Gallet, ou le Chansonnier droguiste

Gallet, ou le Chansonnier droguiste, vaudeville en un acte, de MM. Francis et Moreau, 22 novembre 1806.

Théâtre Montansier.

Les débuts de cette pièce sont liés à ceux de Boniface Carré, ou l’Habit de Voltaire. On les trouve toutes deux annoncées dans le Journal de Paris n° 321 du 17 novembre 1806, p. 2354-2355 :

THÉATRE MONTANSIER.

On annonce pour samedi prochain, à ce théâtre, une espèce de fête domestique, un Spectacle extraordinaire, au bénéfice de mademoiselle Caroline. C'est un tribut de reconnoissance que les administrateurs ont offert, dit-on, avec autant de bonne grâce que de justice, à cette aimable cantatrice, dont les accens mélodieux sont encore l'un des charmes les plus puissans de ce théâtre.

Rien n'est épargné, pour assurer à cette petite solennité l'attrait, l'éclat & l'intérêt effectif, qui sont toujours l'un des principaux objets de pareille fête. La générosité des administrateurs a enflammé d'une noble émulation quelques-uns des auteurs les plus estimés de ce théâtre ; ils ont voulu faire aussi leur offrande à la divinité du lieu, & ils lui abandonnent les prémices de leur rétribution, pour deux pièces nouvelles, dont les titres seuls annoncent de l'intérêt. Dans l'une on verra Gallet ou le chansonnier droguiste, le compagnon de table de Piron & de Collé, leur digne émule en esprit & en franche gaîté. L'autre pièce nous offrira Boniface carré ou l'habit de Voltaire : cet habit-là doit porter bonheur , & promet une foule de saillies ingénieuses. Ajoutez à ces deux nouveautés trois ouvrages, choisis parmi les agréables du répertoire, tels que les Amans prothées, &c. ; avec de pareils moyens, on doit compter sur une brillante réunion; & tout garantit que le public, les auteurs, les administrateurs & l'actrice auront également à s'applaudir de leur soirée.

Courrier des spectacles, n° 3576 du 24 novembre 1806, p. 2-3 :

[La soirée du 22 novembre était une représentation an bénéfice. de deux actrices. Elle est composée surtout de deux pièces nouvelles, dont cet article doit rendre compte, Gallet ou le Chansonnier droguiste et Boniface Carré ou l'Habit de Voltaire. Mais avant de parler des deux nouveautés, le critique commence par analyser la révolution que connaît le Théâtre Montansier, passé des turlupinades et autres calembours à un genre de pièces tout différent, cultivant « la décence unie à la gaîté » qui le rend fréquentable à un public de « la société honnête ». La représentation du 22 novembre faisait alterner pièces connues et nouveautés. Après le Diable en vacances, c'est Boniface quarré, ou l'Habit de Voltaire qui a affronté le public, et a subi son courroux. Puis, après l'intermède des Amans Protée, auquel le critique prête des vertus apaisantes, nécessaires après la chute de Boniface carré, c'est le tour de Gallet ou le Chansonnier droguiste, jugé de façon très positive : « une gaîté franche », « de l'esprit, des couplets faciles », et un dialogue plein de saillies. Les auteurs ont été acclamés. L'intrigue conte les aventures d'un auteur de vaudevilles, Gallet, ami de Piron et Pannard (c'est une référence !) qui a quelques soucis d'argent, que ses amis aplanissent, et une nièce qui va épouser le neveu de son débiteur revenu à de meilleurs sentiments. Même une scène rebattue a fait rire, et les interprètes ont été excellents. L'article s'achève par deux « couplets que l'on a fait répéter ».

Arlequin Deucalion est un monologue en trois actes, de Piron, dont la prmeière a eu lieu le 25 février 1722 à la Foire Saint-Germain.]

Théâtre Montansier.

Représentation au bénéfice de mesd. Caroline et Barroyer.

Depuis que ce Théâtre sacrifie moins aux turlupinades, aux calembourgs, depuis que l’on voit régner dans les nouvelles pièces de [s]on répertoire la décence unie à la gaîté, la société honnête ne rougit plus d’aller s'y délasser, et même elle pardonne en faveur des ouvrages du bon ton ceux qui conservent encore quelque levain d'impureté. La réforme ne s’achève pas en un jour ; on a dû ménager certains goûts, certaines habitudes ; mais elles meurent insensiblement avec le genre qui les a fait naître, les auteurs de facéties burlesques se retirent et cèdent la place à ceux qui offrent des ouvrages moins propres à affliger les Muses et les Grâces ; administrateurs, acteurs, auteur, public, tout le monde y a gagné. Tant de suffrages en faveur de la décence pourroient-ils être balancés par ceux d’une poignée d'amateurs de calembourgs, de farces et de turlupinades qui voudroient en vain ranimer les restes d’un parti expirant ? La réputation d’honneur que vient d'acquérir Thalie-Montansier a parfaitement servi les inté- de [sic] mesd. Caroline et Barroyer. Les loges et le parterre étoient garnis d’une société nombreuse et choisie, qui a dû être étonnée d'y trouver toutes les pièces de la soirée du meilleur ton. On avoit écarté celles qui fournissent à tant de jeunes gens le faux esprit, les pointes, les jeux de mots avec lesquels ils vont faire fortune dans les salons du tiers ordre. Le spectacle a commencé par le Diable en vacances, joli opéra dont plusieurs airs ont fait fortune, comme ceux du Diable couleur de rose. Est venu ensuite Boniface quarré, ou l'Habit de Voltaire. Cette bleuette a été très-mal accueillie, et s’il est difficile de trouver ouvrage plus foible, plus mal conduit, il est rare d’entendre des sifflets plus aigus et plus acharnés que ceux qui ont fait tomber le rideau et la pièce.

[Ici figure la critique de Boniface carré, ou l'Habit de Voltaire, qui a essuyé une chute sévère.]

Cette sévérité du parterre auroit pu faire craindre pour la seconde nouveauté ; mais les Amans Protée, qu’on a joués dans l’intervalle, ont commencé à désarmer les spectateurs  ; la voix charmante de Caroline, qui n’a jamais peut-être mieux chante qu’avant-hier ; le jeu de Mad. Mengozzy, de Bosquier-Gavaudan, et de Dubois ont conjuré l’orage, et Gallet, ou le Chansonnier Droguiste n'a trouvé, en paroissant, qu’un auditoire disposé à l’applaudir ; la pièce a fait le reste.

Le vaudeville de Gallet est une production qui peut aller de pair avec les plus agréables dont ce théâtre s’est enrichi depuis quelque tems. Il y règne une gaîté franche, comme celle qui distinguoit Piron, Pannard et Gallet. Il y a de l’esprit, des couplets faciles ; le dialogue étincelle de saillies piquantes. On a vivement demande les auteurs ; et lorsqu’on a entendu le nom de M. Moreau uni à celui de M. Francis, on s’est souvenu que le théâtre leur doit le joli vaudeville des Chevilles de Maître Adam, celui de Boileau à Auteuil, etc. ; et les applaudissemens out redoublé. Voici le sujet de la pièce.

Gallet marié avec une veuve, marchande épicière de la Pointe St.-Eustache, passe les jours et les nuits à rire, chanter et boire avec Piron et Pannard, tous deux jeunes encore, tous deux fous de plaisir, et sur-tout grands buveurs. Un soir, ou plutôt un matin, ils veulent regagner leur logis ; la pluie tomboit à flots ; ils reviennent chez Gallet, reprennent leur flacon et boivent jusqu’au jour. Gallet n'étoit pas sans inquiétude ; il avoit souscrit un effet au profit de M. Mouflard, marchand d'eau-de-vie à Cognac, et n’avoit pas le sou pour l’acquitter. Ce M. Mouflard apprend que son débiteur s’amuse à faire des chansons au lieu de s’occuper de son commerce ; il arrive à Paris, se présente chez Gallet. Piron et Pannard qui connoissent l’embarras de leur ami sans pouvoir y remédier, surviennent aussi-tôt y et commencent une conversation vive et gaie avec le marchand d’eau de-vie de Cognac. Au ton de confiance qu’ils prennent, il revient sur ses premières idées, croit Gallet riche, et lui propose d’unir les deux familles, en mariant Michot son neveu à la fille de Mad. Gallet. Celle-ci qui a surpris des couplets de Piron et de Pannard à l’adresse de sa fille, croit qu’ils aspirent à l’honneur de devenir ses gendres ; elle refuse hautement M. Mouflard. Le fabricant d’eau-de-vie produit un jugement de prise de corps contre Gallet ; Mad. Gallet est désolée ; Mouflard sort ; mais Michot parvient à le ramener et à faire consentir Mad. Gallet à son mariage. Piron contribue à accélérer ce dénouement, en offrant le produit de son Arlequin Deucalion.

La scène entre un directeur de théâtre et M. Mouflard offre un quiproquo qui n’est pas neuf ; mais il est présenté de manière qu’il a excité le rire général. Cette pièce a été très-agréablement jouée par Bosquier-Gavaudan, Tiercelin, Aubertin, et mesd.. Caroline et Barroyer. On y a aussi remarqué, dans le rôle de Gallet, le jeu original de Joli. Cet acteur porte partout beaucoup de gaîté, et excelle sur-tout à se donner tous les masques dont il a besoin.

Gallet sera fêté comme Maître Adam et les autres jolies pièces de ce théâtre. Voici quelques couplets que l’on a fait répéter :

PIRON.

Air : Quand on ne dort pas de la nuit.
Renonçant au joyeux flonflon
Et bravant l’effort du Pygmée,
Fils légitime d’Apollon,
Sur le sommet de l’Hélicon,
J’irois chercher la renommée.
Je prouverois à l’univers
Que rien n'arrête le génie.
La France retiendroit mes vers t

  GALLET et PANNARD.

Voilà bien (bis) la Métromanie.

      GALLET.

Air : du Curé de Pompone.

      Des Muses les profits sont doux,
            Et j'aime leur commerce ;
      Mais je gagne plus, entre nous,
            Dans celui que j’exerce.
      Je ne veux pas d’un bon métier
            Que mes vers me détournent.
Comme ils viennent de chez l’Epicier,
            Je crains qu’ils n’y retournent.

Journal de Paris, n° 329 du 25 novembre 1806, p. 2410 :

[Compte rendu très rapide de la soirée annoncée le 17, et qui n’a pas tenu toutes les promesses faites ce jour là. Si Gallet (au titre déformé) a réussi, Boniface Carré (au titre modifié : l’auteur de la nouvelle n’a pas une très bonne mémoire) a chuté et ne paraîtra plus.]

Dans la même soirée où des bouffonneries d’ailleurs fort gaies, obtenoient au théâtre Feydeau un très-grand succès, d’autre bouffoneries sans doute moins spirituelles, étoient sifflées impitoyablement au théâtre Montansier, leur domicile naturel. On a déjà remarqué que le goût des habitués de ce dernier théâtre, s’épure de jour en jour ; & la soirée de samedi en a offert une double preuve, d’abord par la chûte de Boniface Carré, ou Voltaire travesti en Brunet, ensuite par le succès brillant de Gallet ou l’Epicier droguiste ; pièce d’un bon ton & dans le genre des Chevilles de Maître Adam : elle est des mêmes auteurs, MM. Francis et Moreau.

Journal de Paris, n° 331 du 27 novembre 1806, p. 2424 :

[Deux jours après l’annonce de la réussite de Gallet qui retrouve son vrai titre, confirmation : « la bonne société de Paris » se presse au théâtre, promesse d’un succès durable. Comparaison avec une pièce connue, exemple de couplet, tout s'annonce bien pour la pièce nouvelle.]

Gallet, ou le Chansonnier Droguiste, obtient de jour en jour plus de faveur au théâtre Montansier. Les représentations en sont très-suivies par la bonne société de Paris, & son succès paroît devoir être aussi durable que celui des Chevilles de Maitre Adam, ouvrage des mêmes auteurs, que l'on revoit toujours avec plaisir. Voici un couplet de Gallet, chanté par Piron.

AIR : Une fille est un oiseau.

Sur les débris d'un tonneau,
Thespis barbouillé de lie,
      Aux enfans de la Folie
Ouvrit un chemin nouveau,
      Pere de la comédie,
Ce fut à lui que Thalie
Enseigna dans une orgie
L’art d’instruire & d’égayer ;
Que son exemple nous frappe,
Ce n’est qu’en cueillant la grappe
      Qu’il a cueilli le laurier.

Dans le même recueil de numéros du Journal de Paris (septembre à décembre 1806), j’ai pu relever (sans garantie d’exhaustivité) la liste suivante de représentations :

  • première le 22 novembre,

  • deuxième le 23,

  • troisième le 24,

  • quatrième le 25,

  • cinquième le 26,

  • puis le 28 novembre et les 17, 22 et 25 décembre.

Liste provisoirement arrêtée à 9 représentations.

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