Linnée, ou les Mines de Suede

Linnée, ou les Mines de Suede, opéra en trois actes, paroles de feu Dejaure [Jean-Élie Bédéno Dejaure], musique de M. Dourlens ; 10 septembre 1808.

Théâtre de l'Opéra-Comique.

On trouve alternativement comme sous-titre les Mines de Suède ou la Mine de Suède.

Titre :

Linnée, ou les Mines de Suède (ou la Mine de Suède)

Genre

opéra-comique

Nombre d'actes :

3

Vers ou prose ,

en prose, avec des couplets en vers

Musique :

oui

Date de création :

10 septembre 1808

Théâtre :

Théâtre de l’Opéra-Comique

Auteur(s) des paroles :

Jean-Élie Bédéno Dejaure

Compositeur(s) :

Dourlens

Almanach des Muses 1809.

Espece de mélodrame, où l'on trouve une forêt ; des mines, des proscrits, des brigands, et par-dessus tout cela Linnée, cherchant des herbes, consolant des malheureux, et priant le bon Dieu à chaque instant. Musique qui annonce d'heureuses dispositions. Demi-succès.

Gazette nationale ou le Moniteur universel, volume 41 (juillet-décembre 1808), n° 256, lundi 12 Septembre 1808, p. 1012 :

[Un bel exemple d'éloquence contre le mélodrame, dont les caractéristiques sont énumérées.]

Théâtre de l'Opéra-Comique.

Qui nous delivrera des Grecs et des Romains ?

Disait l'ingénieux auteur de la Gastronomie dans son épître chagrine contre

Cette triste famille à qui Dieu fasse paix,
Race d'Agamemnon qui ne finit jamais.
...............................................................

Pour nous, nous dirions volontiers : qui nous délivrera du mélodrame, de son style emphatique ou trivial, de sa pantomime et de son fracas, de ses brigands, de ses cavernes, de ses reconnaissances sans fin, de ces catastrophes sans vraisemblance, de ces dénouemens sans vérité, sur-tout de la savante harmonie et de la bruyante musique qui l'accompagne ? Le mélodrame nous poursuit, nous cerne, nous assiège de toutes parts ; en vain on croit le fuir, lui et la foule avide qui le cherche au boulevard ; on le retrouve à l'Opéra-Comique ; dernièrement encore il s'était introduit à l'Opéra-Bouffon. Il serait pourtant agréable de connaître un asyle sûr contre les dangereuses usurpations de ce genre facile qui séduit à la fois les auteurs et la multitude ; de ce genre ennemi de toute raison, de tout esprit, de tout sentiment vrai, de toute idée ingénieuse et délicate, de toute peinture de mœurs naturelle et piquante.

Le nouvel opéra prétendu comique est intitulé : Linnée ou les Mines de Suede : cet ouvrage est un larcin manifeste fait aux théâtres consacrés au mélodrame ; il est à remarquer que de son vivant son auteur n'avait pas cru devoir le faire jouer, ou n'y avait pas réussi, car Linnée est une production posthume, et il est assez étonnant qu'on ait été l'arracher à l'oubli, sans trop d'égards pour la mémoire de l'auteur qui avait fait beaucoup mieux.

Ce dernier est feu M. Desaure [Dejaure], auteur de la Lodoiska donnée au théâtre Favart, tandis que les beautés supérieures de la musique assuraient à celle de Chérubini un si brillant succès au théâtre Feydeau ; de l'Incertitude maternelle, petit drame, devenu un opéra larmoyant que le talent de Mme Dugazon fit réussir sous cette nouvelle forme, de la Dot de Suzette, imitation assez agréable du joli roman de ce nom ; enfin de Montano et Stéphanie dont un de nos écrivains les plus distingués consentit à refaire le 3e acte.

Linnée, dans l'opéra nouveau, n'est point un personnage principal ; son nom n'y est nullement obligé ; tout personnage occuperait la même place, et ce nom n'est utile que sur l'affiche pour piquer la curiosité par son rapprochement avec le second, les Mines de Suede. L'intrigue est commune et rebattue : elle ne se rattache nullement au non de Linnée, qui ne paraît dans ce drame romanesque que pour herboriser avec ses éleves, adresser une priere à l'Eternel ; puis, à la fin, réconcilier avec leurs devoirs et avec leurs familles quelques personnages qui s'étaient singuliérement brouillés avec les uns et les autres.

Quoi qu'il en soit de ce sujet, de la maniere dont il est traité, du style et des moyens dramatiques de l'auteur, l'ouvrage a eu toutes les apparences d'un succès ; la musique est d'un jeune éleve du Conservatoire, couronné dans l'un des concours de composition ouverts annuellement par la classe des beaux-arts de l'Institut, M. Dourlens : ce choix d'opéra n'est pas très-heureux de sa part, et l'on en ferait un sujet de reproche à ce jeune compositeur, si l'on ne savait qu'un musicien n'a jamais la liberté du choix de son premier ouvrage.

Quelques morceaux, sur-tout ceux d'ensemble, ont été justement applaudis : la science de la composition y déploie tout son luxe : l'expression est en général forte, et la déclamation juste, mais les motifs ne sont pas également heureux, et souvent à la place d'un chant mélodieux et facile, l'auteur s'égare dans les combinaisons d'une harmonie travaillée. Quelques morceaux légers, exempts de ce défaut, écrits avec une simplicité, et une naïveté pleine de grâces, ont été applaudis avec tant de vivacité, que le compositeur a pu reconnaître quel emploi de son talent, et quelle direction à ses moyens le public semblait lui indiquer, lorsqu'il traitera un véritable sujet d'opéra-comique.                            S

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome X, octobre 1808, p. 261-265 :

[Le critique n’aime apparemment guère cette pièce, et il choisit de prendre clairement position contre elle. Il attaque d’abord son titre, complètement inadapté : il n’accepte ni la Mine de Suède (au singulier), ni l’utilisation du nom de Linnée, qui n’est qu’un personnage secondaire, utilisé pour appâter le public. Il critique ensuite la multiplicité des sentiments et des intérêts de la pièce : un seul sentiment est suffisant pour une pièce en cinq actes. Ici, tous les personnages, toutes les situations engendrent des intérêts contradictoires. Il aurait sans doute mieux valu ne pas exhumer une pièce que son auteur avait probablement condamné « à ne jamais voir le jour » et qu’on joue pour des raisons peu glorieuses, préférant « l’intérêt des héritiers de M. Dejaure à celui de sa réputation ». Plutôt que de faire l’analyse de la pièce et supprimer chez les éventuels spectateurs toute envie de la voir, le critique préfère livrer « quelques réflexions sur ce nouveau genre de composition » dont il lui faut bien constater le succès. Ce genre qui a su évoluer au fil de son glissement de l’ancienne Comédie Italienne aux théâtres du Boulevard est pour lui un affaiblissement du « goût national », qui a l'inconvénient de s’emparer très rapidement des « situations les plus tragiques » sorties « du cerveau d'un romancier », dont il prive ainsi les autres formes théâtrales. La musique de la pièce nouvelle n’est pas non plus du goût du critique. Elle lui semble rechercher « les grands effets », mais sans originalité. Il regrette en particulier qu’il se réfugie dans des formes mineurs comme la romance, au lieu de chercher dans une ariette la beauté du chant, au lieu « des effets d'harmonie plus savamment calculés qu'heureusement amenés » (mélodie contre harmonie, comme d’habitude). On sent en cette fin d’article un peu de sentiment de décadence (« ces époques dans les arts n'annoncent pas qu'ils se perfectionnent »).]

THÉATRE DE L’OPÉRA-COMIQUE.

Linnée, ou la Mine de Suède, opéra en trois actes, de feu Dejaure, musique de Dourlens.

Je ne sais si l'auteur de cet ouvrage posthume en avait lui-même rédigé le titre, mais il était difficile de choisir plus mal. La Mine de Suède suppose qu'il n'y a qu'une mine en Suède, et rien n'est plus faux ; Linnée, suppose que ce célèbre naturaliste joue le principal rôle dans la pièce, et cela n'est pas plus vrai. A la vérité il était assez difficile de donner un bon titre à cet ouvrage, parce qu'il n'y a point d'unité d'intérêt. On aurait pu l'appeller Ulric et Valstein, Ulric et Fréderic et Georgina, et mieux encore l'Epée de Valstein ; car cette épée fait le nœud de la pièce. Linnée n'y paraît que pour faire la prière du soir, après avoir herborisé avec ses élèves, et pour exercer au dénouement un acte de générosité et de bienfaisance où la botanique n'entre pour rien, On voit trop que son nom ne figure sur l'affiche que pour attirer les curieux, et que l'auteur ne s'en est servi que pour donner du relief au roman qu'il a mis en scène. On lui pardonnerait cette petite charlatanerie, si du moins ce roman était attachant et bien conduit ; mais il n'est ni l'un ni l'autre.

Un seul sentiment bien développé suffit pour alimenter une pièce en cinq actes, fût-ce même une tragédie. La passion de l'amour en soutient plus d'une. La piété filiale suffit dans le sujet d'Electre, l'amour maternel dans Mérope, la vengeance dans Atrée, etc. ; mais, de même que des ressorts trop nombreux embarrassent l'action d'un ouvrage de mécanique, de même un trop grand nombre de sentimens et d'intérêts affaiblit ou même détruit l'effet d'un drame. Ainsi, dans la pièce nouvelle, on nous fait voir un comte de Valstein aussi vindicatif et aussi scélérat qu'Atrée ; un major Ulric que sa fille, comme un [sic] autre Antigone, accompagne dans son exil ; un Fréderic dont l'épouse est un modèle de tendresse conjugale ; un petit Adolphe, neveu de Linée [sic], et bien amoureux d'Honorine, fille d'Ulric. Cet Ulric est lui-même un héros généreux et magnanime; Fréderic est un autre héros qui aime mieux rester dans les fers que de dénoncer son bienfaiteur ; Linnée est encore bien au-dessus de tous les autres personnages, car il est respecté même des brigands, et il porte la philantropie jusqu'à croire que, parce qu'il ne fait de mal à personne, personne aussi ne lui en fera. Eh bien, avec tant de vertus et de personnages, avec deux proscrits et un tyran, avec une Antigone et une Artémise, avec le rival de Buffon et un amoureux de quinze ans, avec des mineurs et des élèves botanistes, des déserteurs et des soldats, une forêt et une mine, des prières en chœur et en solo, le nouvel ouvrage n'a pu obtenir que la patience des spectateurs.

Seigneur, Ninus est mort, laissons en paix sa cendre.

Rien n'est plus louable que le respect pour la cendre des morts, et nous sommes d'autant plus éloignés de vouloir troubler celle de M. Dejaure, que son Linnée avait sans doute été condamné par lui-même à ne jamais voir le jour. S'il y a quelqu'un à blâmer ici, ce ne peut être que l'indiscret qui a préféré l’intérêt des héritiers de M. Dejaure à celui de sa réputation.

Afin de concilier l'un et l'autre, nous ne donnerons point l'analyse de la pièce nouvelle. De plus grands détails en feraient ressortir les défauts d'une manière encore plus frappante ; et si nous en développions l'intrigue, si nous en faisions connaître le dénouement, nous ôterions à nos lecteurs le seul attrait qui puisse les engager à aller la voir, celui de la curiosité. La Mine de Suède, comme les mines de Pologne, est un véritable mélodrame.

Ce serait peut-être le cas de faire ici quelques réflexions sur ce nouveau genre de composition, qui jouit aujourd'hui sinon de l'estime, au moins de la faveur générale. Né à l'ancienne comédie italienne, où il fut mis en valeur par le talent admirable de Mme. Dugazon ;transporté depuis au théâtre Feydeau, où Mme. Scio en fit la fortune, il s'est enfin établi sur les théâtres des boulevards ; là, livré tout-à-fait à lui-même, n'étant plus soutenu ni par de grands acteurs, ni par les charmes de la musique, il a été obligé de perfectionner les moyens qui lui étaient propres, et il y a réussi. Nous n'examinerons pas jusqu'à quel point ce succès est funeste au goût national, qu'il ne corrompra point dans ses principes, mais qu'il égarera dans ses habitudes ; nous ne ferons point sentir combien il est fâcheux de voir les situations les plus tragiques à peine écloses du cerveau d'un romancier qu'elles sont employées dans un mélodrame, et par conséquent perdues pour la scène française qui ne peut plus se les approprier; mais nous dirons que l'Opéra-Comique devrait renoncer à un genre qu'heureusement il ne peut suivre dans les écarts qui le font rechercher ; et que, s'il conserve les ouvrages de cette espèce · dont son répertoire est, depuis longtemps, en possession, il devrait au moins s'abstenir d'en adopter d'autres.

Si la musique de cette pièce est, comme on l'assure, le coup d'essai d'un jeune homme, elle ne permet pas encore de juger de son talent. On voit qu'il a cherché les grands effets ; des chœurs, des invocations, du récitatif en sont la preuve ; mais dans tout cela il n'y a presque rien d'original. Outre ces grands morceaux, il nous a donné deux romances. Celle que chante Mme. Haubert a été vivement applaudie et même redemandée ; elle le méritait, car elle a de l'originalité, et le refrain sur-tout est d'un effet neuf et piquant. Nous aurions mieux aimé quelqu'ariette bien développée, dont la mélodie annonçât dans l'auteur le don du chant ; mais ce don semble devenir tous les jours plus rare ; on y supplée par des effets d'harmonie plus savamment calculés qu'heureusement amenés ; c'est ainsi qu'en poésie on supplée au génie de l'invention par la richesse des détails ; mais ces époques dans les arts n'annoncent pas qu'ils se perfectionnent.

Les quatre Saisons du Parnasse, quatrième année, automne 1808 p. 268-269 :

[Beaucoup de questions dans ce bref compte rendu : fallait-il exhumer cette pièce posthume ? Est-ce un opéra-comique ou un mélodrame ? Le succès de la pièce ne paraît pas mérité au critique, qui termine sa brève chronique par des propos rapportés (il ne les prend donc pas à son compte ?) qui ironisent sur elle.]

LINNÉE, ou LES MINES DE SUÈDE.

Première représentation le 10 septembre.

Comme l'a très bien dit Clément de Genève, et non Clément de Dijon qui s'est approprié ce mot : Un ouvrage posthume est souvent un ouvrage qu'on a oublié d'enterrer avec son auteur. Tel est l'opéra-comique ou plutôt le mélodrame de Linnée ou les Mines de Suède, dont les paroles sont de feu Dejaure. Cependant cet ouvrage a eu du succès, grace à la musique, qui est de M. Dourlens.

Quelqu'un a dit que Linnée, dans ses herborisations, n'avoit jamais trouvé autant de simples qu'il y en avoit à la représentation de cette pièce.

Un autre a remarqué que les Mines de Suède ne seroient pas pour l'Opéra-Comique les Mines du Pérou.

Ajouter un commentaire

Anti-spam