique semble gagner aussi à ce nouveau travail. Les excellens morceaux de musique, multipliés dans cet opéra, se succèdent avec encore plus de rapidité. On ne se lasse point d’applaudir à une composition qui présente deux genres, deux caractères très-distincts, et traités avec une égale profondeur. Cet ouvrage, ainsi corrigé, est devenu digne de fixer l’attention et les suffrages des amateurs du Théâtre Lyrique.
B * * *.
Le Moniteur universel, réimpression, tome 23, Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 29, 29 vendémiaire an 9 [21 octobre 1800], p. 112 :
[L'auteur de l'article s'attache d'abord à montrer que la pièce de Lourdet de Santerre n'emprunte guère au conte de Saint-Lambert: un nom de personnage, un caractère, « le reste lui appartient ». Après un résumé rapide de l'intrigue, il affirme que « le fond de cet ouvrage […] était évidemment du domaine du grand opéra », ce qui apparaît dans « la distribution des scenes, l'enchaînement des situations, les dispositions d'une foule de tableaux ». L'acte 1 est trop riche en événements, et le critique propose de l'alléger, en supprimant le mariage « de l'officier français avec la fille du gouverneur espagnol », jugé trop prompt, invraisemblable et sans intérêt. Autres modifications à faire, celle du rôle du sauvage, qu'il faudrait rendre plus claire, ainsi que le développement des scènes, sans doute excessif, ou le style, à rendre plus poétique. Le public a réagi à la fois par des sifflets et les « applaudissemens les plus vifs », le nom de l'auteur des paroles étant moins apprécié que celui du compositeur. Le critique souligne la haute valeur de la partition, quand le « poëme » manque de diversité dans les dialogue : ton et langage sont trop égaux. Et tout un paragraphe est consacré à faire l'éloge de la composition de Martini, à la fois pour tous ses morceaux et pour l'ensemble « dont toutes les parties sont bien en harmonie entre-elles ». L'article s'achève sur une analyse de la distribution, jugée dans l'ensemble excellente (deux acteurs sont cependant invités à « changer de rôle ».]
ON a donné le 24 de ce mois à ce théâtre la premiere représentation de Ziméo, ouvrage du citoyen Lourdet de Santerre, auteur d'Agathine, ou la Fille naturelle, piece jouée sans succès au théâtre Français en l'an 3 – et de plus ayant, à ce que l'on assure, des droits à revendiquer une partie des suffrages décernés à l'auteur d'Annette et Lubin. Il a trouvé dans un conte imprimé à la suite des Saisons de Saint-Lambert, le nom et le caractere de son principal personnage : le reste lui appartient.
Ziméo, dans l'ouvrage original, est un negre révolté au Canada contre ses oppresseurs ; le qitoyen Lourdet de Santerre a placé le sien au Mexique, conjurant la perte des espagnols spoliateurs de ses biens, et ravisseurs de son épouse. Ziméo ressemble donc beaucoup à Zamora ; mais on ne lui a point opposé de Gusman, et ce n'est point pour une Alzire qu'il veut combattre : le rôle de sa femme est insignifiant et secondaire : deux rôles imités de Monteze et d'Alvarès, sont placés près de lui. L'intérêt qu'il pourrait inspirer est partagé avec les enfans du gouverneur espagnol, dont Ziméo menace les jours. Après une capture mutuelle des deux chefs ennemis, et un échange réciproque, Ziméo se réconcilie avec les espagnols, qui lui promettent la paix et l'indépendance.
Tel est le fond de cet ouvrage, qui était évidemment du domaine du grand opéra ; sa coupe l’indique ; la distribution des scenes, l'enchaînement des situations, les dispositions d'une foule de tableaux le prouvent. Quoiqu'il en soit beaucoup trop d'événemens sont accumulés au premier acte. Une suppression nécessaire est celle du mariage si prompt, si invraisemblable et si peu intéressant, de l'officier français avec la fille du gouverneur espagnol. Qu'on suppose cet officier un époux de retour, au lieu d'un amant attendu, il y aura dans l'acte entier, et dans la conduite de la jeune espagnole Amélie, beaucoup plus de vraisemblance, et par conséquent plus d'intérêt.
On pourrait desirer que le rôle du sauvage qui répond à celui de Monteze, eût une phisionomie moins équivoque, moins incertaine ; qu'il ne commençât pas par être un traître, pour finir par être généreux ; que l'ouvrage fût conduit avec plus de mesure ; que les scenes eussent un développement plus satisfesant, et sur-tout que le style eût une couleur poëtique plus soutenue, principalement dans les passages dialogués.
De bruyants sifflets se mêlaient aux applaudissemens les plus vifs, lorsque la toile est tombée. Cette opposition durait encore au moment où l’on a nommé l'auteur des paroles ; mais elle n'existait plus lorsqu'on a proclamé le nom du compositeur , le citoyen Martini.
Cette composition date d'un certain nombre d'années : il est aisé de le reconnaître ; elle n'a pas la couleur moderne, ou plutôt le vernis à la mode ; mais elle a le style des grands maîtres, et ce qui est beau dans tous les tems, elle a l'accent de la nature et de la vérité. Aussi est-elle d'un grand effet ; quel que soit son succès au théâtre, la partition en sera toujours un excellent sujet d'étude. Nous aimons à dire que le chant en est la partie principale. Les accompagnemens sont rarement trop bruyants ; ils sont tour-à-tour, vigoureux, riches, harmonieux, ou simples, ingénieux et agréables. La conformité de cette composition, soit à la situation donnée, soit aux paroles, soit au caractere particulier de chaque personnage, est en général son principal mérite. L'auteur du poëme a, sans doute, à se reprocher d'avoir donné à tous ses rôles, un ton et un langage trop égal. Il était difficile de dissimuler ce défaut essentiel, avec plus d'art et de sentiment que ne l'a fait le citoyen Martini.
Détachés, presque tous ses morceaux sont bien faits : réunis, ils forment une composition savante à la fois, et agréable, dont toutes les parties sont bien en harmonie entre-elles, dont les beautés se prêtent un mutuel appui, se succédent sans se nuire, et reçoivent des plus heureux contrastes un éclat, qu’un talent consommé pouvait seul leur ménager. Nous citerons tous les chants de femmes pour leur chant simple, mélodieux et pur, ceux des sauvages pour leur teinte originale et leur harmonie vigoureuse, la finale du 1er acte, l'invocation au soleil, l'opposition touchante entre les accens plaintifs de l'officier prêt à être sacrifié, et les cris barbares des sacrificateurs, la finale du 2e acte, un beau duo de basses tailles, celui entre les jeunes époux, le rôle presqu'entier de Ziméo, et le cantabile pathétique qui ouvre le troisieme acte : Ce morceau appartient à la belle école de Sacchini, comme les morceaux vigoureux, répandus dans l'ouvrage, sont dignes de nos plus grands harmonistes.
On doit beaucoup regretter que cette riche composition n’ait pas été exécutée sur un théâtre, où tous les arts réunis eussent donné pour voile à ses nombreux défauts leur pompe enchanteresse, et leur charme inexprimable. C’est aussi ce qui manquait à Sapho ; composition très-belle du citoyen Martini, que les théâtres lyriques sembleraient devoir se disputer, et qu’ils oublient, tandis que le public en garde le souvenir.
On doit cependant des éloges aux acteurs du théâtre Feydeau, pour leur zele et leurs efforts ; Dessaules est bien placé dans Ziméo. Peut-être nul chanteur à Paris, n’eût produit une aussi vive sensation que Fay dans ce beau chœur que nous avons cité : tant il est vrai que pour apprécier le talent, il faut le voir dans l’emploi qui lui est le plus propre ; peut-être Vallere et Rézicourt devraient-ils changer de rôle. Mlle. Lesage a déployé de très-beaux moyens. Il est essentiel de parler de l’intelligence et de l’habileté de l’orchestre. Quant aux costumes et aux décorations, ils rappellent le tems, où le théâtre Feydeau fondait sur leur richesse une partie de ses succès. S
La Décade philosophique, littéraire et politique, an ix, 1er trimestre, n° 3, 30 Vendémiaire [22 octobre 1800], p. 183-184 :
Théâtre lyrique , rue Faydeau.
Ziméo. En 3 actes.
Quiconque a lu immortel Ouvrage des Saisons, de Saint-Lambert, se rappelle sûrement d'avoir lu avec intérêt aussi plusieurs petits contes imprimés à la suite, tels que Labeauki, Sara Th** et Ziméo ; ce dernier est l'histoire d'un nègre offensé jadis par les Européens, qui à la tête d'un parti considérable de Sauvages, vient venger sur la colonie les outrages qu'il a reçus, mais qui retrouve dans ceux qu'il veut punir, les bienfaiteurs de sa famille. Cadre ingénieux dans lequel le philosophe a voulu mettre en opposition la barbarie des peuples civilisés, et les vertus énergiques de ceux qu'on s'habitue à nommer sauvages. Il est impossible de reconnaitre dans l'Opéra prétendu comique, donné dans cette décade au Théâtre-Lyrique de la rue Faydeau, aucune des données de ce conte intéressant, si ce n'est le nom du principal personnage.
L'Auteur a transporté la scène au Mexique, ce qui serait peut-être assez adroit, si par ce changement même, il ne s'était trouvé dans l'inévitable nécessité de rencontrer Alzire et Zamore sur son chemin ; et Zamore en opéra-comique est une étrange disparate.
Ziméo n'a d'autre projet que de venger son pays de l'invasion et des cruautés des Espagnols ; mais il ignore que le nouveau Gouverneur de la Colonie qu'il vient attaquer, est un homme bienfaisant et qui traite avec humanité tous ses esclaves, au nombre desquels se trouvent Télasco, père de Ziméo, et Zulima son épouse.
De leur côté, ceux-ci croient depuis long-tems que Ziméo a péri dans le carnage affreux que les Espagnols ont fait des Mexicains.
Le Gouverneur vient de marier sa fille avec un Officier français. Au moment où les deux époux jouissent du bonheur d'être unis, on apprend que la Colonie est attaquée par une horde de sauvages qui brûlent et dévastent les habitations. Le jeune héros français s'offre de conduire quelques troupes contre les nouveaux ennemis ; il est fait prisonnier : la consternation se répand à cette nouvelle. Télasco, vieillard mexicain, qui doit la vie à ce jeune Valcour, se propose d'aller au camp des sauvages pour le réclamer ; la fille du Gouverneur, la nouvelle mariée, veut l'accompagner, on lui en refuse le droit. Elle rentre avec son père, tandis que Télasco vole au camp. Premier acte.
Au second, nous sommes transportas dans le camp de Ziméo, car c'est lui que les sauvages ont nommé leur chef. Il exhale son ressentiment et sourit à ses projets de vengeance. Déjà la capture de l'Officier français, qu'on lui amène enchaîné, lui présente une occasion de l'assouvir ; il le condamne à mort. La fille du Gouverneur, qui s'est échappée de la maison paternelle pour rejoindre son malheureux époux, se précipite au-devant des flèches dont on va le percer. L'émotion pénètre au cœur de Ziméo, il est prêt à s'attendrir, à pardonner, quand Télasco arrive et reconnaît son fils dans ce Chef des sauvages. Il lui apprend alors que Zulima est esclave du Gouverneur. Cette nouvelle ranime sa fureur, et sans songer à échanger les otages qu'il vient d'acquérir, contre son père et son épouse, il s'élance furieux et veut les arracher au Gouverneur, les armes à la main. Le jeune Français et sa compagne restent lihres, on ne sait pourquoi, acceptent un asyle offert par la pitié de quelques sauvagesses compatissantes et le préfèrent apparemment à la facilité de retourner auprès du Gouverneur.
Le troisième acte n'est que la contre-partie du second. Le Gouverneur, désolé de la fuite de sa fille, attend le retour de Télasco avec impatience. Il est attaqué par Ziméo, qui fond à l'improviste sur son habitation ; il se défend, et fait à son tour Ziméo prisonnier. Celui-ci prêt à subir la mort, se nomme ; le Gouverneur, surpris, envoie chercher Zulima et la lui rend, pour toute vengeance. La haine de Ziméo désarmée par ce trait de générosité du Gouverneur, veut lui rendre aussi sa fille, mais Télasco prévient ses vœux et la ramène avec Valcour. Tout le monde est heureux.
Si l'Auteur du Poème avait un peu plus d'habitude pour concevoir des plans dramatiques ; s'il avait du moins pris la peine de donner à son sujet le coloris local qu'il exige, et quelques coups de pinceau plus mâles à ses caractères, on ne saurait se dissimuler qu'il existe dans le fonds un noyau d'intérêt ; mais l'exécution est d'une mollesse qui n'aurait pas même réussi au grand Opéra, pour lequel le Poëme parait avoir été coupé. Et certes, c'est grand dommage, car la musique réunit tout ce qu'on peut desirer, force, sensibilité, harmonie, coloris local. Elle honore et confirme le grand talent du C. Martini, l'un des inspecteurs du Conservatoire, et à qui nous devons déjà les aimables productions de l'Amoureux de Quinze ans, du Droit du Seigneur, de Sapho , et d'Annette et Lubin.
Le public, sévère à l'égard de l'Auteur du Poème, a été juste pour celui de la musique et a couvert d'applaudissemens le nom de Martini, prononcé par le C. Fay. Ce jeune comédien avait mérité pour son compte de fréquentes et légitimes marques de satisfaction, par la manière de jouer et de chanter son rôle. L. C...
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