Les Incorrigibles, ou l’Amour et les vers

Les Incorrigibles, ou l’Amour et les vers, comédie en trois actes, de Collin-Harleville, 12 septembre 1815.

Théâtre de l’Odéon.

Pièce posthume, à moins qu’elle soit de M. de Montbrun.

Titre :

Incorrigibles (les), ou l’Amour des vers

Genre

comédie

Nombre d'actes :

3

Vers / prose

en vers

Musique :

non

Date de création :

12 septembre 1815

Théâtre :

Théâtre de l’Odéon

Auteur(s) des paroles :

Colin d’Harleville (et M. de Maubrun)

Journal des débats politiques et littéraires, 14 septembre 1815, p. 1-3 :

[La pièce nouvelle pose d’abord un problème, celui de son auteur. Présentée comme une œuvre posthume de Collin d’Harleville, elle aurait simplement été mise en forme. Le critique ne croit guère à cette belle histoire de pièce retrouvée dans les papiers du grand auteur et suggère qu’il s’agit d’un faux, comme il il en a eu beaucoup dans l’histoire. Pour lui, pourtant, le problème n’est pas là : qu’importe son auteur, si c’est une bonne pièce (et il propose quelques critères pour dire ce qu’est une bonne pièce), et de même si c’est une mauvaise pièce (il nous décrit aussi ce qu’est une mauvaise pièce) : dans les deux cas, il est question de construction, mais aussi de langue. Après tout, même Molière n’a pas écrit que des chefs-d'œuvre. On arrive enfin à la pièce, dont le critique analyse le titre, pour lui significatif : il y retrouve le sujet de la pièce. La morale qu’elle développe est bonne, nous dit-il. Mais une bonne morale ne fait pas nécessairement une bonne pièce : tout est dans le développement du principe moral qu’elle illustre. La pièce souffre d’ailleurs de la dualité de l’action, qui disperse l’intérêt du spectateur. Il passe ensuite à « l’analyse de la pièce nouvelle », dont il résume avec précision l’intrigue. D’abord neutre, ce résumé finit par laisser percer le jugement négatif que le critique porte sur la pièce : les lectures d’une des deux jeunes filles de la pièce lui semblent contradictoires, comme son goût littéraire paraît bien peu relevé. Le sommet de la contestation est atteinte autour de « la morale de la pièce » : jamais Collin n’aurait écrit la formule qu’utilise son personnage. Le dernier paragraphe ressemble à une exécution : si le parterre a été sage, c’est parce qu’on lui a fait croire que la pièce était de Collin, qu’il n’a pas osé critiquer. Mais il a montré sa désapprobation quand on a voulu nommer Collin comme auteur, alors qu’on ne peut guère le reconnaître dans « une ou deux scènes tout au plus ». La dernière phrase utilise une image de monnaie pour souligner la faible valeur de l’ouvrage : « un denier fin », c’est le taux le plus faible d’argent qu’on peut trouver dans une pièce de monnaie.]

ODÉON – THÉATRE ROYAL.

Première représentation de l’Amour et les Vers, ou les Incorrigibles, comédie en trois actes et en vers.

S'il falloit en croire des bruits répandus par une prévoyance intéressée, le nouveau-né se réclame d’un nom fameux, se vante d’une illustre origine: l’auteur du Vieux Célibataire, de l’Optimiste, de l’Inconstant [pièce de Collin d'Harleville, de 1786], lui auroit donné le jour. Moins heureux que ses aînés, il aurait été oublié de son père ; après la mort de ce père injuste et partial, il auroit encore trainé pendant dix ans une <existence ignorée, lorsqu'un heureux hasard et les signes ineffaçables qui distinguent les races privilégiées, auroient révélé tout à coup l’éclat de sa naissance. A l’instant un zèle généreux auroit recueilli l'orphelin, secoué la poussière sous laquelle il étoit enseveli, paré sa nudité, rassemblé ses lambeaux, et l’auroit ensuite introduit dans le monde, en confiant sa fortune aux souvenirs de sa noble extraction : c’est effectivement sous les auspices d’un préjugé aussi favorable qu’il s’est montré en public pour la première fois ; tout sembloit lui présager bon accueil.

Cependant quelques incrédules élevoient des doutes sur la certitude de cette filiation. Les histoires sont remplies de l’audace de célèbres imposteurs qui, à m’aide d'un faux nom, ont essayé d’usurper des places, de l'argent et des honneurs. Qui ne connoît le faux Comnène, le faux Ivan, le faux Démétrius ? Ne pourroit-il pas élever aussi de faux Colins ? Voyons, attendons, examinons bien, disaient !es hommes défians ; nous sommes physionomistes ; si l'enfant n'est pas supposé, il est impossible qu’il n'ait pas quelques traits de famille, et si ces traits existent, il est également impossible qu'ils nous échappent.

D'autres, mettant de côté tous les raisonnemens hypothétiques, se rattachoient avec force aux grands principes. Nous ne sommes plus dans le temps où la noblesse fait le mérite ; laissons là la parenté. Si l'enfant est régulièrement proportionné, s'il s'énonce avec clarté, avec une facilité élégante ; si ses manières sent naturelles, si sa figure est douée et modestement enjouée, qu'il soit s'il veut Colin-d'Harleville, qu'il soit Andrieux, qu'il soit Picard, sous quelque nom qu'il se présente, nous lui faisons fête, et il sera certainement le bien venu. Si au contraire il est froid, maussade, ennuyeux ; si sa conversation est d'une prolixité insipide, s'il court après l'esprit sans pouvoir l'attraper, s'il se permet des expressions triviales, s'il ignore même les principes élémentaires de sa langue, nous le replongerons dans l'obscurité dont il n'auroit pas dû sortir, et nous le déclarons bâtard

Cette disposition qui étoit la plus générale étoit en même temps la plus raisonnable. Qu'importe, pour le mérite d'un ouvrage, le nom de son auteur ? Sous celui de Molière lui-même, n'avons-nous pas des pièces indignes de son génie, et qui ne soutiendroient pas la moitié d’une représentation ? Que la comédie nouvelle soit de Colin, ou qu'elle n'en soit pas, il est malheureusement trop prouvé qu’elle n'est pas digne d'en être et dans l'une ou l'autre de ces suppositions, ceux qui l’ont mise au jour ont un tort à réparer envers sa mémoire.

Le titre de la pièce en indique le sujet : c'est un amant, c'est un poëte, qui, trompés dans leurs goûts et dans leurs espérances, ont renoncé, l'un à la société des femmes, l'autre à la manie des vers ; qui bientôt reviennent tous les deux à leurs penchans, et chez qui la force du naturel triomphe des p!us vigoureuses résolutions. C'est la paraphrase de ce vers si connu :

Naturam expellas furcà, tamen usque recurret.

Qu'on lui ferme la porte au nez ;
Il reviendra par ta fenêtre.

L'idée morale est bonne ; elle est simple ; elle pourroit être comique. Ces données prises dans le cœur de l'homme, sont ta source de la véritable comédie ; mais ii faut savoir les mettre en œuvre, y rattacher une action intéressante, des situations neuves et théâtrales, et surtout leur donner la vie par la force et la vigueur du style. Il n'y a pas une maxime philosophique, pas un proverbe de Sancho, où l'imagination ne trouve le germe d'une excellente comédie ; il ne s'agit plus que de le développer, et c'est là le secret du génie.

Un défaut fondamental de la pièce nouvelle, est de présenter à l'esprit une action double et par conséquent ua double intérêt. L'attention sera nécessairement partagée entre le poëte et l'amant ; et comme l'un et l'autre se trouveront constamment dans des positions analogue, le spectateur sera à la fois tiraillé en sans [sic] différens, et endormi par la monotonie des situations.

Je passe à l'analyse de la pièce nouvelle.

Philène et Duvervin sont amis : le premier a aimé une coquette, et en a été trahi ; le second a donné une comédie au théâtre et sa comédie a été sifflée. Dans leur désespoir, ils abandonnent .Paris, et se retirent à la campagne chez M. Lisidor leur ami commun : là, i!s font vœu d'oublier dans l'étude de la nature, dans la jouissance des simples amusemens de la campagne, l'infidélité des femmes et l’injustice du parterre. Lisidor les affermit dans ce louable dessein qui lui assure te plaisir de les posséder plus long-temps.

Mais Lisidor a deux nièces jeunes, jolies, aimables ; il les attend : il annonce à ses hôtes leur prochaine arrivée. Angélique et Eglé ne tardent point à paroitre. Angélique est sensible et un peu romanesque ; Eglé est bel-esprit, ne rêve que poésie, ne lit que des vers et elle choisit très bien ses auteurs.

Ovide est selon moi le premier des poëtes.
.    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .
Je pourrois bien encor vous parler de Tibulle,
Du tendre Anacré ou de l'aimableCatulle.

Dans un autre endroit, elle dit qu'elle ne lit pas Virgile, parce qu'il est en latin. Cela n'est pas très aisé à concilier : si Eglé lit Tibulle dans la traduction de Mirabeau, elle pourroit lire Virgile dans celle de. M. Binet elle dissimule probablement les motifs de sa préférence.

L'apparition d'Angélique et d'Eglé inquiéta nos deux hermites sur la solidité de leurs projets. Ils conviennent entr'eux de changer de rôle : Philène sera le poëte infortuné. Comme il ne sait pas faire de vers, son ignorance le garantira des attaques que la docte Eglé ne manquera pas de diriger contre sa coupable inaction. Duvervin, dont le cœur a jusqu'ici ignoré l'amour, jouera !e rôle de l’amant infortuné : les efforts de la sentimentale Angélique se briseront contre son insensibilité naturelle.

Philène, pour soutenir son personnage avec Eglé, lui donne comme de lui un quatrain qui est l'ouvrage de Duvervin :

    Prose et vers, brune et blonde,
Sans débats partagent mon goût ;
Heureux celui qui dans le monde
N'exclut rien et jouit de tout !

Eglé trouve le quatrain charmant ; la lecture d'Anacréon et de Catulle ne lui avoit pas fait apparemment grand profit, du moins sous le rapport du jugement et du goût.

Duvervin, de son côté, joue de son mieux le sentiment auprès d'Angélique, et lui fait une description touchante des plaisirs champêtres. C'est hors des villes, lui dit-il, que l’on trouve

La fête de: hameaux et les sons des musettes,
De pesans campagnards, de l »gères fillettes.

A quoi Angélique, peu contente de l'antithèse, répond avec franchise :

Votre tableau, Monsieur, n'est pas satisfaisant ;
Vous êtes sec de peur de paroitre pesant.

En dépit des conventions réciproques et des résolutions du matin, la sympathie ramène Philène à Angélique et la conformité de goût Duvervin à Eglé ; Duvervin est reconnu pour l'auteur du quatrain ; en voilà plus qu'il ne faut pour déterminer le penchant d'Eglé. D'ailleurs la Gazette de France annonce que la seconde représentation de sa comédie a été aux nues. Lisidor, qui veut absolument marier ses deux nièces, imagine un stratagème tout neuf pour leur faire connoitre les véritables sentimens des deux jeunes gens :

                                  Vous feindrez de partir,
Et contre ce taillis vous irez vous blottir.

Angélique et Eglé vont donc se blottir contre le taillis, et de là, sans être aperçues, elles recueillent la preuve qu'elles sont aimées chacune par celui qu'elles ont préféré. Philène et Duvervin, possesseurs d'une femme adorée retournent tous les deux à leurs penchans favoris, le premier à l'amour, le second à la gloire La morale de la pièce est, comme dit Lisidor que

En prose comme en vers, dans le monde, au théâtre,
Toujours le naturel tenace, opiniâtre
L'emporte.....

Le naturel qui l'emporte en prose comme en vers ! Ce n'est certainement pas ainsi que Colin écrivoit. soit en vers, soit en prose, et si ce malheur lui fût arrivé, son naturel modeste et timide ne lui auroit pas permis de faire confidence au public de semblables platitudes.

Le parterre a été tenu constamment en échec, par la crainte de faire outrage à la mémoire d'un auteur aimable, dont la personne non moins que le talent n'a laissé que d'honorables souvenirs : son silence, sa froide improbation avoit quelque chose de religieux. Lorsque la toile a été baissée, ses murmures n'ont éclaté que contre l’indiscrète témérité qui a osé prêter à Colin un ouvrage où il ne peut avoir d'autre part qu'une ou deux scènes tout au plus, dans lesquelles on a cru retrouver quelques détails de son élégante facilité. L'ensemble forme un alliage monstrueux, où l’analyse la plus scrupuleuse trouveroit à peine un denier de fin.                C.

Mercure de France, tome soixante-quatrième (septembre 1815), p. 19 :

[La pièce de Collin n’est donc pas de Collin, mais de M. de Montbrun, grand transformateur des pièces en prose de Molière en pièces en vers, et qui n’a pas vraiment fait plaisir.]

Les comédiens français de ce théâtre annoncent pour la semaine prochaine les Incorrigibles, ou l’Amour et les Vers, comédie posthume en trois actes, en vers, de Colin-d'Harleville. Sans les difficultés survenues entre l'auteur qui a arrangé cet ouvrage, il aurait été joué plus tôt. On craint qu'il n'y ait un procès à ce sujet ; peut-être sera-ce beaucoup de bruit pour rien ? On dit que la personne à qui nous allons devoir ce nouvel ouvrage de Colin, est la même que celle qui nous a fait le plaisir de mettre en vers le Bourgeois gentilhomme et le Médecin malgré lui.

Mercure de France, tome soixante-quatrième (septembre 1815), p. 134 :

[Epigramme sur l’échec de la pièce...]

LES INCORRIGIBLES,
ou L’AMOUR ET LES VERS.

                De d’Harleville, après sa mort,
                Damis donne un nouvel ouvrage.
        De le siffler Cléon lui fait l’outrage,
Lysimon l’applaudit ; et tous les trois ont tort.

M.... F........ La V.......                                          

Journal des dames et des modes, n° 52 (dix-neuvième année), 20 septembre 1815, p. 409 :

PARIS.

Ce 19 septembre 1815.

Dans l'espace de six jours, les théâtres de Paris ont joué six nouveautés. L'Odéon a donné les Incorrigibles, ou l'Amour et les Vers, comme un ouvrage posthume de Colin d'Harleville ; mais c'est une petite mystification dont le public n'a pas été dupe ; il n'y a peut-être pas cent vers de Colin dans cette comédie, que l'on fera, dit-on, suivre d'un drame de Madame Molé, qui s'étant bien trouvée de Misantropie et Repentir, a cru devoir en faire la suite.

Paul Porel et Georges Monval, L'Odéon : Histoire administrative, anecdotique et littéraire... (Paris, 1876), p. 273 :

Le 12 septembre, LES INCORRIGIBLES ou l'Amour des vers, comédie en trois actes, ouvrage posthume de Collin-Harleville, fut sifflée, grâce aux « arrangements » et à la mise en scène de M. de Montbrun.

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